Le Grand Ĺ’uvre de Leonardo
Le Grand Œuvre de Leonardo est un tableau de petit format (29 × 36 cm) peint sur panneau de chêne composé de deux planches horizontales assemblées à joint vif.
Artiste |
Maître anonyme |
---|---|
Date |
Fin du XVe, début du XVIe siècle |
Type |
Huile sur bois (chĂŞne) |
Technique | |
Dimensions (H Ă— L) |
29 Ă— 36 cm |
Il porte à son revers le numéro d'inventaire « 229 ». Le thème apparent en est La Tentation, dans la tradition des Tentations de saint Antoine apparue au Moyen Âge, reprise par Jérôme Bosch autour de 1500, et perpétuée jusqu’au milieu du XXe siècle où Max Ernst et Salvador Dali s'affrontent pour livrer leurs versions surréalistes. Une lecture permet de mettre en lumière, en filigrane de cette composition, le thème du Grand œuvre alchimique, sur un mode ésotérique intelligible aux seuls cercles d’initiés.
Le Grand Œuvre de Leonardo a été pour la première fois dévoilé et présenté au grand public dans le documentaire « Le Doute dans les œuvres d’art publiques et privées » diffusé par la chaîne de télévision française France 3 Centre Val-de-Loire en [1].
Historique
Le Grand Œuvre de Leonardo apparait sous l’appellation de Tentation de saint Antoine dans l’inventaire de la galerie de tableaux du château du marquis de Cotton du Puy-Montbrun, érigé non loin de Tarare dans le département du Rhône. Ce château — situé sur la route commerciale qui relie l’Italie à la France et plus au Nord encore, aux Pays-Bas méridionaux dont est le Brabant — est à la fin du XVe, début du XVIe siècle la propriété de son ancêtre : Humbert de Villeneuve[2] - [3].
Datation
En 2007, l’examen dendrochronologique du panneau de chêne du Grand Œuvre de Leonardo a pu être mené à bien sur la planche inférieure, l’autre étant étroite et comptant dès lors peu de cernes de croissances[7]. Cet examen autorise à situer l’année la plus ancienne à partir de laquelle l’arbre de la planche inférieure a pu être abattu en 1439[5]. Il faut encore tenir compte du délai écoulé entre l’abattage des arbres en forêt et l’utilisation du bois en panneaux. Celui-ci comprend le laps de temps nécessaire à l’équarrissage du tronc, au transport du bois, à son débitage en planches, à leur séchage et à la fabrication du panneau proprement dit. Des recherches historiques et archéologiques suggèrent que, pour la période allant du XVe au XVIe siècle, ce délai peut se réduire à quelques mois seulement[8]. Cependant, certaines études dendrochronologiques font état d’un intervalle beaucoup plus important entre le résultat dendrochronologique et la date d’utilisation connue ou estimée[9]. Aucune généralisation ne peut donc être admise à ce sujet. En conséquence, le terminus dendrochronologique proposé pour l’abattage (1439) est également donné pour la confection du support. Bien entendu, s’agissant d’un terminus post quem et non d’une date d’abattage, une réalisation postérieure, dans la seconde moitié du XVe siècle, est parfaitement plausible étant donné le nombre inconnu de cernes de duramen perdus, le nombre réel de cernes d’aubier que comportait l’arbre et l'hypothèse, certes peu vraisemblable mais pas inenvisageable, d'un stockage du bois. Si, dans l’ensemble, le type de panneau du Grand Œuvre de Leonardo est proche des supports employés par les artistes flamands de la fin du Moyen Âge (petit panneau constitué de planches de chêne assemblées à joint vif, au revers soigneusement raboté), plusieurs particularités ont été révélées lors de l’examen (absence de barbes et de bords non peint sur la face du panneau, ainsi que l’absence d’amincissements des rives du panneau au revers), dont la plus frappante est l’origine géographique du bois, non balte contrairement à l’usage systématique flamand[10]. La provenance du bois du nord-est de la France pour un panneau peint dans le style flamand pourrait être le signe d’une production extérieure à la Flandre, soit par un artiste flamand ayant transité et/ou travaillé en France, soit par un artiste français - ou ayant transité en France - formé en Flandre. Ce type d’échange était fréquent entre Flandre et Bourgogne au XVe siècle, la première appartenant à la seconde[5].
