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Les Bergers

Les Bergers est un tableau peint par Antoine Watteau vers 1717.

Les Bergers
Artiste
Date
Type
Technique
huile sur toile
Dimensions (H Ă— L)
56 Ă— 81 cm
Mouvement
Localisation

Historique

Les Bergers est la version plus aboutie d’une composition reprise par la suite par Wateau dans le Plaisir pastoral (vers 1714-1716, musée Condé).

Description

Les Bergers montre des gens aisĂ©s, citadins venus se divertir Ă  la campagne en jouant les paysans. Au centre, un jeune homme vĂŞtu d’un Ă©lĂ©gant pourpoint au bĂ©ret ornĂ© d’une plume danse avec une jeune femme en robe de satin une danse qui parait ĂŞtre un menuet[1] tandis qu’un musicien joue de la musette. Trois autres couples sont prĂ©sents : le premier observe le spectacle de la danse, tout comme le jeune homme nonchalamment allongĂ© Ă  gauche, l’homme du second tente quelques privautĂ©s sur sa compagne tandis que le troisième tourne le dos Ă  la scène, concentrĂ© sur l’activitĂ© de l’escarpolette. Plusieurs dĂ©tails sont directement inspirĂ©s de peintures de Pierre-Paul Rubens : le musicien, son voisin, le berger qui embrasse sa voisine, ainsi que le chien au premier plan[2]. Le caractère affectĂ© de la scène est accentuĂ© par la prĂ©sence d’un vrai berger, dont les moutons paissent en arrière-plan, presque cachĂ© par les broussailles Ă  l’extrĂŞme droite du tableau.

Thématique

Les Bergers de Watteau sont la transposition picturale du berger de la tradition pastorale de la littĂ©rature française du dĂ©but du XVIIIe siècle. Ils font Ă©galement rĂ©fĂ©rence aux Bergers d’Arcadie du Poussin, mais cette allusion est trompeuse car les pastorales de Poussin reprĂ©sentent une Arcadie mythologique oĂą figurent des bergers idĂ©alisĂ©s de l’AntiquitĂ© classique dans l’esprit romain classique, mais d’oĂą est absente la vie des bergers[3]. Comme les bergers de Fontenelle, les bergers de Watteau sont dans « un demi-vrai Â»[4] qui les rapproche des bergers amoureux et les bergères enrubannĂ©es de l’abbĂ© Du Bos[5]. Le cadre de l’harmonie avec la nature oĂą se prĂ©lassent les bergers et bergères de Watteau, est une convention qui consiste pour la sociĂ©tĂ© aristocratique Ă  Ă©muler un Ă©tat pastoral idĂ©alisĂ© dans les jardins de Versailles, signe que cette convention s’inscrit en particulier dans un dĂ©clin social[6].

Analyse

Longtemps perçus comme une simple pastorale, les Bergers peuvent Ă©galement donner lieu Ă  une interprĂ©tation qui met en avant les sous-entendus galants. En effet, les pastorales de Watteau ne sont pas aussi innocentes qu’elles ne le paraissent, et il est possible d’en donner une lecture, confortĂ©e par les recherches iconographiques[7], dĂ©celant des connotations galantes, voire Ă©rotiques, qui ne doivent pas surprendre dans ce tableau : l’escarpolette symboliserait ainsi l’inconstance fĂ©minine, les deux couples assis le succès promis aux sĂ©ducteurs audacieux. Le chien exprimerait, quant Ă  lui, le dĂ©sir physique, peut-ĂŞtre celui du jeune homme solitaire Ă  gauche[8].

