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Martin Ndayahoze

Martin Ndayahoze, né le et mort le , est un homme politique burundais.

Martin Ndayahoze
Fonctions
Ministre de l’Information
–
Prédécesseur André Baredetse
Successeur Joseph Baragengana
Ministre de l’Économie
–
Prédécesseur André Kabura
Successeur Libère Ndabakwaje
Secrétaire général du Parti
–
Biographie
Date de naissance
Lieu de naissance Gitega
Date de dĂ©cès (Ă  32 ans)
Lieu de décès Inconnu
Nationalité Burundais
Conjoint Rose Karambizi-Ndayahoze

Né à Gitega d'un père hutu et d'une mère tutsie, Ndayahoze est membre de tous les gouvernements formés et remaniés au Burundi du au . À ce titre, il est un témoin privilégié des rivalités ethniques et de la violence politique qui marquent les derniers mois de la monarchie et les premières années de la « République » dans ce pays. Plusieurs de ses « rapports confidentiels » au chef de l’État burundais, Michel Micombero (1966-1976), apportent un éclairage sur les conflits et les logiques de pouvoir et de violence des années 1965 à 1972 au Burundi. Au-delà du témoignage, le drame de son parcours politique personnel offre un cas d'école singulier sur les dilemmes de la charge publique et l'étroitesse des options de sortie de crise, sous la contrainte d'un leadership politique brutal et clivant. Plusieurs décennies après sa disparition, ses écrits comptent parmi les principales sources référées dans l'analyse causale des violences de masse qui dévastèrent le Burundi en 1972. Ndayahoze en fut l'une des premières victimes.

Biographie

Formation

Après des études primaires à Bujumbura, Martin Ndayahoze poursuit sa scolarité au Rwanda, au Groupe scolaire officiel de Butare, dans la section des Humanités modernes scientifiques (1954-1960)[1]. Entre 1960 et 1961, il est de retour à Bujumbura où il suit une année de pré-université à la faculté d’agronomie de l’université officielle du Congo belge et du Ruanda-Urundi. En 1961, il fait une année de propédeutique en sciences à l’université Lovanium du Congo belge. C’est en France, à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr à Coëtquidan qu’il fera, de 1962 à 1964, des études supérieures vocationnelles et diplômantes. Il parachève sa formation au cours de l’année académique 1964-1965 à l’École supérieure et d'application du génie d’Angers.

1961-1965 : Les derniers mois de la Monarchie

Alors qu’entre 1961 et 1965, Martin Ndayahoze est encore à ses études, le Burundi, sous l’autorité minée du roi Mwambutsa IV Bangiricenge, se fissure le long de la ligne de clivage entre Hutus et Tutsis, les deux principales composantes ethniques du pays. En deux ans (-), le gouvernement du royaume connaît quatre Premiers ministres dont l'un assassiné[2].

Martin Ndayahoze rentre au Burundi à la veille des élections parlementaires de , remportées par le parti de l’Union pour le progrès national (UPRONA). Le choix du Premier ministre à nommer à la suite de cette victoire donne lieu à de fortes rivalités et tensions ethniques au sein du parti vainqueur. Dans la nuit du 19 au , elles engendrent une tentative de coup d’État, déjouée. Dans son sillage et dans deux communes de la province de Muramvya, « plusieurs centaines » de Tutsis[3] périssent dans les premiers massacres de masse du Burundi indépendant. La tentative de putsch et les massacres de civils tutsis déclenchent une réaction violente, d’abord avec une expédition répressive sanglante de l’armée, ensuite avec un procès à l’issue duquel 34 officiers et soldats hutus sont jugés, condamnés et exécutés en l'espace de 24 heures[4]. Dès le lendemain de la tentative de coup d'État, deux arrêtés-lois avaient été promulgués, l'un pour instaurer un régime militaire d'exception et l'autre pour déterminer le mode des exécutions capitales pendant la durée du régime d'exception. Un troisième arrêté-loi promulgué le avait exclu toute possibilité de faire appel d'un jugement rendu par le conseil de guerre[5]. Au total, ce sont quatre-vingt personnalités hutues qui seront ciblées puis sommairement arrêtées, emprisonnées ou exécutées dans la foulée de la tentative de coup d’État d'[6].

