Marie de Brinon
Marie de Brinon, dite Madame de Brinon, née en 1631 au château de Corbeilsart et morte le , à Maubuisson, est une religieuse, une enseignante, une mystique et une femme de lettres française.
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Elle fut la première supérieure nommée à vie de la Maison royale de Saint-Louis, mais fut révoquée à cause de son quiétisme.
Biographie
Fille d'un président du parlement de Normandie, elle entre chez les religieuses Ursulines et, s'occupant de l'instruction des jeunes filles de Montmorency et de Noisy, devient l'amie de Madame de Maintenon (1680). Elle devient ainsi la première supérieure, nommée à vie le , de la Maison royale de Saint-Louis, dont les bâtiments abritent aujourd'hui le lycée militaire de Saint-Cyr[1].
Elle fut l'amie de Madame Guyon qui la convertit au quiétisme.
En 1687, elle reproche à Madame de Maintenon d'être trop présente dans l'institution et d'empiéter sur son rôle[2]. À la suite de l'écriture d'Esther par Jean Racine, elle s'oppose à la représentation de la pièce, qu'elle soupçonne tout à la gloire de Madame de Maintenon, ce qui donne lieu à une profonde dispute avec celle-ci. Le , bien que supérieure à vie, elle est renvoyée par lettre de cachet et remplacée par la secrétaire de Madame de Maintenon, Madame de Loubert.
Elle se retire alors à l'abbaye de Maubuisson, où elle finit sa vie[3]. Elle échangeait, sur le sujet de la tolérance dans le contexte philosophique, ses correspondances avec Leibniz ainsi que Jacques-Bénigne Bossuet[4].
Œuvre légendaire
Selon la tradition, on lui attribue un cantique en français pour la guérison de Louis XIV en 1686, en tant qu'ancêtre du God save the King :
Grand Dieu, sauvez le Roy !
Grand Dieu, vengez le Roy !
Vive le Roy !
Qu'à jamais glorieux,
Louis victorieux,
Voie ses ennemis
Toujours soumis.
Grand Dieu, sauvez le Roy !
Grand Dieu, vengez le Roy !
Vive le Roy[s 1] !
De nos jours, l'attribution reste discutée car il n'existe qu'une seule source, l'œuvre de Renée-Caroline-Victoire de Froulay[s 2] (1714 - † 1803), qui fut tardivement écrite[s 3], et dont la fiabilité est discutée. En dépit de vastes enquêtes, le cantique manque de témoignages de son époque. L'attribution à la guérison du roi n'apparait, en fait, qu'à partir de Théophile Lavallée († 1867, Histoire de la Maison royale de Saint-Cyr)[5]. La lecture du texte en façon critique ne favorise pas cette attribution. D'où, à cette moniale, la bibliothèque nationale de France ne donne aucune notice.
Une autre indice ne favorise point l'hypothèse, non plus. Il s'agit du livre de chants, qui était en usage auprès de la maison royale de Saint-Cyr. Le tome I contient plusieurs Domine, salvum fac regem à deux voix de femmes, composés par Guillaume-Gabriel Nivers et Louis-Nicolas Clérambault[6] - [7]. Ceux de Nivers avaient été écrits, bien entendu, avant son décès en 1714, en faveur de jeunes orphelines.
- Œuvre : possible.
