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MĂ©thode bergamasque

La méthode bergamasque[note 1] est un procédé historique d'affinage en trois étapes, dans un même foyer, de la fonte brute en acier naturel.

croquis
Schéma d'un foyer d'affinage bergamasque vide, vu face à la tuyère.

Comme son nom l'indique, elle a été mise au point en Lombardie, probablement au cours du XVIe siècle, à la fin duquel elle se diffuse dans l'ensemble des Alpes. Elle est abandonnée au cours de la première moitié du XIXe siècle, remplacée par des méthodes plus économes en combustible.

ÉlĂ©ments lexicaux 

croquis
Schéma d'un haut fourneau de type bergamasque.

La mĂ©thode d'affinage bergamasque s'inscrit dans l'espace technique lombard, pionnier dans les techniques de production d'acier Ă  partir de fonte[note 2]. Ainsi, le qualificatif « bergamasque Â» s'aplique Ă  un ensemble de procĂ©dĂ©s et d'outils mis au point dans le nord de l'Italie, et utilisĂ© dans les Alpes. En 1844, Émile Gueymard Ă©crit ainsi que :

« Les pays d'Allevard et d'Articol, placées dans le voisinage de la Savoie et du Piémont, ont été pendant des siècles sous l’influence des procédés italiens ou bergamasques.
Pendant longtemps il y a eu uniformité dans toutes les usines de l'Italie, du Piémont, de la Savoie et du Dauphiné. Même forme au dehors, même coupe en dedans, même machine soufflante, mêmes chargements en minerais et en charbons, mêmes outils[G 1]… »

— Émile Gueymard, Statistique minéralogique, géologique, métallurgique et minéralurgique du Département de l'Isère

Les hauts fourneaux dits « Ă  la bergamasque Â» ont un profil interne très simple, consistant en deux pyramides quadrangulaires reliĂ©es par leur base et qui l'une et l'autre ont une face verticale. Ils sont sans ouvrage, adossĂ©s Ă  un relief,d'une hauteur d'environ m. La tuyère est fortement inclinĂ©e vers le bas et le vent frappe une dalle de schiste qui brise et dĂ©vie le jet d'air. Ainsi la combustion est diffuse et l’allure est assez froide. L'alimentation en vent se fait par quelques trompes hydrauliques. L'appareil peut rĂ©aliser des campagnes assez longues, de plusieurs annĂ©es[A 1] mais la section rectangulaire est bien moins performante que les formes se rapprochant du cercle[G 2].

Histoire

La méthode d'affinage bergamasque a été inventée en Lombardie (probablement sur les rives du Serio[G 3]). L'affinage de la fonte y est attesté très tôt, dès le XIVe siècle[3]. La technologie se diffuse vers la fin du XVIe siècle dans les Alpes[4], notamment dans le Dauphiné et la Savoie[A 2], en Suisse[G 3], en Autriche et en Italie[A 3]. Elle a été mise au point dans un secteur où les minerais de fer, donc les fontes, sont riches en manganèse (de 5 à 8 %, soit proches d'un spiegeleisen)[A 4]. Il y a ce « fait bien connu que ce procédé n'a jamais été employé que pour les fontes manganésifères. Il s'est répandu sur toute la chaîne des Alpes, d'une part dans la Savoie et le Dauphiné, de l'autre dans le Tyrol et la Carinthie, contrées où l'on ne trouve presque que des minerais spathiques. La seule exception à mentionner est la Toscane où l'affinage bergamasque est employé pour des fontes truitées, obtenues au moyen des minerais de fer oligiste de l'Île d'Elbe[A 3]. »[note 3]

Au milieu du XIXe siècle, la méthode, dont les trois étapes génèrent des dépenses de travail et de combustible excessives, est très critiquée pour son inefficacité. La technologie bergamasque est associée aux « procédés qui semblaient encore, il y a 30 ans, appartenir aux siècles les plus reculés pour ce qui est de la consommation de combustible[G 3] ». Cet avis est très largement partagé, mais ce handicap est en réalité assez relatif. Par contre, la qualité des fers obtenus est généralement inférieure à celle des fers issus de la méthode comtoise. Quoi qu'il en soit, les inconvénients de la méthode bergamasque ne sont généralement pas uniquement dus au procédé d'affinage en lui-même, mais plutôt à la mauvaise optimisation des feux et à la faiblesse des martinets[A 5].

