Invasion du Tibet par les Gurkhas
L'invasion du Tibet par les Gurkhas (chinois simplifiĂ© : ć»ć°ćäčćœč ; chinois traditionnel : ć»çŸćäčćœč ; pinyin : ; litt. « bataille (des) Gurkhas » ; nĂ©palais : à€šà„à€Șà€Ÿà€Č-à€à„à€š à€Żà„à€Šà„à€§ translittĂ©ration ISO-15919 : nÄpÄla-cÄ«na yuddha, littĂ©ralement : guerre sino-nĂ©palaise), est l'invasion du Tibet sous la tutelle des Qing par les troupes du royaume du NĂ©pal en 1788 et en 1792, sous le rĂšgne de Jamphel Gyatso (1758-1804), le 8e dalaĂŻ-lama.
Date |
1re 1788 â 1789 2e 1791 â 1793 |
---|---|
Lieu | Tibet |
Issue |
1789 : victoire du Népal, les Tibétains doivent payer un tribut annuel aux vainqueurs[1] 1793 : victoire de la dynastie Qing, les Chinois permettent aux Gurkhas de se retirer du Tibet[2] et le Népal doit verser un tribut annuel à la Chine |
Tibet Dynastie Qing | Royaume du NĂ©pal |
Qianlong Fuk'anggan | Rana Bahadur Shah Prince Bahadur Shah du NĂ©pal Damodar Pande (en) Abhiman Singh Basnyat (en) Kirtiman Singh Basnyat (en) |
10 000 | 10 000 |
inconnues | inconnues |
Guerre sino-népalaise
Ce conflit fait suite Ă un diffĂ©rend commercial entre les deux pays, liĂ© Ă la fabrication au NĂ©pal de piĂšces d'argent de mauvaise qualitĂ© destinĂ©es Ă ĂȘtre Ă©coulĂ©es au Tibet[3]. La guerre oppose d'abord les armĂ©es nĂ©palaises et tibĂ©taines. En 1788-89, les troupes nĂ©palaises du prince Bahadur Shah occupent une partie du Tibet et pillent le monastĂšre de Tashilhunpo Ă ShigatsĂ©. Les TibĂ©tains finissent par signer le traitĂ© de Kerung, oĂč ils s'engagent Ă verser un tribut annuel au NĂ©pal. Cependant, les TibĂ©tains ne versent pas le tribut prĂ©vu et, lorsque le conflit reprend, ils demandent l'intervention de la Chine. Les forces sino-tibĂ©taines commandĂ©es par Fuk'anggan attaquent le NĂ©pal et y pĂ©nĂštrent jusqu'Ă Nuwakot (en), oĂč elles doivent faire face Ă une forte contre-attaque nĂ©palaise. Le conflit s'enlisant, les deux pays finissent par accepter de faire la paix et signent le traitĂ© de Betrawati[1][2].
Présentation des Gurkhas
Les Gurkhas sont des membres du clan rajput Khasi de l'Inde du Nord qui ont émigré du Rajasthan vers le territoire actuel du Népal, au XVIe siÚcle. En 1559, quelques-uns des Gurkhas émigrent vers l'est et se découpent un petit royaume sur le territoire du Népal actuel, à 80 km au nord-ouest de Katmandou, territoire auquel ils donnent le nom de Gorkha.
En 1769, ils s'emparent de la majoritĂ© du territoire actuel du NĂ©pal, alors dirigĂ© par la Dynastie Malla, et s'installent Ă Katmandou, oĂč ils font de l'hindouisme la religion d'Ătat.
Situation avant le début du conflit
En 1650, le 5e dalaĂŻ-lama signe un traitĂ© avec le roi de Patan, Siddhi Narasimha Malla, autorisant le NĂ©pal Ă frapper la monnaie avec des lingots dâargent fournis par les TibĂ©tains. Les rois Malla touchent alors une commission de 12 % [4].