Les sources historiques combinent une sĂ©rie de facteurs nationaux et exogènes pour expliquer l’origine des tensions interethniques entre Hutus et Tutsis au Burundi, après l’accession du pays Ă  l’indĂ©pendance. Elles convergent sur l’influence importante des dĂ©veloppements politiques survenus au Rwanda, entre 1957 et 1964. Au Rwanda, depuis 1957 les Ă©lites des mĂŞmes groupes ethniques hutus et tutsis se livrent Ă  une lutte ouverte pour le contrĂ´le du pouvoir. Elle tourne Ă  l’avantage des premiers dans des circonstances dramatiques pour les seconds : massacres, pillages et destructions de biens, exode massif vers les pays voisins oĂą ils sont au moins 336 000 Ă  se rĂ©fugier[7]. Le Burundi en accueille 44 000 entre 1959 et 1961 puis 75 000 entre 1962 et 1973[8]. Les Ă©vĂ©nements du Rwanda ont un effet magnĂ©tique sur l’élite radicale hutue du Burundi qui prend en modèle la « rĂ©volution sociale » de 1959. EmmenĂ©e par des leaders hutus revendiquant un droit de prĂ©dominance politique au nom de « lois statistiques »[9], cette « rĂ©volution » avait violemment arrachĂ© le pouvoir des mains d’une lignĂ©e royale dynastique tutsie, multisĂ©culaire. Au Burundi, les mĂŞmes Ă©vĂ©nements ont l’effet inverse dans la classe politique radicale tutsie. Bien que plusieurs acteurs politiques burundais hutus et tutsis, plus modĂ©rĂ©s, s’en tiennent Ă  l’écart, ces deux radicalismes Ă©voluent sans force de mitigation ni de conciliation depuis l’assassinat en du prince Louis Rwagasore, fils du roi. Dès 1953, en tant qu'Ă©tudiant[10] ensuite comme leader du parti UPRONA puis comme Ă©phĂ©mère (15 jours) Premier ministre, celui-ci s'Ă©tait distinguĂ© par des prises de position publiques et des actes de gestion contre l’extension du « modèle rwandais » au Burundi, contre la prĂ©dominance tendancieuse d’un groupe ethnique sur un autre et contre le « paternalisme » du colonisateur belge[11]. En 1961 et en huit ans, il Ă©tait ainsi parvenu Ă  apaiser et rassembler derrière sa stature politique les tendances politiques sectaires au sein de son parti et au-delĂ . Faute d'un successeur de consensus, son assassinat remet sur le devant de la scène les clivages sectaires et les tendances jusqu’au-boutistes. Leur confrontation tourne en faveur du camp radical tutsi qui prendra avantage de la tentative de coup d’État dĂ©jouĂ©e d’ pour amorcer une purge progressive de l’élite politique et militaire hutue.

1966 : L’année des illusions

Avant d’entrer en politique, Martin Ndayahoze amorce une courte carrière militaire. Rentré d’Angers, il est nommé sous-lieutenant de l’armée en . En septembre de la même année, il est affecté au centre d’instruction militaire de Bururi, dans le sud du Burundi. L’année suivante en janvier, il est rappelé à l’état major général de l’armée où il est affecté au département de la logistique, de la gestion et de l’intendance. Le Burundi, en situation de précarité politique, économique et sociale, était sans roi, Mwambutsa IV étant absent depuis le , date de son départ pour Bruxelles, dont il ne reviendra jamais[12]. Le , après neuf mois d’absence, le monarque est déchu par son fils, le jeune prince Charles Ndizeye (Ntare V), 19 ans, qui dénonce « une longue carence d’autorité »[13] pour justifier son accession au trône. Le 12 du même mois, Martin Ndayahoze fait son entrée officielle en politique comme ministre de l’Information au sein d’un gouvernement placé sous l’autorité du capitaine Michel Micombero qui cumule les fonctions de Premier ministre, ministre de la Défense et de la Fonction publique.

Le , soit moins de cinq mois après l’accession au pouvoir du prince Ndizeye, celui-ci est à son tour renversé par son Premier ministre qui, dans une adresse à la nation radiodiffusée le même jour[14], s’autoproclame chef de l’État. Un Conseil national de la révolution (CNR) est créé. Le gouvernement est dissous. Des gouverneurs militaires sont nommés à la tête des provinces. La monarchie est déclarée déchue. La « Première République » est proclamée. Le commandant Martin Ndayahoze est l’un des dix officiers de l’armée qui composent le CNR. Avec les capitaines Zacharie Harerimana et Marcien Burasekuye, il en est aussi l’un des trois seuls membres hutus. Le coup d’État survient alors que le commandant Ndayahoze est lui-même à Kinshasa, aux côtés du roi Ntare V qui y effectue une visite officielle.