Ainsi, les procédés bergamasques disparaissent pendant la première moitié du XIXe siècle en France, supplantés par les forges catalanes[G 4] et la méthode comtoise[A 5]. En 1836, la dernière forge française qui l'emploie, en Isère, cesse la commercialisation de fers produits avec cette méthode[5], Mais en Lombardie, la méthode bergamasque reste encore, à la même époque, d'un usage courant[A 5].

Procédé

DĂ©roulement d'un affinage

Le foyer d'affinage est une fosse rectangulaire, typiquement de 0,6 m de large (c'est-Ă -dire de la varme au contrevent), la longueur de ces deux cĂ´tĂ©s faisant 0,7 m, et la profondeur 0,7 m. Les parois sont des plaques de fonte, alors que la sole est en briques. C'est donc un foyer assez profond (il l'est deux fois moins en Carinthie[6]), mais Ă©tant toujours Ă  demi-plein de brasque, son volume utile est limitĂ© et fluctuant. La plaque avant (plaque de laiterol) dĂ©passe pour pouvoir appuyer les outils et est percĂ©e pour vidanger les scories, une aire de travail est disposĂ©e Ă  cĂ´tĂ© pour y gĂ©rer les matières, et une cheminĂ©e surplombe le foyer. La combustion est attisĂ©e par une tuyère inclinĂ©e de 20° vers le bas, alimentĂ©e par une soufflante, gĂ©nĂ©ralement une trompe semblable Ă  celles des forges catalanes[A 6].

La première Ă©tape est la fusion lente de la fonte, puis sa solidification. Le foyer est rempli de charbon de bois jusqu'au dessus de la tuyère, les blocs de fonte sont dessus. La tuyère attise vigoureusement le feu, et le mĂ©tal fond en une ou deux heures suivant la taille et la masse totale des blocs de fonte. Le mĂ©tal fondu coule et se rassemble sous le charbon de bois. Une fois tout le mĂ©tal fondu, le charbon de bois est retirĂ© puis arrosĂ© pour interrompre sa combustion : le bain liquide est alors dĂ©couvert. On y jette alors une bonne quantitĂ© de battitures et pailles de fer oxydĂ©es (50 kg de pailles pour 250 kg de fonte), et l'ensemble est mĂ©langĂ© : le bain devient instantanĂ©ment un agglomĂ©rat pâteux et hĂ©tĂ©rogène, une brèche mĂ©tallique qui est extraite et refroidie Ă  l'eau[A 6]. Cet agglomĂ©rat est appelĂ© « mazelle Â» car la fusion s'Ă©tant dĂ©roulĂ©e dans une atmosphère oxydante, et un mazĂ©age assez poussĂ© s'est donc opĂ©rĂ© avant mĂŞme l'ajout des battitures[7].

La deuxième Ă©tape est la cuisson, ou le « pâtissage Â», des mazelles obtenues. Le foyer vide est comblĂ© de brasque jusqu'au niveau de la tuyère. Une cinquantaine de kilos de fragments de mazelles est posĂ©e devant la tuyère, recouverte de poussier ou de petit charbon de bois. Un feu très doux est donnĂ© par la tuyère qui diffuse un faible dĂ©bit de vent. Ainsi, les blocs de la mazelle s'agglomèrent et se soudent sans qu'il n'y ait fusion de la masse mĂ©tallique. L'opĂ©ration, qui dure 3/4 d'heure, est recommencĂ©e jusqu'Ă  ce que toute la mazelle ait Ă©tĂ© convertie en gâteaux d'environ 50 kg[note 4] - [A 6].

La troisième étape est l'affinage proprement dit. Dans le foyer comblé de brasque jusqu'au niveau de la tuyère, un gâteau est posé d'un côté de la tuyère, et le charbon de bois de l'autre. Le métal est ramolli lentement, et s'écoule en grumeaux dans une dépression aménagée dans la brasque. Pendant cette opération, on ajoute encore des scories riches en fer ou des battitures entre la tuyère et le gâteau. Au bout de 3/4 d'heure, le gâteau est complètement fondu en loupe, et celle-ci est porté au martinet[A 6].

