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Mai 68 Ă  Nantes

Les Ă©vĂ©nements de mai-, ou plus brièvement Mai 68, dĂ©signent une pĂ©riode durant laquelle se dĂ©roulent, en France un important mouvement social dans les entreprises, y compris en Loire-Atlantique, oĂą dĂ©marre le la première grève chez Sud-Aviation, avec occupation de l’usine par les ouvriers et sĂ©questration de l’équipe de direction, sur un site industriel dĂ©jĂ  très mobilisĂ© dès le . Dès le , Nantes avait connu la plus grande manifestation de son histoire, comme d'autres villes de Bretagne, sur le thème de l'emploi et du « vivre au pays Â».

Avec les événements de 1968 en Normandie et à Toulouse ou encore ceux de la région lyonnaise, les grèves et manifestations à Nancy et Metz, les événements de Mai 68 à Nantes ont joué un rôle précurseur, selon les historiens, dans l'avènement de Mai 68, en particulier en février puis lors de la période de forte agitation du début du mois de mai. L'une des particularités de Mai 68 dans cette ville est la rencontre des étudiants, des ouvriers et même des paysans[1].

L'historiographie de Mai 68 a en effet rappelé à partir des années 1990 que la révolte étudiante avait eu lieu sur l'ensemble du territoire, en particulier dans les résidences universitaires de nombreuses villes de province, pour constituer le plus important mouvement social de l'histoire de France du XXe siècle.

Quand la grève générale est votée à l’Université de Nantes le mardi [2], elle est dopée par les revendications locales comme le rétablissement de la subvention de l’Association Générale des Étudiants de Nantes[2] et le retrait des plaintes contre les étudiants liées à la manifestation du [2]., dans la foulée des violents événements du , qui avaient vu un millier de manifestants pour la mixité dans les résidences universitaires envahir le rectorat de la ville, après les occupations de résidences du mois de décembre.

La manifestation du , le lendemain, est l'une des plus importantes de France, avec 12 000 ouvriers, paysans et Ă©tudiants place de la Duchesse-Anne, malgrĂ© une pluie battante[2] et un discours remarquĂ© du syndicaliste paysan Bernard Lambert[2], figure locale. Elle est prĂ©vue depuis mars, par les organisations syndicales ouvrières et agricoles avec le slogan « L’Ouest veut vivre »[2] , qui exprime les inquiĂ©tudes de nombreux travailleurs concernant l’emploi, l’exode rural et le pouvoir d’achat[2].

Prémices

Les revendications ouvrières et paysannes dès 1967

La situation sociale en 1967 est tendue avec de nombreuses grève dans la région de Nantes. Le à Redon, en Ille-et-Vilaine, une imposante mobilisation paysanne se conclut comme la précédente, en juin, par des affrontements violents contre les forces de l’ordre[2]. Les revendications paysannes trouvent écho auprès des syndicats ouvriers, avec une convergence d'intérêt pour l’industrialisation de l’Ouest, seule façon de « vivre et travailler au pays » sur fond d’exode rural[2]. Fin 1967, les syndicats s’entendent sur l’organisation de manifestations communes dans toute la région Ouest pour le [2]. Un front syndical régional paysan et ouvrier se met en place lors d’une réunion intersyndicale à Nantes le [3].

De nombreuses grèves sont par ailleurs organisées dans les usines entre 1966 et 1967[2]. Par ailleurs, les modifications d’organisation de la Sécurité sociale en développent les oppositions[2]. Le , pour protester contre la suppression de nombreuses bourses[1], les étudiants rejoignent les ouvriers qui, à l'appel de la CGT et la CFDT, manifestent pour l'emploi. Le lendemain soir, les jeunes gens perturbent le bal donné par l'administration dans une cité universitaire[1], où ils restent toute la nuit. Le , les étudiants occupent une cité de filles pour protester contre les discriminations du règlement intérieur interdisant aux filles de recevoir chez elles[1]. En , les ouvriers nantais manifestent contre la réforme de la sécurité sociale, instituée par les ordonnances de 1967[1]. Le 23, des étudiantes réoccupent une cité[1].

