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Kaisersteg

Le Kaisersteg était une passerelle du faubourg industriel sud-est de Berlin, Treptow-Köpenick, franchissant la Haute Spree. Sa construction a été assurée par un partenariat entre la Sté Wilhelminenhof et l'industriel AEG. Ce nouveau franchissement entre Oberschöneweide et Niederschöneweide reliait la rue Laufen à la rue d'Hasselwerden. Sa charpente filiforme, conçue par Heinrich Müller-Breslau, alors l'un des plus éminents constructeurs, compte au nombre des réalisations les plus prestigieuses du génie civil de la Belle Époque. Le guide Baedeker Berlin et ses environs le décrit comme « techniquement remarquable[1]. » Comme tous les ponts reliant ces deux faubourgs berlinois, il a été dynamité par une unité SS dans les derniers jours de la Seconde guerre mondiale. Il a été reconstruit entre novembre 2005 et septembre 2007, et ouvert à la circulation (sans cérémonie d'inauguration) le 25 septembre 2007[2].

Les maîtres d'ouvrage : SA Wilhelminenhof et AEG

Le Kaisersteg en 1900, vu de l'ouest.
Kaisersteg, 1907

Le PDG d'AEG, Emil Rathenau, en quĂŞte de nouveaux sites (il n'Ă©tait plus possible d'Ă©tendre les usines d'AEG Ă  Oberschöneweide ni Ă  Gesundbrunnen) fit l’acquisition en 1895 de nouveaux terrains des berges de la Spree dans le faubourg de Moabit. Grâce au fleuve, non seulement les usines allaient disposer de suffisamment d'eau et de rejets pour les turbines Ă  vapeur, mais elles seraient desservies par un axe fluvial majeur de l'Empire allemand, et il allait ĂŞtre possible de les raccorder par une antenne ferroviaire industrielle Ă  la ligne de Berlin Ă  Görlitz. AEG amĂ©nagea jusqu'en 1897 sa nouvelle câblerie et la centrale Ă©lectrique d'Oberspree, qui alimentait en courant tout l'est de la capitale allemande, sur diverses parcelles dissĂ©minĂ©es entre la Spree et la rue Wilhelminenhof, sur un plan d'occupation des sols conçu par la sociĂ©tĂ© immobilière Wilhelminenhof. Cette sociĂ©tĂ© offrit mĂŞme les terrains pour la centrale Ă©lectrique, dans l'espoir que cette infrastructure attireraient d'autres industriels dans le quartier. SimultanĂ©ment, elle signait un partenariat avec AEG pour la construction d'une passerelle piĂ©tonne sur le fleuve. Les deux sociĂ©tĂ©s avaient besoin de cette passerelle : pour AEG, elle amĂ©liorait la desserte du dĂ©pĂ´t de Berlin-Schöneweide, en Ă©vitant aux ouvriers un dĂ©tour d'1,5 km vers l'aval, oĂą une passerelle en bois (aujourd'hui remplacĂ©e par le pont Ă  deux niveaux de Treptow-Köpenick) franchissait le fleuve depuis 1891 ; quant Ă  la sociĂ©tĂ© immobilière, elle pourrait valoriser se terrains en multipliant les dessertes depuis la rive nord.

Le projet

Plan-masse du Kaisersteg et de la zone industrielle d'Oberschöneweide.

Le choix de l'emplacement du nouveau franchissement s'avĂ©ra difficile car Ă  Niederschöneweide, la front de rivière Ă©tait dĂ©jĂ  largement bâti et Ă  l'endroit finalement choisi, dans le prolongement de la rue d'Hasselwerden, la Spree s'Ă©vasait Ă  175 m de largeur et accusait un mĂ©andre fort courbe. Les accostages des vapeurs desservant le Wilhelminenhof obstruaient la culĂ©e prĂ©vue Ă  Oberschöneweide, et l’Etablissement Hasselwerder celle de Niederschöneweide. Le projet devait, bien sĂ»r, intĂ©grer les besoins de la navigation fluviale. Le cahier des charges Ă©tait inspirĂ© d’un avant-projet de pont en arc Ă  cinq travĂ©es, rĂ©digĂ© par Carl Deul, l’un des directeurs de la sociĂ©tĂ© immobilière. Le rectangle de navigation de la travĂ©e centrale devait dĂ©gager au moins 7,70 m au-dessus de la retenue normale « pour Ă©pargner aux piĂ©tons l’inconfort des fumĂ©es des bateaux Ă  vapeur[3] » et 40 m d'ouverture.