Une autre lecture peut Ă©galement ĂŞtre donnĂ©e des Bergers qui recherche des connotations politiques et sociologiques. « Une telle lecture apparait d’autant plus plausible que le RĂ©gent et son cercle partageaient avec Watteau non seulement le mĂŞme gout pour la pastorale mais aussi un semblable intĂ©rĂŞt pour les implications idĂ©ologiques que le genre Ă©tait susceptible de comporter[8]. Â» Les travaux de Nobert Elias ont montrĂ© que la pastorale pouvait ĂŞtre interprĂ©tĂ©e comme le refuge romantique d’une sociĂ©tĂ© curialisĂ©e[9]. Or le futur RĂ©gent, Philippe d’OrlĂ©ans, dont on sait, par ailleurs, qu’il se livrait lui-mĂŞme au dessin et Ă  la gravure en amateur sous la tutelle de Coypel[10] participant mĂŞme au renouveau du genre en illustrant, en 1714, une rĂ©Ă©dition des Amours pastorales de Daphnis et ChloĂ© de Longus[11]. La poĂ©sie pastorale foisonne de sous-entendus politiques qui sont autant de critiques du pouvoir[8]. Sous son apparente simplicitĂ©, le genre recèle un sens cachĂ© permettant de dĂ©livrer, au-delĂ  de son ton badin, un message subversif par le biais de l’allĂ©gorie et de la mĂ©taphore. la pastorale joue en rĂ©alitĂ© une fonction politique et sociale en dĂ©nonce subtilement sous une forme inoffensive la fin du règne de Louis XIV. En ce sens, les Bergers comportent une charge idĂ©ologique et sont porteurs de sens et de valeurs. Le succès de la pastorale coĂŻncide d’ailleurs avec la contestation croissante, orchestrĂ©e par le futur RĂ©gent, par une sociĂ©tĂ© en rupture avec ce règne, du vieux roi au moyen d’une thĂ©matique qui Ă©nonce ses aspirations au changement et reflète sa vision du monde. La pastorale a accompagnĂ© la montĂ©e en puissance de Philippe d’OrlĂ©ans et ce genre s’est Ă©teint peu après son accession au pouvoir.

Notes

  1. (en) Sarah R. Cohen, « Un bal continuel : Watteau’s Cythera Paintings and Aristocratic Dancing in the 1710s Â», Art History, 17, (no), 1994, p. 174.
  2. Chantilly, musée Condé. Peintures du XVIIIe siècle, p. 151.
  3. (en) Arnold Hauser, Social History of Art, vol. 3, Rococo, Classicism and Romanticism, Londres, Routledge, 2005, 288 p. (ISBN 978-1-13463-745-4), p. 20.
  4. « D’oĂą vient donc que les bergeries plaisent malgrĂ© la faussetĂ© des caractères qui doit toujours blesser ? Aimerions-nous que l’on nous reprĂ©sentât les gens de cour avec une grossièretĂ© qui ressemblât autant Ă  celle des vrais bergers, que la dĂ©licatesse et la galanterie que l’on donne aux bergers ressemble Ă  celle des gens de cour ? Non, sans doute ; mais aussi le caractère des bergers n’est pas faux, Ă  le prendre par un certain endroit. On ne regarde pas Ă  la bassesse des soins qui les occupent rĂ©ellement, mais au peu d’embarras que ces soins causent. Cette bassesse exclurait tout Ă  fait les agrĂ©ments et la galanterie ; mais au contraire la tranquillitĂ© y sert, et ce n’est que sur elle que l’ou fonde tout ce qu’il y a d’agrĂ©able dans la vie pastorale. Il faut du vrai pour plaire Ă  l’imagination ; mais elle n’est pas difficile Ă  contenter ; il ne lui faut souvent qu’un demi-vrai. Â» Bernard Le Bouyer de Fontenelle, Ĺ’uvres de Fontenelle, t. 3, 1re part., Paris, Armand Belin, 1818, p. 59.
  5. Alfred Lombard, L’Abbé Du Bos, un initiateur de la pensée moderne (1670-1742), Paris, Hachette, 1913, 614 p., p. 298.
  6. René Huyghe, L’Univers de Watteau, Paris, Scrépel, 1982, 117 p.
  7. Il a ainsi Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que la composition de l’Indiscret s’inspirait Ă©troitement d’une gravure de Rembrandt, l’Espiègle, qui reprĂ©sente un berger lorgnant les jambes Ă©cartĂ©es d’une bergère accroupie. Voir Ă  ce sujet Guillaume Glorieux, « Watteau, le RĂ©gent les implications idĂ©ologiques du style pastoral Â», op. cit.
  8. Guillaume Glorieux, « Watteau, le RĂ©gent les implications idĂ©ologiques du style pastoral Â», De l’usage de l’art en politique : Histoires croisĂ©es, Marc Favreau ; Guillaume Glorieux ; Jean-Philippe Luis ; Pauline PrĂ©vost, dir. Clermont-Ferrand, Presses de l’UniversitĂ© Blaise Pascal, 2009, 153 p. (ISBN 978-2-84516-426-0), p. 40 et suiv.
  9. Norbert Elias, La Société de cour, Paris, Flammarion, 1985, 330 p.
  10. Claire Gay, Le XVIIIe siècle, Lausanne , Éd. Rencontre, 1966, 208 p.
  11. (en) Philip Stewart, Engraven Desire : Eros, Image & Text in the French Eighteenth Century, Durham , Duke University Press, 1992, 380 p. (ISBN 978-0-82231-177-5), p. 137.

Liens externes

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