Kasuga gongen genki-e
Le Kasuga gongen genki-e (æ„æ„æš©çŸéšèšç””, littĂ©ralement les « rouleaux illustrĂ©s des miracles des divinitĂ©s shinto de Kasuga ») est un emaki composĂ© de vingt rouleaux de soie peints et calligraphiĂ©s rĂ©alisĂ© en 1309 Ă lâĂ©poque de Kamakura. Il rapporte les apparitions et miracles attribuĂ©s aux divinitĂ©s du sanctuaire shinto Kasuga-taisha de Nara. Datant de la toute fin de lâĂąge dâor des emaki, il sâagit dâune des derniĂšres grandes Ćuvres classiques du genre[1].
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Saionji Kinhira (d) |
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Protection |
Art des emaki
Apparu au Japon entre le VIe siĂšcle et le VIIIe siĂšcle grĂące aux Ă©changes avec lâEmpire chinois, lâart de lâemaki se diffusa largement auprĂšs de lâaristocratie Ă lâĂ©poque de Heian. Un emaki se compose dâun ou plusieurs longs rouleaux de papier narrant une histoire au moyen de textes et de peintures de style yamato-e. Le lecteur dĂ©couvre le rĂ©cit en dĂ©roulant progressivement les rouleaux avec une main tout en le rĂ©-enroulant avec lâautre main, de droite Ă gauche (selon le sens dâĂ©criture du japonais), de sorte que seule une portion de texte ou dâimage dâune soixantaine de centimĂštres est visible. La narration suppose un enchaĂźnement de scĂšnes dont le rythme, la composition et les transitions relĂšvent entiĂšrement de la sensibilitĂ© et de la technique de lâartiste. Les thĂšmes des rĂ©cits Ă©taient trĂšs variĂ©s : illustrations de romans, de chroniques historiques, de textes religieux, de biographies de personnages cĂ©lĂšbres, dâanecdotes humoristiques ou fantastiques[2]âŠ
Sujet
Le texte et lâimage du Kasuga gongen genki-e rapportent dâune part les miracles attribuĂ©s aux divinitĂ©s shintos honorĂ©es au Kasuga-taisha (apparitions, oracles, visions, bienfaits, rachats des damnĂ©s...), dâautre part les rites et cĂ©rĂ©monies religieux tenus au sanctuaire[3]. Ce dernier est notamment dĂ©diĂ© Ă quatre principales divinitĂ©s shintos qui sont perçues comme des manifestations de bouddhas (gongen) dans la thĂ©ologie syncrĂ©tique japonaise (thĂ©orie honji suijaku). Ainsi, bien que le sujet principal appartienne au shinto, les thĂšmes et lâiconographie restent trĂšs proches du bouddhisme, prĂ©pondĂ©rant dans les emaki de lâĂ©poque[4]. De nombreuses scĂšnes traitent en rĂ©alitĂ© dâenseignements et lĂ©gendes bouddhiques liĂ©s au KĆfuku-ji. Tant ce temple, majeur au Japon, que le Kasuga-taisha sont historiquement proches du clan Fujiwara, qui souhaitait sans doute honorer ces deux institutions et leur procurer plus de fidĂšles parmi le peuple[5] ; le texte rappelle dâailleurs le rĂŽle protecteur des divinitĂ©s de Kasuga pour le KĆfuku-ji[6]. Cependant, au-delĂ du religieux, câest toute la vie quotidienne des habitants de Nara qui est retranscrite dans les scĂšnes[7].
Le récit se rapproche du genre des recueils de setsuwa (anecdotes médiévales bouddhiques) et des engi (histoires légendaires des temples et sanctuaires), tout en étant imprégné de la poésie classique waka dans laquelle le Kasuga-taisha est un utamakura traditionnel[8].
RĂ©alisation et description
Le Kasuga gongen genki-e est composĂ© de vingt rouleaux de soie longtemps conservĂ©s au Kasuga-taisha, puis depuis 1875 au sein des collections de la maison impĂ©riale. Lâemaki compte quatre-vingt-treize sections composĂ©es dâun texte et dâune illustration relatant plus de cinquante histoires, ainsi quâune introduction et une conclusion[9]. Un rouleau additionnel fait office de prĂ©face et dĂ©taille les peintres et lâĂ©laboration de lâensemble[5]. La hauteur des vingt rouleaux oscille entre 40 et 41,5 cm, et la longueur entre 634,9 (rouleau 18) et 1208,5 cm (rouleau 19)[10].