Jusqu'ici aucun manuscrit de chant n'est disponible. Il semble cependant que ce cantique existât. C'était Mademoiselle (Madame[8] ?) de Froulay, grand-mère de l'écrivaine, qui était le témoin[s 4]. De fait, la grand-mère entendit, à Saint-Cyr, son exécution par les orphelines de la maison royale de Saint-Louis, qui l'impressionnait avec enthousiasme. C'est la raison pour laquelle elle (ou sa petite fille) fit obtenir, à la suite de cet événement, le texte de cantique (« En voici les paroles que je me suis procurées long-temps après »[s 5]), soit ce qui était disponible, soit ce que l'on fournit à cette occasion. Dans l'œuvre, le temps est précisé : c'était lorsque « l'Abbé de Sainte-Geneviève était malade à Paris »[s 4] et notamment que le maréchal René de Froulay de Tessé, qui s'accompagnait de cette narratrice à Saint-Cyr, venait de perdre son épouse[s 6]. Louis XIV décédé en 1715, on date donc l'événement entre 1709 et 1715. En bref, contrairement à ce que l'on diffusait, il ne s'agissait pas de la guérison de Louis XIV, d'après ce texte du témoignage. D'ailleurs, c'est la marquise qui attribuait l'auteur à Marie de Brinon de laquelle le nom était cité une seule fois (« dont les paroles étaient de Mme de Brinon »[s 5]). D'où la légende, qui reste difficile à confirmer. Par ailleurs, ce cantique était composé en français et en rimes. À dire vrai, ce type de chant était, au royaume de France, interdit depuis l'édit de Fontainebleau (1685, révocation de l'édit de Nantes), afin d'exclure les Calvinistes et son influence[dl 1]. L'effet immédiat avait eu lieu ; ainsi, le , un arrêt du parlement de Paris avait fait supprimer les psaumes en français d'Antoine Godeau, ancien évêque de Grasse, qui gardait le privilège du même roi Louis XIV[dl 2]. On connaît, pourtant, une exception, les cantiques spirituels de Jean Racine, qui étaient en particulier composés pour ces orphelines[9]. Il est par conséquent possible que ce cantique des pensionnaires y fût en usage, dans cette circonstance limitée. Ce qui demeure problématique, c'est qu'aucun manuscrit du chant fut retrouvé ni aux archives de Saint-Cyr ni au château de Versailles, plus précisément nullepart[5]. D'où l'identification critique reste impossible. Pour conclure, il n'est pas certain que celui-ci eût été composé par la sœur Marie de Brinon. En revanche, le nom de l'auteur et l'œuvre hypothétique étaient déjà, au XVIIIe siècle, entrés dans la tradition. - Hymne royal : c'est faux.
Le lendemain de l'édit de Fontainebleau, le cantique en français devait demeurer en usage privé. Mais pour ce sujet, il y avait des confusions. Par analogie avec le God save the King, on racontait sa diffusion au public. La marquise aussi fit l'origine de cette confusion. Elle écrivit d'abord « une sorte de motet » tout correctement, mais y ajouta : « ou plutôt de cantique national et glorieux »[s 5]. D'ailleurs, on attribuait à Marie de Brinon l'origine du Domine, salvum fac regem. Mais ce dernier était déjà en usage à la Chapelle royale sous le règne de Louis XIII. Il s'agissait d'un motet, en tant que petit hymne royal, qui était singulièrement réservé à la fin de la messe (voir Cantica pro cappella Regis 1665 de Pierre Perrin). Le témoignage le plus ancien, c'est une partition de Nicolas Formé († 1638) qui se conserve. Il semble que cet hymne ait inspiré Madame de Brinon, et non, le contraire. - Composition par Lully : possible.
Faute de partition, on ignore la caractéristique musicale du cantique, à l'exception de celle de monodie. À la place de sa grand-mère, Renée-Caroline-Victoire de Froulay précisait : « Une de mes impressions les plus ineffaçables est celle de toutes ces belles voix de jeunes filles qui partirent avec un éclat imprévu pour moi, lorsque le Roy parut dans sa tribune, et qui chantèrent à l'unisson»[s 5]. Par l'auteur, sa composition était attribuée à Jean-Baptiste Lully (« et la musique du fameux Lully »[s 5]). En admettant que ce musicien fût capable de composer le double-chœur à 8 voix, il n'est pas inhabituel que de grands compositeurs écrivissent l'air monodique. Toutefois, la chronologie ne favorise pas cette composition. L'opération du roi fut effectuée, le (année de fondation de Saint-Cyr), sans aucune annonce publique. La guérison n'arriva qu'à Noël[10]. Il restait donc peu de marge à composer à partir de cette fête, car il lui fallut de préparer, sans délai, un grand concert spirituel à Paris, enfin tenu le (voir ci-dessous). Et à ce jour-là, Lully se blessa gravement à cause de son bâton de direction. Il mourut le . On peut imaginer mieux, donc, que la composition aurait lieu lors de la fondation de l'école, si existait ce cantique en collaboration entre Madame de Brinon et Lully. Ou bien, par un autre compositeur. Comme Louis XIV était le seul roi de France qui ait dépensé sans limite pour la musique, sa chapelle comptait plus de cent musiciens. Ce qui demeure méconnu est que le roi avait fait nommer Jean-Baptiste Moreau maître de musique de cette maison des orphelines. Il est exact que ce musicien composa, en collaboration avec Jean Racine, l' Esther (1689), l' Athalie (1691) ainsi que quelques cantiques spirituels (1694)[dl 3]. La composition du cantique du roi devait donc être tenue avant la fonction de celui-ci. - Diffusion par Lully : c'est faux.
