Ivresse publique et manifeste en France
En droit pĂ©nal français, l'ivresse publique et manifeste (IPM) est une infraction prĂ©vue par le code de la santĂ© publique rĂ©primant l'Ă©tat d'Ă©briĂ©tĂ© sur la voie publique. Cette infraction ne sanctionne pas un niveau d'alcool, mais un Ă©tat alcoolique qui reprĂ©sente un risque pour d'autres personnes ou pour la personne ivre elle-mĂȘme, et qui crĂ©e un trouble Ă l'ordre public[1].
Cette disposition est crĂ©Ă©e par la loi du [2], appelĂ©e aussi loi ThĂ©ophile Roussel Ă©tablie sous la pression du courant hygiĂ©niste. Elle a Ă©tĂ© incorporĂ©e Ă l'article L. 76 du code des dĂ©bits de boisson par le dĂ©cret du , puis rĂ©amĂ©nagĂ©e, Ă plusieurs reprises, par voie de lois, dâordonnances et de dĂ©crets. La procĂ©dure comporte en 2023 trois temps : un temps policier (interpellation, conduite Ă l'hĂŽpital, placement en chambre de dĂ©grisement, audition), un temps hospitalier qui sâest imposĂ© au fil des ans (examen mĂ©dical et dĂ©livrance d'un « bulletin de non-hospitalisation » lorsque l'Ă©tat de la personne est compatible avec la rĂ©tention) et enfin, un temps judiciaire (rĂ©quisitions de l'officier du ministĂšre public, dĂ©cision du juge de proximitĂ© envers le contrevenant qui encourt une contravention de 2e classe)[3].
ĂlĂ©ments constitutifs
L'article L. 3341-1 du code de la santé publique dispose :
« Une personne trouvĂ©e en Ă©tat d'ivresse dans les lieux publics est, par mesure de police, conduite Ă ses frais dans le local de police ou de gendarmerie le plus voisin ou dans une chambre de sĂ»retĂ©, pour y ĂȘtre retenue jusqu'Ă ce qu'elle ait recouvrĂ© la raison. »
â Article L. 3341-1 du Code la santĂ© publique[4]
L'article R. 3353-1 du mĂȘme code dispose :
« Le fait de se trouver en état d'ivresse manifeste dans les lieux mentionnés à l'article L. 3341-1 est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 2e classe. »
â Article R. 3353-1 du Code la santĂ© publique[5]
La contravention demande donc, pour ĂȘtre constituĂ©e, la rĂ©union d'une ivresse publique et d'une ivresse manifeste.
Ivresse publique
La loi pose le principe général de la répression de l'ivresse dans les lieux publics, citant notamment des lieux particuliÚrement sujets à la manifestation de cas d'ivresse publique : « rues, chemins, places, cafés, cabarets ». Néanmoins, cette liste n'est pas limitative, et les forces de police peuvent constater l'infraction dans d'autres endroits publics.
La question a notamment Ă©tĂ© posĂ©e de savoir si une voiture pouvait ĂȘtre un tel lieu public. Le passager d'une voiture, Ă l'arrĂȘt ou en mouvement, ne peut pas ĂȘtre sanctionnĂ© par cette contravention, car il se trouve en premier lieu Ă l'intĂ©rieur d'un vĂ©hicule privĂ©, avant d'ĂȘtre sur la voie publique[6]. NĂ©anmoins, il a Ă©tĂ© jugĂ© que l'article L3341-1 « ne distingue pas selon que l'individu circule Ă pied ou Ă l'aide d'un vĂ©hicule »[7], ce qui n'empĂȘche pas une rĂ©pression sur le fondement de cet article pour un automobiliste.