Le sanctuaire Kasuga est Ă©troitement liĂ© au clan Fujiwara, dont le commanditaire de lâĆuvre, Saionji Kimihira, ministre de la Gauche, descend, expliquant lâusage de la soie, matĂ©riau luxueux et rarement employĂ© pour les emaki[7]. Le peintre ayant supervisĂ© la rĂ©alisation est selon les informations mentionnĂ©es dans le dernier rouleau Takashina Takakane, un artiste de haut rang, directeur de lâe-dokoro de la cour[11]. Les textes relatant les diffĂ©rentes lĂ©gendes ont Ă©tĂ© rĂ©digĂ©s par le moine Kakuen, jeune frĂšre de Kimihira, assistĂ© de deux lettrĂ©s du KĆfuku-ji, Jishin et Hanken. De lâavis des historiens, ils se sont largement inspirĂ©s de chroniques et recueils de lĂ©gendes existants dĂ©jĂ Ă cette Ă©poque, souvent avec des variations[12]. Takatsukasa Mototada et ses trois fils, du clan Fujiwara, ont finalement rĂ©alisĂ© les calligraphies[13].
De nos jours, lâĂ©tat de conservation de lâĆuvre est excellent. Sauf exceptions, seuls des personnages de haut rang â empereurs, shoguns, aristocrates â ont pu consulter ou emprunter lâemaki[14]. Plusieurs copies ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es, dont six complĂštes dĂ©tenues par la famille KajĆ«ji (XVIIIe siĂšcle), la bibliothĂšque YĆmei (YĆmei bunko, XVIIIe siĂšcle), le Kasuga-taisha (XVIIIe siĂšcle), le musĂ©e national de Tokyo (deux exemplaires, 1845 et 1935) et la bibliothĂšque de La DiĂšte (1870)[15].
Style et composition
Le dĂ©but du XIVe siĂšcle dont date lâemaki marque la fin de lâĂąge dâor de lâart des emaki, qui deviendra mineur Ă lâĂ©poque de Muromachi. Le Kasuga gongen genki-e illustre ainsi parfaitement la transition du yamato-e entre les Ă©poques de Kamakura et de Muromachi[17], et lâextrĂȘme diversitĂ© de ses motifs aura une grande influence sur les Ă©coles de yamato-e ultĂ©rieure, notamment lâĂ©cole Tosa[1].
Le style pictural est parfaitement maĂźtrisĂ©, avec des couleurs riches, harmonieuses et Ă©lĂ©gantes ainsi que des lignes Ă©quilibrĂ©es, montrant un art parvenu Ă maturitĂ©. Il en rĂ©sulte un chef-dâĆuvre dâune grande qualitĂ© artistique, au rythme et Ă la composition trĂšs formels[3] - [18]. Le style de Takakane reste par consĂ©quent trĂšs traditionnel, les conventions lâemportant sur lâexpression individuelle de lâartiste[18]. Comme son rang le laisse supposer, le peintre maĂźtrise Ă©galement parfaitement lâiconographie bouddhique trĂšs prĂ©sente dans lâĆuvre[19].
Tant les paysages que les scĂšnes de vie et les architectures apparaissent particuliĂšrement rĂ©alistes et cohĂ©rents selon les diffĂ©rents plans et points de vue ; lâartiste visait sans doute Ă rendre plus convaincantes les lĂ©gendes miraculeuses dĂ©crites dans les rouleaux, mais une volontĂ© de rĂ©alisme caractĂ©rise plus gĂ©nĂ©ralement les arts de lâĂ©poque de Kamakura[19] - [1]. Une influence de la peinture chinoise des Song se ressent sur les dĂ©cors « dâun genre unique », au trait plus impĂ©tueux et Ă la composition organisĂ©e sur trois plans, qui montre que lâatelier de la cour avait su intĂ©grer des Ă©lĂ©ments stylistiques nouveaux Ă leur art[1].
Pour combattre la monotonie due Ă la multiplication des contes et lĂ©gendes rendus par des compositions soignĂ©es, mais relativement statiques et schĂ©matiques, lâartiste individualise ses scĂšnes par le soin apportĂ© aux dĂ©tails. Il intĂšgre Ă©galement parmi les courtes histoires des illustrations plus longues afin de mĂ©nager des moments plus intenses dans la narration[19]. Lâusage de brumes est intensif dans les compositions pour cadrer les scĂšnes et illustrer les faits et gestes des personnages de façon plus intime[21]. Lâimpression gĂ©nĂ©rale vĂ©hiculĂ©e par lâĆuvre reste le calme, la beautĂ© et la tranquillitĂ©[18], au dĂ©triment du dynamisme des traits et du rythme[22].
