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Lotta continua

Lotta continua (Lutte continue) est l'une des plus importantes organisations de la « gauche extraparlementaire » italienne de la fin des années 1960 jusqu'au milieu des années 1970.

Une manifestation de Lotta continua en 1973.
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Il s'agit de la principale organisation de tendance opéraïste, aux côtés de Potere operaio.

Au départ, suivant les principes de la théorie opéraïste, Lotta continua prône la stratégie de l'insurrection ouvrière : celle-ci doit naître spontanément à partir des luttes dans les usines, puis, dans un deuxième temps seulement, la lutte armée devrait surgir sui generis d'un affrontement inéluctable avec l'Etat. Mais peu à peu, l'organisation va changer sa stratégie et passer aux actions armées. La plus célèbre est l'assassinat du juge Luigi Calabresi en 1972.

Histoire

Les contexte de l'automne 1969

Lotta continua est créé en par « des militants du groupe Potere Operaio pisano, des militants étudiants de Turin et de Venise, et des groupes de Porto Marghera, Bologne, Naples sur une base idéologique composite : anti-stalinisme, spontanéisme, opéraïsme et maoïsme »[1].

Le contexte italien est alors Ă  des grèves très radicales[2], hors des syndicats, avec occupations, cortèges internes, mais aussi des « corridor de la honte » et autres opĂ©rations punitives Ă  l’encontre des agents de maĂ®trise[2]. Ces grèves sont considĂ©rĂ©es comme « le modèle des jacqueries dans l’entreprise Â»[2], auxquelles les syndicalistes se joignent peu Ă  peu[2]. Entre septembre et , près de 10 000 ouvriers et responsables syndicaux seront inculpĂ©s pour violence, alors que l'agitation dure depuis un an et demi[2].

Les grèves chez Fiat, Pirelli, Italsider et Marzotto

Dans le triangle industriel du nord de l’Italie, les quatre premiers mois de 1968 avaient Ă©tĂ© en effet dĂ©jĂ  Ă©tĂ© marquĂ©s par de nombreuses grèves, Ă  la Fiat de Turin ou Ă  l’Italsider ou encore dans les textiles Marzotto Ă  Valdagno, en VĂ©nĂ©tie, oĂą le conflit prend un tour violent : 42 arrestations[2]. En juin, des ouvriers de Pirelli Ă  Milan, mĂ©contents de l’accord direction/syndicats fondent le premier ComitĂ© unitaire de base (CUB) hors de tout contrĂ´le syndical. Dans ces comitĂ©s se mĂŞlent Ă©tudiants et ouvriers : ce sont les groupes « Lega degli studenti Â» et « Degli operai Â» de GĂŞnes en [2], ou encore le groupe « Avanguardia Operaia Â», nĂ© en 1967 de la rencontre de militants trotskystes de la IVe Internationale et d'ouvriers de Sit-Siemens et Pirelli[2].

La bataille Ă©tudiante de Valle Giulia le 1er mars

La Bataille de Valle Giulia entre des Ă©tudiants et la police, le [3], est considĂ©rĂ©e comme l'un des signes avant-coureurs des annĂ©es de plomb. Les premiers tentent alors de reconquĂ©rir la facultĂ© d'Architecture de l'UniversitĂ© de Rome, que la police occupe depuis la veille après en avoir dĂ©logĂ© les Ă©tudiants Ă  la suite de l'occupation des locaux. Le 1er mars, environ 4 000 personnes se rassemblent Piazza di Spagna. De lĂ , le cortège se sĂ©pare en deux : une partie se rend Ă  la citĂ© universitaire tandis que la majoritĂ© des Ă©tudiants se dirige vers Valle Giulia avec l'intention d'occuper Ă  nouveau la facultĂ© que la police avait investie. La bataille fait 148 blessĂ©s parmi les forces de l'ordre et 478 chez les Ă©tudiants, il n'y a paradoxalement que quatre arrestations. Huit vĂ©hicules de police ont Ă©tĂ© incendiĂ©s et cinq pistolets pris aux agents[4].