Lorsque Prithvi Narayan, le dirigeant du Royaume Gorkha (en), met en place un blocus Ă©conomique de la vallĂ©e de Katmandou pendant sa campagne d'unification du NĂ©pal, Jaya Prakash Malla (en), le dirigeant de Katmandou, doit fait face Ă une grave crise Ă©conomique. Il essaye de l'attĂ©nuer en frappant des piĂšces d'argent en utilisant un alliage mĂȘlant cuivre et argent. AprĂšs avoir rĂ©ussi Ă conquĂ©rir la vallĂ©e de Katmandou en 1769 et ainsi renforcer la puissance de la dynastie Shah qu'il vient de fonder, Prithvi Narayan relance la frappe de piĂšces en argent pur. Mais Ă ce moment-lĂ , la confiance que la population avait envers les piĂšces frappĂ©es au NĂ©pal est dĂ©jĂ Ă©branlĂ©e, au point que les TibĂ©tains exigent que toutes les piĂšces impures en circulation soient remplacĂ©es par des piĂšces en argent pur. Cette demande reprĂ©sente un Ă©norme fardeau financier pour la dynastie Shah. Prithvi Narayan n'est pas prĂȘt Ă supporter une perte aussi Ă©norme dans une affaire dont il n'est pas responsable, mais il est prĂȘt Ă se porter garant de la puretĂ© des piĂšces nouvellement frappĂ©es. Ainsi, deux types de piĂšces se retrouvent en circulation sur le marchĂ© et, comme ce problĂšme n'est pas rĂ©glĂ© avant la mort de Prithvi Narayan qui survient en 1775, les dirigeants successifs du NĂ©pal se retrouvent les uns aprĂšs les autres Ă devoir le gĂ©rer.
En 1788, le prince Bahadur Shah, le plus jeune fils de Prithivi Narayan Shah, et l'oncle et régent du roi mineur Rana Bahadur Shah, hérite d'une situation qui s'est aggravée. En effet, toujours à cause de ce problÚme de piÚces d'argent de mauvaise qualité[3], le Tibet commence à répandre des rumeurs selon lesquelles il est en mesure d'attaquer le Népal, tandis que les marchands népalais présents au Tibet sont harcelés. La décision du Népal de fournir un refuge au 10e Shamarpa Lama, Mipam Chödrup Gyamtso, et à ses quatorze disciples tibétains est un autre point délicat dans les relations diplomatiques entre les deux royaumes. En effet, ce dernier a fui le Tibet pour se réfugier au Népal pour des raisons religieuses et politiques. Une autre cause de conflit est la mauvaise qualité du sel fourni par les Tibétains au Népal, car à l'époque, tout le sel du Népal provient du Tibet. Une délégation népalaise a été envoyée au Tibet pour résoudre ces questions, mais leurs demandes sont rejetées par les Tibétains. Les Népalais trouvent dans cette querelle sur la monnaie un bon prétexte pour étendre leur royaume et attaquer les riches monastÚres du Tibet. C'est ainsi qu'en 1788, le Népal lance des attaques sur plusieurs fronts contre le Tibet.
Incursion de 1788
à l'été 1788, le roi Rana Bahadur (1775-1806) envoie des soldats gurkhas, qui sont sous le commandement conjoint de Damodar Pande et Bam Shah, attaquer le Tibet. Les troupes népalaises entrent au Tibet en passant par Kuti et avancent jusqu'au monastÚre de Tashilhunpo, situé à 410 km de là , qui est pillé. Une bataille féroce a eu lieu à Shikarjong, au cours de laquelle les Tibétains subissent une cuisante défaite. Le Panchen-lama et le Sakya Lama demandent alors aux Gurkha l'ouverture de pourparlers de paix. Les troupes Gurkha quittent alors Shikarjong et se dirigent vers Kuti et Kerung, qu'ils occupent[5].
Lorsque l'empereur chinois Qianlong apprend la nouvelle de l'invasion du Tibet par le Népal, il envoie un important détachement de l'armée chinoise sous le commandement du général Chanchu. Ce dernier est mis au courant de la situation par des lamas tibétains et décide de rester au Tibet jusqu'à ce que le différend soit réglé.
