Luigia Pallavicini
Luigia Pallavicini, marquise de Pallavicini, nĂ©e Luigia Ferrari le Ă GĂȘnes, Ă©pouse du marquis Domenico Pallavicini puis de Enrico Prier et morte le Ă GĂȘnes, est une femme de l'aristocratie gĂ©noise, inspiratrice de plusieurs poĂštes et notamment d'Ugo Foscolo qui lui a consacrĂ© une ode cĂ©lĂšbre : A Luigia Pallavicini caduta da cavallo.
Biographie
Luigia Ferrari, naĂźt Ă GĂȘnes le dans une trĂšs ancienne famille de Varese Ligure. Elle est la fille d'Antonio Maria Ferrari et Angela Maschio. Luigia est mariĂ©e, Ă l'Ăąge de dix-sept ans, au marquis Domenico Pallavicini, patricien gĂ©nois quadragĂ©naire aux finances dĂ©sastreuses mais au nom illustre dont elle aura une fille. Le mariage est organisĂ© par le frĂšre de ce dernier, religieux de la congrĂ©gation somasque. Son Ă©poux meurt en 1805 et Luigia se retrouve veuve Ă trente-trois ans. Elle aurait ensuite vĂ©cu des amours tumultueuses avec Tito Manzi, professeur de droit criminel Ă l'universitĂ© de Pise, devenu par la suite homme de confiance de Joseph Bonaparte et Joachim Murat Ă Naples[1]. Luigia se remarie Ă quarante-six ans, le , avec Enrico Prier, secrĂ©taire du Consul de France Ă GĂȘnes. Les noces sont cĂ©lĂ©brĂ©es dans l'Ă©glise San Pancrazio de GĂȘnes. Les Ă©poux habitent le palazzo Gio Carlo Brignole, puis s'installent dans celui des Gazzo au Scoglietto, adjacent Ă la villa Rosazza (it). Luigia Prier meurt le Ă soixante-neuf ans. Elle est inhumĂ©e sous la nef centrale du sanctuaire de San Francesco da Paola (it).
Une amazone téméraire et gravement blessée
Ă vingt-huit ans elle est une amazone accomplie mais tĂ©mĂ©raire. Paul ThiĂ©bault[2], rescapĂ© de la bataille de la plaine du PĂŽ, est Ă GĂȘnes Ă la fin de ce printemps 1799. ĂprouvĂ© par la duretĂ© de cette guerre il obtient une pĂ©riode de permission et, dans la perspective de devoir rentrer en France, envisage de vendre ses deux chevaux. Antonino Rocco rapporte, dans son ouvrage sur l'histoire de la RĂ©publique ligure, Genova tra Massena e Bonaparte, le souvenir du gĂ©nĂ©ral consignĂ© dans ses MĂ©moires :
« Parmi les deux, il y avait un arabe, magnifique, trĂšs cĂ©lĂšbre Ă GĂȘnes, et que peu de personnes n'auraient pas souhaitĂ© acquĂ©rir. La signora Pallavicini, l'une des plus belles femmes d'Italie et la meilleure des amazones s'empressa de me demander Ă l'essayer. Je lui Ă©crivis aussitĂŽt que le cheval Ă©tait Ă sa disposition mais que, Ă mon avis, aucune femme utilisant une selle d'amazone ne serait en mesure de le monter parce qu'il faisait continuellement des sauts et des Ă©carts et qu'il Ă©tait d'une vivacitĂ© que ne suffisait Ă calmer ni une douzaine ni une quinzaine de lieues. La Pallavicini me rĂ©pondit en me remerciant des motifs qui m'avaient conduit Ă lui Ă©crire, ajoutant qu'elle n'avait peur d'aucun cheval. »