Les deux maîtres d’ouvrage confièrent la réalisation du projet à l’ingénieur Müller-Breslau, professeur à l’Institut technique de Charlottenburg. Il était assisté de l’ingénieur Karl Bernhard pour le détail des calculs de charpente métallique et pour la direction des travaux. Selon Müller-Breslau lui-même, le « paysage ravissant de notre Haute Spree » appelait « un soin particulier pour le tracé convenable de l’ossature[3]. »

Le projet de MĂĽller-Breslau dĂ©passait de beaucoup les exigences du cahier des charges et compte au nombre des plus belles rĂ©alisations du gĂ©nie civil de la Belle Époque. La portĂ©e de sa travĂ©e centrale, 86 m, soit plus de la moitiĂ© de la largeur du fleuve, offrait un panorama sur toute la Spree, alors que le mĂ©andre Ă©tait encombrĂ© d'une multitude de bateaux Ă  vapeur. Ses deux piles n'obstruaient que 2 % du dĂ©bouchĂ© hydraulique du fleuve (Ă  titre de comparaison, les piles des ponts en arc de Moabit, qui occupaient un mĂ©andre similaire, fermaient 13% du dĂ©bouchĂ© hydraulique, et ceux de l'OberbaumbrĂĽcke, 30%).

Le chantier

Photo du Kaisersteg Ă  son inauguration en 1900: une dentelle en charpente.
La rampe d'accès et ses portiques gothicisants en charpente.

Les piles (deux en rives et deux en rivière) ont Ă©tĂ© levĂ©es par la StĂ© Holzmann & Co. de Francfort-sur-le-Main. Grâce aux terrains en grave sableuse, il n'Ă©tait pas nĂ©cessaire d'entreprendre de fondation sur pieux : ces piles Ă©taient fondĂ©es sur de simples semelles filantes. Ces infrastructures hourdies au mortier de clinker furent Ă©levĂ©es Ă  l'abri de batardeaux en palplanche. Leurs parements furent exĂ©cutĂ©s en granite de SilĂ©sie et, pour les faces amont et aval, d'un appareil en briques bigarrĂ©es fournies par la briqueterie Sauen d'Eberswalde. Les piles se rĂ©trĂ©cissaient vers le haut Ă  moins d'm pour recevoir les bossages d'appui sur une embase carrĂ©e. Chaque culĂ©e en granite supportait la voie large de 3,50 m en l'encadrant d'un portique. L'infrastructure de la passerelle Ă©tait achevĂ©e Ă  l'automne 1897.

La charpente mĂ©tallique est l’œuvre de la StĂ© August Klönne de Dortmund. Hormis un cintre en bois de m de large pour l'exĂ©cution de la travĂ©e centrale, les travaux se passèrent entièrement d'Ă©chafaudages. Le montage de la superstructure dĂ©marra au printemps 1898 : les ouvriers commencèrent par assembler le tablier sur la rive droite (Ă  Oberschöneweide) en quatre parties : les segments de rive et leurs portiques, et les deux demi-arcs de la travĂ©e centrale sans leurs tirants. Il fallut deux bigues sur ponton pour mettre en place ces Ă©lĂ©ments : H. MĂĽller-Breslau avait Ă©quipĂ© ces pontons d'Ă©chafaudages en forme de portique, solidement fixĂ©s aux extrĂ©mitĂ©s. Les deux pontons Ă©taient reliĂ©s par double voie ferrĂ©e de 20 m jusqu'Ă  la rive. Pour charger les segments de passerelle sur les portiques des pontons, il fallit les lever jusqu'Ă  une hauteur d'environ 10 m. Le double convoi acheminait ensuite les morceaux de tablier au droit de leur emplacement dĂ©finitifs, oĂą des palans les levaient un peu au-dessus de leur position dĂ©finitive ; puis ils Ă©taient repris par les grues qui assuraient le positionnement Ă  la hauteur exacte, pour leur clavage. L'ultime Ă©tape fut le dĂ©montage du cintre pour permettre aux pontons de passer sous la travĂ©e centrale. Le montage de la clef de l'arc ne prit qu'une journĂ©e, bien moins que le dĂ©montage des Ă©chafaudages.

Le tirant d'air minimum dĂ©gagĂ© par cet ouvrage filiforme Ă©tait de 4,10 m au-dessus de la retenue normale, mais atteignait m dans la travĂ©e centrale et jusqu'Ă  m dans l'axe de navigation. Cela imposait aux piles de rive une hauteur telle qu'elles surplombaient de m les voies sur berge. Pour l'accès Ă  la passerelle, MĂĽller-Breslau adopta un compromis entre l'escalier et la rampe : une rampe Ă  redans rachetant d'abord une dĂ©nivelĂ©e d'1,20 m, qui s'avĂ©ra cependant fort malcommode pour les cyclistes, brouettes et chariots Ă  bras.

Une fois lancées les travées de rive, on entreprit l'assemblage de la charpente métallique, de la travée centrale et des tabliers en arc. Les portiques étaient ornés de motifs gothicisants (pinacles en verdure, créneaux, rosaces, aigles impériales et allégories de la fée Électricité, comme on en trouvait déjà à la centrale électrique d'Oberspree. Les câbles électriques étaient enfilés à l'intérieur du tablier, les équipements de signalisation à destination de la batellerie fixés et le platelage en bois pour la plate-forme posés. AEG étant maître d’œuvre, l'éclairage utiliserait des lampes électriques : il aura suffi pour cela de quelques ampoules placées sur les candélabres à arc électrique des portiques et à mi-travée.