L'UNEF aux mains des anarchistes dès 1967

À Nantes, ce sont surtout les participations des étudiants de l'UNEF à des manifestations ouvrières organisées par la CGT et la CFDT qui retiennent l’attention[4], dès le lors de cortèges de rues[4]. L’Association générale des étudiants de Nantes (AGEN), est dominée par des étudiants d’extrême gauche[2] et les anarchistes, réunis autour de Yvon Chotard, président de l’AGEN-UNEF en 1967-1968[2], dont le père est « mensuel » au chantier naval de Saint-Nazaire, et Jean Breteau, secrétaire général de l’Association des étudiants de la faculté des Lettres en 1967-1968.

Une « bande de joyeux anarchistes a pris le contrĂ´le de toutes les bureaucraties Â» : la Mnef, alors prĂ©sidĂ©e par Patrick Rimbert, futur premier adjoint de Jean-Marc Ayrault, l'Agen-Unef, l'association des rĂ©sidents universitaires. Ils s’emparent en particulier en du bureau de l’Agen-Unef et Ă  la rentrĂ©e de 1967, de la Mutuelle nationale des Ă©tudiants de France. La Mnef de Nantes soutient en l’occupation des citĂ©s universitaires, pour obtenir l’assouplissement du règlement intĂ©rieur, c’est-Ă -dire la libertĂ© politique dans les locaux et le droit Ă  la libertĂ© sexuelle dans les citĂ©s universitaires[5]. Le , la police intervient[5] et un mouvement de soutien s’organise autour de l’Unef, regroupant la CGT, la CFDT, la CGT-FO et le Snes[5].

Les principaux situationnistes strasbourgeois sont présents lors de l'assemblée générale de l'UNEF qui s'est tenue le [6]. Yvon Chotard les a déjà rencontrés[6] et se montre sensible au programme proposé par leur représentant, André Vayr-Piova[4]: fermeture des B.A.P.U., perturbation de cours et « tomatage » de professeurs, distribution de bandes-dessinées détournées et de tracts subversifs[4].

Occupations de résidences universitaires de décembre 1967 et janvier 1968

Comme à Strasbourg, les nantais font fermer le B.A.P.U. local et occupent les résidences universitaires, comme cela se fait aussi à Lyon[4]. Juvénal Quillet, élu en décembre 1967 président des résidents des cités universitaires [4] - [6], défend la suppression des règlements des cités-U[4].

Les occupations des résidences de décembre se soldent par son interpellation le [4] et, deux jours plus tard, par l’intervention de la police lors d’une assemblée générale des résidents[4]. Dès le début janvier l’A.G.E.N.-UNEF adopte une nouvelle plate-forme intitulée ironiquement «Contribution à l’élaboration d’une ligne syndicale minoritaire »[4]. Les occupations continuent à Noël avec un large soutien local (CGT, CFDT, FO) et il est décidé qu'une centaine de nantaises envahiront, la cité Launay -Violette, réservée aux garçons le [7]. Les résidences sont ainsi à nouveau prises d’assaut le . Le lendemain c’est au tour du restaurant universitaire d’être occupé[4]. Un peu plus tard en décembre, le campus de Nanterre est paralysé par une série d’occupations qui, comme à Lyon et à Nantes, portent principalement sur les conditions de logement en résidences[4].

Occupations de résidences universitaires du 14 février 1968

Le , le Campus du Tertre, excentrĂ© et dĂ©pourvu de liaisons avec le centre-ville[2], est en effervescence. Environ 1 300 Ă©tudiants se rassemblent Ă  14 h 30 sur le parking de la facultĂ© des lettres de Nantes, au Petit-Port[8]. Un appel a Ă©tĂ© lancĂ© par l'AGEN, son homologue angevine, la Mutuelle nationale des Ă©tudiants de France et l'Association nationale des rĂ©sidents en citĂ©s universitaires[8]. Le cortège se dĂ©place vers le Rectorat tout proche et sa pelouse, soutenus par FO et la CFDT[9] - [8]. Le recteur Max Schmitt accepte de recevoir une dĂ©lĂ©gation de cinq Ă©tudiants puis les a rapidement Ă©conduit, se souvient Jean Breteau[8].

Le rectorat envahi par 1 500 Ă©tudiants

Puis 1 500 Ă©tudiants envahissent le rectorat, Ă  l’appel de l’Association gĂ©nĂ©rale des Ă©tudiants de Nantes (AGEN), dominĂ©e depuis quelques mois par des Ă©tudiants d’extrĂŞme gauche. Ils sont aussi venus rĂ©clamer le paiement de leurs bourses[5], dĂ©nonçant les modes d'attribution et leur faible niveau financier[8]. Certains manifestants pillent le frigo du rectorat[8], comme le remarque la presse.