En 2008, la datation par le radiocarbone (C14) du panneau de chêne du Grand Œuvre de Leonardo a pu être menée à bien tant sur la planche inférieure que sur la planche supérieure[11]. Les résultats fournis par le laboratoire permettent de calibrer une fourchette d’âge du panneau de 1427 à 1467 qui vient confirmer l’analyse dendrochronologique réalisée précédemment, et ainsi conforter l’hypothèse déjà émise d’une réalisation picturale située dans la seconde moitié du XVe siècle au plus tôt, sans pouvoir écarter l’idée d’une réalisation ultérieure[4].
De 2012 à 2016, diverses analyses non destructive (spectrométrie de fluorescence X ou SFX), puis destructives (stéréo-microscopie d’échantillons de peinture, coupes transversales faites en incluant les échantillons dans une résine de polyester polie jusqu’à obtenir la séquence complète des différentes strates, microscopie optique en lumière visible et ultraviolette des sections transversales, spectroscopie à rayons X à dispersion d'énergie (EDS) couplée avec la microscopie électronique par balayage (SEM) des coupes transversales) ont été réalisées sur la couche picturale du Grand Œuvre de Leonardo. La SFX a révélé une présence majoritaire et massive de plomb (Pb). Le signal de l’élément plomb masquant celui de l’étain (Sn), la présence de cet élément n’a pu être détectée dans aucun des spectres lors de cette analyse non destructive. Les analyses destructives effectuées en complément par la suite ont non seulement permis de détecter cet élément dans la couche picturale du Grand Œuvre de Leonardo, mais, qui plus est, de définir la palette complète des pigments utilisés par le peintre : jaune de plomb-étain (type I), mais aussi azurite, blanc de plomb, calcite, fluorite, malachite, noir d’ivoire, ocre rouge, ainsi que divers pigments terrestres naturels. Elles ont également montré la présence de fluorite ainsi que de petites quantités de pigments terrestres naturels et de noir d’ivoire dans la couche d’apprêt. Qui plus est, des inclusions d’organismes fossilisés ont été également formellement identifiées, ce type d’inclusion ayant été documenté chez les peintres du Nord. La fluorite quant à elle a été documentée entre 1470 et 1520 (Sud de l’Allemagne, Tyrol autrichien, Suisse, Hongrie et Silésie polonaise) et jusque dans la première moitié du XVIe siècle en Hollande, ainsi que dans le Massif Central (Puy-de-Dôme- France), les Asturies (Espagne) et les Pyrénées. De l’Oxyde de plomb-étain (type I) a donc bien été identifié dans la palette du peintre, ce pigment ayant été utilisé du XIIIe au XVIIIe siècle mais plus encore du XVe au XVIIe siècle[12].
En , de nouveaux prélèvements sont effectués pour dater par le radiocarbone (C14) le blanc de plomb de la couche picturale du Grand Œuvre de Leonardo et tenter ainsi de préciser la date de sa réalisation. À ce jour, le résultat est toujours en attente[21].
Analyse
La scène du Grand Œuvre de Leonardo s’inspire des motifs de deux dessins à la plume et à l’encre brune : La Tentation de saint Antoine du cabinet des estampes de Berlin et la Scène de l'Enfer du cabinet des estampes de Dresde attribués à l’atelier de Jeronimus Bosch ou à un suiveur[13] - [14].
En 2009, des algorithmes de traitement d'images (seuillage et réseau de neurones) ont été utilisés dans la partie basse et droite du Grand Œuvre de Leonardo. Deux types de signatures ont ainsi été formellement localisés et identifiés : le monogramme « JB » inclus dans un élément de paysage anthropomorphe (profil droit de tête grotesque hirsute) et, en-dessous plus à droite, un cryptogramme (encore indéchiffré à ce jour) inclus dans un cartel en forme de phylactère. Les différents pigments de la palette du peintre n'ayant pas encore été déterminés à l'époque où ce travail a été effectué, en raison des spectres très proches — et donc difficilement discriminables — des signatures et du fond à cet endroit du tableau, aucune extraction complète n'a pu être finalement réalisée[6].
