Missions jésuites en Nouvelle-France
Les Missions jésuites en Nouvelle-France englobent une série de postes missionnaires établis par les Jésuites de 1634 à 1760 dans le but d'évangéliser les Amérindiens de la région et y promouvoir la religion catholique.
Les Amérindiens du Canada au XVIIe siÚcle
La Nouvelle-France Ă©tait dominĂ©e par deux familles linguistiques amĂ©rindiennes : la famille algonquienne et la famille iroquoienne. Les missionnaires jĂ©suites tentĂšrent de sâimposer dans la vie des groupes dâAmĂ©rindiens appartenant Ă ces deux familles, surtout entre 1632 et 1658, lorsque les JĂ©suites eurent le monopole missionnaire en Nouvelle-France[1]. Leur contact prolongĂ© avec divers groupes dâindigĂšnes permit aux JĂ©suites de devenir adeptes dans les traditions et la culture des AmĂ©rindiens[2].
Pour les JĂ©suites, la conversion ne se limita pas au baptĂȘme, mais fit partie dâun projet de dĂ©veloppement qui chercha Ă transformer tous les aspects de la vie des AmĂ©rindiens. Ce programme de changement fondamental, que les jĂ©suites appelaient metanoia, consistait en la transformation du paĂŻen et de son mode de vie barbare en un nĂ©ophyte qui dĂ©montrait non seulement sa comprĂ©hension du catholicisme, mais aussi une capacitĂ© et un dĂ©sir dâappliquer les instructions des JĂ©suites dans leur vie[3]. Ainsi, les JĂ©suites Ă©taient convaincus que seule une transformation complĂšte de la vie des AmĂ©rindiens eĂ»t pu offrir Ă ces derniers lâespoir du salut, et ils interprĂ©tĂšrent le processus de civilisation des AmĂ©rindiens comme Ă©tant la phase prĂ©alable Ă lâadoption du christianisme[4].
La Compagnie de JĂ©sus
FondĂ© par le basque Ignace de Loyola avec un groupe d'amis dans le Seigneur', lâordre des JĂ©suites vit le jour le , quand il fut approuvĂ© par le pape Paul III. Les JĂ©suites Ă©taient souvent caractĂ©risĂ©s comme les soldats du Christ, particuliĂšrement Ă cause de leur dĂ©fense et de leur prosĂ©lytisme conquĂ©rant des dĂ©crets du concile de Trente. Bien que le JĂ©suites furent dĂ©finitivement du cĂŽtĂ© de la Contre-RĂ©forme, ils n'Ă©taient pas aveugles Ă lâanachronisme qu'Ă©tait devenue la religion catholique dans la sociĂ©tĂ© française, ni Ă la dĂ©formation et la nĂ©gligence que le catholicisme eĂ»t subi en raison de lâignorance de la population française en gĂ©nĂ©ral[5]. Ainsi, les JĂ©suites croyaient que la religion catholique Ă©tait en besoin de renouvellement et que câĂ©tait leur responsabilitĂ© dâĂ©duquer et de rĂ©former les ignorants afin dâinculquer dans la vie de ses gens les valeurs et les mĆurs vĂ©ritablement catholiques.
Le but primordial des JĂ©suites, Ă lâintĂ©rieur comme Ă lâextĂ©rieur de la France, Ă©tait de contribuer Ă la rĂ©forme de lâĂglise catholique et ainsi contrer l'expansion de la RĂ©forme protestante[6]. LâopportunitĂ© de transmettre cette mission outre-mer ne se prĂ©senta que vers la fin du rĂšgne de Henri IV, lorsque ce dernier tenta de centraliser le pouvoir royal Ă lâintĂ©rieur de la France et dans la colonie nord-amĂ©ricaine[7]. Les missions outre-mer sâouvrent en deux directions, soit vers lâAmĂ©rique et vers le Levant[8]. En Nouvelle-France, les missionnaires jĂ©suites se façonnĂšrent en martyres qui rĂ©pandaient, par la parole et par l'exemple, un catholicisme rĂ©formĂ©. En entreprenant leurs activitĂ©s missionnaires, ils se rassuraient non seulement de sauver les Ăąmes des ignorants, mais aussi de leur propre salut[9].
Les Relations des JĂ©suites
Les JĂ©suites entretenaient des liens avec la mĂ©tropole Ă travers lâĂ©criture de relations. Ces documents consistaient en des rapports annuels de leurs expĂ©riences Ă travers lâAmĂ©rique du Nord. Les relations sont divisĂ©es en deux types principaux : des rĂ©cits personnels autour dâune chronique d'Ă©vĂšnements, et des compilations en forme de catalogue encyclopĂ©dique traitant des coutumes et croyances des nouvelles cultures dont ils faisaient une Ă©tude ethnographique. Ces textes Ă©taient lus par une audience fidĂšle composĂ©e de prĂȘtres, sĆurs, et de laĂŻcs pieux vivant en France[10].