Le , sous la « République » qui n’existe que depuis sept jours, Ndayahoze est reconduit au poste de ministre de l’Information. Il siège au sein d’un gouvernement de quatorze membres dont neuf sont tutsis et cinq hutus[15]. L’érection de l’UPRONA en parti unique, proclamée deux semaines plus tôt, fait de son ministère la voix publique et officielle d’un régime né sur la promesse d’une « révolution » à laquelle il croit.

En 1966, les développements politiques sur le continent africain exaltent le crédo de la « révolution ». Çà et là, des monarchies (Ouganda) tombent, l’instauration de régimes à parti unique est officiellement présentée comme la voie salvatrice vers l’unité et le développement. Des coups d’État militaires (Haute-Volta, Centrafrique, Ghana) se justifient des mêmes projets d’ « ordre nouveau ». Le , un nouveau gouvernement rétablit la parité ethnique entre Hutus et Tutsis au Burundi[16]. Cet équilibre, bien qu’en accord très partiel avec le discours officiel d’ « unité » du nouveau régime, raffermit la ferveur révolutionnaire du jeune commandant, reconfirmé à la tête du ministère de l’Information. Par ailleurs, la situation économique du Burundi est « particulièrement médiocre »[17], une raison de plus pour que Ndayahoze prête régulièrement sa fine plume à cette « révolution ». Le narratif de la radio et de la presse nationales sous son contrôle épouse « un ton fortement antimonarchiste et antibourgeois »[18].

1968 - 1970 : « Virus tribaliste » et désillusion

Déjà lorsqu’en , un nouveau gouvernement paritaire entre Hutus et Tutsis est formé, en province, un seul des gouverneurs est hutu[19].

En 1967, des rumeurs d’un nouveau coup d’État hutu sourdent et sont disséminées dans l’opinion, recréant le climat crispé des semaines qui précédèrent et succédèrent la tentative de putsch déjouée d’. Dans son « rapport confidentiel » no 093/226/Cab/67 daté du [20] adressé au chef de l’État, Ndayahoze le met en alerte contre « des patrouilles, des guets et des filatures » dangereusement menés par des membres « extrémistes » du parti unique, plus particulièrement au sein de son mouvement de jeunesse.

Les années 1968 à 1970 verront le commandant Ndayizeye monter au créneau contre le « tribalisme ». Il prend avantage de sa position de ministre de l’Information et de son contrôle sur les organes d’information publique pour multiplier les éditoriaux de presse écrite et radiodiffusée contre ce « virus ». Dans un contexte politique bipolaire empreint d’ethnocentrismes forts, ses textes tranchent par la hauteur qu’ils prennent sur la paranoïa et les extrémismes ambiants qu'ils renvoient dos à dos :

« D’emblée nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que c’est la classe aisée qui renferme le virus du tribalisme. Effectivement, le mal vient d’en haut. Ce sont des cadres peu méritants qui, pour se maintenir ou pour se hisser à des postes convoités, ont besoin de pistons, d’astuces et d’artifices ; ce sont aussi certains responsables insatiables qui, pour faire aboutir leurs ambitions inavouables, font de la division ethnique une stratégie politique. Alors, s’ils sont tutsis, ils dénoncent, au besoin avec complots tactiques à l’appui, « un péril hutu » à contrer ; s’ils sont hutus, ils dévoilent un « apartheid tutsi » à combattre. Et cela s’orchestre avec une mise en scène diabolique pour que le sentiment prenne le pas sur la raison. »

Sous le poids d’une atmosphère de plus en plus pesante de suspicions « à sens unique » quant à une « récidive de 1965 »[21] par de présumés comploteurs hutus, le ministre Ndayahoze multiplie les notes et les rapports confidentiels au président de la République. Il y dénonce nommément des homologues ministres, complices de menées selon lui unilatéralement et injustement accusatrices envers l’élite politique et militaire hutue. Il reproche à ces menées de cabrer à la fois les Tutsis, qui craignent une répétition des massacres de 1965 et l’élite hutue, qui y voit des manigances pour achever la purge politique des Hutus amorcée en .