Les représentants du Tibet et du Népal se rencontrent à Khiru en 1789 pour des pourparlers de paix. à l'issue desdits pourparlers, le Tibet est tenu responsable de la querelle et doit indemniser le Népal pour les pertes subies pendant la guerre. Le Tibet doit également verser un tribut au Népal pour une somme de 50 001 roupies par an en échange de la restitution au Tibet de tous les territoires acquis pendant la guerre[6] - [1]. Le texte issu de ces pourparlers de paix porte le nom de traité de Kerung. à la fin des négociations, les représentants népalais reçoivent 50 001 roupies au titre du premier versement. Ainsi, aprÚs avoir restitué les territoires concernés, à savoir les villes de Kerung, Kuti, Longa, Jhunga et Falak, les Gurkhas retournent au Népal[5]. Mais comme le Tibet refuse de payer les tributs aprÚs le premier versement effectué lors de la conclusion du traité, la guerre entre les deux royaumes reprend en 1791.
Invasion de 1791
Les Tibétains étant donc revenus sur leurs engagements, en 1791, Bahadur Shah envoie une armée commandée par Abhiman Singh Basnet en direction de Kerung et une autre commandée par Damodar Pande en direction de Kuti. Les soldats Gurkhas de Damodar Pande occupent Shigatsé, détruisant, pillant, et défigurant le grand monastÚre de Tashilhunpo. Au cours des combats, Damodar réussit à capturer le ministre de Lhassa présent sur place, Dhoren Kazi, avant de retourner au Népal. Le jeune panchen-lama est contraint de fuir à Lhassa. Lorsque l'Empereur de Chine Qianlong apprend la nouvelle, il réagit immédiatement en organisant une expédition militaire. En effet, il est bien conscient que l'écrasement du Tibet ferait de ce dernier le vassal du Népal[7]. Il envoie donc depuis la province du Sichuan, une armée de 17 000 hommes, composée de soldats Han, Mongols et Mandchous, commandée par le général Fuk'anggan[8]. Ainsi, en 1792, la guerre entre le Népal et le Tibet s'est transformée en une guerre entre le Népal et l'empire Qing.
La cour impériale Qing demande au Roi népalais de restituer au Tibet tous les biens qui ont été pillés à Shigatse et de renvoyer chez lui le Shamarpa Lama, qui est alors toujours réfugié au Népal. Comme le Népal fait la sourde oreille, l'armée impériale Qing se met en route vers le Tibet. Les soldats Qing marchent le long des rives de la riviÚre Trishuli jusqu'à atteindre la ville de Nuwakot. Là , les troupes népalaises tentent de se défendre contre l'attaque des Qing, mais le rapport de force n'est pas en leur faveur. La bataille se solde par de lourdes pertes dans les deux camps et une victoire de l'armée chinoise, qui repousse les Gurkhas jusqu'aux collines intérieures du Népal, situées prÚs de la capitale népalaise. Cependant, malgré ce succÚs, les Qing n'ont pas réussi à détruire totalement l'armée des Gurkhas.
Dans le mĂȘme temps, le NĂ©pal fait face Ă des affrontements militaires sur deux autres fronts. En effet, le royaume de Sikkim commence Ă lancer des incursions le long de la frontiĂšre orientale du NĂ©pal; tandis qu'Ă l'extrĂȘme-ouest du pays, la guerre avec l'Ătat de Garhwal continue. De plus, au sein mĂȘme du NĂ©pal, les royaumes d'Achham, de Doti et de Jumla se rĂ©voltent ouvertement. Cette multiplication des problĂšmes et des fronts Ă dĂ©fendre complique la tĂąche de Bahadur Shah pour organiser la dĂ©fense contre l'armĂ©e Qing. Pour se sortir de cette situation inextricable, Bahadur Shah demande 10 canons obusiers adaptĂ©s Ă la guerre en terrain montagneux Ă la Compagnie britannique des Indes orientales. Si le capitaine William Kirkpatrick arrive bien Ă Katmandou, il n'a pas les canons demandĂ©s et conditionne la livraison des armes Ă la signature d'un traitĂ© commercial favorable Ă la compagnie des Indes[9]. Finalement, les armes ne sont pas livrĂ©es et la situation militaire de Bahadur Shah devient critique.