  • 1re Ă©tape (fusion).Les morceaux de fonte brute sont lentement fondus. On y ajoute alors au bain du fer oxydĂ©. Une masse hĂ©tĂ©rogène de fonte Ă  demi-affinĂ©e et d'oxydes se forme instantanĂ©ment : la mazelle.
    1re Ă©tape (fusion).
    Les morceaux de fonte brute sont lentement fondus. On y ajoute alors au bain du fer oxydé. Une masse hétérogène de fonte à demi-affinée et d'oxydes se forme instantanément : la mazelle.
  • 2e Ă©tape (cuisson).La mazelle est chauffĂ©e Ă  feu doux, pour former une masse homogène, le gâteau.
    2e Ă©tape (cuisson).
    La mazelle est chauffée à feu doux, pour former une masse homogène, le gâteau.
  • 3e Ă©tape (affinage).Un gâteau est chauffĂ© et tombe en grumeaux dans le foyer, qui s'agglomèrent pour former la loupe. Celle-ci sera ultĂ©rieurement cinglĂ©e par un martinet.
    3e Ă©tape (affinage).
    Un gâteau est chauffé et tombe en grumeaux dans le foyer, qui s'agglomèrent pour former la loupe. Celle-ci sera ultérieurement cinglée par un martinet.

Performance

Il faut environ 18 heures pour transformer la fonte en barres de fer. Comparée à d'autres méthodes d'affinage, la méthode génère un faible déchet de la fonte, même si on prend en compte que les battitures apportent un fer bon marché[note 5] au procédé. La première étape, de fusion lente en atmosphère oxydante, est un mazéage qui consomme tout le manganèse, évacué sous la forme d'oxyde de manganèse (MnO) avec les scories. Ainsi, lors de la dernière opération, l'oxyde de manganèse ne vient pas diluer les oxydes de fer amenés par les battitures : leur action oxydante est alors maximale lors de l'affinage[A 6]. Cette action préfigure le principe du puddlage gras mis au point vers 1830[8] - [note 6].

Compositions typiques de scories de méthode bergamasque (en % du poids, en fin d'opération)[A 6]
FeO / Fe2O3 MnO SiO2 Al2O3 CaO MgO
Fusion-Mazéage Lecco 38,1 25,7 28,2 6 2
Allevard 45 29 23 1 2 1
Affinage Allevard 1 55,1 19 10,5 1 17 1
Allevard 2 80 8 3,5 0,5 7 0,5


Mais le poids de combustible brûlé atteint au moins le double de celui de la fonte affinée[note 7], le combustible coûte presque autant que la matière première. Ainsi, « ce qu'il y a de plus défectueux dans la méthode bergamasque, c'est la nécessité où est plusieurs fois l'ouvrier pendant l’opération de refroidir à peu près complètement le fourneau afin de reconstruire son feu de brasque[A 7]. » La deuxième étape, qui se fait à plus basse température, interrompt la chauffe et s'avère pénalisante, raison pour laquelle elle est parfois réalisée dans un foyer dédié[A 7].

La méthode bergamasque est proche la méthode nivernaise, cette dernière traitant cependant des fontes grises plus difficiles à affiner et employant plusieurs foyers. La méthode comtoise qui, dans les Alpes françaises, supplante la méthode bergamasque vers 1820, est très supérieure notamment pour la qualité des fers qu'elle permet d'obtenir[A 5] - [A 8].

Consommation et main d'Ĺ“uvre pour produire 100 kg de fer[A 6]
Fonte (kg) Charbon de bois (kg) Main d'Ĺ“uvre (jours)
MĂ©thode bergamasque Lecco / Val Sapina 108 266 0,93
Dongo (air préchauffé) 120 190 0,71
Val Brembana (it) 117 220 0,90
Sovere et Val Camonica 118 280 0,95
MĂ©thode comtoise 135 140 0,84
MĂ©thode nivernaise 135 285 1,00
MĂ©thode wallonne 150 200 1,00
MĂ©thode styrienne 110 300 1,00