Les événements d'avril 1969

La tension reprend l'annĂ©e suivante, cette fois dans le sud de l'Italie. Le Ă  Battipaglia, Carmine Citro, typographe et Teresa Ricciardi, enseignante, sont tuĂ©s par les forces de l'ordre pendant une manifestation contre la fermeture d'une usine de tabacs. La police occupait militairement la ville, la plaçant en Ă©tat de siège et sous la pression des grenades lacrymogènes[5]. Le lendemain, dans toute l'Italie, les Ă©vĂ©nements de Battipaglia provoquent une vague de colère populaire et 12 millions de salariĂ©s se mettent en grève[5]. Toute la province de Salerne est bloquĂ©e pendant 24 heures[5]. Des violences sont rapportĂ©es Ă  Rome, Ă  Florence et Ă  Milan[5].

Puis le , une bombe éclate à Milan, dans le pavillon Fiat de la Foire, causant plusieurs blessés graves[6]

Du jour au lendemain, la plupart des opinions publiques à l’extérieur de l’Italie crurent qu’il s’agissait là d’un signe avant-coureur, sinon de la révolution, du moins de troubles graves qui allaient rapidement s’étendre d’un bout à l’autre de la péninsule[7].

Automne 1969: syndicalistes et comités de base

La révolte gagne ainsi les grandes concentrations industrielles lors de « l’automne chaud » de 1969[2], à la surprise des responsables syndicaux car de 1953 à 1968, toutes les grèves avaient échoué[2] et les conquêtes de la Libération (conseil de gestion, liberté de réunion et des activités politiques notamment) avaient été effacées[2]. Ceux-ci réagissent plutôt bien et les relations entre syndicats et extrême gauche sont assez bonnes jusqu’en 1972, malgré l'activisme des seconds[2]. À partir de 1972, les premiers tentent de reprendre la main car les mouvements s'essoufflent[2]. Parallèlement, la violence est de plus en plus organisée. Un premier groupe armé est fondé en 1969 par l’éditeur Feltrinelli, les Gruppi di azione partigiana (GAP), puis les Brigades Rouges (BR) sont créées en 1970[2]. Elle culminera en 1972, comme en Allemagne et en France.

Les dirigeants

Dans la continuitĂ© idĂ©ologique et territoriale avec le « Pouvoir ouvrier Â» pisan, les dirigeants principaux sont Adriano Sofri (chef de l'organisation), Mauro Rostagno, Guido Viale, Giorgio Pietrostefani, Paolo Brogi et Marco Boato et l'Ă©crivain Erri De Luca. Au plus fort de son existence, le nombre de ses « militants Â» est proche de 30 000 selon l'organisation elle-mĂŞme[8].

Positionnement politique et relations internationales

StĂ©phane Gatti, Ă©tudiant au Centre universitaire de Vincennes, se souvient que les Ă©tudiants Ă©taient totalement fascinĂ©s par « tous ces mots d'ordre qui fonctionnaient en France (et qui) Ă©taient des mots d'ordre de Lotta Continua sur la Fiat Â». L'annĂ©e suivante, il est prĂ©sent Ă  un congrès de Lotta Continua, oĂą Ă©taient prĂ©sentes les trois organisations, ainsi que des gens de toute l‟Europe. Le journal de la Gauche prolĂ©tarienne française, La Cause du peuple, s'y intĂ©resse particulièrement dans un article du numĂ©ro datĂ© d'avril-, titrĂ© « L'essor du mouvement rĂ©volutionnaire en Italie Â». Son directeur AndrĂ© Glucksmann passera un mois Ă  Milan en 1972 pour Ă©tudier le paysage politique[9].

Lors des Grèves de l'industrie automobile française de 1971, « La rĂ©volution culturelle entre dans les usines Â» scande une lettre de « camarades de Renault-Flins de 23 pays Â», publiĂ©e aux cĂ´tĂ©s d'un article de deux pages dans Lotta continua, et titrĂ©e « Fiat-Renault, mĂŞme lutte Â»[10].

Autre similaritĂ© avec le mouvement maoĂŻste français, alors actif dans les prisons, un article du titrĂ© « DĂ©tenus en lutte Â» estime que « la prison est l'Ă©cole de la RĂ©volution Â»[10].

