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Machine Ă  composer

En imprimerie, une machine Ă  composer est une machine qui assemble les caractères en plomb destinĂ©s Ă  imprimer un texte, en se substituant Ă  la composition manuelle traditionnelle. Certaines de ces machines peuvent assurer la justification des lignes et la distribution des caractères après l’impression. On trouve parfois le terme de « composeuse », alors que « compositrice » dĂ©signe une femme typographe « traditionnelle[1] ».

Machine de William Church.

Données du problème

La composition typographique peut se résumer à trois étapes :

  • La composition proprement dite : le typographe prend les caractères (incluant lettres, signes de ponctuation et espaces) dans la casse, chacun Ă©tant rangĂ© dans son cassetin. Il n’a pas besoin de voir le caractère, mais il peut lire et donc vĂ©rifier instantanĂ©ment le rĂ©sultat de son travail dans le composteur qu’il tient en main. Une machine peut « appeler Â» chaque caractère, prĂ©alablement rangĂ© dans un compartiment propre, par l’action d’une touche.
  • La justification consiste Ă  rajouter des espaces uniformĂ©ment rĂ©parties, de manière que la ligne soit remplie, sans aucun jeu, Ă  la longueur voulue. La mĂ©canisation de cette opĂ©ration est plus difficile.
  • La distribution consiste, après utilisation, Ă  reprendre les caractères un par un et Ă  les remettre dans leur casse d’origine. L’ouvrier doit voir chaque caractère pour l’identifier. Pour identifier mĂ©caniquement un caractère, celui-ci doit ĂŞtre muni d’élĂ©ments matĂ©riels distinctifs qui le diffĂ©rencient des autres, comme des crans : la fabrication du caractère se complique et le fragilise. Ă€ dĂ©faut, c’est un ouvrier qui reconnaĂ®t le caractère et l’envoie Ă  sa place par une touche : on gagne relativement peu par rapport Ă  la distribution manuelle.

Historique

Les diverses inventions de machines à composer ont toutes vu le jour au cours du XIXe siècle, alors que la presse typographique connaissait de grands bouleversements et que l’édition et la presse étaient en plein essor. Seule la composition restait pratiquement inchangée depuis Gutenberg : l’ouvrier typographe « levait » la lettre dans une casse, la plaçait sur son composteur, justifiait la ligne, puis posait l’ensemble des lignes sur une galée avant de procéder à l’impression. Ensuite, il fallait faire l’opération inverse, la distribution : reprendre chaque caractère et le replacer dans son cassetin. Les typographes avaient une grande dextérité dans ces mouvements, mais ces opérations manuelles demandaient tout de même beaucoup de temps et les mécaniser devint l’objectif d'imprimeurs ou de mécaniciens, si bien qu'entre 1820 et 1925, près de 300 brevets furent déposés[2].

Des expĂ©riences ont lieu pĂ©riodiquement pour accĂ©lĂ©rer la composition, Ă  commencer par des « casses rationnelles Â», puis des logotypes, blocs comportant plusieurs caractères selon la frĂ©quence d'association des lettres dans la langue (lettres doubles, triples ou quadruples). Mais ces innovations pèsent peu devant la longue expĂ©rience d’un ouvrier traditionnel. La tendance sera donc aux machines de type « piano Â», avec un clavier qui commande la sĂ©lection du caractère par action d’une touche : le caractère se met en place dans un composteur soit par gravitĂ©, soit par l’action d’un mĂ©canisme, d’un ressort ou mĂŞme, comme dans une des premières versions de la Linotype, la Blower Linotype, par une soufflerie Ă  air comprimĂ©.

Premières tentatives (1815-1850)

Les premières machines, de type « piano Â», sont imaginĂ©es, en 1815 par l’Anglais Benjamin Forster, puis par le futur Ă©diteur et philosophe Pierre Leroux en 1820, mais restent Ă  l’état de projets.

Dans l’ensemble, les caractères sont stockés dans un magasin, l’action d’une touche les fait descendre dans un composteur, la justification reste manuelle et la distribution ignorée ou compliquée par le fait que chaque caractère doit être muni de crans ou d’encoches.

