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La Maison verte (roman)

La Maison verte (titre original en espagnol : La casa verde) est un roman de l'écrivain péruvien et espagnol Mario Vargas Llosa publié en 1965[1].
Paru trois ans après La Ville et les Chiens, couronné également par des prix littéraires importants, La Maison verte est un des romans les plus marquants du Boom latino-américain.

Contexte : le témoignage de Mario Vargas Llosa

  • Dans Historia secreta de una novela[2] (1968-1971) Mario Vargas Llosa donne des informations sur ses sources d'inspiration pour La Maison verte, en particulier sur les lieux et le contexte social et politique. L'Ă©crivain a passĂ© une partie de son enfance (Ă  partir de 1945) Ă  Piura, une ville Ă  proximitĂ© de la cĂ´te nord (Pacifique) du PĂ©rou[3], non loin de l'Équateur (au nord), mais Ă  près de 1000 km de la capitale, Lima (au sud) : Piura est « une ville assiĂ©gĂ©e par des Ă©tendues de sable ». Le deuxième lieu du roman est « un minuscule comptoir de la rĂ©gion amazonienne appelĂ© Santa MarĂ­a de Nieva (es) » situĂ© sur les rives du RĂ­o Nieva et du RĂ­o Marañón (es) qui est le « troisième lieu, mobile » ; ce fleuve coule d'ouest en est, vers Iquitos (Ă  1000 km de Piura, jadis capitale pĂ©ruvienne du caoutchouc en Amazonie).
  • La ville, la Maison verte, les Mangaches. Plusieurs Ă©lĂ©ments vĂ©cus ou vus Ă  Piura ont marquĂ© l'imaginaire de l'Ă©crivain : « Les bĂ©bĂ©s ne venaient pas de Paris [transportĂ©s par] de blanches cigognes » ; cette dĂ©couverte est associĂ©e Ă  une « construction rustique [...] sur l'autre rive du fleuve, [...] entièrement peinte en vert, couleur inattendue » ; ce lieu Ă©tait interdit aux enfants, mais ceux-ci allaient l'espionner et ils dĂ©couvraient les « nombreuses visites et, curieusement uniquement masculines [...], nous reconnaissions nos oncles, nos frères, nos propres pères ». L'autre « quartier misĂ©rable » de Piura, « le plus gai et le plus original », Ă©tait « La Mangacheria » ; les Mangaches, descendants des esclaves malgaches et africains, « haĂŻssaient les policiers ».
  • L'Amazonie, la Mission. Vers 1957, l'Ă©crivain voyage en Amazonie avec un anthropologue philanthrope qui lui fait dĂ©couvrir une rĂ©gion « Ă©cartĂ©e Ă  cause du manque de communications », oĂą « la vie Ă©tait pour les PĂ©ruviens quelque chose d'arriĂ©rĂ© et fĂ©roce ; violence et injustice primaient, [non de façon « raffinĂ©e » comme Ă  Lima, mais] sur un mode immĂ©diat et Ă©hontĂ© ». Les religieuses missionnaires y Ă©duquaient des petites filles huambisas et aguarunas qu'elles enlevaient contre leur grĂ© Ă  leurs familles ; les « bonnes mères Â» croyaient « civiliser des petites paĂŻennes » ; en fait, elles obtenaient « exactement le contraire Â» : ces petites filles Ă©taient confiĂ©es « aux reprĂ©sentants de la civilisation qui passaient (officiers, commerçants, ingĂ©nieurs, techniciens) » ; ainsi arrachĂ©es Ă  « la Selva », elles devenaient, « c'Ă©tait prĂ©visible, cuisinières, bonnes dans les bas-fonds des quartiers populaires ou dans les "maisons vertes" ».
  • Violence et exploitation. L'Ă©crivain rappelle aussi le contexte social et politique de l'Ă©poque, troublĂ© et violent. Ainsi il cite l'histoire de « Jum, le maire [d'un] village » qui fut fouettĂ© et torturĂ© en public sur une accusation de complicitĂ© de vol aux dĂ©pens d'Aguarunas, en fait sur ordre du lieutenant-gouverneur ; en effet, Jum avait un projet de coopĂ©rative agricole « pour [permettre aux Aragunas d'] Ă©chapper Ă  la domination des "patrons" qui contrĂ´laient le commerce du caoutchouc et des peaux dans la rĂ©gion. Â» L'Ă©crivain Ă©voque aussi les aventures prĂŞtĂ©es Ă  Tushia, un Japonais, dont on ne sait si c'Ă©tait une victime des « [persĂ©cutions] durant la seconde guerre mondiale Â» ou un bandit, « trouble seigneur fĂ©odal [attaquant et volant] les communautĂ©s aragunas et huambisas. »
  • « Barbarie et matĂ©riel de narration ». DĂ©claration de Mario Vargas Llosa après ces Ă©vocations : « D'un cĂ´tĂ©, toute cette barbarie me rendait furieux : elle rendait patents le retard, l'injustice et l'inculture de mon pays. De l'autre, elle me fascinait : quel formidable matĂ©riel de narration. Â»

Argument

L'argument du roman est bâti sur trois histoires principales[4] qui entremĂŞlent les Ă©poques (sur une longue pĂ©riode de 40 ans) et les lieux : la ville de Piura, un territoire amazonien autour du comptoir Santa MarĂ­a de Nieva et le fleuve Marañón. Se croisent ainsi les destinĂ©es de nombreux personnages, le roman Ă©tant structurĂ© autour des rĂ©cits des vies de Don Anselmo, de Lituma et Bonifacia, de Fuscia et Aqulino, de Lalita et de la Chunga.