Stratégies missionnaires
Une fois Ă©tablis en Nouvelle-France, les JĂ©suites ciblĂšrent d'abord les groupes AmĂ©rindiens qui vivaient dâune maniĂšre semblable aux paysans français (qui Ă©taient d'ailleurs l'objectif des missions jĂ©suites en France Ă la mĂȘme pĂ©riode)[11]. De fait, les JĂ©suites se dĂ©vouĂšrent principalement auprĂšs des peuples de la famille iroquoienne, car ils Ă©taient sĂ©dentaires et vivaient pour une bonne part de l'agriculture[12].
Les JĂ©suites dirigeaient leurs missions vers les Hurons entre 1634 et 1650 et vers les Iroquois Ă partir de 1654, aprĂšs que ces derniers eurent dĂ©cimĂ© les Hurons en guerre[13]. Vraisemblablement, cet intĂ©rĂȘt pour les peuples sĂ©dentarisĂ©s impliquerait lâexclusion des groupes appartenant Ă la famille algonquienne, qui Ă©taient nomades et qui vivaient principalement de la chasse[14]. Pourtant, les JĂ©suites entreprirent Ă©galement des missions en direction des groupes algonquiens, notamment les Montagnais, Algonquins et les Micmacs. Les JĂ©suites se persuadĂšrent que le danger, la primitivitĂ©, et la brutalitĂ© qui caractĂ©risaient la vie de ces groupes nomades inciteraient ces peuples Ă se civiliser et, en consĂ©quence, Ă se christianiser[15].
Les JĂ©suites mettaient beaucoup l'accent sur des techniques pĂ©dagogiques pour convertir les AmĂ©rindiens[4]. Dans les premiĂšres annĂ©es de leur monopole, les JĂ©suites Ă©tablirent des sĂ©minaires, qui Ă©taient en fait des Ă©coles pour Ă©duquer les enfants AmĂ©rindiens[16]. Lâobjectif des sĂ©minaires Ă©tait de couper les liens culturels et communautaires des enfants en les sĂ©parant de leurs familles et de les transformer en fervents chrĂ©tiens[17]. Effectivement, les JĂ©suites croyaient que les enfants Ă©taient plus influençables que leurs parents, et ils s'attendaient Ă ce que les enfants, une fois de retour dans leur communautĂ© dâorigine, propageraient la foi chrĂ©tienne Ă leurs parents et Ă leurs aĂźnĂ©s. En dĂ©pit des fortes espĂ©rances quâengendrĂšrent les sĂ©minaires, les JĂ©suites se rĂ©signĂšrent Ă les abandonner, car ils sâavĂ©rĂšrent inefficaces et mal conçus pour les AmĂ©rindiens[18].
Ă la suite de lâĂ©chec des sĂ©minaires, les JĂ©suites entreprirent un deuxiĂšme projet de conversion qui s'avĂ©ra plus coercitif que le premier : les rĂ©ductions. InspirĂ©es des reducciones du Paraguay, les rĂ©ductions Ă©taient des enclaves qui isolaient les nĂ©ophytes des AmĂ©rindiens non-convertis[19]. Contrairement aux sĂ©minaires, les rĂ©ductions visaient les AmĂ©rindiens adultes[20]. Entre 1638 et 1676, les JĂ©suites crĂ©Ăšrent cinq rĂ©ductions pour cinq groupes AmĂ©rindiens au Canada. Celles Ă Sillery, prĂšs de QuĂ©bec, et Ă la Conception, Ă proximitĂ© de Trois-RiviĂšres, regroupaient des Montagnais et des Algonquins. La rĂ©duction Ă Notre-Dame-de-la-Foye puis Ă Lorette Ă©tait peuplĂ©e par des Hurons, et celle Ă La Prairie de la Magdeleine et ensuite au Sault Saint-Louis, par des Iroquois. Enfin, des AbĂ©naquis (appartenant Ă la famille algonquienne) sâinstallĂšrent dans la rĂ©duction de Sillery et par la suite au Sault de la ChaudiĂšre[21]. En Ă©tablissant les rĂ©ductions, les JĂ©suites nâavaient pas lâintention de reproduire les coutumes et les mĆurs europĂ©ennes dans les communautĂ©s de nĂ©ophytes. PlutĂŽt, les JĂ©suites jugeaient que les EuropĂ©ens, en AmĂ©rique comme en Europe, avaient dĂ©viĂ© du mode de vie chrĂ©tien. Pour cette raison, la rĂ©duction Ă©tait conçue comme un projet pour construire des communautĂ©s catholiques nouvelles et meilleures en Nouvelle-France[22].
