Jeanne des Armoises
Jeanne (ou Claude) du Lis[2] (ou des Lis), dite Jeanne des Armoises, est une femme qui se fit passer pour Jeanne d'Arc après le supplice de celle-ci. Son cas n'est pas isolé à l'époque, un certain nombre de « fausses Jeanne d'Arc » apparaissant dans les années qui suivent la mort de la Pucelle sur le bûcher de Rouen.
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Imposteur, mémorialiste |
Théorie sur les origines royales de Jeanne d'Arc
En 1645 le Père Jérôme Vignier, un oratorien découvre dans les archives d'une branche de la famille des Armoises une chronique du doyen de la collégiale Saint-Thièbault et le contrat de mariage entre « Jehanne la Pucelle » et Robert des Armoises, à Metz. Il en fait faire un extrait certifié conforme devant notaire. Son frère Benjamin fait paraître ses découvertes, après sa mort, dans le Mercure de France de novembre 1686[3].
L'histoire de Jeanne des Armoises telle qu'elle est relatée dans la Chronique du doyen de Saint-Thiébault de Metz, des doutes émis par des chroniqueurs des XVe et XVIe siècles quant à la réalité du supplice de la Pucelle et des textes littéraires de la fin XIXe siècle ne se prétendant pas forcément historiques, ont contribué à l'émergence d'une théorie complotiste : si Jeanne la Pucelle était parvenue là où l’on sait, ce serait parce qu’elle était une bâtarde royale mise en scène à dessein[4], dont la mère aurait été Isabeau de Bavière et le père Louis d'Orléans. Cette « Jeanne » issue d'une relation adultérine aurait ensuite été donnée en nourrice à des laboureurs du village de Domrémy près de Vaucouleurs, enclave française en terres barroises, loin des intrigues et des champs de bataille de la guerre de Cent Ans qui désolaient la France.
L'hypothétique survie de La Pucelle
D’après la chronique du doyen de la collégiale Saint-Thièbault, Jeanne se serait fait connaître le dans la région de Metz affirmant être Jeanne d'Arc échappée au bûcher.
« Claude-Jeanne » aurait fondé son imposture sur une vague ressemblance avec l'héroïne du siège d'Orléans. Les frères de Jeanne d'Arc et quelques membres de l'aristocratie messine auraient feint ou l'auraient reconnue pour leur sœur. Plusieurs personnages naïfs ou douteux auraient pu être dupés ou vouloir devenir les complices de l'aventurière pour tirer quelque subside de l'escroquerie.
Reconnue pour être l'héroïne considérée morte sur le bûcher de Rouen en 1431, elle épouse en à Arlon, dans le duché de Luxembourg, Robert des Armoises, sire de Jaulny, proche parent du sire de Baudricourt, le gouverneur de Vaucouleurs qui avait favorisé la destinée de la Pucelle. Selon les archives, il est issu d'une lignée de fidèles vassaux de Bar et de Lorraine remontant à la fin du XIIIe siècle. Il apparaît comme un exemple du chevalier mercenaire, personnage courant à l'époque. Le sire de Jaulny était un chevalier désargenté et quinquagénaire (un grand âge pour l'époque), réfugié au Luxembourg pour échapper au procès pour félonie que lui intentait son suzerain René Ier d'Anjou, duc de Bar. Là , « Jeanne » aurait également rencontré la duchesse de Luxembourg, Élisabeth de Goerlitz, au train de vie si dispendieux qu'elle dut vendre ses possessions au duc de Bourgogne en 1441.
Vers la fin de la décennie 1430, Jeanne des Armoises côtoie Gilles de Rais mais cet événement demeure « mal documenté et difficile à interpréter », estime l'historien Jacques Chiffoleau[5]. En 1439, le seigneur de Tiffauges confie à un écuyer gascon dénommé Jean de Siquenville « la charge et gouvernement des gens de guerre » qu'il avait précédemment placés sous l'autorité de la fausse Jeanne. Or Jean de Siquenville et ses troupes commettent des pillages en pays angevin et poitevin. Emprisonné sur ordre du dauphin Louis, l'écuyer s'évade et sollicite sa grâce auprès du roi Charles VII[6]. Consécutivement accordée en , une lettre de rémission évoque les péripéties de Siquenville ainsi que l'épisode antérieur entre Claude et Gilles de Rais. Toutefois, le document ne précise pas pourquoi le maréchal de Rais avait relevé la fausse Jeanne de son commandement en 1439[7] - [8] - [9].
L'audience royale et la demande de grâce
Pendant ces quatre ans, elle se serait entretenue par courrier avec le roi Charles VII de France qui, pour les tenants des origines royales de Jeanne d'Arc (qui n'avancent cependant aucun élément tangible accréditant leur hypothèse), serait son demi-frère (dont la légitimité de la naissance a également été contestée).