Ă€ leur sortie, ils sont chargĂ©s par la police[2]. Le commissaire Magimel a mangĂ© les sommations et la police nous a chargĂ©s sur la pelouse, se souvient Jean Breteau[8]. Sur les 45 Ă©tudiants interpellĂ©s, un seul est maintenu en dĂ©tention et prĂ©sentĂ© au juge le lendemain[8], pour avoir blessĂ© un policier puis condamnĂ© le Ă  un mois de prison avec sursis[8]. Lors de ces actions du , les anarchistes nantais Yvon Chotard et JuvĂ©nal Quillet sont rejoints par le parisien GĂ©rard Bigorgne[4], venu reprĂ©senter les EnragĂ©s de Nanterre, avec qui les nantais partagent un intĂ©rĂŞt pour les thèses situationnistes[4]. Ă€ Rennes et Brest de fortes mobilisations ont aussi eu lieu Ă  la mi-fĂ©vrier pour des occupations de citĂ©s universitaires[3].

La police arrive en renfort, des négociations commencent avec le préfet : les étudiants s'engagent à partir, les forces de l'ordre à ne rien faire[1]. Mais une fois les fauteurs de trouble sortis du rectorat, Jean-Émile Vié ne se sent « plus tenu par [ses] engagements ». «J'ai donné l'ordre de matraquer et d'arrêter les meneurs», confiera-t-il trente ans plus tard à Ouest-France. Le préfet porte plainte et demande au Conseil général le retrait des subventions à l’association étudiante[2] - [10].

La manifestation du 14 mars Ă  Nantes

Un mois plus tard, le , une nouvelle manifestation est organisĂ©e par l'UNEF[10], contre la « sĂ©grĂ©gation sexuelle » et la distinction entre Ă©tudiants « majeurs » et « mineurs » dans les rĂ©sidences universitaires (la majoritĂ© civile en France est alors de 21 ans).

La grande manifestation régionale du 8 mai 1968

Si l'année 1968 à Nantes a été marquée comme dans le reste de la France par plusieurs événements comme les grèves ouvrières des mois de mai et juin dans le cadre des événements de mai 68 elle offre en plus la particularité de la grande manifestation régionale du .

Elle est prĂ©cĂ©dĂ©e, dans la ville, par une forte actualitĂ© sociale. En 1968, le cortège des grèves a dĂ©marrĂ© tĂ´t dans l'aĂ©ronautique, en proie Ă  un plan de 15 000 suppressions d'emplois[11]. DĂ©but avril, la tension monte d'un cran, avec des arrĂŞts de travail chez Sud-Aviation Ă  Bouguenais, dans la banlieue de Nantes, une usine aĂ©ronautique oĂą sont fabriquĂ©s le Concorde et la Caravelle mais aussi des rĂ©frigĂ©rateurs Frigeavia[1]. La journĂ©e du est occupĂ©e ainsi Ă  Nantes par la manifestation des ouvriers de Sud-Aviation et de la Raffinerie de Chantenay[2].

La plupart des villes de Bretagne seront la semaine suivante marquées par des manifestations étudiantes, ainsi que des grèves générales et sauvages. Ainsi, le , des ouvriers, fonctionnaires et paysans manifestent côte à côte dans les neuf départements de Bretagne et des Pays-de-La- Loire[10], sur le thème « L'Ouest veut vivre ». Ils sont 15.000 à Lorient, 6.000 à Saint-Brieuc, 20.000 à Quimper, 25.000 à Brest, tandis que le , dans l'Ouest, 31 meetings seront tenus un peu partout[10]. Ce , les jeunes défilent au côté des ouvriers et des leaders syndicaux nantais : Georges Prampart de la CGT, Alexandre Hébert de FO et Gilbert Declercq de la CFDT[1]. Les paysans sont également de la manifestation[1]. Après la dislocation syndicale à Nantes, plusieurs centaines d’étudiants, avec des drapeaux rouges et des drapeaux noirs, suivent un parcours qui s’achève par un sit-in[3].