Missions
- En 1639 les missionnaires jésuites établissent Sainte-Marie-au-pays-des-Hurons[23]
- Ătablie en 1667, la premiĂšre mission iroquoise par les JĂ©suites en Nouvelle-France Ă©tait nommĂ©e KentakĂ©. Celle-ci fut dĂ©placĂ©e en 1676 et rebaptisĂ©e Kahnawake.
- La mission Sainte-Marie fut Ă©tablie sur le territoire de la ville de Sault Ste. Marie au Michigan par le pĂšre missionnaire Jacques Marquette en 1668.
- La mission Saint-Ignace fut installée sur l'ßle Mackinac par le pÚre Claude Dablon en 1670.
- En 1671, les Jésuites construisirent la mission Saint-François-Xavier à La Baye. Le Fort La Baye fut ensuite édifié en 1717.
- La mission Saint-Joseph créé en 1680 par le PÚre Claude-Jean Allouez.
- La mission de l'Ange Gardien créé en 1696 à Chicago par le PÚre Pierre François Pinet.
- La mission de l'Immaculée Conception en 1703 fut le noyau autour duquel vint grandir le village de Kaskaskia situé au Pays des Illinois. Le centre jésuite de Kaskaskia était trÚs actif et fit de la Haute-Louisiane un des centres les plus évangélisateurs. Il permit la conversion de nombreux Illinois[24].
Les missions étaient l'un des trois moyens majeurs employés par la couronne de France pour étendre ses frontiÚres et consolider ses terres.
La mission acadienne
Les JĂ©suites sâintroduisirent en Nouvelle-France pour la premiĂšre fois en 1611, lorsque les PĂšres Pierre Biard et ĂnĂ©mond MassĂ© se rendirent Ă Port-Royal, en Acadie. Ces deux missionnaires entreprirent de christianiser le peuple algonquien de la rĂ©gion, les Micmacs. Ă vrai dire, les JĂ©suites ne furent pas les premiers missionnaires en Acadie : Ă leur arrivĂ©e, plusieurs Micmacs Ă©taient dĂ©jĂ baptisĂ©s. Par contre, Biard et MassĂ© se lamentĂšrent que les Micmacs avaient reçu le baptĂȘme simplement afin de symboliser lâalliance Ă©conomique avec les colons Français, et non pas en raison quâils fussent vĂ©ritablement devenus croyants et quâils eussent changĂ© leurs coutumes et leurs mĆurs[25]. Afin de pouvoir instruire les Micmacs sur le christianisme et de les convertir en nĂ©ophytes authentiques, les JĂ©suites comprirent quâils devaient apprendre la langue de ces AmĂ©rindiens. Ainsi reconnurent-ils que seul le catĂ©chisme put transformer la vie des Micmacs de maniĂšre que ces derniers soient prĂȘts Ă ĂȘtre baptisĂ©s. Malheureusement pour les JĂ©suites, leur mission en Acadie fut promptement interrompue aprĂšs qu'une flottille anglaise commandĂ©e par Samuel Argall ait dĂ©truit la colonie acadienne[26].
Les RĂ©collets avaient un statut dâordre mendiant, et donc ne pouvaient pas sâaventurer dans les affaires commerciales afin de supporter la subsistance autonome de leur mission dans la colonie. Ils invitĂšrent donc les JĂ©suites Ă se joindre Ă leur travail dâĂ©vangĂ©lisation.
EspĂ©rant de meilleurs rĂ©sultats que la mission Ă©chouĂ©e en Acadie, les JĂ©suites repartirent vers la colonie pour y rejoindre les RĂ©collets. Cette deuxiĂšme tentative de mission jĂ©suite Ă©tait sous la direction du pĂšre Pierre Coton. Ă ses cĂŽtĂ©s, arrivĂšrent en Nouvelle-France, en 1625, les pĂšres Ănemond MassĂ© et Jean de BrĂ©beuf.
En 1629, la collaboration harmonieuse entre RĂ©collets et JĂ©suites prit fin, lorsque tous les missionnaires furent rappelĂ©s en France, consĂ©quence de la reddition de QuĂ©bec Ă la suite de lâattaque anglaise commandĂ©e par les frĂšres Kirke la mĂȘme annĂ©e.
En 1632, aprĂšs rĂ©appropriation de la Nouvelle-France par la France, le monopole religieux de la colonie fut enlevĂ© aux RĂ©collets et accordĂ© aux FrĂšres mineurs capucins par le cardinal Richelieu. Les Capucins renoncĂšrent au poste et cĂ©dĂšrent la place aux JĂ©suites, qui maintinrent leur monopole jusquâen 1657.
Sous la direction du PĂšre Paul Le Jeune, cette troisiĂšme mission jĂ©suite marqua un point tournant dans lâhistoire des missions en Nouvelle-France. En effet, Ă partir de 1632, les JĂ©suites dĂ©cidĂšrent de changer de politique de conversion, et par ce fait transformĂšrent les relations entre les AmĂ©rindiens et les missionnaires français.
