Kibi Daijin nittĆ emaki
Le Kibi Daijin nittĆ emaki (ćć性èŁć „ć甔添), littĂ©ralement le Rouleau du voyage en Chine du ministre Kibi, est un emaki de la fin du XIIe siĂšcle relatant la lĂ©gende associĂ©e aux voyages du ministre japonais Kibi no Makibi en Chine impĂ©riale des Tang au VIIIe siĂšcle. Il est composĂ© dâun long rouleau de papier peint et calligraphiĂ©, aujourdâhui sĂ©parĂ© en quatre parties qui sont dĂ©tenues par le musĂ©e des beaux-arts de Boston.
Artiste |
Inconnu |
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Date |
Fin du XIIe siĂšcle |
Type | |
Technique | |
Dimensions (H Ă L) |
32 Ă 2440,8 cm |
Localisation |
MusĂ©e des beaux-arts de Boston (Ătats-Unis) |
Commentaire |
De nos jours séparés en quatre parties. |
Art des emaki
Apparu au Japon entre le VIe siĂšcle et le VIIIe siĂšcle grĂące aux Ă©changes avec lâEmpire chinois, lâart de lâemaki se diffusa largement auprĂšs de lâaristocratie Ă lâĂ©poque de Heian. Un emaki se compose dâun ou plusieurs longs rouleaux de papier narrant une histoire au moyen de textes et de peintures de style yamato-e. Le lecteur dĂ©couvre le rĂ©cit en dĂ©roulant progressivement les rouleaux avec une main tout en le rĂ©-enroulant avec lâautre main, de droite Ă gauche (selon le sens dâĂ©criture du japonais), de sorte que seule une portion de texte ou dâimage dâune soixantaine de centimĂštres est visible. La narration suppose un enchaĂźnement de scĂšnes dont le rythme, la composition et les transitions relĂšvent entiĂšrement de la sensibilitĂ© et de la technique de lâartiste. Les thĂšmes des rĂ©cits Ă©taient trĂšs variĂ©s : illustrations de romans, de chroniques historiques, de textes religieux, de biographies de personnages cĂ©lĂšbres, dâanecdotes humoristiques ou fantastiques[1]âŠ
Description
Le Kibi Daijin nittĆ emaki Ă©tait composĂ© dâun seul rouleau de 32 cm de haut pour 2 440,8 cm de long, le plus long connu, avant dâĂȘtre sĂ©parĂ© en quatre parties[2] - [3]. Il date de la seconde moitiĂ© du XIIe siĂšcle (fin de lâĂ©poque de Heian ou dĂ©but de lâĂ©poque de Kamakura), oĂč un regain dâintĂ©rĂȘt pour les sujets narratifs et la vie du peuple sâobserve dans les thĂšmes des emaki[4] - [5].
Le personnage principal est le ministre japonais Kibi no Makibi (693-775), dont les voyages diplomatiques Ă la puissante cour des Tang en Chine ont inspirĂ© des chroniques lĂ©gendaires. Lâemaki prend pour thĂšme un Ă©pisode de ces lĂ©gendes : les aventures de Kibi en sĂ©jour au palais impĂ©rial chinois oĂč les intellectuels et nobles chinois voulurent mettre Ă lâĂ©preuve sa sagesse et son intelligence. Reclus dans une tour, Kibi dut accomplir trois tĂąches : rĂ©diger une exĂ©gĂšse dâune volumineuse anthologie chinoise, gagner une partie de go et proposer un commentaire dâun poĂšme sophistiquĂ© et tortueux. Le ministre parvint Ă rĂ©ussir toutes les Ă©preuves, avec lâaide de divinitĂ©s japonaises[2] - [6].