  • Suivent les essais de l’écrivain, philosophe et futur acadĂ©micien français Pierre-Simon Ballanche, fils du directeur de l’Imprimerie de Lyon, entre 1819 et 1833 : des touches actionnent un ressort qui Ă©jecte le caractère du cassetin. Ses idĂ©es pourraient avoir influencĂ© William Church.
  • Gaubert, en 1826, est ruinĂ© dans la mise au point d’une machine compliquĂ©e, le GĂ©rotype, oĂą l’opĂ©rateur doit actionner clavier et pĂ©dalier, et oĂą les caractères munis de crans sur toutes leurs faces sont agitĂ©s en tous sens pour ĂŞtre distribuĂ©s : placĂ©s dans le bon sens, puis « reconnus Â» et rangĂ©s.
  • NapolĂ©on Chaix (vers 1844) met au point une composeuse qui fonctionne avec un seul ouvrier, justification manuelle, distribution par une machine sĂ©parĂ©e.
  • Adrien Delcambre, associĂ© Ă  l’Anglais James Hedden Young, propose le Pianotype (brevetĂ© en 1840). Une machine Ă  composer, et une machine Ă  distribuer, primĂ©es Ă  l’Exposition internationale de 1855, prĂ©sentĂ©es comme pouvant ĂŞtre servie par du personnel fĂ©minin.
  • Le capitaine Rosenborg, de son cĂ´tĂ©, annonce une machine plus rapide que celle de Young et Delcambre, comprenant une « composeuse Â» oĂą les caractères sont acheminĂ©s vers le composteur par une vis sans fin, et une « distribueuse Â», vite tombĂ©es dans l’oubli[3].
  • Le poète GĂ©rard de Nerval, fĂ©ru de typographie, dĂ©pose en 1845 un brevet pour une machine stĂ©rĂ©ographe, oĂą une sĂ©rie de roues juxtaposĂ©es sur le mĂŞme axe portent chacune l’ensemble des caractères en relief. En les faisant tourner, on compose une ligne, qui peut s’imprimer en creux dans une matière plastique formant moule, soit imprimer sur papier autographique pour ĂŞtre reportĂ© sur une pierre lithographique[4].
  • Ă€ partir de 1851, le Danois SoĂ«rensen, installĂ© Ă  Paris, propose une machine, la Tacheoyp, munie d’un double cylindre faisant office de compositeur et de distributeur, d’une grande ingĂ©niositĂ© mĂ©canique. Après dissolution de sa sociĂ©tĂ©, SoĂ«rensen regagne le Danemark et meurt avant que son invention ne connaisse le succès.

Machines à composer dans la seconde moitié du XIXe siècle

Machine de Kastenbein. À gauche, le clavier et le magasin. Le personnage assis est à la justification. À droite, la machine à distribuer.
Le compositeur de Paige.

Dans la seconde moitié du siècle apparaissent des machines qui sont effectivement utilisées par les grandes imprimeries, et d’autres qui sont des échecs :

  • Hattersley : Robert Hattersley, de Manchester, propose une machine (1857) oĂą le compositeur est assis devant un clavier et doit justifier manuellement ; la distribution se fait avec une autre machine oĂą l’opĂ©rateur doit reconnaĂ®tre visuellement chaque caractère. La Hattersley fut utilisĂ©e par le Newcastle Daily Journal, La Nouvelle Presse libre et le Tageblatt, Ă  Vienne.
  • Kastenbein : Charles ou Karl Kastenbein Ă©tait relieur Ă  Paris. Il regagne l’Allemagne avec une machine fabriquĂ©e par un imprimeur français inconnu, mort avant d’avoir menĂ© Ă  bien son invention. Kastenbein la dĂ©veloppe lui-mĂŞme. La machine, brevetĂ©e en 1869, nĂ©cessite deux opĂ©rateurs, un composeur et un justificateur. Un magasin de caractères vertical surmonte le clavier, la machine peut ĂŞtre actionnĂ©e par la vapeur ou par une pĂ©dale. Elle prĂ©sente l’inconvĂ©nient de casser Ă  peu près la moitiĂ© des caractères. Au Times, on rĂ©sout la question en envoyant Ă  la fonte les caractères utilisĂ©s et en fournissant des caractères neufs Ă  chaque utilisation. Une machine distincte assure la distribution : chaque caractère, jetĂ© en vrac dans un magasin, se prĂ©sente devant l’opĂ©rateur qui l’envoie dans son magasin en appuyant sur la touche correspondante[5].
  • Paige Compositor : vers 1885, James Paige construit une machine perfectionnĂ©e (selon ses dires) pouvant justifier et distribuer automatiquement, qui n’obtient aucun succès, si ce n’est qu’elle a Ă©tĂ© soutenue par l’écrivain Mark Twain qui a investi et perdu dans l’aventure une grande partie de ses biens (300 000 $, soit 7 millions de dollars actuels). Sur deux machines construites, une fut vendue Ă  la ferraille, l’autre se trouve Ă  la maison-musĂ©e de Mark Twain.
  • Empire : parmi les composeuses ayant connu un certain succès, figure l'Empire. D’après un brevet dĂ©posĂ© en 1857 par W. H. Houston, qui le revendit Ă  Gray and Green, grands imprimeurs de New York, la machine Ă©chut Ă  un M. Burr, puis Ă  Henry Trush, qui la baptisa Empire : 175 exemplaires en auraient Ă©tĂ© vendus entre 1890 et 1904. L'Empire se compose de deux machines : la composeuse, dont les caractères sont munis de deux crans, qui est desservie par deux opĂ©rateurs, un qui compose, un qui justifie ; la seconde, le distributeur, distribue les caractères en sĂ©parant les caractères standard (dĂ©pourvus des deux crans) qui auraient pu ĂŞtre utilisĂ©s simultanĂ©ment.
  • Thorne : la Thorne, dont le premier brevet date de 1869, reprend les principes de la SoĂ«rensen. C’est celle qui connaĂ®t le plus grand succès, au point de concurrencer la Linotype, grâce Ă  sa robustesse et sa simplicitĂ©, bien qu’elle nĂ©cessite encore trois opĂ©rateurs.