Mission algonquienne
Les missions des Jésuites dirigées vers les peuples Algonquiens, particuliÚrement vers les Montagnais et les Algonquins, étaient expressément désignées pour subvertir le mode de vie de ces groupes nomades en les sédentarisant[27]. Du point de vue des Jésuites, la christianisation des Montagnais et des Algonquins dépendait avant tout de leur sédentarisation.
Les réductions à Sillery et à la Conception
Câest en crĂ©ant des rĂ©ductions que les JĂ©suites espĂ©raient transformer ces AmĂ©rindiens nomades et chasseurs en fermiers disciplinĂ©s et sĂ©dentaires[28]. Les JĂ©suites Ă©tablirent une premiĂšre rĂ©duction Ă Sillery, prĂšs de QuĂ©bec, en 1638, et une deuxiĂšme Ă la Conception, prĂšs de Trois-RiviĂšres, en 1641[29]. Pour attirer ces AmĂ©rindiens dans les rĂ©ductions et, une fois quâils sây Ă©taient rendus, les forcer Ă rester en place et de cultiver la terre, les JĂ©suites offraient aux AmĂ©rindiens des vivres et de lâassistance militaire[30].
Les rĂ©ductions permirent lâimplantation dâune structure de surveillance par laquelle les missionnaires jĂ©suites pouvaient enrĂ©gimenter la pratique religieuse et les comportements des nĂ©ophytes afin de sâassurer que ces derniers ne retombassent pas dans des croyances et des pratiques que les JĂ©suites considĂ©raient comme superstitieuses et contraires au christianisme[31]. Tout dâabord, les JĂ©suites sâarrogĂšrent le pouvoir lĂ©gal dâadministrateur des rĂ©ductions, mĂȘme sâils reconnaissaient les AmĂ©rindiens comme Ă©tant les propriĂ©taires de la seigneurie[32]. Au besoin, les JĂ©suites recouraient Ă des tactiques coercitives afin dâinstaurer la discipline parmi les AmĂ©rindiens et de forcer ces derniers Ă participer aux rites chrĂ©tiens. S'ils le jugeaient nĂ©cessaire, les JĂ©suites infligeaient des chĂątiments physiques aux dĂ©linquants[33].
MalgrĂ© leurs efforts pour sĂ©dentariser et convertir les peuples Algonquiens, les JĂ©suites constatĂšrent que le nomadisme, imprĂ©gnĂ© dans la vie et la culture des Montagnais et des Algonquins, reprĂ©sentait un obstacle trop difficile Ă surmonter directement. Au lieu de persister dans leur mandat apostolique de transmettre les mĆurs et les rites rudimentaires du christianisme, les JĂ©suites se rĂ©signĂšrent Ă faire des concessions. Ils jugĂšrent en effet que, le nomadisme s'avĂ©rant incontournable, ils auraient plus de succĂšs s'ils accompagnaient et enseignaient aux Algonquiens durant leurs chasses au lieu de les forcer Ă se sĂ©dentariser[34]. En raison de l'Ă©chec des rĂ©ductions Ă Sillery et Ă la Conception et de l'ouverture d'autres missions dans les communautĂ©s huronnes et iroquoises, les JĂ©suites attribuĂšrent de moins en moins d'importance aux rĂ©ductions algonquiennes dĂšs 1652[35].
Mission huronne
En , Ă son retour dâune missions aux cĂŽtĂ©s des Montagnais, le pĂšre Jean de BrĂ©beuf fut envoyĂ© tout de suite par le pĂšre Charles Lalemant chez les Hurons afin dây aider les RĂ©collets. AprĂšs trente jours de voyage et 1 500 kilomĂštres parcourus, il rejoignit le rĂ©collet PĂšre Laroche Daillon. Durant cette pĂ©riode, la stratĂ©gie de BrĂ©beuf ne se concentra pas sur la conversion mais plutĂŽt sur lâĂ©tablissement des conditions prĂ©alables Ă ce travail. En dĂ©but de lâannĂ©e 1628, BrĂ©beuf se retrouva seul prĂȘtre auprĂšs des Hurons. Ă son dĂ©part en 1629, il avait dĂ©jĂ une bonne connaissance de la langue huronne et Ă©tait bien imprĂ©gnĂ© de leurs mĆurs et coutumes[36].
Ă son retour en Nouvelle-France en 1633, Jean de Brebeuf revint Ă Trois-RiviĂšres. LĂ , il fut chargĂ© par Le Jeune de couvrir exclusivement la rĂ©gion Huronne. En attendant ce dĂ©part, il se consacra Ă lâenseignement de la langue huronne aux missionnaires, puisquâil Ă©tait convaincu que cette connaissance Ă©tait indispensable au succĂšs du processus dâĂ©vangĂ©lisation de lâHuronie[37].