En 2015, un des algorithmes de reconnaissance faciale parmi les plus performants sur le marché mondial[17] a été utilisé pour identifier (1:51) le visage du saint-ermite du Grand Œuvre de Leonardo. Le système a ainsi classé l’ensemble des visages de sa base de données par ordre décroissant en fonction des scores d’appariement obtenus un à un par comparaison. La première position est occupée par le visage du portrait de Turin dessiné à la sanguine communément attribué à Leonardo da Vinci. Le visage du portrait de Léonard de Vinci conservé à la bibliothèque royale de Windsor se place également - mais ce dans une moindre mesure compte-tenu du plus faible score - comme candidat potentiel. Ce résultat a été conforté par un test-match visuel proposé à un panel de 85 personnes : le classement place de la même manière le visage du portrait de Turin communément attribué à Léonard de Vinci en première position, le portrait de Léonard de Vinci conservé à la bibliothèque royale de Windsor occupant le rang 2[15] - [16].
En 2017, la découverte inopinée d'un nouvel élément de paysage anthropomorphe du Grand Œuvre de Leonardo confirme l'hypothèse du portrait de Léonard de Vinci. Il s'agit du profil gauche d'un homme barbu qui se dessine très distinctement plein centre à l'horizontale au tiers inférieur du tableau (de telle sorte qu'il faut faire pivoter le panneau de 90° dans le sens contraire des aiguilles d'une montre pour visualiser ce profil gauche dans sa posture et son maintien naturel). Sourcils broussailleux, nez aquilin et « barbe fleurie » renvoient très explicitement cette fois encore au visage du portrait de Turin communément attribué à Léonard de Vinci. Fort de cette ultime découverte, ce tableau — dont le thème apparent évoque La Tentation de saint Antoine — a été rebaptisé Le Grand Œuvre de Leonardo, référence faite à son acception philosophique intelligible aux seuls cercles d’initiés[1] - [18].
Leon Battista Alberti considérait que « ceux qui ignorent l’art de la géométrie n’ont accès ni aux rudiments ni aux principes raisonnés de la peinture[22] ». Suivant ce précepte, un « tracé régulateur » semble devoir s’imposer en filigrane du Grand Œuvre de Leonardo : un tracé tout à fait original relevé par Hans Schuritz dans un carnet de Léonard de Vinci et rapporté comme une improbable « esquisse de perspective de Léonard » par Erwin Panofsky[19]. Ce « tracé régulateur » appliqué au Grand Œuvre de Leonardo soulevant dès lors la problématique de son appartenance possible à un triptyque originel dont il serait l’élément central principal, dissocié de ses volets latéraux[20].
Attribution
Après plus de dix années d'études, l'attribution définitive du Grand Œuvre de Leonardo ne fait encore l’objet d’aucun consensus. Il reste donc aujourd’hui attribué à un maître anonyme de la fin du XVe, début du XVIe siècle. Néanmoins, quelques éléments troublants mis en exergue au fil des analyses scientifiques semblent à présent orienter définitivement les recherches dans les sphères boschienne et léonardienne, s'agissant d'un artiste flamand ayant transité et/ou travaillé en France, soit encore d'un artiste français - ou ayant transité en France - formé en Flandre. Ce type d’échange étant fréquent entre Flandre et Bourgogne au XVe siècle, la première appartenant à la seconde[1] - [5]. Giorgio Vasari dans la version première des Vies des plus grands architectes, peintres et sculpteurs italiens de Cimabue à nos jours disait de Leonardo da Vinci : « qu’il se forma dans son esprit une doctrine si hérétique qu’il ne dépendait plus d’aucune religion, tenant peut-être davantage à être philosophe que chrétien[23] ». Cette proximité avec l’hérésie faisant partie de la réputation de l’artiste florentin comme le montre encore, par exemple, l’autobiographie imaginaire de Leonardo da Vinci écrite par Giovanni Paolo Lomazzo en 1563[24]. In fine, s’agissant d’authentification, l’auteur d’un tel manifeste pictural ésotérique pourrait être aussi bien Leonardo da Vinci lui-même[25] - [26], qu'un de ses élèves, collaborateur ou franc-maître de son entourage proche ou lointain qui aurait voulu au travers ce tableau rendre un hommage — en forme de témoignage pour la postérité — à son œuvre, dévote pour les profanes, hétérodoxe et sacrée pour les initiés[1].