En , le régime de la Première République annonce avoir déjoué une tentative de coup d’État militaire imputée à des officiers militaires hutus. Dans son « rapport confidentiel » no 061/426/16/C.M.E. adressé le au président Micombero, le commandant Ndayahoze y soutient qu’ « il y avait effectivement un programme de coup d’État et même un plan de génocide pour les conjurés de Ngozi », bien que « tous les conjurés n’avaient pas une même conception de la chose et que beaucoup semblaient ignorer les buts du programme ». Selon lui, si la crise a été relativement bien contenue, c'est parce que contrairement au procès de 1965, celui des « conjurés » de 1969 a été public. Il se félicite aussi du travail de son ministère et des organes officiels d’information publique qui, selon lui, ont contribué à désamorcer les préjugés négatifs qui se formaient de part et d’autre du clivage ethnique avant le début du procès. Néanmoins, Ndayahoze s’émeut de la lourdeur des peines prononcées par le tribunal et plus encore, de la précipitation avec laquelle les condamnés à mort seront exécutés. De fait, un verdict prononcé le condamne à mort 25 accusés, dont 23 sont rapidement exécutés[22]. « Après ce dénouement précipité de la situation », écrit le ministre de l’Information, « les gens sont revenus à leurs premières réactions ». Il poursuit : « Les Tutsis extrémistes sont satisfaits. Les Hutus extrémistes voient un jugement tribaliste qui a atteint pleinement son but : la liquidation arbitraire des Hutus. » Les sentiments de malaise dans la société que décrit Ndayahoze recoupent ceux que quelques mois plus tôt, l’Union des prêtres Barundi (UACPB) réunie à Burasira, au centre du Burundi, avait aussi déplorés :

« Le dommage c’est qu’on canalise l’interprétation dans un sens unilatéral et encore plus injuste à savoir cette optique qui joue sur les préjugés et la méfiance ethniques et qui arme psychologiquement des fils d’un même pays contre les autres. Ce qui empêche ainsi toute vraie lutte contre l’injustice et le sous-développement. Aussi longtemps que tous les problèmes ont une coloration ethnocentriste, les Barundi se neutraliseront mutuellement et le sous-développement se radicalisera. Il y en a alors qui veulent résoudre la question par les armes et le feu, et l’excitabilité de la classe moyenne ne va que croissant. Or quand on parle à la race, on peut et on doit s’attendre aux pires excès, surtout qu’on en arrive, dans certains milieux, à tout voir sous l’angle racial et à s’attendre, avec toute la bonne conscience du monde, à ce que tous les membres d’une ethnie soient des alliés naturels et inconditionnels[23].»

1971 : L’étau se resserre

Au fil des mois et à mesure que le pouvoir de Micombero se crispe et se radicalise, le commandant est peu à peu marginalisé. Le , il est nommé secrétaire général du parti unique, fonction qu’il cumulera avec celle de ministre de l’Information. Mais en décembre de la même année, il est éloigné des leviers de communication publique en étant muté à la tête du ministère de l’Économie. En , le régime lui reprend les clés du Parti et trois mois plus tard, il est sorti du Gouvernement. Remplacé au poste de ministre de l’Économie, il reprend fonction à l’état major général de l’armée où il est collègue de Jean-Baptiste Bagaza, jeune officier de l’armée fraîchement rentré d’Europe. Dans les mois qui précédèrent son éviction du Gouvernement, il avait adressé des rapports internes au président de la République pour lequel il analysait avec critique la vie du parti et l’économie en déclin du pays. C’est une « république monarchiste » disent de nous les critiques qui, écrit-il, « avouons-le, n’ont pas tout à fait tort ». « De temps en temps », continue-t-il, « nous donnons l’impression d’être empêtrés dans le maquis de nos rumeurs et de nos habitudes, égarés dans le labyrinthe de nos traditions et de nos faux bruits »[24]. »