Composeuses-fondeuses

Une Wicks.
La Linotype.
Une Typograph de 1965.

Le principe qui l'emporte finalement en matière de composition mĂ©canisĂ©e est celui de machines qui fondent les caractères, Ă©liminant l’usage des caractères traditionnels. Pour cela, il faut faire un retour en arrière, et revenir Ă  l’idĂ©e de Louis-Étienne Herhan. En 1797, cet imprimeur, confrontĂ© au problème des blocs obtenus par moulages qui perdaient rapidement leurs qualitĂ©s, proposa de fondre non Ă  partir des caractères, mais des matrices en creux : il n’y avait plus qu’un seul moulage, au lieu de trois. Il fallait simplement que les matrices soient dimensionnĂ©es de manière Ă  ĂŞtre assemblĂ©es en lignes comme les caractères habituels. On procĂ©dait Ă  la fonte d’une page entière, Ă  partir des « matrices paginaires Â». Herhan appela son système « monotypie Â». Ă€ cause d’inconvĂ©nients mineurs, ce procĂ©dĂ© n’alla pas plus loin. Mais le principe de la matrice et de la fonte de blocs allait ĂŞtre la clĂ© des nouvelles machines Ă  composer[6].

  • La Matern Machine (1897) de M. Wicks, succĂ©dant Ă  une machine Ă  composer simple, fond des caractères mobiles. Une Wicks remplace les distributeurs des Kastenbein au Times.
  • La Typograph de Rogers (1890), par sa simplicitĂ© de construction, connaĂ®t un certain succès malgrĂ© la concurrence de la Linotype. Elle est fabriquĂ©e en Allemagne jusque dans les annĂ©es 1960.
  • La Linotype de Mergenthaler reprĂ©sente l’aboutissement du procĂ©dĂ©, des milliers d’exemplaires sont produits et utilisĂ©s entre 1885 et les annĂ©es 1970 oĂą va s’imposer la photocomposition, avant l’informatique. Dans ces machines, ce sont des matrices en cuivre ou en laiton, munies de crans permettant la distribution, qui circulent et constituent l’essentiel du système, le plomb fondu gĂ©nĂ©rant Ă  chaque ligne un bloc de caractères.
  • La Monotype, mise au point sensiblement Ă  la mĂŞme Ă©poque (1887), compose des caractères uniques au lieu de lignes-blocs, ce qui facilite la correction. La frappe sur le clavier gĂ©nère une bande perforĂ©e codĂ©e qui est « lue Â» ensuite par la fondeuse de caractères, machine indĂ©pendante. Cette division du processus en deux postes sĂ©parĂ©s prĂ©sente l'avantage de mettre l’opĂ©rateur (ou opĂ©ratrice) Ă  l’abri des vapeurs toxiques du plomb. D’autre part, la bande perforĂ©e, vĂ©ritable « mĂ©moire Â» avant la lettre, permet de conserver du texte composĂ©, sans immobiliser d’encombrantes formes en plomb et sans avoir Ă  saisir de nouveau le texte.
  • La Monoline, mise au point en 1892 par un ancien employĂ© de Linotype, W. S. Scudder, est une fondeuse de lignes-blocs de conception plus simple. Elle est fabriquĂ©e au Canada et en Allemagne pour Ă©chapper aux brevets de Linotype.