Jeanne des Armoises obtient finalement une audience du souverain qui est le beau-frère du duc de Bar René Ier d'Anjou et dont la maîtresse Agnès Sorel a été suivante de l'épouse dudit René, la duchesse Isabelle Ire de Lorraine.
D'après une relation tardive du chambellan de Boisy, le roi lui aurait demandé quel était le secret qu’il partageait avec elle. L'« héroïne » se rétracta, disant ne pas connaître le roi, et demanda grâce.
Soumise à une enquête de l'Université et du Parlement de Paris, elle est démasquée et condamnée (?) en 1440[10]. Elle admit publiquement son imposture et se retira avec son mari en son château de Jaulny, où elle termina ses jours.
Postérité
Au XXIe siècle, au visiteur du château de Jaulny, on montre les armes de la Pucelle peintes sur une muraille : une épée pointée vers le haut, entourée de deux fleurs de lys, pénétrant une couronne royale, et les « authentiques portraits de Jeanne et de son mari », Robert des Armoises, tous deux seigneurs de Jaulny, peints dans les caissons d'une cheminée du XVIe siècle.
Jeanne des Armoises ou Jeanne du Lys, a été enterrée en l'église de Pulligny, à proximité du château de Richardménil, également possession de la famille des Armoises.
La ville d'Orléans qui a reconnu Jeanne d'Arc dans Jeanne des Armoises, a, depuis 1440, versé une rente à Isabelle Rommée, la mère de Jeanne d’Arc, une rente dénommée sur les registres au nom d'"Isabeau mère de Jehanne la Pucelle", puis à partir de au nom d'"Isabeau mère de feue Jeanne la pucelle", jusqu'en 1447.
Notes et références
- Beaune 2008, p. 208.
- Jaulny : Jeanne des Armoises, la vraie fausse Jeanne d’Arc, estrepublicain.fr, 11 juil. 2015
- Etienne Weill-Raynal, Le Double secret de Jeanne la pucelle, Le pavillon / Roger Maria, 1972
- Pierre Marot, « La genèse d'un roman : Pierre Caze inventeur de la "bâtardise" de Jeanne d'Arc », in Jeanne d'Arc, une époque, un rayonnement, Paris, Éditions du CNRS, 1982, p. 276.
- Jacques Chiffoleau, « Gilles de Rais, ogre ou serial killer ? », L'Histoire, no 335,‎ , p. 12.
- Quicherat 1849, p. 332-334, document X, extrait d'une lettre de rémission datée du mois de juin 1441, Trésor des Chartes, [lire en ligne].
- Dirk Arend Berents, « The Resurrection of Joan of Arc », dans Dirk Arend Berents et Jan van Herwaarden (dir.), Joan of Arc : Reality and Myth, Hilversum, Verloren, coll. « Publicaties van de Faculteit der historische en kunstwetenschappen » (no 12), , 127 p. (ISBN 90-6550-412-5, lire en ligne), p. 90-92.
- Matei Cazacu, Gilles de Rais, Paris, Tallandier, , 384 p. (ISBN 2-84734-227-3), p. 146.
- Philippe Contamine, Olivier Bouzy et Xavier Hélary, Jeanne d'Arc. Histoire et dictionnaire, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 1214 p. (ISBN 978-2-221-10929-8), p. 318.
- Colette Beaune, « Une nouvelle affaire Jeanne d’Arc », sur Libération.fr,
Annexes
Sources primaires imprimées
- Jules Quicherat ( éd.), Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d'Arc, dite la Pucelle : publiés pour la première fois d'après les manuscrits de la Bibliothèque royale, suivis de tous les documents historiques qu'on a pu réunir et accompagnés de notes et d'éclaircissements, t. 5 : Témoignages des poètes du XVe siècle. Lettres, actes et autres pièces détachées. Témoignages extraits des livres de comptes. Documents relatifs à l'Institution et aux premières célébrations de la fête du 8 mai, jour anniversaire de la délivrance d'Orléans. Documents sur la fausse Jeanne d'Arc qui parut de 1436 à 1440. Supplément aux pièces et extraits concernant la Pucelle. Itinéraire de la Pucelle. Notice littéraire du procès de condamnation. Notice des pièces de la réhabilitation. Table analytique, Paris, Jules Renouard et Cie, , 575 p. (lire en ligne), « Documents sur la fausse Jeanne d'Arc », p. 321-336.
Bibliographie
- Alain Atten, « Jeanne-Claude des Armoises : de la Meuse au Rhin. La trame possible d'une intrigue », Bulletin trimestriel de l'Institut archéologique du Luxembourg, nos 3-4,‎ , p. 35-88.