30 avril 1972 : Disparition

Les circonstances de la disparition du commandant Ndayahoze sont décrites dans le témoignage de sa veuve, Rose Karambizi-Ndayahoze, une Rwandaise tutsie. Il est repris par Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier dans leur ouvrage conjoint sur les événements tragiques du Burundi en 1972. Ces circonstances sont aussi abordées par Mme Ndayahoze elle-même dans un recueil des écrits de son mari qu’elle fit publier en 2016. Selon ce témoignage, dans la nuit du 29 au , vers 3 heures du matin, Ndayahoze est appelé au siège de l’état major général de l’armée par son chef, Thomas Ndabemeye. Il l'informe que le pays est attaqué et que pour sa défense, comme tous les officiers qui y sont affectés, il doit gagner son poste. Parce que la capitale burundaise bruissait déjà de rumeurs de violences et de coups de feu nocturnes, son épouse tente de le dissuader de s’y rendre. Faute de l’en convaincre, elle l’adjure de ne pas s’y rendre seul. Ndayahoze appelle alors un autre officier supérieur de l'armée, Tutsi, censé avoir reçu le même appel. Ils conviennent d'un point de rencontre - l'école « Athénée secondaire de Bujumbura » - pour se rendre ensemble aux quartiers généraux de l'armée. Mais plusieurs signes troublants intriguent son épouse. Elle ne comprend pas pourquoi aucun véhicule officiel de l'armée ne lui a été envoyé pour se rendre à l'armée. Par ailleurs, elle est troublée du fait qu'après être restée sans nouvelle de son mari depuis son dernier appel téléphonique à six heures du matin, elle découvre aussi par un appel que l'officier qui était supposé se rendre à l'état major de l'armée avec lui n'a finalement pas quitté son domicile de toute la nuit. Le matin du vers 10 heures, la radio officielle annonce que le pays est sous attaque. Les événements prennent une tournure encore plus préoccupante quand dans la même journée, vers 3 heures de l’après-midi, une cohorte de militaires encercle le domicile de Ndayahoze, investit et fouille les lieux, en présence de son épouse, sans rien y trouver. Le soir et jusqu’au matin du 1er mai, Rose Karambizi n’a toujours aucune nouvelle de son mari. Toute la journée du 1er mai, elle poursuit ses recherches en vain. Elle ne le reverra plus jamais. Selon un « livre blanc » publié en par le Gouvernement burundais, un plan de génocide des Tutsis devait être mis à exécution par des acteurs politiques et militaires hutus[25]. Une rumeur qui précéda le livre blanc désignait Martin Ndayahoze comme le cerveau du plan. Plus de 45 ans après sa disparition, ni ce livre blanc, qui accuse nommément des « comploteurs » sans jamais le citer, ni aucune source n'a jamais apporté de preuve de l'implication, directe ou indirecte, du commandant Ndayahoze dans ce présumé plan. Plus tard, les récits donnés sur la procédure expéditive par laquelle en 1972 étaient accusées, emmenées puis sommairement exécutées les personnalités hutues suggèrent que le commandant Ndayahoze a sans doute lui-même été exécuté dès le de cette année. Un témoignage important venu de Jean-Baptiste Bagaza, son ancien collègue de bureau qui, quatre ans plus tard, devint président de la République, écarte la thèse de son implication dans cette rébellion :

« Il était simple, sage et d’une grande intégrité. S’il avait volé quoi que ce soit, je l’aurais su. Lorsqu’au , je me rendis au bureau, je demandai « Où il est ? ». On me répondit « Il est mort ! ». Je répliquai « Mort comment ? Pourquoi ? ». « Mort sur le champ de bataille » me répondit-on. « Plus tard, je fis diligenter une enquête sur son cas personnel. Elle conclut qu'il était totalement innocent »[26].