Le rouleau contient six sections, comprenant chacune un texte et une illustration :
- le texte introductif de lâĆuvre est perdu, mais lâimage montre lâarrivĂ©e de Kibi par bateau en Chine, oĂč un groupe d'officiels chinois lâattend pour le conduire au palais, oĂč il sera retenu dans un tour ;
- un dĂ©mon (oni), qui nâest autre que le fantĂŽme (rei) dâAbe no Nakamaro, parvient par ruse Ă sâintroduire dans la tour pour offrir Ă Kibi son aide, rĂ©vĂ©lant sa vĂ©ritable identitĂ© ;
- un officiel chinois soumet Ă Kibi son premier test, Ă©crire lâexĂ©gĂšse de la fameuse anthologie chinoise de poĂ©sie et de littĂ©rature intitulĂ©e Wen Xuan. Le dĂ©mon rĂ©sume alors lâĆuvre Ă Kibi et lâemmĂšne au palais assister Ă une confĂ©rence sur le texte ;
- Kibi rédige son exégÚse sur le dos de calendriers. Un érudit chinois vient éprouver les connaissances de Kibi sur le texte, mais ne peut le mettre en défaut ;
- des officiels de la cour tiennent un conciliabule oĂč ils prĂ©voient de tuer Kibi sâil perd Ă la seconde Ă©preuve : le jeu de go. Le dĂ©mon avertit le ministre de ces sinistres plans et lui enseigne les rudiments du jeu ;
- un maßtre du go vient défier Kibi qui parvient à gagner en avalant une piÚce. Soupçonneux, le maßtre force Kibi à prendre un purgatif, mais ce dernier dissimule la piÚce en recourant à la magie[6] - [7].
Si le rouleau finit sur cette seconde Ă©preuve, le classique de la littĂ©rature japonaise GĆdanshĆ (1104â1108) permet de connaĂźtre la fin de lâhistoire[8] : aprĂšs la rĂ©ussite de Kibi Ă la derniĂšre Ă©preuve grĂące Ă lâintervention surnaturelle dâune araignĂ©e, les Chinois dĂ©cident dâenfermer Kibi jusquâĂ la mort. Ce dernier fait alors disparaĂźtre le soleil et la lune de Chine grĂące Ă lâaide du dĂ©mon, forçant la cour impĂ©riale terrifiĂ©e Ă lui rendre sa libertĂ©. Il est probable quâun second rouleau narrant la fin de la lĂ©gende existait Ă lâorigine, ou dans des versions ultĂ©rieures[9].
Historique
Le rouleau a longtemps appartenu Ă un sanctuaire shinto dĂ©diĂ© Ă Hachiman (Hachiman-gĆ«) de lâancienne province de Wakasa, avec notamment le Ban dainagon ekotoba, avant dâĂȘtre acquis par le clan Sakai. Sakai Tadatae le vend en 1923 Ă Toda Yashichi II, qui sâen dessaisit Ă son tour au profit du musĂ©e des beaux-arts de Boston en 1932, par lâentremise dâun expert du musĂ©e, KĆjirĆ Tomita[10] - [11]. Cette vente Ă lâĂ©tranger provoque lâindignation au Japon, incitant le gouvernement Ă modifier la lĂ©gislation pour limiter ou interdire lâexportation des biens artistiques importants du pays[2] - [12]. Il subsiste en effet extrĂȘmement peu dâĆuvres de la pĂ©riode primitive et classique du yamato-e[6]. Le musĂ©e national de Tokyo possĂšde en revanche une copie rĂ©alisĂ©e par Yamana Tsurayoshi (1836-1902)[13].
Style et composition
Le Kibi Daijin nittĆ emaki appartient comme tous les emaki dâalors au courant de la peinture japonaise yamato-e. Le style est relativement proche de celui du Ban dainagon ekotoba datant Ă peu prĂšs de la mĂȘme Ă©poque et attribuĂ© Ă Tokiwa Mitsunaga, avec des couleurs brillantes utilisĂ©es pour les costumes et les accessoires, mais dans une tonalitĂ© plus rĂ©aliste que poĂ©tique[8]. Tokiwa Mitsunaga Ă©tait un maĂźtre du yamato-e de la fin de lâĂ©poque de Heian et du dĂ©but de lâĂ©poque de Kamakura : le style pictural et les archives peuvent laisser imaginer quâil est aussi lâauteur du Kibi Daijin nittĆ emaki, mais cette hypothĂšse est contestable dâaprĂšs les historiens de lâart en raison des variations stylistiques et de la supĂ©rioritĂ© artistique du Ban dainagon ekotoba[6] - [14]. Lâartiste reste en revanche probablement un peintre de la capitale Kyoto, contemporain de Mitsunaga[6].