Les manifestations et grèves du 13 mai 1968

Après la spectaculaire "Nuit des barricades" au Quartier latin du vendredi , l'UNEF de la ville a contacté les organisations syndicales locales pour préparer une riposte commune. Au niveau national, les centrales syndicales ont lancé un mot d'ordre de grève pour le lundi [10]. À l'échelon local, ce mot d'ordre est répercuté et bien appliqué. Des commissions sont mises en place, associant étudiants et enseignants. À Nantes, les étudiants en tête du cortège portent en étendard des drapeaux noirs (symbole des anarchistes) et rouges (symbole révolutionnaire)[2].

La préfecture prise d'assaut

Ensuite, après la manifestation du , les étudiants prennent d’assaut la préfecture de Loire-Atlantique. Les premières pierres volent contre les fenêtres de la préfecture, des cocktails Molotov répondent aux grenades lacrymogènes, des barricades sont érigées, des pavés arrachés, la voiture du préfet flambe[1]. Jean-Émile Vié[2] demande au ministère de l’Intérieur l’autorisation d’ouvrir le feu sur les manifestants, ce qui lui est refusé[2]. Dans la soirée, des syndicalistes enseignants de Lettres négocient le retour au calme[2]. En échange, le préfet annonce le rétablissement de la subvention de l’Association Générale des Étudiants de Nantes (AGEN) et le retrait des plaintes pour les dégradations du [2].

L'occupation de l'Usine Sud-aviation de Bouguenais est votée

Le , les ouvriers de Sud-Aviation Nantes votent Ă  la majoritĂ© l’occupation de l’usine[12]. Ă€ l’approche de la nuit, les scellĂ©s sont posĂ©s sur toutes les portes[12]. Tout au long des 1 800 mètres du mur d’enceinte qui clĂ´ture les nombreux bâtiments, les grĂ©vistes effectuent un travail de fortification des postes sentinelles[12]. Ils sont 1500 Ă  occuper l'usine, sur un effectif de 2 500 salariĂ©s[12]. Des chants rĂ©volutionnaires, diffusĂ©s par un Ă©lectrophone, retentissent dans les bureaux de la direction, oĂą le patron est sĂ©questrĂ©. Des brasiers sont allumĂ©s un peu partout. En , le directeur, Paul Duvochel, avait annoncĂ© que la durĂ©e hebdomadaire de travail passera de quarante-huit heures Ă  quarante-six heures et demie en avril et Ă  quarante-cinq heures au cours du second semestre, après un premier conflit social, ce qui avait fortement déçu. Les portes sont soudĂ©es, personne ne peut entrer ni sortir, un bivouac est improvisĂ© dans la soirĂ©e, les cartons des frigos utilisĂ©s en guise de duvets[1]. C'est la première sĂ©questration et la première usine occupĂ©e en France en 1968[1] - [12], que chroniquera le syndicaliste François Le Madec, un ancien ajusteur, dans un rĂ©cit poĂ©tique baptisĂ© "l'AubĂ©pine de Mai" [1] - [2].

Le secrĂ©taire de la section syndicale Force ouvrière de l'usine, Yves Rocton, un tourneur de 30 ans embauchĂ© dès son adolescence[11], a adhĂ©rĂ© en 1960 au Parti ouvrier internationaliste, scission de la IVe Internationale[11]. Ex-militant CGT, il s'Ă©tait battu, en vain, pour que son syndicat rĂ©clame le rappel du contingent d'AlgĂ©rie Ă  la fin de l'annĂ©e 1960[11] puis avait Ă©tĂ© exclu en 1962[13], et aussi exclu du PCF en 1964 avec cinq autres trotskistes[11]. En 1968, Yvon Rocton se bat pour la grève gĂ©nĂ©rale, contre l'avis de la CGT, syndicat majoritaire dans l'usine[11], car il dĂ©nonce l'abus des grèves Ă  rĂ©pĂ©tition et inefficaces selon lui[12]. Le leader ouvrier devient membre de la commission administrative de FO et sera Ă©lu au comitĂ© central de l'Organisation communiste internationaliste (OCI)[11].