Cette première période, jusqu'en 1972, fut caractérisée par une forte connotation mouvementiste et spontanéiste (mao-spontex). La forte réorganisation qui suivit porta à un remarquable recentrage de l'organisation jusqu'en 1974, quand l'ouverture aux nouveaux mouvements sociaux ne résista pas au changement de climat politique de la seconde moitié des années 1970.

L'affaire de la Piazza Fontana Ă  Milan

Le mouvement et son journal sont persuadés que l'Italie va être l'objet d'un coup d'État militaire, du type de celui survenu en Grèce en 1967[11]. Lorsque est commis l'Attentat de la piazza Fontana à Milan le , qui fait 16 morts et 88 blessés, Lotta Continua affirme qu'il s'agit d'un signal avant-coureur du coup d'État. Au cours de l'enquête, le cheminot anarchiste Giuseppe Pinelli fait une chute mortelle du quatrième étage de la Préfecture de police, où il était interrogé en tant que suspect. Cet incident sera le thème de la pièce de théâtre Mort accidentelle d’un anarchiste de Dario Fo.

La suite de l'enquĂŞte voit l'arrestation de 40 000 personnes. Les mouvements de gauche considèrent que l'attentat et la rĂ©pression qui le suit seraient les prĂ©mices d’une Ă©volution autoritaire en Italie[2]. En effet, au cours de la mĂŞme pĂ©riode, commence une longue sĂ©rie d'attentats, souvent dĂ©signĂ©s dans la presse comme des « massacres d’État », en raison d'hypothèses sur une collusion entre une partie des services secrets avec certains groupes d’extrĂŞme droite[2] :

  • attentat contre un train Ă  Gioia Tauro le (6 victimes, 50 blessĂ©s)[2] ;
  • explosion d’une bombe au passage d’un cortège antifasciste le (8 morts, 94 blessĂ©s)[2].

Selon la presse de gauche de l'époque, entre 1969 et 1975, 83 % des faits dits de violence politique auraient été imputables aux groupes d’inspiration néo-fasciste[2].

La voie de l'insurrection armée

L'année 1972 voit l’accélération du projet insurrectionnaliste de l'autre grande organisation opéraïste, Potere Operaio, et les logiques de surenchère entre organisations qui entraînent la parenthèse militariste de LC[2], l'une répondant de toute évidence au durcissement de l'autre. C'est l'année où la violence de l'extrême-gauche s'attaque à des personnes autre que les simples policiers : meurtre et enlèvements.

De plus, les Brigades rouges entrent en scène. Jusque-là, leurs actions étaient les mêmes que celles des autres groupes activistes[2], mais le survient leur première séquestration, celle du dirigeant de la Sit Siemens Idalgo Macchiarini, relâché le jour même[2].

Comme en Allemagne, le premier semestre est l'occasion de débats intenses sur le recours à la violence au sein de l'extrême gauche, interpellée par la séquestration d'ldalgo Macchiarini et peu après par la mort accidentelle de l'éditeur Giangiacomo Feltrinelli alors qu'il posait une bombe.

L'assassinat du juge Calabresi

Dès le lendemain de la mort de Giuseppe Pinelli, Lotta Continua lance une campagne qui proclame qu'il s'agit d'un assassinat, et, sans apporter aucune preuve, affirme que le commissaire Luigi Calabresi en est responsable. L'enquête démontrera plus tard que le commissaire n'était pas dans la pièce au moment des faits et que la chute avait été due à des causes accidentelles[12]. Le 17 mai 1972, le commissaire Calabresi est assassiné devant son domicile. En 1988, Leonardo Marino, ex-militant de Lotta Continua, avoue avoir servi de chauffeur lors de l'assassinat de Calabresi. Il désigne, comme commanditaires de l'attentat, Adriano Sofri et Giorgio Pietrostefani, et, comme tireur, Ovidio Bompressi. Tous étaient membres de l'organisation Lotta Continua[13] - [2].

La période 1973-1980

Lotta Continua subit plusieurs scissions en 1974 et 1975 :

  • les militants de La Fraction et du Courant crĂ©ent le Comitato Comunista Autonomo ;
  • Ă  Naples, la Commission Prison et les DamnĂ©s de la terre crĂ©ent les Nuclei Armati Proletari ;
  • un autre groupe fonde les Prima Linea avec d'autres groupes ;
  • un autre groupe fonde les Formazioni Armate Comuniste.