Photocomposition

Photocomposeuse Lumitype de 1965.

L’utilisation de la photographie pour composer des textes surgit dès le XIXe siècle, mais c’est le fait de recherches isolées, les techniques photographiques sont dirigées logiquement vers la reproduction des images. L’impression typographique, qui est alors la seule possibilité, impose les types en relief. Les choses changent avec l’apparition de l’offset. La forme imprimante n’est plus un bloc de caractères et de clichés, mais une plaque où textes et images sont transférés photographiquement. Toutefois, pour composer les textes, on est toujours obligé de composer en plomb, manuellement ou mécaniquement. C’est ce fait, totalement partie prenante de la routine du métier, qui surprend le néophyte René Higonnet, visitant pour la première fois de sa vie une imprimerie, à Lyon, en 1944. Cet ingénieur en téléphonie, photographe amateur, se prend à imaginer une machine qui composerait des textes à partir de matrices en négatifs. Il s’attelle au projet avec son collaborateur Louis Moyroud ; après des années de mise au point, la Lumitype est fabriquée et commercialisée sous la marque Photon jusque dans les années 1960. D’autres fabricants suivent et progressivement, les photocomposeuses remplacent les antiques Linotypes et Monotypes. Dans les années 1980, c’est l’informatique qui va se substituer à la photocomposition.

Impact social

Comme toutes les innovations qui augmentent la productivité, les machines à composer provoquent des pertes d’emploi et des mutations. Ce phénomène est sensible avec l’apparition des Linotypes. Les machines précédentes, peu répandues, exigent encore deux à trois opérateurs. Dans l’ensemble, les composeuses provoquent moins de troubles sociaux que l’arrivée des presses mécaniques dans les années 1830. Mais dès le début, et c’est un argument fréquemment mis en avant par les fabricants, on peut désormais confier le travail à des femmes ou même à des enfants. On met en avant la facilité du travail, le peu de pénibilité (on peut désormais travailler assis). En fait, l’argument non déclaré, mais parfaitement compris, est que les salaires des femmes ou des enfants sont largement inférieurs à ceux des hommes. La profession est, de manière générale, très misogyne[7] et les typotes, si elles existent, sont plutôt mal considérées. La place des femmes aux claviers se fait lentement[8]. Au début du XXe siècle, un jugement en appel relaxe un imprimeur de Grenoble de l’accusation d’avoir employé sept femmes à la conduite de Linotypes, au mépris d’un article de 1897 destiné à les protéger des intoxications par le plomb (on fait valoir qu’il ne s’agit pas de plomb, mais d’un alliage !)[9].

Notes

  1. Émile Chautard, Glossaire typographique, Paris, Denoël, 1937.
  2. Richard E. Huss, The Development of Printers' Mechanical Typesetting Methods, 1822-1925, University of Virginia, 1973, 307 p.
  3. L’Illustration, mars 1842, « Industrie, Des claviers typographiques Â», .
  4. Maurice Audin, Histoire de l’Imprimerie, p. 317.
  5. de:Kastenbein-Setzmaschine.
  6. Maurice Audin, Histoire de l’Imprimerie, p. 315.
  7. Voir Eugène Boutmy, Dictionnaire de l’argot des typographes, article « Compositrice Â». Wikisource : .
  8. Pierre Cuchet, Études sur les machines à composer, introduction, p. 15.
  9. Pierre Cuchet, p. 17.

Sources

Bibliographie

  • Maurice Audin, Histoire de l'imprimerie, A. et J. Picard, 1972.
  • Pierre Cuchet, Études sur les machines Ă  composer et l'esthĂ©tique du livre, Paris, 1908, 96 p. ; rĂ©imp. prĂ©sentĂ©e et annotĂ©e par Alan Marshall, Ă©ditions JĂ©rĂ´me Millon, 1986.
  • Alan Marshall, Du plomb Ă  la lumière. La Lumitype-Photon et la naissance des industries graphiques modernes, MSH, 2003.
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