Toutefois, le conducteur d'un vĂ©hicule peut ĂȘtre spĂ©cialement sanctionnĂ© pour une infraction de conduite en Ă©tat d'ivresse, qui n'exige pas une ivresse sur la voie publique, ni une ivresse manifeste, mais une imprĂ©gnation alcoolique supĂ©rieure Ă l'alcoolĂ©mie autorisĂ©e. Il n'est, dĂšs lors, pas possible de retenir un conducteur « jusqu'Ă ce qu'il ait recouvrĂ© ses esprits », hors du rĂ©gime de la garde Ă vue, alors que l'ivresse publique n'a pas Ă©tĂ© constatĂ©e, et que le rĂ©gime juridique de cette retenue n'a pas Ă©tĂ© dĂ©fini[8].
Procédure
La juridiction de proximité est compétente pour juger de cette contravention. Avant 2003, le jugement de cette infraction relevait d'un tribunal de police.
- Preuve
- Comme tous les procĂšs verbaux de contravention, ceux-ci font foi jusqu'Ă preuve du contraire. NĂ©anmoins, la preuve contraire ne peut ĂȘtre un simple « doute »[10]. Les agents constateurs doivent prĂ©ciser dans leur procĂšs-verbal les indices rendant manifeste l'ivresse.
- Sanction
- Comme le précise l'article R3353-1 du code de la santé publique, l'ivresse publique et manifeste est punie d'une contravention de deuxiÚme classe. L'échelle des amendes contraventionelles est inscrite à l'article 131-13 du code pénal : la peine maximale encourue pour une contravention de deuxiÚme classe est depuis le une amende de 150 euros.
- En Polynésie française, dans les ßles Wallis et Futuna et en Nouvelle-Calédonie, l'action publique est éteinte de plein droit du fait du paiement d'une amende forfaitaire[11].
Placement
Une fois constatĂ©e, l'ivresse publique doit ĂȘtre suivie par le placement de la personne ivre dans une cellule de dĂ©grisement, jusqu'Ă ce qu'elle ait retrouvĂ© ses pleines capacitĂ©s. Il est nĂ©cessaire que l'ivresse soit manifeste : la loi fait obligation aux forces de police de procĂ©der Ă ce placement, sans exiger une alcoolĂ©mie particuliĂšre, dĂšs lors que l'ivresse est publique[12].
Il est Ă noter qu'une personne mineure ne peut ĂȘtre placĂ©e en chambre de sĂ»retĂ©. Son dĂ©grisement est tout de mĂȘme possible avec un maintien dans le service de police dans l'attente des parents.
Avant ce placement, la personne ivre doit ĂȘtre conduite par les agents devant un mĂ©decin du centre hospitalier le plus proche. Si le placement en cellule de dĂ©grisement n'est pas possible (coma Ă©thylique), la personne sera hospitalisĂ©e ; dans le cas contraire, le mĂ©decin dĂ©livre un certificat de non-hospitalisation, qui autorise les forces de police Ă placer la personne ivre dans une cellule de dĂ©grisement. Ce certificat permet d'Ă©tablir la compatibilitĂ© de l'Ă©tat de la personne avec la mesure de police.
Le temps nĂ©cessaire au dĂ©grisement est gĂ©nĂ©ralement de six heures mais peut ĂȘtre plus long, Ă l'apprĂ©ciation des forces de l'ordre. De plus, celles-ci ne sont pas tenues d'effectuer une mesure de l'Ă©tat d'imprĂ©gnation alcoolique de l'auteur.
PrĂ©cisons que le placement en chambre de dĂ©grisement n'est pas obligatoire, la personne ivre peut ĂȘtre remise Ă un tiers garant et responsable, puis convoquĂ©e ultĂ©rieurement pour ĂȘtre auditionnĂ©e.
Distinction d'autres notions
- Garde Ă vue
- Le placement en chambre de sĂ»retĂ© n'est pas une garde Ă vue : la personne placĂ©e ne peut ainsi se prĂ©valoir des dispositions des articles 63 et suivants du Code de procĂ©dure pĂ©nale (appel tĂ©lĂ©phonique Ă un proche ou Ă son employeur[13], entretien avec un avocat[14] ou un mĂ©decin[15]âŠ)[16]. En revanche, la personne qui, aprĂšs son placement en cellule de dĂ©grisement, « a recouvrĂ© ses esprits » peut alors ĂȘtre placĂ©e en garde Ă vue.