- Colette Beaune, Jeanne d'Arc. Vérités et légendes, Paris, Perrin, , 234 p. (ISBN 978-2-262-02951-7 et 2-262-02951-2, présentation en ligne).
- Dirk Arend Berents, « The resurrection of Joan of Arc », dans Dirk Arend Berents et Jan van Herwaarden (dir.), Joan of Arc : Reality and myth, Hilversum, Verloren, coll. « Publicaties van de Faculteit der historische en kunstwetenschappen » (no 12), , 127 p. (ISBN 90-6550-412-5).
- Olivier Bouzy, Jeanne d'Arc, l'histoire à l'endroit !, Tours, CLD éditions, , 284 p. (ISBN 978-2-85443-531-3, présentation en ligne).
- Olivier Bouzy, « Fausses Jeanne d'Arc », dans Philippe Contamine, Olivier Bouzy et Xavier Hélary (dir.), Jeanne d'Arc. Histoire et dictionnaire, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 1214 p. (ISBN 978-2-221-10929-8), p. 701-704.
- Mireille Chazan, « La fausse Jeanne d'Arc de Metz », dans Colette Beaune (dir.), Jeanne d'Arc à Blois : histoire et mémoire, Blois, Société des sciences et lettres de Loir-et-Cher (SSLLC), , 265 p. (ISSN 1157-0849), p. 87-106.
- Jacques Choux, « Robert des Armoises, sire de Tichémont », Annales de l'Est, 5e série, no 2 (15e année),‎ , p. 99-147.
- Philippe Contamine, « Fausses Jeanne d'Arc », Lexikon des Mittelalters, 1991, tome 5, p. 345.
- Anatole France, « La dame des Armoises », Revue de Paris, Paris, Bureaux de la Revue de Paris, t. 6, 14e année,‎ , p. 5-20 (lire en ligne)
- Pierre-Gilles Girault, « Jeanne Claude des Armoises, l'usurpation », Histoire du Christianisme Magazine, no 43,‎ , p. 56-60.
- Pierre-Gilles Girault, « La Dame des Armoises, ou la fausse Jeanne d’Arc : une affaire lorraine (1436-2012) », dans Catherine Guyon et Magali Delavenne (dir.), De Domrémy... à Tokyo : Jeanne d'Arc et la Lorraine : actes du colloque universitaire international, Domrémy et Vaucouleurs, 24-26 mai 2012, Nancy, Presses Universitaires de Nancy - Éditions universitaires de Lorraine, coll. « Archéologie, espaces, patrimoines », , 408 p. (ISBN 978-2-8143-0154-2, présentation en ligne), p. 293-310.
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- Marcel Grosdidier de Matons, « De la fausse Pucelle des Armoises », appendice au Mystère de Jeanne d'Arc, Paris, Félix Alcan, 1935, p. 245-272.
- Robert Latouche, « Jeanne la Férone, d'après une lettre de Martin Berruyer, évêque du Mans », La Province du Maine. Bulletin de la Société des archives historiques du Maine, t. XVIII,‎ , p. 418-427.
- Albert Lecoy de La Marche, Une fausse Jeanne d'Arc, Paris, Librairie de Victor Palmé, , 23 p. (lire en ligne)
- Germain Lefèvre-Pontalis, « La Fausse Jeanne d'Arc : à propos du récit de M. Gaston Save », Le Moyen Âge. Bulletin mensuel d'histoire et de philologie, Paris, Librairie Émile Bouillon Éditeur,‎ , p. 97-112 (lire en ligne) et , p. 121-136, [lire en ligne].
- Pierre Marot, Hommage à Pierre Marot, membre de l'Institut, directeur honoraire de l'École nationale des chartes : à l'occasion de sa promotion au grade de Commandeur de la Légion d'Honneur, Paris, École des Chartes, , 217 p. (ISBN 2-900791-00-6), « La genèse d'un roman : Pierre Caze, inventeur de la « bâtardise » de Jeanne d'Arc, fille du duc Louis d'Orléans et d'Isabeau de Bavière », p. 33-70.
- Georges Peyronnet, « La Fausse Jeanne d'Arc : Jeanne des Armoises fut-elle manipulée par les Français ou les Bourguignons ? », Bulletin de l'association des amis du Centre Jeanne d'Arc, no 27,‎ , p. 6-37.
- Hans Georg Prutz, Die Falsche Jungfrau von Orléans 1436-57, Munich, 1911, 48 p.
- Louis Stouff, « Un pari entre deux Arlésiens à propos de Jeanne d'Arc », Bulletin de l'association des amis du Centre Jeanne d'Arc, no 10,‎ , p. 13-17.
- Henry Villard, « Études johanniques : un pari sur la mort de Jeanne d'Arc en 1437 », Bulletin de la Société des amis du Vieux Chinon, t. VIII, no 6,‎ , p. 751-753 (lire en ligne).