Jean de BrĂ©beuf se rendit dans le pays Huron en et en devint le premier supĂ©rieur jĂ©suite, avec le mandat de christianiser et civiliser. Deux jĂ©suites et sept autres Français lây accompagnaient au dĂ©but, et dâautres sây ajoutĂšrent au fil du temps. Ces premiers arrivĂ©s, sous les ordres de BrĂ©beuf, sâadonnĂšrent Ă la compilation dâun dictionnaire huron, Ă la constitution dâune grammaire de la langue et Ă une meilleure connaissance de ce peuple sĂ©dentaire.
Lâobjectif de BrĂ©beuf Ă©tait de bien prĂ©parer le terrain afin de sâassurer que les nĂ©ophytes hurons seraient vĂ©ritablement convertis, quâils le demeureraient et quâils pourraient collaborer aux efforts ultĂ©rieurs de conversion des autres membres de leurs tribus. ConformĂ©ment Ă la stratĂ©gie missionnaire rigoriste des JĂ©suites, les collaborateurs de BrĂ©beuf se rendaient dans les cabanes de familles huronnes afin de leur exposer des notions du catĂ©chisme de base. Ils visaient en prioritĂ© les jeunes enfants et les personnes ĂągĂ©es.
SĂ©minaires
En parallĂšle Ă la mĂ©thode qui consistait Ă sâintroduire dans le foyer huron, BrĂ©beuf dĂ©veloppa aussi, avec le pĂšre Le Jeune, un systĂšme de sĂ©minaire pour Hurons Ă QuĂ©bec. Cette approche, en contrepartie, dĂ©plaçait un certain nombre dâenfants Hurons vers les missionnaires Français, en les arrachant de leur milieu naturel et en les plaçant dans un environnement oĂč ils Ă©taient imprĂ©gnĂ©s d'un enseignement et d'un mode de vie français et catholique.
Ă son ouverture en 1636, le sĂ©minaire pour jeunes AmĂ©rindiens Ă QuĂ©bec Ă©tait destinĂ© exclusivement aux membres des nations huronnes. Il ne sera ouvert aux autres groupes amĂ©rindiens quâaprĂšs 1638. Cette approche dĂ©fendue par Le Jeune renfermait plein dâespoir de rĂ©ussite. Selon lui, sĂ©parĂ©s par au moins trois cents lieues de leurs proches, la disposition des jeunes Ă une conversion fructueuse augmentait[38]. Les recrues, peu nombreuses, Ă©taient principalement des enfants.
Bien que BrĂ©beuf choisissait attentivement les Hurons quâil croyait les plus aptes Ă rĂ©pondre Ă cette mĂ©thode dâassimilation, les rĂ©sultats de cette stratĂ©gie furent peu fructueux. MĂȘme aprĂšs avoir passĂ© du temps en France, les Hurons replongeaient vite dans leurs anciennes habitudes Ă leur retour chez eux. Vu que leur autoritĂ© au sein de leur communautĂ© Ă©tait limitĂ©e, les connaissances catholiques des enfants nâeurent pas lâimpact quâespĂ©raient les JĂ©suites sur le reste des Hurons[39].
Les Hurons
DĂšs 1609, les missionnaires français eurent connaissance de lâexistence de regroupements de peuples sĂ©dentaires, Ă©tablis dans lâintĂ©rieur du continent[40]. En 1615, le premier rĂ©collet se rendit dans ce regroupement de villages Ă bord d'un canot huron Ă partir de MontrĂ©al. Cette nation Ă©tait une confĂ©dĂ©ration de quatre tribus : les Arendarhonons, les Attignawantans, les Attigneenongnahacs, et les Tahontaenrats[41]. La cellule de cette sociĂ©tĂ© matriarcale Ă©tait la cabane. Peuple sĂ©dentaire, cultivant le sol, les Hurons avaient des grandes cabanes pouvant aller jusquâĂ soixante mĂštres de longueur par huit mĂštres de largeur[42].
Pour les Hurons, une attitude tolĂ©rante envers le christianisme nâĂ©tait pas synonyme d'abandon de leurs coutumes ancestrales. Cette tolĂ©rance quâils cultivaient Ă©tait en partie motivĂ©e par la valeur quâils accordaient Ă leur alliance avec les Français. En retour de leur mallĂ©abilitĂ© religieuse, ils bĂ©nĂ©ficiaient de conditions commerciales privilĂ©giĂ©es dans la traite de fourrures et de la protection française contre dâĂ©ventuelles attaques iroquoises.