À cette époque-la, c'était la revue Mercure galant qui détaillait les événements musicaux à la cour royale et dans la ville de Paris. En ce qui concerne Madame de Brinon, celle-ci ne mentionna rien. Au contraire, après la guérison de Louis XIV, les diffusions du Te Deum à Paris étaient bien documentées. Chaque compositeur fit chanter son propre Te Deum, tel Paolo Lorenzani à l'église des Jacobins (Mercure galant : « J'aurais à remplir un volume de tous les Te Deum qui ont été chantés en actions de grâces pour le rétablissement de la santé du roi. »). Au regard de Lully, il restait une autre raison pour son célèbre Te Deum. Préparé en plein secret, l'ouvrage avait été exécuté, pour la première fois, au château de Fontainebleau le , lors du baptême de son fils Louis duquel le parrain n'était autre que Louis XIV. Les surprise et joie du roi étaient telles que le privilège de l'exécution du Te Deum avait été octroyé à Lully en qualité de surintendant. Personne n'avait été capable de l'exécuter durant quelques années, mêmes les sous-maîtres de la Chapelle royale. Aussi le le compositeur italien dirigea-t-il, en grande pompe, cette œuvre si étroitement liée à Louis XIV, avec 150 musiciens. Exécution auprès de l'église des Feuillants dans la rue Saint-Honoré, mais pour la dernière fois pour lui. En résumé, la représentation du cantique français doit être écartée[10]. - Origine de l'hymne national britannique : possible.
La marquise de Créquy mentionnait également le nom du compositeur Georg Friedrich Haendel avec lequel « les Anglais ont fini par l'adopter et le produire ouvertement comme un de leurs airs nationaux. »[s 7]. Pour ce sujet, il est vrai que sa visite au château de Versailles en 1714 intéresse les chercheurs. Même difficulté, aucune partition, qui confirme ce renseignement, ne fut retrouvée jusqu'aujourd'hui. De plus, les articles, publiés en Angleterre et citant cette transmission, restent tellement tardifs[s 8]. Comme Haendel avait assez de raisons afin de ne pas préciser l'origine de l'hymne, il serait impossible à confirmer, en façon critique, cette transmission.
Postérité
Urbain-Victor Chatelain écrit en 1911 une comédie en un acte sur elle : La disgrâce de Mme de Brinon.
Références bibliographiques
- Renée-Caroline-Victoire de Froulay, Souvenirs de la marquise de Créquy de 1710 à 1803, tome I, p. 130 - 131, édition publiée en 1873 [lire en ligne]
- p. 130 - 131
- p. 128 - 131
- p. 127 : « C'est Louis XV auquel on doit... »
- p. 124
- p. 130
- p. 126, note no 1 ; soit en 1709 soit en 1714 selon les sources ; une fois l'année du décès de son épouse confirmée, on peut fixer le moment de l'événement.
- p. 131
- p. 131, note no 1
- Denise Launay (préf. Jean Delumeau), La musique religieuse en France du Concile de Trente à 1804, Paris, Société Française de Musicologie, , 583 p. (ISBN 978-2-853-57002-2 et 978-2-252-02921-3)
- p. 455 - 459
- p. 343
- p. 457 - 458
Notes et références
- Dezobry et Bachelet, Dictionnaire de biographie, t. 1, Ch. Delagrave, 1876, p. 381-382.
- Éric Le Nabour, La Marquise de Maintenon - L'épouse secrète de Louis XIV, Pygmalion, 2007.
- Antoine-Eugène Genoude, La Raison du christianisme, 1836, p. 457.
- Jean-Pierre Chantin, 2018, p. 29 [lire en ligne]
- Pascal Torres, Les secrets de Versailles, 2015
- Théoriquement, sa grand-mère devait s'être mariée, en raison de l'année de naissance de l'auteur 1714.
- Dans sa préface, Racine précisait que la lecture était tenue même devant Louis XIV. On peut considérer que le roi exprimait et manifestait sa sympathie particulière aux orphelines, filles des victimes de la guerre.
- Voir l'étude détaillée de Catherine Cessac, Marc-Antoine Charpentier, p. 160, 2005