La jeune marquise allait devoir payer le prix fort le restant de sa vie pour avoir laissĂ© parler son orgueil et sa tĂ©mĂ©ritĂ© en nĂ©gligeant des conseils aussi avisĂ©s. Elle fit donc harnacher le moreau du gĂ©nĂ©ral avec sa selle d'amazone et partit, accompagnĂ©e d'un petit groupe de cavaliers, Ă©prouver les qualitĂ©s du pur-sang. Tant qu'ils Ă©taient dans la ville tout alla bien, l'animal semblait obĂ©ir Ă la jeune femme. L'illusion fut de courte durĂ©e : dĂšs que la petite troupe arriva au « dĂ©sert de Sistri », une vaste plaine en bord de mer, le sang bouillant de la bĂȘte impĂ©tueuse sentit le vent de la libertĂ© et aprĂšs avoir vainement essayĂ© par ses sauts de dĂ©sarçonner sa cavaliĂšre, l'emporta dans une course effrĂ©nĂ©e. Ses Ă©quipiers distancĂ©s, Luisa ne pouvait compter que sur elle-mĂȘme pour se sortir de ce mauvais pas. En femme de caractĂšre, elle prit rapidement la dĂ©cision de dĂ©faire la ceinture qui l'assurait Ă la selle et de se jeter Ă terre sur une partie herbeuse du terrain. Dans ce laps de temps trĂšs court elle avait malheureusement mal estimĂ© l'effet de la vitesse et au lieu de l'herbe atterrit sur un chemin caillouteux oĂč sa tĂȘte se fracassa sur une pierre.
Les blessures gravissimes occasionnées par la chute ne furent certes pas atténuées par le systÚme de soins de l'époque, encore empirique en matiÚre de chirurgie esthétique. Antonino Ronco nous donne la description des dramatiques conséquences de cet accident qu'en a laissée Luigi Tommaso Belgrano (it) :
« Fu giocoforza che il capo sfracellato venisse difeso da una calotta dâargento; e il volto rimase deforme per modo che, a scemare lâorriditĂ degli scomposti lineamenti, la stessa Luisa vi calĂČ un fitto velo, e serbollo per tutta la vita, secondo attestano i non pochi che la conobbero e di lei si rammentano ancora[3]. »
La belle marquise, les poĂštes et le peintre inconnu
Sa disgrĂące physique nouvelle ne fut pas un obstacle Ă l'attrait qu'elle pouvait exercer, les qualitĂ©s de son esprit semblant avoir Ă©tĂ© suffisantes pour troubler encore nombre d'admirateurs. Cependant, c'est sans doute l'impact du drame, rajoutĂ© Ă la fascination pour cette beautĂ© voilĂ©e, qui la rangea dans le cercle des grandes Ă©gĂ©ries des poĂštes italiens Ă commencer par Ugo Foscolo : aurait-il jamais Ă©crit une ode A Luiga Pallavicini sans cette chute ? Nombre de commentateurs rappellent que l'intĂ©rĂȘt du poĂšte pour la Pallavicini Ă©tait essentiellement littĂ©raire. Foscolo s'est en effet surtout basĂ© sur la rĂ©putation de sa beautĂ© passĂ©e, n'ayant rencontrĂ© la jeune femme que trois mois aprĂšs l'accident, lors d'une fĂȘte rassemblant l'Ă©lite de la GĂȘnes rĂ©publicaine en octobre 1799.
Le , Angelo Petracchi publiait un recueil de poésies légÚres intitulé Galleria di ritratti (Galerie de portraits), dans lequel il chantait les louanges de vingt-et-une beautés génoises parmi lesquelles Luigia Pallavicini. Giuseppe Ceroni, ami et frÚre d'armes de Foscolo, éditait, en mars 1880, son Pappagalletto, dans lequel il comparait à différents oiseaux gracieux une vingtaine de représentantes du beau monde féminin, à peu de chose prÚs celles qui avaient déjà inspiré Petracchi. On trouve encore ici Luigia Pallavicini présentée comme une « candida colomba / ch'ha le piume scomposte et rabbuffate. / Ah, l'infelice d'alto ramo piomba / e ne porta le tempio insanguinate[4] ».