La région avait déjà été le théâtre du développement de mouvements de grèves radicales et violentes à Saint-Nazaire en 1953 et à Nantes en 1955, où l’UD-FO est dirigée par le militant anarcho-syndicaliste Alexandre Hébert[13]. Nantes avait aussi vu la création du CLADO (Comité de liaison et d’action pour la démocratie ouvrière), en 1956, animé par des militants trotskystes et des anarchosyndicalistes pour défendre la liberté d’expression, en particulier au sein de la CGT[13]. Basé à Nantes, il s'était déployé chez FO dans le Maine-et-Loire et ensuite au-delà de l’Ouest de la France. Le bulletin L’Anarcho-syndicaliste avait publie dans son numéro 38 de , une appel de 18 militants du CLADO de Nantes de la CGT[13].

La porte du bureau du directeur est soudĂ©e par les ouvriers ce qui l'empĂŞche de sortir[14]. Il ne sera libĂ©rĂ© qu'au bout de 15 jours et avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© sĂ©questrĂ© le . L'usine est barricadĂ©e en prĂ©vision d'une visite de la police[14] et une dĂ©lĂ©gation d'Ă©tudiants menĂ©s par JuvĂ©nal Quillet, au nom de l'UNEF, est accueillie[14]. L'HumanitĂ© ne consacre que 7 lignes Ă  l'Ă©vĂ©nement en page 9[14], mais les groupes gauchistes sont ragaillardis car deux jours avant, des dĂ©lĂ©gations de lycĂ©ens et d'Ă©tudiant venues aux manifestations ouvrières pour la dĂ©fense de l'emploi de Nancy et Forbach ont Ă©tĂ© fraichement accueillies[14].

Lorsque l’occupation de Sud-Aviation est connue, l’effet de contagion est immédiat dans le pays : l’usine Renault de Cléon en Seine-Maritime est aussitôt bloquée[2]. La presse du relate l’approvisionnement par les épouses des ouvriers enfermés dans l’usine Sud-Aviation[2].

L'extension du conflit

Le , la prĂ©fecture compte 225 000 travailleurs en grève sur les 350 000 salariĂ©s du dĂ©partement[2], et le , le quotidien Ouest-France estime qu'il est "vain de dresser la liste de toutes les entreprises fermĂ©es ou occupĂ©es. C’est la quasi-totalitĂ©"[2].

Dès le , la grève est quasi générale en Bretagne, mais dans le calme, avec des comités de grève proposent des repas gratuits tandis que les agriculteurs organisent le ravitaillement[10]. De grands meetings paysans ont lieu à Callac (4.000 manifestants) et Guingamp (8.000 manifestants)[10].

Le ralliement de la FNSEA locale

Alors que de nombreuses entreprises de la région sont en grève illimitée[2], la Loire-Atlantique est le premier département où elles sont rejointes par les cultivateurs du syndicat majoritaire, la FNSEA, dont la branche locale[2], la Fédération Départementale des Syndicats Exploitants Agricoles appelle les paysans à se solidariser avec les ouvriers et étudiants en lutte[2]. Bernard Thareau, principal coordinateur du mouvement paysan[2], joue un rôle central dans cette convergence.

Nantes connaît ainsi le une nouvelle manifestation lors de la journée d'action nationale du syndicalisme agricole[1], qui est une réplique de celle du en plus grand encore. Venus en tracteurs, les agriculteurs répandent du fumier dans les rues et rebaptisent la place Royale «place du Peuple»[1].

«Ce que nous exigeons, en définitive, c'est la remise en cause de la société capitaliste et de l'Europe libérale qu'elle a engendrée», résume Bernard Lambert, l'un des leaders du mouvement paysan[1]. Fils de étayers, il a arrêté ses études à quatorze ans puis est devenu responsable départemental de la Jeunesse agricole catholique (JAC) vers 1948. Député MRP de Châteaubriant, battu en 1962 par une large coalition de droite, Bernard Lambert est devenu éleveur de poulets de chair. Élu au bureau de la FDSEA en 1963 et secrétaire général en 1965, il est depuis 1966 adhèrent au PSU.

Quatre cortèges venus de Bouaye, Nozay, Savenay et Carquefou, se rejoignent en début d’après-midi Place du Commerce[2]. La place Royale est rebaptisée "place du peuple"[2], ce qui lui assure une notoriété nationale, avec des photos qui feront le tour de France[2]. Devant la dégradation progressive de la situation politique et sociale, les maires de Nantes et Saint-Nazaire et de nombreux élus du département rédigent un appel au gouvernement pour qu’il entende les revendications des travailleurs et des jeunes[2].