Le 8e jour du mois de Bhadra, soit le , 10 000 soldats chinois avancent Ă partir de la riviĂšre Betrawati et attaquent les trois forts situĂ©s le long des rives de ladite riviĂšre, Ă savoir Chokde, Dudethumko et Gerkhu[10]. Gerkhu est dĂ©fendu par les troupes du commandant Kaji Kirtiman Singh Basnyat et Chokde, par celles du commandant Kaji Damodar Pande[10]. Il y a de sĂ©rieux combats autour des trois forts et la forte rĂ©sistance des troupes nĂ©palaises contraint les soldats chinois Ă battre en retraite vers la riviĂšre Betrawati[10]. Au pont de Betrawati, le gĂ©nĂ©ral chinois Tung Thyang commence Ă punir les soldats qui battent en retraite en leur infligeant de graves blessures et sĂ©vices corporels qui entraĂźnent leur mort[10]. Ainsi, deux des officiers chinois qui se sont retirĂ©s au-delĂ de la riviĂšre Betrawati ont Ă©tĂ© punis par une amputation du nez[10]. Ces punitions achĂšvent de dĂ©motiver les troupes et accĂ©lĂšrent les dĂ©sertions et la retraite des soldats par d'autres voies moins sĂ»res[10]. De nombreux soldats chinois sont morts en tombant des collines dans la riviĂšre et d'autres sous les balles et les flĂšches des NĂ©palais[10]. Environ 1000 Ă 1 200 soldats chinois sont tuĂ©s de cette maniĂšre[2]. AprĂšs cette dĂ©faite, le gĂ©nĂ©ral Tung Thyang perd tout espoir d'attaquer les forces nĂ©palaises et dĂ©cide d'envoyer une lettre au gouvernement nĂ©palais oĂč il explique vouloir conclure un traitĂ© de paix[2]. Lorsqu'il reçoit la lettre de Tung Thyang, le roi du NĂ©pal saute sur cette occasion de faire la paix. En effet, malgrĂ© cette victoire, sa situation reste critique, car il lui reste peu de ressources et il ne sait pas combien de temps il pourra encore se dĂ©fendre contre les Qing tout en poursuivant les conflits en cours Ă l'ouest, sans parler de mater les diffĂ©rentes rĂ©voltes. Il donne donc l'ordre Ă Kaji Damodar Pande de conclure un traitĂ© avec l'empereur chinois pour empĂȘcher toute nouvelle attaque et sceller la paix avec la Chine[2]. L'ordre royal dĂ©livrĂ© par le roi Rana Bahadur Shah est remis Ă Kaji Damodar Pande le 13e jour du mois de Bhadra, soit le . Voici une traduction du contenu de cette lettre[11] :
« Du Roi Rana Bahadur Shah, A Damodar Pande. Salutations. Tout va bien ici. Nous dĂ©sirons la mĂȘme chose pour lĂ -bas(=le front). Les nouvelles ici sont bonnes. L'empereur chinois n'est pas insignifiant. C'est un grand Empereur. Nous aurions pu les repousser avec la bĂ©nĂ©diction de (la dĂ©esse Sri Dourga) quand ils sont venus ici cette fois. Mais il ne serait pas bon pour l'avenir de maintenir le conflit avec l'Empereur. Lui aussi souhaite conclure un traitĂ©, et c'est ce que nous souhaitons nous aussi. Tung Thwang a envoyĂ© une lettre demandant que l'un des quatre Kajis (en) soit envoyĂ© avec des lettres et des prĂ©sents pour prĂ©senter ses respects Ă l'empereur chinois. Les Kajis Ă©taient envoyĂ©s officiellement pour conclure des traitĂ©s avec Tanahu et Lamjung. Nous rĂ©alisons actuellement qu'il ne sera pas convenable pour nous de ne pas dĂ©lĂ©guer un Kaji Ă l'Empereur. Quand la question a Ă©tĂ© discutĂ©e