  • Ă€ Piura arrive un jour un Ă©tranger, Don Anselmo, qui sympathise avec la population, en particulier avec les Mangaches et un groupe de copains viveurs, machistes[5] et uristes[6], les "Indomptables" ; parmi eux, "l'homme aux deux visages", Lituma.

Quand il est devenu un personnage familier, Don Anselmo fait construire une maison qu'il fait peindre en vert. Il y installe des "pensionnaires" que viennent fréquenter de nombreux hommes de Piura (parmi eux, le Dr Pedro Zevallos). La "Maison verte" provoque la colère des vertueux et du curé, le Père Garcia. Un jour, une manifestation dégénère, la "Maison verte" est incendiée. On sauve de justesse la petite fille de Don Anselmo, "La Chunga". Déclassé, Don Anselmo devient "Le Harpiste", un musicien ambulant qui sera l'employé de sa fille quand, beaucoup plus tard, celle-ci recrée une seconde "Maison verte".

  • En Amazonie, Ă  Santa MarĂ­a de Nieva, se croisent des religieuses, des indigènes aguarunas et huambisas, des reprĂ©sentants de l'autoritĂ© (le Gouverneur, des soldats et des gardes civils), des marchands de caoutchouc et des trafiquants.

Les soldats enlèvent des petites filles et les religieuses les éduquent pour les arracher au "paganisme" et en faire des "chrétiennes". Parmi celles-ci, Bonifacia (une fille de chef ?), très indépendante : elle aide des jeunes filles à s'enfuir. Elle est renvoyée ; elle devient la femme de chambre d'un déserteur de l'armée, Adrian Nieves et sa femme Lalita. Puis elle est recueillie par le "Sergent" (Lituma devenu policier dans la Garde Civile) qui l'épouse. Quand le Sergent est emprisonné à la suite d'une "roulette russe" qui a mal tourné pour son adversaire (Séminario, un riche propriétaire), Bonifacia devient la maîtresse de Josefino, un copain de Lituma. Puis elle sera "La Sauvage", une employée de la seconde "Maison verte" ; elle entretient alors les "Indomptables".

  • Auprès de Santa MarĂ­a de Nieva vivent des Aguarunas cueilleurs (ils rĂ©coltent du caoutchouc) et chasseurs (ils rĂ©cupèrent les peaux). Les marchands de caoutchouc et de peausserie leur achètent leurs produits Ă  des prix infimes.

Quand un chef aguaruna de Urakusa, Jum, veut organiser les Aguarunas pour vendre les produits à leur vrai prix, le Gouverneur, Don Julio Reátegui, le fait torturer (fouet) pour servir d'exemple et imposer les prix des "Patrons". Non vaincu, Jum reviendra régulièrement montrer ses cicatrices et réclamer ce qui est dû à son peuple.
Des trafiquants circulent dans la forêt pour acheter ou voler les boules de caoutchouc récolté, quand les prix ont monté à cause de la Seconde Guerre mondiale, car la vente de caoutchouc est interdite vers les Allemands ou les Japonais.
Parmi ces "bandits-trafiquants", il y a Fuschia, Brésilien d'origine japonaise. Il fait à la fois du commerce et/ou commet des exactions avec sa bande. Il commence sa carrière avec Lalita, puis, quand celle-ci ne supporte plus la violence de son compagnon, elle le quitte pour le pilote déserteur Nieves ; quand celui-ci est arrêté, elle devient la femme d'un autre soldat, "Le Gros". Plus tard, Fuschia est très recherché par la police et l'armée, et le roman suit son long parcours sur la rivière Santiago (un affluent du Rio Marañón) où, devenu vieux et malade (lèpre ?), il se cache grâce à un fidèle compagnon, Aquilino.