Le Kasuga gongen genki-e apparaĂźt stylistiquement proche de lâIshiyama-dera engi emaki, du HossĆ-shĆ« hiji ekotoba (aussi nommĂ© GenjĆ SanzĆ e) ou du Komakurabe gyĆkĆ emaki[1] - [23].
Historiographie
La taille et la diversitĂ© des sujets traitĂ©s font de lâĆuvre une source historiographique prĂ©cieuse sur la sociĂ©tĂ© mĂ©diĂ©vale du Japon[24]. Par la prĂ©cision de la mise en scĂšne de la vie quotidienne, lâĆuvre se rattache aux tendances rĂ©alistes en vogue Ă lâĂ©poque de Kamakura. Le septiĂšme rouleau montre par exemple une scĂšne de bugaku, danse traditionnelle japonaise[7].
Bibliographie
- Elise Grilli (trad. Marcel Requien), Rouleaux peints japonais, Arthaud, , 56 p.
- (en) Penelope E. Mason et Donald Dinwiddie, History of Japanese art, Pearson Prentice Hall, , 432 p. (ISBN 978-0-13-117601-0)
- (ja) Seiroku Noma (dir.), æ„æ„æš©çŸé©èšç””, vol. 13, Kadokawa Shoten, coll. « ShinshĆ« Nihon emakimono zenshĆ« »,â (OCLC 19451109) (Kasuga Gongen genki-e)
- (en) Hideo Okudaira (trad. Elizabeth Ten Grotenhuis), Narrative picture scrolls, vol. 5, Weatherhill, coll. « Arts of Japan », , 151 p. (ISBN 978-0-8348-2710-3)
- Madeleine Paul-David, « RĂ©flexions sur le Kasuga gongen genki-e », France-Asie/Asia, vol. 20,â , p. 261-264
- Dietrich Seckel et Akihisa Hasé (trad. Armel Guerne), Emaki, Paris, Delpire, , 220 p. (OCLC 741432053)
- Christine Shimizu, Lâart japonais, Flammarion, coll. « Tout lâart », , 448 p. (ISBN 978-2-08-013701-2)
- (en) Susan C. Tyler, The cult of Kasuga seen through its art, Center for Japanese Studies, University of Michigan, , 214 p. (ISBN 978-0-939512-47-8)
- (en) Royall Tyler, The Miracles of the Kasuga Deity, Columbia University Press, (ISBN 978-0-231-06958-8)
Références
- Madeleine Paul-David, « RĂ©flexions sur le Kasuga gongen genki-e », France-Asie/Asia, vol. 20,â , p. 261-264
- (en) Kozo Sasaki, « (iii) Yamato-e (d) Picture scrolls and books », Oxford Art Online, Oxford University Press (consulté le )
- Grilli 1962, p. 21
- Seckel et Hasé 1959, p. 32
- Noma 1978, p. 1-2
- Tyler 1990, p. 24-25
- (en) Haruki Kageyama et Christine Guth, The arts of Shinto, Weatherhill, (ISBN 978-0-8348-2707-3), p. 93-94
- Tyler 1990, p. 35-40, 127-128
- Tyler 1990, p. 9
- Noma 1978, p. 73
- BĂ©nĂ©zit : Dictionnaire des peintres,sculpteurs, dessinateurs et graveurs, vol. 13, Paris, Ă©ditions GrĂŒnd, (ISBN 2-7000-3023-0), p. 437
- Tyler 1990, p. 14-16
- Seiichi Iwao et Teizo Iyanaga, Dictionnaire historique du Japon, vol. 1, Maisonneuve et Larose, , 2993 p. (ISBN 978-2-7068-1633-8, OCLC 611547596), p. 1459
- Tyler 1990, p. 18-19
- Tyler 1990, p. 20-22
- Noma 1978, p. 9
- Okudaira 1973, p. 38
- Seckel et Hasé 1959, p. 216-219
- Noma 1978, p. 3
- Noma 1978, p. 10
- Okudaira 1973, p. 75
- Noma 1978, p. 4
- (en) Bettina Klein et Carolyn Wheelwright, « Japanese KinbyĆbu: The Gold-Leafed Folding Screens of the Muromachi Period (1333-1573) », Artibus Asiae, vol. 45, nos 2/3,â , p. 101-173 (lire en ligne)
- Okudaira 1973, p. 127
Lien externe
- (ja) PrĂ©sentation du Kasuga gongen genki-e sur le site de lâAgence impĂ©riale.