La composition est du rouleau est basĂ©e sur la rĂ©pĂ©tition dans les six scĂšnes du mĂȘme dĂ©cor facilement identifiable : la tour, le palais impĂ©rial et la porte du palais. Il sâagit de lâapproche la plus simple pour suggĂ©rer lâĂ©volution temporelle dâun rĂ©cit dans les peintures narratives, utilisĂ©e dans les Ćuvres anciennes comme le Kokawa-dera engi emaki[8]. La profondeur est rendue en perspective cavaliĂšre, sans rĂ©alisme, avec de longues diagonales, tandis quâaucun paysage nâapparaĂźt hormis des arbres qui diminuent de taille Ă lâhorizon[8] - [15].
Les peintures trĂšs colorĂ©es Ă dominante rouge sont rĂ©alisĂ©es avec la technique du tsukuri-e : une premiĂšre esquisse des contours est rĂ©alisĂ©e, puis la couleur opaque est ajoutĂ©e en aplat, enfin les contours et menus dĂ©tails sont redessinĂ©s Ă lâencre par-dessus la peinture[3] - [16].
Lâartiste semble nâavoir quâune connaissance limitĂ©e de lâancienne Chine des Tang, oĂč se dĂ©roule le rĂ©cit : il sâinspire plutĂŽt des peintures bouddhiques japonaises du XIe et XIIe siĂšcles, gĂ©nĂ©ralement basĂ©es sur des modĂšles chinois[8]. Les visages des Chinois sont trĂšs expressifs, presque caricaturaux, mais peu individualisĂ©s. Kibi est quant Ă lui peint dâune façon proche du hikime kagibana : le visage blanc et inexpressif avec quelques traits pour les yeux, le nez et la bouche, mĂ©thode raffinĂ©e en vogue dans les Ćuvres des aristocrates de la cour impĂ©riale tels les Rouleaux illustrĂ©s du Dit du Genji, ici modifiĂ©e par quelques dĂ©tails comme la moustache et les paupiĂšres[17] - [18] - [6].
Historiographie
La reprĂ©sentation du peuple japonais est essentielle dans les emaki, qui constituent donc des documents historiques prĂ©cieux sur la vie quotidienne, les paysages et la culture de lâarchipel. Dans le Kibi Daijin nittĆ emaki, la Chine des Tang, oĂč se dĂ©roule le rĂ©cit, nâest pas peinte avec une grande prĂ©cision, au contraire de plusieurs Ă©lĂ©ments japonais, notamment le bateau utilisĂ© par Kibi et la vaisselle apportĂ©e du Japon comme cadeau diplomatique. Les peintures montrent Ă©galement le jeu de go, millĂ©naire en Asie, tel quâil Ă©tait pratiquĂ© Ă lâĂ©poque, et qui nâa en rĂ©alitĂ© que fort peu changĂ©[9]. Lâintroduction du go au Japon est dâailleurs parfois attribuĂ© Ă Kibi no Makibi[19].
Historiquement, les deux textes les plus anciens subsistants sur les chroniques lĂ©gendaires de Kibi no Makibi sont le GĆdanshĆ et les calligraphies de cet emaki[6].