La passerelle fut ouverte Ă  l'usine de matĂ©riel Ă©lectrique et la câblerie dès le 1er octobre 1898, puis cĂ©dĂ©e au mois de novembre 1898 Ă  la commune d'Oberschöneweide. Le coĂ»t des travaux, ouvrages annexes compris, s'Ă©levait Ă  110 000 Mark-or[4]. L'importance de l'ouvrage lui valut le nom de Kaisersteg.

Destruction et reconstruction

Le 22 avril 1945, des unités SS firent exploser le Kaisersteg et le pont de Treskow (de) pour retarder la progression de l'Armée Rouge. La zone industrielle d'Oberschöneweide perdait ainsi son symbole, et si le pont de Treskow fut reconstruit assez vite, les ruines de la passerelle furent, elles, déblayées et réemployées.

Il y eut bien, au cours de la seconde moitié des années 1950, des projets de reconstruction du Kaisersteg : un article[5] de 1957 indique qu'il figurait au programme du second plan quinquennal de la RDA (1958-1962) ; mais rien ne fut entrepris à l'époque.

Or la privatisation du combinat d'électricité par la Treuhandanstalt après la Réunification allemande fut un échec, et il fallut fermer les usines : c'est ainsi que disparut ce qui avait été pendant un demi-siècle l'une des plus grandes zones industrielles d'Europe. Dans le cadre de la requalification du quartier, on mit à l'étude la reconstruction du Kaisersteg comme franchissement d'une piste cyclable et d'une voie piétonne, pour relier derechef les quartiers d'Oberschöneweide et de Niederschöneweide. L'assemblée vota les crédits d'un concours d'architecture, dont le lauréat fut le bureau munichois Ingenieurgesellschaft Schmitt Stumpf Frühauf [6].

Photo aérienne du nouveau Kaisersteg.

La reconstruction du pont de 140,30 m de portĂ©e et d'environ 400 t reposait sur un concept de pont Ă  haubans, portant une voie de m de largeur utile. Ses pylĂ´nes de 32 m, prĂ©vus pour supporter des tabliers de 48,3 m et 92 m[7] respectivement, avaient une forme de H ; mais pour des raisons de rĂ©sistance (la gĂ©omĂ©trie initiale offrait une prise excessive au vent) , il fallut re-profiler les pylĂ´nes en forme de A. Cette modification s'accompagna d'un surcoĂ»t de 770 000 euros, portant le montant total du projet Ă  4 millions d'euros[8]. L'investissement a Ă©tĂ© pris en charge Ă  75 % par l'Union EuropĂ©enne (Fonds de DĂ©veloppement rĂ©gionaux), Ă  16,67 % par le Land de Berlin et Ă  8,22 % par la RĂ©publique FĂ©dĂ©rale d'Allemagne.

Bibliographie

  • (de) Heinrich MĂĽller-Breslau, « Der Kaisersteg ĂĽber die Spree bei Oberschöneweide. », Zeitschrift fĂĽr Bauwesen., no 50,‎ , p. 65–76, pl. 12–13. Version numĂ©risĂ©e par la Bibliothèque rĂ©gionale de Berlin.
  • Matthias Donath, Denkmale in Berlin: Bezirk Treptow-Köpenick. Ortsteile Nieder- und Oberschöneweide. Michael Imhof Verlag, Petersberg 2005, (ISBN 3-937251-10-3), p. 39.
  • Eckhard Thiemann, Dieter Deszyk et Horstpeter Metzing, Berlin und seine BrĂĽcken. Jaron Verlag, Berlin 2003, (ISBN 3-89773-073-1), p. 181.
  • (de) Anja Schlender, « Kräne, Kunst und Kinder. Oberschöneweide entwickelt sich vom ehemaligen Industriestandort zu einer Wohn- und Arbeitsgegend. », Berliner Zeitung,‎ .

Notes

  1. Berlin und Umgebung. 19e Ă©dition (1921). Verlag Karl Baedeker, Leipzig, p. 188.
  2. « Lokalausgabe für Köpenick », Berliner Woche., 18e année no 40,‎
  3. Heinrich Müller-Breslau, « Der Kaisersteg über die Spree bei Oberschöneweide. », Zeitschrift für Bauwesen., no 50,‎ , p. 66-70.
  4. H. Müller-Breslau, « Der Kaisersteg über die Spree bei Oberschöneweide. », Zeitschrift für Bauwesen., no 50,‎ , p. 75.
  5. Neue Brücke für Schöneweider Arbeiter, in: Berliner Zeitung vom 15 mars 1957, p. 6.
  6. (de) Sabine Flatau, « Filigran über die Spree. », Berliner Morgenpost.,‎ (lire en ligne).
  7. Chiffres donnés par conférence de presse du 4 juin 2007 du Conseil d’arrondissement de Treptow-Köpenick
  8. Sabine Flatau, « Brückenschläge über die Spree. », Berliner Morgenpost,‎ ([http://www.morgenpost.de/printarchiv/berlin/article202834/Brueckenschlaege-ueber-die-Spree.html online).
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