Le pouvoir colonial exhibait ouvertement sa proximitĂ© avec les missionnaires. Les colons français clamaient ostensiblement que les avantages commerciaux et militaires dont jouissaient les AmĂ©rindiens dĂ©pendaient dâune attitude positive envers la prĂ©sence et le message les JĂ©suites[43]. En effet dĂšs 1634, le pacte franco-huron dĂ©clarait quâil y aurait du commerce entre les Français et les Hurons seulement Ă condition que les missionnaires fussent admis en Huronie[44].
Pourtant, le contact avec le monde Français sâavĂ©ra coĂ»teux pour les Hurons. Des milliers moururent de la petite vĂ©role et de dysenterie. Les Ă©pidĂ©mies qui ravagĂšrent les nations huronnes Ă©pargnaient la vie des JĂ©suites, immunisĂ©s Ă ces maladies. Cette constatation eut un impact nĂ©gatif sur les relations, prĂ©alablement harmonieuses, entre Hurons et JĂ©suites. Jean de BrĂ©beuf prit, Ă la suite des ravages des virus, la forme dâun sorcier dangereux aux yeux des Hurons. Lâintroduction des virus Ă©tait en rĂ©alitĂ© liĂ©e au contact avec de nouveaux Français laĂŻcs, entre autres lors de voyages hors de Huronie ou durant des transactions avec de nouveaux partenaires français. La source de ces Ă©pidĂ©mies ne remontait pas aux jĂ©suites qui cĂŽtoyaient les Hurons dĂ©jĂ depuis plusieurs annĂ©es[45][version des jĂ©suites].
Ceci nâempĂȘcha pas BrĂ©beuf, le plus « huron » de tous les Français, dâĂȘtre menacĂ© de mort et dâĂȘtre haĂŻ par certains Hurons Ă la suite de la perte des leurs Ă cause de maladies françaises. Au summum des tensions, BrĂ©beuf rĂ©digea son testament, tant la conviction Ă©tait forte au sein des JĂ©suites quâil serait sacrifiĂ© par les Hurons en colĂšre.
Ces conditions ne les dĂ©couragĂšrent pas outre mesure Ă cause de lâidĂ©ologie martyrisante qui motivait les JĂ©suites. Ils se considĂ©raient soldats dans une sainte guerre, et avaient la dĂ©termination dâaller tout au bout de leur mission : revendiquer la souverainetĂ© du Christ sur le monde entier, vaincre tous ses ennemis, et ainsi entrer dans la gloire du PĂšre[46][d'oĂč la conviction de BrĂ©beuf d'ĂȘtre tuĂ© ?].
Vers 1638, une accalmie se fit ressentir et BrĂ©beuf continua assidĂ»ment sa mission dâintĂ©gration au sein des communautĂ©s huronne tout en imposant lâadoption des valeurs chrĂ©tiennes. Il dĂ©nonçait les pratiques des chamans hurons, pratiques qu'il considĂšre relever de la sorcellerie[47]. Cette mĂȘme annĂ©e, BrĂ©beuf, dĂ©testĂ© des Hurons, fut remplacĂ© par le pĂšre Lalemant comme supĂ©rieur de la mission en Huronie.
Sous la direction de Lalemant, les missionnaires changĂšrent de stratĂ©gie. Le territoire huron Ă©tait perçu par ce pĂšre comme un diocĂšse[48]. Câest sous ses ordres que fut construit le village de Sainte-Marie-au-pays-des-Hurons. Ce lieu fortifiĂ© abritait tous les Français, laĂŻcs et religieux, et retira les JĂ©suites de leur campement au sein des villages hurons. LâĂ©rection de ce centre français enleva aux français la qualitĂ© de protecteur quâils avaient en vivant parmi les familles huronnes. ConsĂ©quemment, les Hurons se retrouvĂšrent plus vulnĂ©rables aux attaques Iroquoises.
En 1641, la guerre entre Hurons et Iroquois prit de plus en plus dâenvergure et les activitĂ©s commerciales liĂ©es Ă la fourrure furent mises Ă risque. BrĂ©beuf proposa une dĂ©claration de guerre officielle par la France aux Iroquois et Ă leurs alliĂ©s Hollandais. Quelques soldats furent envoyĂ©s en Huronie afin de la protĂ©ger dâune Ă©ventuelle invasion.
En 1644, à mesure que la situation de guerre empirait et que les Hurons perdaient face aux Iroquois, le taux de conversion huronne au christianisme augmentait. à la suite de certaines interventions de Jésuites, des convertis se firent nommer chefs. Le vide laissé par la mort en bataille de plusieurs chefs facilita cette situation inespérée pour les missionnaires[49].