Notes et références
- Alain-Georges Emonet, Grégoire Grichois & Philippe Gay, « Le doute dans les œuvres d'art publiques et privées », sur France 3 Centre Val-de-Loire,
- Catalogue de l’exposition Léonard de Vinci en France, le maître et ses élèves 500 ans après la traversée des Alpes, 1516-2016, p. 118, 124 à 126 et 134 à 136, Skira, Milan , 2016
- Humbert de Villeneuve est lieutenant général de la sénéchaussée à Lyon de 1490 à 1505, puis second président au Parlement de Toulouse avant d’être nommé premier président au Parlement de Bourgogne à Dijon. Il est par ailleurs propriétaire d’un autre château situé à 50 km du premier, plus au sud, toujours sur cette même route commerciale reliant le midi au septentrion : le château de La Motte à Lyon.
- Christine Oberlin, Résultats d’analyse par le Radiocarbone, La Tentation de saint Antoine X, échantillons 30805 et 30807, CRDC –UMR 5138 CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1, 2008
- Pascale Fraiture et Georges Lambert, Rapport d’analyse dendrochronologique, peinture sur panneau, La Tentation de saint Antoine, production flamande de la fin du XVe ou du début du XVIe siècle, cote P352, IRPA/KIK, Bruxelles (Belg.), 2007
- Bertand Paviet-Solomon, Martin Piponnier, Pascal Berto, Amal Mir & Magali Lavoué sous la direction de Jean Taboury, Projet Traitement des images, recherche et mise en évidence de la signature d'un artiste dans un tableau, Institut d'Optique, Palaiseau, 2009
- Le cerne le plus récent mesuré est daté de 1435, sans aubier conservé. Néanmoins, il est impossible de déterminer avec précision combien d'années séparent la date dendrochronologique du dernier cerne mesuré de la date réelle de l'abattage. Des études statistiques menées par Georges Lambert sur 600 chênes de France, de Suisse, de Belgique et d'Allemagne occidentale, couvrant une période allant de l'Âge du fer jusqu'à nos jours, donnent une fourchette de 4 à 34 cernes d'aubier avec une probabilité de 96,5 %.
- Pascale Fraiture et Kristof Haneka, The dendrochronological analysis of the panel paintings depicting the Life of Saint Martin and the Passion of Christ by Frans Pourbus the Elder, p. 122-129, in Monique Maillard-Luypaert, François Pourbus l’Ancien à Tournai. Les panneaux peints pour l’abbatiale de Saint-Martin. Histoire, iconographie, style, technique, restauration, Scientia Artis no 14, IRPA/KIK, Bruxelles (Belg.), 2017
- Pascale Fraiture, Dendro-archaeological examination of paintings by Pieter Brueghel the Younger, p. 1002-1017, in Dominique Allart & Christina Curie, The Brueg[h]el phenomenon, Paintings by Pieter Bruegel the Elder and Pieter Brueghel the Younger with a special focus on technique and copying practice, Scientia Artis no 8, IRPA/KIK, Bruxelles (Belg.), 2012
- Pascale Fraiture, Results of three campaigns of dendrochronological analysis on the altarpiece of the Adoration of the Mystic Lamb by Hubert and Jan van Eyck (1986-2013), p. 76 Ă 95, in Christina Currie, Bart Fransen, Valentine Henderiks, Cyriel Stroo & Dominique Vanwijnsberghe, Van Eyck Studies, Papers presented at the Eighteenth Symposium for the Study of Underdrawing and Technology in Painting, Brussels, 19-21 septembre 2012, Peeters Publishers, Louvain, 2017
- Pour ce faire, deux carottages profonds ont été pratiqués de part et d’autre du joint qui réunit les deux rives les plus jeunes des deux planches dont est constitué ce panneau. Ces deux prélèvements ont donc été réalisés dans les cernes les plus récents - chronologiquement parlant - des deux planches, supérieure comme inférieure
- Maurizio Seracini, Analytical diagnostics, Temptations of St Anthonius, Editech, Florence, 2018
- « La Tentation de saint Antoine », sur Wikimedia Commons