HĂ©ritage

Plus de 45 ans après sa disparition, le parcours et l'expression politiques du commandant Martin Ndayahoze continuent Ă  faire l'objet de rĂ©fĂ©rences rĂ©currentes dans les analyses causales de l'instabilitĂ© et des violences sociĂ©tales chroniques du Burundi. Dans nombre de cas, sa mĂ©moire est invoquĂ©e pour avancer l'hypothèse d'une prĂ©mĂ©ditation derrière les crimes de masse interethniques qui ont jalonnĂ© l'histoire contemporaine du Burundi, de son vivant et au-delĂ . Dans un de ses rapports datĂ© d' rendu fameux par son caractère prĂ©monitoire, Ndayahoze avait portĂ© Ă  l'attention du chef de l’État l'hypothèse d’un « programme d’action » visant Ă  instaurer un « apartheid » contre les Hutus après une sanglante rĂ©pression de ces derniers[27]. « Si le problème n’est pas traitĂ© adĂ©quatement et impartialement pour que la sauvegarde de l’unitĂ© soit une conviction appliquĂ©e », Ă©crivait alors Ndayahoze, « il deviendra un vrai problème qui compromettra notre rĂ©volution. » Nul n’a jamais apportĂ© la preuve documentaire de l’existence d’un tel programme. Toutefois, entre le et l'Ă©tĂ© 1972, soit quatre ans après ce rapport, le pays plongera dans des violences de masse qui reproduiront le scĂ©nario annoncĂ© quatre ans plus tĂ´t par Ndayahoze. Elles dĂ©butent avec le massacre sur trois jours de plus d'un millier de Tutsis dans le sud ouest du Burundi, par des rebelles armĂ©s de fusils et de machettes. Ă€ ce massacre, « le rĂ©gime de Micombero a rĂ©pondu par une rĂ©pression gĂ©nocidaire qui aurait fait plus de 100 000 victimes et contraint Ă  l'exil plusieurs centaines de milliers de Hutus.»[28] Le « rapport Whitaker » commissionnĂ© en 1983 par les Nations unies pour rĂ©viser et mettre Ă  jour l'Ă©tude sur la prĂ©vention et de la rĂ©pression du crime de gĂ©nocide inclut le massacre des Hutus du Burundi en 1972 dans sa liste des neuf gĂ©nocides du XXe siècle[29].

Au-delà des conjectures qu'elle suscite autour de la cause et de la genèse des crimes à grande échelle commis au Burundi de son vivant et au-delà, la mémoire de Martin Ndayahoze nourrit aussi des réflexions dans ce pays sur les options offertes à l'action politique dans tout contexte de bipolarisation ethnique, de paranoïa et d'intrigues politiques extrêmes. La ténacité de son loyalisme à l'égard du président Micombero nourrit aussi un dilemme politique permanent entre partisans de la ligne dure et adeptes des voies de dialogue et de compromis, chaque camp trouvant en lui un modèle de référence pour soutenir l'une ou l'autre option. Alors qu'avec 2018, la Commission de vérité et de réconciliation du Burundi entrait dans les derniers mois de la durée ordinaire de son mandat, il est probable qu'une fois de plus, les écrits de Martin Ndayahoze constituent une source de première main pour remonter la piste des circonstances contextuelles et des déficiences individuelles qui sont à l'origine de la tragédie de 1972.