Cette consolidation des liens franco-hurons nâempĂȘcha pas lâinvasion du territoire de la Huronie par les Iroquois en 1649. Poursuivant le pillage et le massacre des hurons, la large cohorte iroquoise attaqua le village de Saint-Louis le et y trouvĂšrent BrĂ©beuf qui avait Ă©tĂ© torturĂ© et tuĂ© le jour mĂȘme. Le , le pĂšre Ragueneau ordonna la destruction du fort de Sainte-Marie-des-Hurons et prit refuge sur lâĂźle Ahoendoe avec les hurons survivants. Ils y demeurĂšrent un an, dans des conditions misĂ©rables de famine et de subjugation.
Le , portant avec eux les restes du pÚre Jean de Brébeuf, Jésuites et Hurons catholiques prirent refuge à Québec[50].
Mission iroquoise
Les Iroquoiiens de Nouvelle-France
La famille iroquoienne (ou huronne-iroquoise) comprend plusieurs confĂ©dĂ©rations: PĂ©tuns, Neutres, EriĂ©s, Susquehannocks, Hurons, Iroquois et Cherokees. Chaque confĂ©dĂ©ration se divise Ă son tour en plusieurs nations, incluant pour les Iroquois: Senecas (ou Tsonnontouans), Cayugas (ou Goyogouins), Onondagas (ou OnnontaguĂ©s), Onneiouts (ou Oneidas) et Mohawks (ou Agniers). Les seules alliances que ces cinq nations entrenaient Ă©taient entre elles-mĂȘmes ; la confĂ©dĂ©ration iroquoise Ă©tait ainsi entourĂ©e dâennemis[51]. Les Iroquois occupaient un territoire situĂ© sur lâactuel Ătat de New York.
Alors que les hommes sâoccupaient surtout de chasse et de pĂȘche, les femmes complĂ©taient par lâactivitĂ© agricole[52]. Les villages Ă©taient composĂ©s de maisons longues dont chacune logeait une famille matrilinĂ©aire.
Préludes difficiles
AprĂšs 1650, les missions jĂ©suites auprĂšs des AmĂ©rindiens connurent une perte dâintensitĂ© Ă la suite du dĂ©mantĂšlement de la confĂ©dĂ©ration huronne par les Iroquois. Les efforts pour dĂ©velopper de nouvelles missions chez les Iroquois restaient infructueux. Les JĂ©suites quant Ă eux croyaient quâune mission en territoire iroquois pourrait contribuer Ă ramener la paix entre Iroquois, Hurons et mĂȘme Algonquiens[53]. Bien que des projets furent Ă©laborĂ©s dĂšs 1654, la mission dut ĂȘtre reportĂ©e de deux ans notamment Ă cause du naufrage dâun navire qui devait assurer le financement de la mission.
Pendant ce temps, les JĂ©suites multipliaient les voyages de reconnaissance en territoire autochtone. Le PĂšre Pierre Le Moyne alla Ă la rencontre des OnnontaguĂ©s entre juillet et . Il y renouvela [?] la paix avec les Français [?] et baptisa le chef de la nation. LâannĂ©e suivante le PĂšre Pierre-Joseph-Marie Chaumonot et le PĂšre Claude Dablon allĂšrent sonder lâopinion iroquoise Ă propos dâun Ă©tablissement français sur leur territoire. Ils reçurent une rĂ©ponse majoritairement positive, bien que les Iroquois imposaient comme condition de leur amener les Hurons pour les incorporer Ă la confĂ©dĂ©ration iroquoise. Les Agniers sâopposaient cependant au projet. Dablon retourna Ă MontrĂ©al en pour sommer le gouverneur et le jĂ©suite supĂ©rieur de QuĂ©bec dâapprouver la mission[54].
De la fin de Gennentaha à la Grande Paix de Montréal, 1661-1701
Outre la conversion des autochtones, les JĂ©suites jouaient un rĂŽle important dans les relations diplomatiques entre Français et AmĂ©rindiens. Leur maĂźtrise des diffĂ©rentes langues autochtones, primordiale pour la conversion, faisait dâeux dâaptes ambassadeurs en ce qui a trait aux nĂ©gociations de paix et au rapatriement des otages. En 1661, le PĂšre Paul Lemoyne se rendit en territoire iroquois et obtint la libĂ©ration de dix-neuf otages français[55]. De maniĂšre plus signifiante que les sauvetages individuels, la carriĂšre missionnaire du PĂšre Pierre Millet en Iroquoisie (1668-1694) montre un jĂ©suite impliquĂ© dans la haute politique amĂ©rindienne. En 1689, il obtint le titre de Sachem hĂ©rĂ©ditaire de la Ligue des Cinq-Nations, ce qui lui permit de promouvoir avec grande influence une paix avec les Français lors des conseils des nations iroquoises[56].