Commentaires

  • Ă€ la sortie du roman, l'Ă©crivain et philosophe suisse Henri-Charles Tauxe Ă©crivait : « La Maison verte de Mario Vargas Llosa [...] constitue un tĂ©moignage particulièrement Ă©loquent de la vivacitĂ© toujours renaissante du roman. Cette Ĺ“uvre dense, oĂą se dĂ©ploie un tourbillon de vie d’une intensitĂ© peu commune, vaut aussi bien par son contenu fascinant que par la rigueur très modernisante de la construction. [...] Un roman comme La Maison verte s’impose [...] autant par son ordonnance savante, sa texture très concertĂ©e, que par un souffle d’invention Ă©tonnant, qui anime un univers vous empoignant dès les premières lignes, univers envoĂ»tant, passionnĂ©, dĂ©bordant, comme la forĂŞt vierge oĂą se dĂ©battent frĂ©quemment les personnages du rĂ©cit. [La] vision englobante du romancier rend illusoire tout "rĂ©sumĂ©" de l’intrigue. Les personnages ne sont d’ailleurs pas repliĂ©s sur leurs petites histoires [...]. Ces missionnaires, ces soldats, ces indigènes, ces marchands, ces aventuriers jouent leur rĂ´le Ă  l’intĂ©rieur d’un vaste drame, oĂą la prĂ©sence du fleuve Marañón et la toute-puissante vĂ©gĂ©tation composent davantage qu’un simple dĂ©cor de l’action, mais deviennent des Ă©lĂ©ments mĂŞmes de l’univers romanesque. [...] Cette Ă©norme pâte humaine et naturelle, Llosa la saisit Ă  pleins mots, la façonne, l’agence, sans lui faire perdre sa force primordiale, son impact d’existence directement puisĂ©e aux sources de la rĂ©alitĂ©. La narration mĂŞme, dynamique, extraordinairement colorĂ©e, fait intervenir diffĂ©rents registres de l’écriture : Llosa enchevĂŞtre les tons et les rythmes avec une virtuositĂ© qui se manifeste Ă©galement dans la souplesse avec laquelle est traitĂ©e la dimension temporelle. Â»[7]
  • Pour Bernard SesĂ©[8] : « Cette composition pour ainsi dire polyphonique permet au romancier de restituer, dans un vaste tableau composite et vivant, un autre aspect de la sociĂ©tĂ© pĂ©ruvienne. Le rythme de la narration est admirable, ainsi que le jaillissement de l'invention et de la description : c'est d'un monde total que l'on veut rendre compte. [...] Vargas Llosa analyse sans rĂ©ticence et sans complaisance la rĂ©alitĂ© contemporaine. Un souci de l'information directe et personnelle, la connaissance immĂ©diate des lieux et des ĂŞtres, la rigueur de l'enquĂŞte sociologique sont les fondements de la fiction romanesque de cet Ă©crivain. [...] En ce sens, il prolonge et transpose dans le domaine hispano-amĂ©ricain la tradition des grands romanciers français, principalement Balzac et Flaubert dont lui-mĂŞme, d'ailleurs, se rĂ©clame. Â»[9]

Prix

En 1967, La Maison verte a obtenu :

Annexes

Éditions

  • Édition originale : La Casa verde, Editorial Seix Barral, Barcelone, 1965.
  • Édition française : La Maison verte, trad. Bernard Lesfargues, Gallimard, 1969.

Bibliographie

Liens externes

Notes et références

  1. Copyright de 1965 selon l'édition française (et la date de la lettre de Julio Cortázar, voir les liens externes), parution en 1966 selon le Wikipédia en espagnol.
  2. Historia secreta de una novela de Mario Vargas Llosa est inédit en français (voir la bibliographie). Les phrases citées sont des traductions littérales inédites par Georges Ginelda.
  3. Voir dans la bibliographie : Rafo LeĂłn RodrĂ­guez, Guia de la costa norte.
  4. Voir la page de Wikipédia en espagnol sur La Casa verde. Elle donne un résumé du roman très développé, un portrait de tous les personnages, ainsi que le détail de la complexe structure spatio-temporelle qui montre qu'il y a en fait cinq histoires qui se croisent en trois lieux : deux histoires sont situées à Piura (autour de la "Maison verte" et de la Mangacheria) ; deux autres en Amazonie (autour de la mission et du poste de police de Santa María de Nieva, et de la garnison de Borja) ; enfin une sur les Rios Marañón et Santiago ; c'est pourquoi on peut restreindre l'argument à trois histoires principales.
  5. Voir : Serge Fohr, Le Machisme dans l’œuvre de Mario Vargas Llosa, mémoire de maîtrise d'espagnol, université de Nantes, 1973 ; cité dans la bibliographie de Mario Vargas Llosa par Marie-Madeleine Gladieu, L'Harmattan, 1989.
  6. « Uriste Â» : partisan de l'« Union RĂ©volutionnaire Â» de Luis Miguel Sánchez Cerro, prĂ©sident rĂ©actionnaire du PĂ©rou en 1931, assassinĂ© en 1933 ; afro-pĂ©ruvien nĂ© Ă  Piura, Sánchez Cerro se prĂ©sentait lui-mĂŞme comme un « mâle Â» aux nombreuses conquĂŞtes.
  7. Gazette de Lausanne du 6 septembre 1969, p. 29, sur le site du Temps (Suisse)
  8. Professeur émérite de l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, membre correspondant de la Real Academia Española.
  9. Les dimensions du désir par Bernard Sesé sur le site de l'Encyclopaedia Universalis.
  10. Voir le site de (es) l'Ă©diteur et le blog d'Elisa (Walking around) : Mario Vargas Llosa: Historia secreta de una novela.
  11. Voir le site de l'Ă©diteur.
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