Notes et références

Notes

  1. Les procĂ©dĂ©s relatifs Ă  la fabrication d'acier naturel sont, en français, dĂ©signĂ©s sous le nom de « mĂ©thode Â» plutĂ´t que de « procĂ©dĂ© Â».
  2. Le nord de l'Italie a été le berceau de plusieurs innovations technologiques dans l'histoire de la production de l'acier. On relève notamment, en 1463, une description de Le Filarète d'un procédé de fabrication d'acier par la méthode indirecte, c'est-à-dire haut fourneau puis affinage, à Ferriere[1], avec un haut fourneau dont la fonte était coulée deux fois par jour dans de l'eau pour en faire un granulé[2].
  3. La fait que la méthode bergamasque coincide avec la présence de minerais manganésifères ne signifie pas que ses spécificités sont nécessairement dues à ce contexte, ni qu'elle est plus efficace que d'autres pour les traiter.
  4. Audibert, qui décrit en 1842 la méthode telle qu'elle est pratiquée en Lombardie, réemploie le terme des fondeurs italiens cotizzo, pour décrire ces gâteaux[A 6]. En 1775, Grignon relève que les forgerons dauphinois appellent ces gâteaux coti de mazelle[7].
  5. Leur fer contenu dans les battitures coûte cinq fois moins que celui de la fonte[A 6].
  6. Avec des scories aussi oxydées et légèrement basiques, la méthode bergamasque peut donc réaliser une déphosphoration, à l'instar du puddlage gras.
  7. Audibert conteste les auteurs qui Ă©voquent des consommations de combustible atteignant le triple, voire le septuple, du poids de fonte[A 6].

Références

  • Ed. Audibert, « Notice sur l'affinage du fer par la mĂ©thode bergamasque dans les usines de Lombardie », Annales des Mines, Carilian-GĹ“ury et Dalmont,‎ (voir dans la bibliographie)
  1. p. 625-626
  2. p. 613
  3. p. 674
  4. p. 623 ; 632-639
  5. p. 641-642
  6. p. 644-682
  7. p. 660
  8. p. 677-678
  • Émile Gueymard, Statistique minĂ©ralogique, gĂ©ologique, mĂ©tallurgique et minĂ©ralurgique du DĂ©partement de l'Isère, (voir dans la bibliographie)
  1. p. 735
  2. p. 736
  3. p. 774
  4. p. 778
  • Autres rĂ©fĂ©rences
  1. (en) Donald B. Wagner, Science and Civilisation in China : 5. Chemistry and Chemical Technology : part 11 Ferrous Metallurgy : (suite de Joseph Needham), Cambridge University Press, , p. 349–351 ; 354-355
  2. (en) B. G. Awty, « The blast furnace in the Renaissance period: haut fourneau or fonderie? », Transactions of Newcomen Society, vol. 61,‎ 1989–90, p. 67
  3. Corbion 2003, § Fournus
  4. Pierre Judet, « Industrie, sociĂ©tĂ© et environnement. Mines, hauts-fourneaux et forĂŞts de basse Maurienne au XIXe siècle », Siècles, no 42,‎ (lire en ligne)
  5. Compte-rendu des travaux des ingénieurs des mines pendant l'année 1843, Imprimerie royale, (lire en ligne), p. 16
  6. Carl Johann Bernhard Karsten (trad. F. J. Culmann), Manuel de la métallurgie du fer, t. 3, Metz, , 2e éd. (lire en ligne), p. 128-130
  7. Jacques Corbion (préf. Yvon Lamy), Le Savoir… fer — Glossaire du haut fourneau : Le langage… (savoureux, parfois) des hommes du fer et de la zone fonte, du mineur au… cokier d'hier et d'aujourd'hui, , 5e éd. [détail des éditions] (lire en ligne), § Méthode Bergamasque
  8. John Percy (trad. traduction supervisée par l'auteur), Traité complet de métallurgie, Paris, Librairie polytechnique de Noblet et Baudry éditeur, (lire en ligne), p. 461

Voir aussi

Bibliographie

  • Ed. Audibert, « Notice sur l'affinage du fer par la mĂ©thode bergamasque dans les usines de Lombardie », Annales des Mines, Carilian-GĹ“ury et Dalmont, 4e sĂ©rie, t. 1,‎ (lire en ligne)
  • Émile Gueymard, Statistique minĂ©ralogique, gĂ©ologique, mĂ©tallurgique et minĂ©ralurgique du DĂ©partement de l'Isère, , 998 p. (lire en ligne)

Articles connexes

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