- (en) « Scene from Hell », sur Wikimedia Commons
- Xavier d’Hérouville, Aurore Caulier & Claude Gaudeau de Gerlicz, « Biométrie appliquée à la reconnaissance faciale de quatre portraits présumés de Leonardo da Vinci », sur HAL archives-ouvertes.fr,
- (en) Xavier d’Hérouville, Aurore Caulier & Claude Gaudeau de Gerlicz, « Biometry applied to facial recognition of four portraits presumed to be of Leonardo da Vinci », sur HAL archives-ouvertes.fr,
- NeoFace© Watch de la société NEC France
- Annie Berthier, archiviste-paléographe, conservateur honoraire de la Bibliothèque Nationale de France et spécialiste des manuscrits et enluminures orientaux
- Erwin Panofsky, La Perspective comme forme symbolique, p. 151, Collection le sens commun, Éditions de Minuit, Paris, 1976 : « Le dessin reproduit par H. Schuritz n'a probablement aucun rapport avec la perspective ; il y manque en effet précisément la ligne la plus importante, à savoir le côté postérieur du carré de base (op. cit. fig.15 Ravaisson-Mollien ms. M fol. 3v) »
- Xavier d’Hérouville, Aurore Caulier & Claude Gaudeau de Gerlicz, « Une perspective secrète à valeur de signature léonardienne ? », sur HAL archives-ouvertes.fr,
- Cyrielle Messager sous la direction de Lucile Beck, thèse de doctorat sur la datation par le carbone 14 de peintures anciennes à base de blanc de plomb, CEA, Saclay, France, 2018
- « Leon Battista Alberti (1404-1472), humaniste polymathe, Livre III : Le Peintre », sur La Culture de A à Z, : « Je fais le vœu que le peintre, autant qu'il est possible, soit savant dans tous les arts libéraux, mais je désire avant tout qu'il soit habile en géométrie (...) Je considère que ceux qui ignorent l'art de la géométrie n'ont accès ni aux rudiments ni aux principes raisonnés de la peinture. En conséquence, j'affirme que les peintres doivent se garder de mépriser la géométrie »
- Anne Sconza sous la direction d’Emmanuelle Hénin, François Lecercle & Lise Wajeman, « Les Anecdotes vasariennes sur Léonard de Vinci, La Théorie subreptice, Les anecdotes dans la théorie de l’art (XVIe-XVIIIe siècle),Brepols Publishers, 2012 », sur HAL archives-ouvertes.fr : « Déjà Baldassar Castiglione avait contribué à diffuser une image sulfureuse de Vinci, génie à l'esprit « chimérique », sans même le citer explicitement. Vasari prolonge ce jugement et rappelle que la curiosité de cet artiste allait très loin, jusqu'à une investigation dans les domaines de la philosophie naturelle et de l'astronomie. En effet la représentation de Léonard de « magicien », passionné par l'observation de la nature et les expériences « alchimiques », résulte d'un manque de connaissances qui dut attendre plusieurs siècles avant d'être comblé (...) La biographie de Vasari contribue au contraire à transmette une image faussée de l'artiste, significativement résumée dans une affirmation de la Torrentiana (édition originale de 1550) de Le Vite de' più eccelenti architetti, pittori, et scultori italiani da Cimabue insino a' tempi nostri, qui est éliminée dans la Giuntina (édition suivante de 1568) »
- Giovanni Paolo Lomazzo, Sciti sulle arti, vol.2, Marchi & Bertolli, Florence, 1974, p. 109 et suivantes : « Je devins finalement si possédé de sciences que je tombais presque dans l’hérésie, car j’étais sur le point de ne pas estimer la religion chrétienne plus que la philosophie »