Bibliographie
- (en) Jan Fontein, « Kibi's Adventures in China: Facts, Fiction, and Their Meaning », Boston Museum Bulletin, musĂ©e des beaux-arts de Boston, vol. 66, no 344,â , p. 49-68 (lire en ligne)
- (en) Peter Glum, The Ban Dainagon ekotoba, the Kibi Daijin nittĆ emaki, and the NenjĆ« gyĆji emaki : a reassessment of the evidence for the work of Tokiwa Mitsunaga embodied in two Japanese narrative scroll paintings of the twelfth century, and one presumably close copy, universitĂ© de New York, , 474 p. (thĂšse)
- Elise Grilli (trad. Marcel Requien), Rouleaux peints japonais, Arthaud, , 56 p.
- (en) Hideo Okudaira (trad. Elizabeth Ten Grotenhuis), Narrative picture scrolls, vol. 5, Weatherhill, coll. « Arts of Japan », , 151 p. (ISBN 978-0-8348-2710-3)
- (en) Keizo Shibusawa et al., « Kibi Daijin nittĆ ekotoba », dans Pictopedia of Everyday Life in Medieval Japan compiled from picture scrolls, universitĂ© de Kanagawa, (lire en ligne)
- (en) Robert T. Paine, Jr., « The Scroll of Kibiâs Adventures in China (Kibi Daijin NittĆ Ekotoba) : A Japanese Painting of the Late Twelfth Century, Attributed to Mitsunaga », Bulletin of the Museum of Fine Arts, musĂ©e des beaux-arts de Boston, vol. 31, no 183,â , p. 2-12 (lire en ligne)
- (ja) JirĆ Umezu, çČććŻșç·Łè”·ç”” ćć性èŁć „ćç””, vol. 6, Kadokawa Shoten, coll. « ShinshĆ« Nihon emakimono zenshĆ« »,â
Références
- (en) KĆzĆ Sasaki, « (iii) Yamato-e (d) Picture scrolls and books », Oxford Art Online, Oxford University Press (consultĂ© le )
- Umezu 1977, p. 4
- Okudaira 1973, p. 123
- (en) SaburĆ Ienaga, Painting in the Yamato style, vol. 10, Weatherhill, coll. « The Heibonsha survey of Japanese art », , 101 p. (ISBN 978-0-8348-1016-7)
- Okudaira 1973, p. 35
- (en) Robert T. Paine, Jr., « The Scroll of Kibiâs Adventures in China (Kibi Daijin NittĆ Ekotoba) : A Japanese Painting of the Late Twelfth Century, Attributed to Mitsunaga », Bulletin of the Museum of Fine Arts, musĂ©e des beaux-arts de Boston, vol. 31, no 183,â , p. 2-12 (lire en ligne)
- Glum 1981, p. 266-271
- Umezu 1977, p. 5
- Shibusawa 1984, p. 72-75
- (en) « Japanese Masterpieces From The Museum of Fine Arts in Boston travel to Tokyo », sur artdaily.com
- « Minister Kibiâs Adventures in China, Scroll 1 », sur www.mfa.org, musĂ©e des beaux-arts de Boston
- (en) Asiatic art in the Museum of Fine Arts, Boston, musée des beaux-arts de Boston, (lire en ligne), p. 39
- (ja) « ćć性èŁć „ć甔添(æšĄæŹ) », sur webarchives.tnm.jp, musĂ©e national de Tokyo
- Glum 1981, p. 298
- Glum 1981, p. 278
- « tsukuri-eăäœăç”” », sur Japanese Architecture and Art Net Users System
- Glum 1981, p. 293
- Umezu 1977, p. 7
- (ja) « ćČçąäŒæ„ăźäŒèȘŹæăăăćć性èŁć „ć甔添ăć Źéäž Â», Asahi Shinbun,â (lire en ligne)
Liens externes
- PremiĂšre partie de lâemaki, site du musĂ©e des beaux-arts de Boston
- DeuxiĂšme partie de lâemaki, site du musĂ©e des beaux-arts de Boston
- TroisiĂšme partie de lâemaki, site du musĂ©e des beaux-arts de Boston
- QuatriĂšme partie de lâemaki, site du musĂ©e des beaux-arts de Boston