Antonino Ronco nous donne la description de la jeune femme laissée par Luigi Tommaso Belgrano (it) dans ses Imbreviature :
« Svelto ed elegantissimo il taglio del corpo. La chioma, tra bionda e nera, come la disse il Petracchi, e « aâ nodi indocile » come notĂČ il poeta di Zante, disposta nella guisa che dicevano alla Titus, e allacciata appena dalla classica vitta scende, in due cascate di ricci, sugli omeri opulenti e sul petto, che una serica veste color nanchino e a tutto scollo, con le risvolte alla Carmagnola, lascia scorgere a metĂ coperto da un candido velo. Dagli orecchi pendono sottili cerchioni dâoro ; grandi e glauchi sono gli occhi, il naso aquilino, la bocca sorridente. Insomma basta uno sguardo a quel viso, perchĂ© sâintenda tutta la veritĂ di questa strofa del Foscolo : « Armoniosi accenti â dal tuo labbro volavano, â E dagli occhi ridenti â Traluceano di Venere â I disdegni e le paci, â La speme, il pianto, e i baci »[5] »
Bien que Belgrano ait affirmĂ© avoir eu le loisir d'admirer deux portraits de la Pallavicini et rencontrĂ© des personnes l'ayant connue personnellement, il semble qu'il se soit basĂ©, pour Ă©laborer sa description, sur le tableau d'un peintre inconnu exposĂ© aujourd'hui Ă la Galleria d'arte moderna (it) de Nervi, Ă GĂȘnes, Ă l'inventaire de laquelle il est inscrit sous le titre Ritratto di Luigia Pallavicini, sans qu'aucune documentation ne vienne confirmer cette attribution.
Annexes
Bibliographie
Notes et références
- Antonino Ronco (Genova tra Massena e Bonaparte, op. cit., p. 22) précise que si les faits sont souvent cités, ils ne sont cependant ni clairs ni vérifiés.
- Futur gĂ©nĂ©ral d'Empire, alors adjoint du gĂ©nĂ©ral Jean-Baptiste Solignac Ă lâarmĂ©e d'Italie, qui fera partie de l'Ă©tat major de Massena et Ă©crira un Journal du siĂšge et du blocus de GĂȘnes.
- « Son crùne fracassé fut inévitablement enserré dans une calotte d'argent ; son visage demeura à tel point déformé que, pour dissimuler l'horreur de ses traits décomposés, Luisa y plaça un voile épais qu'elle porta toute sa vie comme en témoignent tous ceux qui la connaissaient et qui se souviennent encore d'elle. »
- « blanche colombe / qui a les plumes désordonnées et ébouriffées / Ah, la malheureuse d'une haute branche tombe / et en porte les tempes ensanglantées. »
- « Le corps est svelte et d'une rare Ă©lĂ©gance. La chevelure entre blonde et noire, comme l'a dit Petracchi, et « aux nĆuds indociles » comme a notĂ© le poĂšte de Zante, disposĂ©e selon la mode dite alla Titus, et lĂąchement attachĂ©e par la classique vitta (ruban Ă chapeau) descend, en deux cascades de boucles, sur les Ă©paules opulentes et sur la poitrine, qu'une robe soyeuse couleur de nankin et largement dĂ©colletĂ©e avec des revers Ă la « carmagnole », laisse apparaĂźtre Ă moitiĂ© couverte d'un voile blanc. Des oreilles pendent de fins cercles d'or, les yeux sont grands et glauques, le nez aquilin, la bouche souriante. En somme, il suffit d'un regard Ă ce visage pour comprendre la vĂ©ritĂ© de cette strophe du Foscolo : « D'harmonieux accents / de tes lĂšvres volaient / Et de tes yeux rieurs / Transparaissaient de VĂ©nus / Le dĂ©dain et la paix / L'espĂ©rance, les larmes et les baisers »