- Michael Rapp, L'Ésotérisme de Léonard de Vinci, Éditions Bussière, novembre 2017, p. 55, 116 et 117 : « L'ésotérisme tel que nous l'entendons dans cet ouvrage renvoie à une compréhension de l'homme et de l'univers qui dépasse le cadre matériel et s'exprime de manière lisible uniquement par les initiés. En d'autres termes, il s'agit d'une conception spirituelle du monde qui s'exprime dans un langage codé, voire symbolique (...) L'ésotérisme de Léonard de Vinci est donc d'une richesse infinie. Parti d'une simple analogie entre microcosme et macrocosme, entre l'homme et la nature, il a su dépasser tant les assimilations hâtives que les oppositions apparentes pour aboutir à cette vision universelle qu'il chérissait tant. C'est ainsi qu'il inscrit l'homme dans la nature, la lumière dans les ténèbres, l'élément féminin dans la représentation de l'homme. Car l'un comme l'autre ne sont que des visions partielles de la réalité, qui ne prennent de sens que lorsqu'ils sont réunis »
- Claire Guillon, « La Pensée ésotérique de Léonard de Vinci : étude de son œuvre manuscrite, Mémoire de Master 1 Renaissance et Patrimoine, Centre d’Études Supérieures de la Renaissance à Tours] sous la direction de Pascal Brioist, Carnet de recherche, 12 juin 2015, p. 55-56 » : « Après avoir longuement commenté les écrits de Léonard, nous pouvons maintenant envisager l’œuvre de de Vinci à l’aune des quatre caractéristiques qui définissent l’ésotérisme selon Antoine Faivre. Ainsi, il semble indéniable que Léonard considère la Nature comme un être vivant, et qu’il établit des ponts entre les différents niveaux de la réalité, puisque l’homme procède de la Nature qui procède elle-même de Dieu. Cette filiation autorise l’existence de correspondances universelles entre ces différents niveaux de la réalité, comme de Vinci l’envisage avec le macrocosme et le microcosme. L’expérience de la transformation intérieure est peut-être la notion la plus surprenante de la part de Léonard, et pourtant elle semble être au cœur de sa démarche scientifique, cette quête de connaissance qui le pousse toujours plus loin dans sa compréhension des choses de l’univers, de l’Âme vers l’Intellect pour rejoindre l’Un (...) De Vinci s’intéressait à la compréhension du monde, à la fois tangible et intangible ; Léonard scientifique et philosophe, scientifique car philosophe. Ce que nous considérons aujourd’hui comme des caractéristiques propres à l’ésotérisme n’en était pas pour lui. Il n’était pas nécromant, alchimiste, enchanteur, il ne courrait pas après des chimères qu’il condamnait lui-même, il souhaitait simplement comprendre l’univers à une époque où tout restait encore à découvrir. L’étude de l’œuvre manuscrite de Léonard nous amène ainsi à reconsidérer de façon plus globale cette distinction entre science et philosophie telle que nous l’envisageons depuis la révolution scientifique, que nous pouvons plus généralement traduire par la scission entre sciences exactes et sciences humaines. Dès lors, plusieurs réflexions viennent à l’esprit. La première s’inscrit dans la lignée des observations de Bruno Latour : pourquoi cette distinction continue-t-elle d’être aussi prégnante aujourd’hui ? La seconde est d’ordre épistémologique : nous pouvons légitimement nous demander si ce n’est pas un contresens historique que de considérer la compréhension de l’univers avant la " révolution scientifique " comme faisant partie d’une démarche ésotérique. N’est-ce pas tout simplement l’expression des hommes du passé cherchant à connaître les processus du monde qu’ils habitaient ? Le fait que les sciences exactes et les sciences humaines n’étaient envisagées que dans un ensemble cohérent ne devrait-il pas plutôt nous amener à réfléchir à la façon dont nous cherchons à comprendre l’univers aujourd’hui en cloisonnant les choses ? Léonard nous donne sûrement ici une piste à suivre »
Voir aussi
Documentaire vidéo
- Alain-Georges Emonet, Grégoire Grichois & Philippe Gay, « Le doute dans les œuvres d'art publiques et privées », sur France 3 Centre Val-de-Loire,
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