Notes et références

  1. Josée Ntabahungu et Marc Manirakiza, La Gloire d’une École (Astrida 1929-1963), juin 2009, p. 164. Les annexes de cet ouvrage publient la liste des lauréats de cette école, année par année. Martin Ndayahoze apparait dans la promotion de 1960.
  2. André Muhirwa, Pierre Ngendandumwe (assassiné le ), Albin Nyamoya, Joseph Bamina (assassiné le 15 décembre 1965). Melchior Mukuri, Dictionnaire chronologique du Burundi. Volume 1 : ca 1850-1966, Université du Burundi, 2011, p. 189-216; p. 279-291.
  3. Chrétien, J.-P. et Dupaquier, J.-F., Burundi 1972. Au bord des génocides. Karthala, p. 21 (ISBN 9782845868724)
  4. Chronologie des événements du Burundi 1965-1969, Etudes africaines du Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP), T.A. 120-122, 18 décembre 1970, p. 12
  5. À propos de ces arrêtés-lois, lire Évariste Ngayimpenda, Histoire du conflit politico-ethnique burundais. Les premières marches du calvaire (1960-1973), Bujumbura, la Renaissance, 1998, p. 257 (ISBN 2-84223-003-5)
  6. Chrétien, J.-P. et Dupaquier, J.-F., Burundi 1972. Au bord des génocides. Karthala, p. 22 (ISBN 9782845868724)
  7. Prunier, GĂ©rard (1999). The Rwanda Crisis: History of a Genocide (2nd ed.). Kampala: Fountain Publishers Limited. (ISBN 978-9970-02-089-8)
  8. Conférence internationale sur l’assistance aux réfugiés. Résumé des projets proposés pour le renforcement de l’infrastructure, Genève, 9-
  9. Prunier, GĂ©rard (1999). Op.cit. (ISBN 978-9970-02-089-8)
  10. Auteur de l'interview non mentionné, « Quelques instants avec Louis Rwagasori (sic), étudiant noir de l’Institut colonial d’Anvers », Le Courrier d’Afrique, Léopoldville, lundi 22 juillet 1953
  11. Paroles et écrits de Louis Rwagasore, Textes collectés et introduits par Christine Deslaurier, traduits par Domitien Nizigiyimana, Bujumbura-Paris, Iwacu-Karthala, 2012, 247 p.
  12. Melchior Mukuri, Dictionnaire chronologique du Burundi. Volume 1 : ca 1850-1966, Université du Burundi, 2011, p. 302
  13. Pour l’intégralité du discours du Prince Ndizeye : Melchior Mukuri, Dictionnaire chronologique du Burundi. Volume 1 : ca 1850-1966, Université du Burundi, 2011, p. 306-309
  14. Pour l’intégralité du discours : Marc Manirakiza, Burundi : De la révolution au régionalisme. 1966-1976, Le Mât de Misaine, Paris-Bruxelles, 173 pages
  15. Raphaël Ntibazonkiza, Au Royaume des Seigneurs de la lance. Tome II : De l’indépendance à nos jours (1962-1992), Imprimerie Duculot, Gembloux, 1993, p. 108 (366 pages)
  16. Chrétien, J.-P. et Dupaquier, J.-F., Burundi 1972. Au bord des génocides. Karthala, p. 40 (ISBN 9782845868724)
  17. Chrétien, J.-P. et Dupaquier, J.-F., Op.cit., p. 30 (496 pages) (ISBN 9782845868724)
  18. Marc Manirakiza, Burundi : De la révolution au régionalisme. 1966-1976, Le Mât de Misaine, Paris-Bruxelles, 173 pages
  19. Chrétien, J.-P. et Dupaquier, J.-F., Op.cit., p. 40 (496 pages) (ISBN 9782845868724)
  20. Rose Karambizi-Ndayahoze, Le Cdt Martin Ndayahoze. Un visionnaire. Éditions Iwacu, 2016, (ISBN 979-1-093819-01-3)
  21. Rapport politique 093/100/CAB/68 du "in" Rose Karambizi-Ndayahoze, Le Cdt Martin Ndayahoze. Un visionnaire. Éditions Iwacu, 2016, (ISBN 979-1-093819-01-3)
  22. Chrétien, J.-P. et Dupaquier, J.-F., Op.cit., p. 42 (496 pages) (ISBN 9782845868724)
  23. Secrétariat de l’UACPB, Un examen de conscience sur le problème des ethnies au Burundi, « Pistes de réflexion inspirée par la réunion des prêtres barundi, Burasira, 30-31 décembre 1969, 4 feuillets.
  24. Rapport no 061/500/C., M., E./17 du 27 juillet 1970
  25. Gouvernement du Burundi, Livre blanc sur les événements survenus aux mois d'avril et mai 1972, juillet 1972, p. 42-45
  26. Interview enregistrée et archivée du Président Bagaza recueillie pour l’émission « Menya Intwari », consacrée au Commandant Ndayahoze. Radiodiffusée le 30 avril 2008 en synergie par la Radio Publique Africaine (RPA) ainsi que les radios « Isanganiro » et « Bonesha FM », toutes trois des radios privées burundaises.
  27. Programme plus tard référé sous l'appellation de « Plan Simbabananiye », du nom de son auteur présumé - Rapport politique 093/100/CAB/68 du 18 avril 1968 "in" Rose Karambizi-Ndayahoze, Op. cit., Éditions Iwacu, 2016, (ISBN 979-1-093819-01-3)
  28. Rapport de la commission d'enquête internationale des Nations Unies chargée d'établir les faits concernant l'assassinat du Président du Burundi, le 21 octobre 1993, ainsi que les massacres qui ont suivi. (S/1996/682), 22 août 1996, paragraphe 85
  29. Ben Whitaker, (1985). On the Question of the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide. Sub-Commission on Prevention of Discrimination and Protection of Minorities. Revised 1986. UN Document E/CN.4/Sub.2/1985/6.

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean-Pierre ChrĂ©tien et Jean-François Dupaquier, Burundi 1972. Au bord des gĂ©nocides. Karthala, 2007, 496 p. (ISBN 9782845868724)
  • Christine Deslaurier (Textes collectĂ©s et introduits par), Paroles et Ă©crits de Louis Rwagasore, leader de l'indĂ©pendance du Burundi, Bujumbura-Paris, Iwacu-Karthala, 2012, 247 p. (ISBN 978-2-8111-0701-7)
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