Le soutien paysan prend des formes concrètes: un comité central de grève, installé à la mairie, est fondé le , pour répondre aux problèmes matériels posés par la grève généralisée après dix jours de pénuries. Il s’attelle au ravitaillement en essence et produits alimentaires, à la garde des enfants des grévistes, au ramassage des ordures[2]. Ce comité central de grève surveille les prix des commerces et marchés, gère les bons d'essence, organise le ravitaillement des quartiers populaires avec les paysans[1]. Dans les quartiers populaires de l'agglomération nantaise comme Dervallières, Chantenay ou les Batignolles, les associations familiales organisent avec les paysans des ventes et distributions de produits fermiers à prix coûtant.

Le coup de froid après les sept heures d'affrontement du 24 mai 1968 à Nantes

Revers de la mĂ©daille, la confiance acquise par les manifestants se retourne rapidement contre eux : refusant de se disperser en fin d’après-midi le , un millier de manifestants prend Ă  nouveau d’assaut la prĂ©fecture, comme le , et dĂ©clenche cette fois un incendie[2]. La bataille de rue dure plus de sept heures et fait 208 blessĂ©s, selon le prĂ©fet[1]. Les affrontements durent jusqu’à 1h30 du matin[2]. Ces actions violentes seront condamnĂ©es par toutes les organisations agricoles[2] et donnent un coup de frein sur le mouvement.

Le lendemain les premières divisions apparaissent : la CGT et la CFDT se concentrent sur leurs revendications prioritaires, l’Unef et FO s’obstinent Ă  rechercher les voies d’un nouveau pouvoir populaire[15]. Le rĂŞve de la rĂ©volution s’éloigne[15] , avec l’annonce des nĂ©gociations de Grenelle, cependant appuyĂ©es Ă  Nantes par une manifestation encore très importante, de 40 000 personnes le [15].

Ailleurs en Bretagne, les manifestations et grèves continuent de plus belle. En date des 24-, la liaison aĂ©rienne Brest-Paris n'est plus assurĂ©e que par l'ArmĂ©e de l'air[10], alors que 700 travailleurs français, espagnols, portugais et algĂ©riens de l'Ile Longue sont en arrĂŞt total de travail[10]. Le Finistère n'est pas en reste sur la rĂ©gion, y compris dans les villes moyennes. Ă€ partir du des barrages routiers apparaissent autour de Morlaix ou QuimperlĂ©, tandis qu'un meeting devant La Poste de Brest rĂ©unit 15 000 personnes[10].

Le soutien de l'évêque aux grévistes

La particularité locale ressort dans le soutien de l'église, très rapide, dans une région très catholique. Au cours du long week-end de la Pentecôte, l'homélie de l'évêque Michel-Louis Vial en faveur des gréviste est remarquée[1].

La participation du clergé et des enseignants du privé au mouvement de Mai 68 dans l'Ouest est une nouveauté soulignée par les autorités[3]. Dès la manifestation du , plusieurs prélats ont fait part de leur inquiétude pour l’emploi et concernant les risques de chômage en publiant des lettres dans La Semaine religieuse : Mgr Vial à Nantes et Mgr Mazerat à Angers[3]. Dans la presse régionale, les évêques de Quimper et de Saint-Brieuc apportent leur soutien à cette manifestation du dès sa préparation[3].

La reprise progressive du travail

Les salariĂ©s de Sud-Aviation reprennent le travail le , au lendemain d'une journĂ©e d’ultimes violences policières dans les rues de Nantes[15], un mois après le dĂ©but de l'occupation[1]. La veille, dans les affrontements, un homme a eu le pied arrachĂ©[1] et 116 personnes ont Ă©tĂ© interpellĂ©es par les CRS[1]. Ă€ la sortie de la grève, la direction de Sud-Aviation nĂ©gocie un accord d'entreprise qui garantira un statut particulier aux salariĂ©s de l'AĂ©rospatiale, toujours en vigueur dans les annĂ©es 2010[11]. Les cheminots, les postiers et le personnel d'EDF reprennent progressivement le travail aussi au dĂ©but du mois de juin.