- Emprisonnement
- De mĂȘme, le placement n'est pas une mesure d'emprisonnement, mais une mesure de rĂ©tention administrative : le placement a lieu dans le commissariat de police le plus proche, sous la responsabilitĂ© de l'officier de police judiciaire, et non dans une maison d'arrĂȘt, sous la responsabilitĂ© de l'administration pĂ©nitentiaire.
Notes et références
- Centre d'information et de ressource sur les drogues et les dépendances de la Réunion (http://www.cirdd-reunion.com)
- Didier Nourrisson, Alcoolisme et antialcoolisme en France sous la TroisiÚme République, Documentation française, , p. 597.
- « Rapport d'évaluation de la procédure d'ivresse publique et manifeste (IPM) », sur justice.gouv.fr, .
- Article L. 3341-1 du Code la santé publique, sur Légifrance
- Article R. 3353-1 du Code la santé publique, sur Légifrance
- cf. Ăditions La Baule : Ivresse publique et manifeste
- Cass. crim., , pourvoi no 92-86450 Dr. pénal 1996. Chron. 21, par Lesclous et Marsat
- Cass. crim., , Bull. crim. 2001 no 7 p. 15
- Cass. crim., , pourvoi no 05-87613 ; extrait :
« Il résulte des piÚces du dossier et des débats que l'auteur assermenté du procÚs-verbal de police relÚve que le contrevenant présentait tous les signes caractéristiques de l'ivresse publique et manifeste, à savoir l'haleine sentant fortement l'alcool, les propos incohérents ainsi qu'une démarche titubante. »
- Cass. crim., , pourvoi no 06-87048 ; extrait :
« Attendu que, selon ce texte, les procĂšs-verbaux dressĂ©s par les agents de la police judiciaire font foi jusqu'Ă preuve contraire des contraventions qu'ils constatent ; que la preuve contraire ne peut ĂȘtre rapportĂ©e que par Ă©crit ou par tĂ©moins ;
Attendu que, pour relaxer Jacques X... et Mohamed Y... du chef d'ivresse publique et manifeste, la juridiction de proximité énonce qu'un doute subsiste quant à la commission de l'infraction ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans constater expressément que la preuve contraire aux énonciations du procÚs-verbal avait été rapportée dans les conditions prévues par la loi, la juridiction de proximité a méconnu le texte susvisé ; » - Article 850 du Code de procédure pénale
- alcoloi.html
- Article 63-2 du Code de procédure pénale
- Article 63-4 du Code de procédure pénale
- Article 63-3 du Code de procédure pénale
- Cass. crim., , pourvoi no 98-80662, Bull. civ. 1998 no 229 p. 659, Recueil Dalloz 1998. Informations rapides 239;Dr. pénal 1999. Comm. 16, note Maron.
Annexes
Articles connexes
- Boisson alcoolisée
- Contravention de conduite sous l'empire d'un Ă©tat alcoolique
- DĂ©lit de conduite sous l'empire d'un Ă©tat alcoolique (France)
- Ivresse
- Ivresse publique et manifeste (Tunisie)
Liens externes
- Proposition de loi de Claude Biwer, sénateur, tendant à autoriser la rétention d'une personne dont la conduite violente apparaßt manifestement dangereuse (analogie)
- Circulaire du , publiée au JORF du page 3824, NOR:INTD8900030C (mode de vérification de l'état alcoolique)
- Ăvolution du nombre d'interpellations pour Ivresse Publique et Manifeste en France (2001 - 2004) (Sources statistiques)
- Patrouille de nuit - Interpellation d'une personne en IPM
- Le Figaro, « La police rechigne à gérer l'ébriété publique », Jean-Marc Leclerc, [lire en ligne]