Lotta Continua rejoint en 1976 la coalition Démocratie prolétarienne en vue des élections générales. Mais le scrutin est une déception pour la coalition d'extrême gauche, qui n'obtient que 1,5 % des voix ; ce médiocre résultat contribue à la disparition de Lotta continua, qui s'auto-dissout la même année en tant que groupe politique. Son journal continue néanmoins à paraître jusqu'en 1982.

De nombreux membres de Lotta Continua, au cours des années 1980, ont abandonné l'idéologie d'origine pour devenir sympathisants du Parti socialiste italien, soutenant en particulier les positions de son secrétaire Bettino Craxi, après avoir milité au Parti radical (Marco Boato et Mimmo Pinto), ou travaillé à la télévision (Rai ou Fininvest) ou dans divers journaux. Quelques-uns seulement, comme Marco Revelli ou Fulvio Grimaldi, ont adhéré au Parti de la refondation communiste.

Références culturelles et culture populaire

  • Lotta Continua a inspirĂ© Ă  Vini Reilly, leader du groupe de rock britannique The Durutti Column, le titre de leur deuxième album : LC.
  • L'Ă©crivain Nanni Balestrini (1935-2019) va jouer le rĂ´le de chantre littĂ©raire de l'opĂ©raĂŻsme. Il publie en 1971 le roman Vogliamo tutto (Nous voulons tout), dans le but de faire connaĂ®tre les thèses opĂ©raĂŻstes Ă  un plus large public que le milieu estudiantin d'extrĂŞme gauche. Le roman raconte, sous la forme d'un monologue-fleuve, le parcours d'un jeune operaio-massa (« ouvrier de masse », concept de base et « sujet rĂ©volutionnaire » de l'opĂ©raĂŻsme) venu d'un village mĂ©ridional pour travailler Ă  l'usine de FIAT Ă  Turin, oĂą il va se politiser au cours des grèves gĂ©antes. L'organisation Lotta continua est nommĂ©e plusieurs fois dans le texte[14].

Notes et références

  1. Steve Wright, À l'assaut du ciel, Éditions Senonevero, 2007, lire en ligne.
  2. Isabelle Sommier, « « Les années de plomb » : un « passé qui ne passe pas » », Mouvements, nos 27-28,‎ , p. 196-202 (DOI 10.3917/mouv.027.0196).
  3. Nanni Balestrini, Primo Moroni, L'orda d'oro: 1968-1977, Feltrinelli, 1997, p. 397.
  4. (it) Marco Iacona, 1968. Le origini della contestazione globale, Solfanelli, 2008, p. 86-87
  5. Biographie documentée et en photo de Teresa Ricciardi
  6. "La Fiat aux mains des ouvriers. L'automne chaud de 1969 à Turin" par Diego Giachetti et Marco Scavino. aux Éditions Les Nuits Rouges.
  7. " La leçon des émeutes de Battipaglia", par Jacques Nobécourt dans "Le monde diplomatique" de mai 1969
  8. Voir la note 1, page 299 du livre La Fiat aux mains des ouvriers. L'automne chaud de 1969 à Turin Diego Giachetti et Marco Scavino. Éditions Les Nuits Rouges.
  9. Tout! in context 1968-1973, Thèse de Manus McGrogan, (2010) Université de Portsmouth.
  10. Isabelle Sommier, La violence politique et son deuil : L'après 68 en France et en Italie (lire en ligne).
  11. Le Juge et l’Historien. Considérations en marge du procès Sofri par Carlo Ginzburg
  12. « Sentenza contro Luigi CALABRESI e altri per i fatti legati alla morte di Giuseppe Pinelli », Sentenza del Giudice Istruttore,‎ (lire en ligne)
  13. « La Repubblica/cronaca: Calabresi non era nella stanza quando Pinelli volò dalla finestra », sur www.repubblica.it (consulté le )
  14. Nanni Balestrini (trad. de l'italien par Pascale Budillon Puma, postface Ada Tosatti), Nous voulons tout [« Vogliamo tutto »] (roman), Genève, Entremonde, coll. « La Rupture » (no 3), 20 novembre 2012, 2e éd. (1re éd. 2009), 174 p. (ISBN 978-2-940426-24-9)

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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