Élections législatives anticipées

Le , au lendemain de la dissolution de l'Assemblée nationale par le général de Gaulle et de la grande manifestation gaulliste sur les Champs-Élysées à Paris, une contre-manifestation est organisée Nantes aussi[10]. À la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale, des élections législatives anticipées se tiennent le 23 et et voient une large victoire gaulliste au niveau national alors qu'un an plus tôt, la victoire avait été plus étriquée. Le , les urnes parlent dès le premier tour. Les électeurs de Loire-Atlantique votent pour les gaullistes à 50 % dès le premier tour des législatives[1]. À la fin juin, les urnes tranchent : la Loire-Atlantique donne une forte majorité aux candidats gaullistes. La gauche ne conserve plus qu'une circonscription dans la région nantaise[2]. Par rapport aux législatives de 1967, son influence électorale diminue.

RĂ©percussions et prolongements

Les luttes féministes prennent de l'ampleur quelques années plus tard à Nantes, où le syndicalisme agricole est par ailleurs profondément transformé par les événements de Mai 68.

Orateur, idéaliste et batailleur, le nantais Bernard Lambert se révèle au cours de grèves à Nantes. Il devient une figure du syndicalisme paysan, fondateur du mouvement des « Paysans travailleurs », à travers son livre publié en 1970 Les Paysans dans la lutte des classes puis animateur des luttes autour du Larzac à partir de 1973 ; Bernard Lambert est à l'origine de la marche sur le Larzac, au cours de laquelle il proclame : « Jamais plus les paysans ne seront des Versaillais. C’est pourquoi nous sommes ici pour fêter le mariage des Lip et du Larzac. » En 1981, il fondera la Confédération nationale des syndicats de travailleurs paysans, l'origine de la Confédération paysanne.

Analyse sociologique

Dans un ouvrage paru en 1969[5], Yannick Guin analyse la réussite du mouvement insurrectionnel par l'existence de fortes minorités anarcho-syndicalistes et trotskystes, tant chez les étudiants que chez les ouvriers et paysans[5], et attribue les causes de son échec à l'absence de structuration du mouvement, de coordination, d'objectifs concrets, d'une préparation institutionnelle qui aurait mis en place des structures nouvelles comme une justice populaire par exemple[5], et une atmosphère par trop à la fête[5].

Chronologie

  • : les anarchistes nantais prennent le contrĂ´le de l'Unef locale [4]
  • Ă  Redon : mobilisation paysanne qui se conclut comme la prĂ©cĂ©dente par des affrontements contre les forces de l’ordre[2].
  • dĂ©but : JuvĂ©nal Quillet Ă©lu prĂ©sident des Ă©tudiants en rĂ©sidences universitaires nantaises [4]
  • : occupations des rĂ©sidences universitaires nantaises [4]
  • : JuvĂ©nal Quillet interpellĂ©.
  • : assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de l'UNEF, les anarchistes nantais rencontrent les principaux situationnistes strasbourgeois [6].
  • : les rĂ©sidences universitaires nantaises Ă  nouveau prises d’assaut [4]
  • : Yvon Chotard et Quillet sont rejoints par GĂ©rard Bigorgne venu reprĂ©senter les EnragĂ©s de Nanterre [4]
  • : les rĂ©sidences universitaires nantaises Ă  nouveau occupĂ©es[4]
  • : nouvelles manifestation des rĂ©sidences universitaires nantaises
  • : les salariĂ©s de Sud-Aviation en grève
  • : Ă©norme manifestation ouvriers-paysans pour l'avenir du "Grand-Ouest"
  • : la prĂ©fecture prise d'assaut
  • : les salariĂ©s de Sud-Aviation occupent l'usine
  • : la prĂ©fecture prise d'assaut après une Ă©norme manifestation ouvriers-paysans
  • : l’évĂŞque de Nantes, Monseigneur Vial, prend position, dans un sens favorable au mouvement[2].
  • 14 : les salariĂ©s de Sud-Aviation reprennent le travail

Archives audiovisuelles

  • "Mai 68 Ă  Nantes Première Partie L'exception nantaise" avec le journaliste Alain Besson, Yvon Chotard (avocat) et Alexandre HĂ©bert TV SĂ©vre et maine [16]
  • "Sud Aviation mai 68", enquĂŞte historique de France 2 avec archives INA le 1er mai 2018[17]
  • Mai 1968 Ă  Nantes, compilation d'archives d'Ă©poque, Radio France Bleue, 2018[18]