La mission du PĂšre Jean Pierron chez les Agniers et Onneiouts entre 1667 et 1670 est un cas oĂč la peinture est utilisĂ©e comme outil de conversion. Pierron crĂ©ait ses propres Ćuvres picturales reprĂ©sentant les thĂšmes cruciaux de la foi chrĂ©tienne : les Dix Commandements, les sept sacrements, les trois vertus theologuales, etc., pour ultimement montrer le chemin vers le paradis ou l'enfer. Selon le PĂšre Mercier, Pierron acquit ainsi une haute notoriĂ©tĂ© chez les Iroquois. Les efforts de Pierron se heurtaient cependant au commerce entre Agniers et Hollandais : les derniers vendaient de l'eau-de-vie aux premiers, ce qui Ă©tait contraire Ă l'enseignement jĂ©suite et limitait la comprĂ©hension du message[57].
ArrivĂ© en 1669 Ă la mission Saint-Jean-Baptiste chez les OnnontaguĂ©s, le pĂšre Jean de Lamberville connut un certain succĂšs dans ses conversions, bien que la plupart des baptĂȘmes furent donnĂ©s aux enfants et adultes mourants, qui prĂ©sentaient moins de rĂ©sistance. Ă la suite de cette action chez les Iroquois, Lamberville fut nommĂ© supĂ©rieur des missions iroquoises en Nouvelle-France, ainsi que nĂ©gociateur avec les ennemis anglais et hollandais. Ă la demande du gouverneur gĂ©nĂ©ral Jacques-RenĂ© Brisay de Denonville, Lamberville entraĂźna les chefs iroquois au fort Carakoui (Fort Frontenac). Le gouverneur avait dit au jĂ©suite que les Français voulaient nĂ©gocier une paix ; en rĂ©alitĂ©, il s'agissait d'un piĂšge et plusieurs Iroquois furent faits prisonniers[58]. Cet exemple montre un jĂ©suite manipulĂ© par les autoritĂ©s sĂ©culiĂšres pour des visĂ©es qui divergeaient de celles de la Compagnie de JĂ©sus.
Le frÚre de ce jésuite, Jacques de Lamberville, consacra trente-sept années aux missions iroquoises. DÚs 1675 on l'attribua à la mission des Agniers et on l'utilisa également comme négociateur chez les Onnontagués. Il a baptisé l'Iroquoise Kateri Tekakwitha qui s'est déplacée par la suite à la mission mohawk de Saint-François-Xavier du Sault-Saint-Louis, à Kahnawake[59].
Le PĂšre Claude ChauchetiĂšre, en mission au Sault Saint-Louis dans les annĂ©es 1680, poursuivit la tradition picturaliste du PĂšre Jean Pierron. Cependant, plutĂŽt que de peindre lui-mĂȘme, il commandait des peintures qu'il disposait en livres illustrĂ©s contenant les "sept pĂ©chĂ©s capitaux, l'enfer, le jugement, la mort et quelques dĂ©votions comme le rosaire, les cĂ©rĂ©monies de la messe[60]. Cela fait de lui le premier jĂ©suite Ă avoir fourni aux AmĂ©rindiens de Nouvelle-France un catĂ©chisme en images[61].
Bien que la technique picturale fut un moyen de rendre l'enseignement jésuite attrayant au premier abord, il ne résulta jamais en une stratégie de conversion efficace à long terme. Cela est dû à l'inflexibilité de l'imagerie chrétienne, qui échouait à s'adapter à la culture et aux perceptions autochtones. Au mieux, des éléments chrétiens s'imbriquaient à moyen terme dans la culture iroquoise, mais cette cohabitation était peu viable et tendait à s'effacer au profit de la culture dominante des Iroquois[62].
Essoufflement des missions, 1701-1763
La Grande paix de MontrĂ©al de 1701 marqua la fin des guerres franco-iroquoises. Le rĂŽle et l'influence des JĂ©suites furent rĂ©duits, puisque la paix mit un terme Ă leur rĂŽle d'ambassadeur chez les autochtones. Bien que la Compagnie de JĂ©sus poursuivit ses activitĂ©s missionnaires au XVIIIe siĂšcle, elle ne connut plus un support gouvernemental aussi fort que celui dont elle avait bĂ©nĂ©ficiĂ© au siĂšcle prĂ©cĂ©dent. Ă la suite de la conquĂȘte britannique de la Nouvelle-France (1759-63), les Canadiens français purent certes conserver leur libertĂ© de culte, mais la Compagnie de JĂ©sus restait une organisation papiste et donc subversive. Leurs collĂšges furent saisis et mis Ă la disposition des troupes britanniques, tandis que les missions auprĂšs des autochtones furent enrayĂ©es[63].
Notes et références
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Annexes
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Articles connexes
Lien externe
- « Migration, utopie et résilience. Des missions de la Nouvelle-France aux missionnaires français dans l'espace public Bas-Canadien (1840-1870) », Paul-André Turcotte, Incursions no 7, Paris, 2d Semestre 2012, L'Affress