Figures du mouvement

Sources et bibliographie

  • "La Commune de Nantes, Cahiers libres" par Yannick Guin, no 154, Maspero, Paris, 1969,
  • "Mai 68 Ă  Nantes", par Sarah Guilbaud - Editions Coiffard - 2004
  • « Mai 68 Ă  Nantes » par Sylvain Coatleven, livre tirĂ© de sa MaĂ®trise histoire», sous la direction de Claude Geslin, UniversitĂ© de Rennes 2, 2002
  • Film L’autre mai par Matthieu Maury et Jacques Willemont, 2008
  • Archives de Jean Breteau, prĂ©sident de l'association des Ă©tudiants en Lettres de Nantes en 1968, offertes au centre d’histoire du travail comportent beaucoup d’archives privĂ©es que des journalistes lui ont donnĂ©es quand ils ont quittĂ© Nantes, ainsi que la critique des sciences sociales et humaines Ă  travers les tracts des Ă©tudiants de socio [19].
  • "Ă€ Nantes, Mai 68 a dĂ©butĂ© le ", Presse-OcĂ©an et Ouest-France [20]
  • Exposition au MusĂ©e d’histoire de Nantes de 2018: « Peut-on liquider Mai 1968 ? »[21]
  • Exposition des 24, 29, et 2018 Ă  la Mairie de Nantes, avec le Centre d’histoire du travail et le MusĂ©e d’histoire de Nantes[2]
  • "On voulait abolir l'ordre ancien" , entretien avec Yvon Chotard[22]

Notes et références

  1. " Nantes hisse le drapeau rouge", par Sarah GUILBAUD dans Libéation du 15 février 2008
  2. Exposition des 24, 29, 31 mai et 5 juin 2018 à la Mairie de Nantes, avec le Centre d’histoire du travail et le Musée d’histoire de Nantes
  3. "LA MANIFESTATION DU 8 MAI 1968 À QUIMPER" par l'historien Christian Bougeard
  4. " Scènes situationnistes de Mai 68 : Enquête sur une influence présumée", par Laurence Bernier-Renaud Sous la direction de Jean-Pierre Couture
  5. "La Commune de Nantes, Cahiers libres" par Yannick Guin, no 154, Maspero, Paris, 1969, Fiche de lecture Pierre Dubois dans la revue Sociologie du travail Année 1970
  6. "Vie et mort de Guy Debord" par Christophe BOURSEILLER
  7. "Des jeunes filles occupent un pavillon de garçons dans une cité universitaire de Nantes", Le Monde du 23 janvier 1968
  8. "À Nantes, Mai 68 a débuté le 14 février" Ouest-France mercredi 14 février 2018
  9. Presse Océan du 15 février 1968
  10. « Mai 68 en Bretagne. La chronologie », Le Télégramme,‎ (lire en ligne).
  11. "Yves Rocton, syndicaliste de Force ouvrière et militant trotskiste" par Sylvia Zappi Le Monde du 13 octobre 2008
  12. "Anniversaire de Mai 68 : le 14 mai, quand les ouvriers entrent dans la danse" par Antoine Flandrin, dans Le Monde le 14 mai 2018
  13. Georges Ubbiali. "Les syndicalistes révolutionnaires à Force ouvrière, de sa création aux années 20001". revue Dissidences, 2013.
  14. "Mai retrouvé: Contribution à l'histoire du mouvement révolutionnaire du 3 mai au 16 juin 1968" par Jacques Baynac, l’un des animateurs du mouvement à la faculté de Censier,
  15. Nantes Patrimonia, site de la Ville de Nantes.
  16. "Mai 68 à Nantes Première Partie L'exception nantaise" avec le journaliste Alain Besson, Yvon Chotard (avocat) et Alexandre Hébert TV Sévre et maine
  17. "Sud Aviation mai 68", enquĂŞte historique de France 2 avec archives INA le 1er mai 2018
  18. Mai 1968 Ă  Nantes, compilation d'archives d'Ă©poque, Radio France Bleue, 2018
  19. Interview de Jean Breteau, président de l'association des étudiants en Lettres de Nantes en 1968
  20. "À Nantes, Mai 68 a débuté le 14 février", Presse-Océan du 14.02.2018
  21. Exposition au Musée d’histoire de Nantes de 2018: «Peut-on liquider Mai 1968 ?
  22. Yvon Chotard : "On voulait abolir l'ordre ancien" - La Baule.maville.com

Voir aussi

Histoire de Nantes

Autres déclinaisons régionales de l'événement

Mai 68 en général

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