avec les autres Kajis ici prĂ©sents, ils ont dit que Damodar Pande, le bĂ©nĂ©ficiaire des subventions de (des terres de) Birta et le plus ĂągĂ© des Kajis, devrait partir (apporter les lettres et prĂ©sents Ă l'empereur). Donc vous devez y aller. S'il y a un retard, (les intĂ©rĂȘts) de l'Ătat seront lĂ©sĂ©s. Vous devriez donc partir de lĂ (ou vous ĂȘtes). En ce qui concerne les instructions, vous ĂȘtes un Pande (en) de notre cour. Vous n'ignorez donc pas ce qui profitera Ă lâĂtat et vous apportera du crĂ©dit. Vous savez (de telles choses). Ă cet Ă©gard, agissez Ă votre discrĂ©tion. Envoyez une rĂ©ponse Ă ce sujet rapidement, dans le ghadi (24 minutes) qui suit la rĂ©ception de cet ordre royal. Tout retard sera prĂ©judiciable.
daté du jeudi 13 Bhadra Sudi 1849 (septembre 1792) à Kantipur[12]. »
Conséquences
Le général Fuk'anggan envoie ensuite une proposition au gouvernement du Népal pour la ratification d'un traité de paix. Bahadur Shah accepta la proposition et les deux parties concluent un traité amical à Betravati le [14]. Les termes du traité sont les suivants :
- Le Népal et le Tibet accepteront la suzeraineté de l'empereur Qing.
- Le gouvernement tibétain paiera l'indemnisation des biens des marchands népalais qui ont été pillés par les Tibétains à Lhassa[15].
- Les citoyens népalais auront le droit de visiter, de commercer et d'établir des industries dans n'importe quelle partie du Tibet et de la Chine.
- En cas de différend entre le Népal et le Tibet, le gouvernement Qing interviendra et réglera le différend à la demande des deux pays.
- Les Qing aideront le Népal à se défendre contre toute agression extérieure.
- Le Népal et le Tibet devront envoyer une délégation tous les cinq ans pour verser un tribut à la Cour impériale de Chine.
- En retour, l'empereur Qing enverra également des cadeaux amicaux aux deux pays et les personnes qui portent le tribut seront traitées comme des invités importants et recevront toutes les facilités.
Dans le mĂȘme temps, lâincapacitĂ© des TibĂ©tains Ă repousser les forces nĂ©palaises sans lâaide de lâarmĂ©e impĂ©riale, conjuguĂ©e Ă lâinefficacitĂ© de leur gouvernement dans la direction et la gestion des affaires, amĂšnent les Qing Ă prendre les choses en main une nouvelle fois. Ainsi en 1792, Qianlong signe un dĂ©cret intitulĂ© DĂ©cret royal en 29 articles pour mieux gouverner au Tibet[16] qui resserre la tutelle impĂ©riale sur le Tibet qui devient un protectorat.
Ce dĂ©cret renforce les pouvoirs dont disposent les ambans, lesquels ont dĂ©sormais prĂ©Ă©minence dans les affaires politiques sur le kashag et le rĂ©gent. Le dalaĂŻ-lama et le panchen lama doivent passer par eux pour adresser une pĂ©tition Ă lâempereur. Les ambans sont chargĂ©s Ă©galement de la dĂ©fense des frontiĂšres et de la conduite des affaires Ă©trangĂšres. La correspondance des autoritĂ©s tibĂ©taines avec lâĂ©tranger (dont les Mongols du Kokonor) doit ĂȘtre visĂ©e par les ambans. La garnison impĂ©riale et lâarmĂ©e tibĂ©taine sont placĂ©es sous leur commandement. Pour voyager, il faut ĂȘtre muni de documents dĂ©livrĂ©s par les ambans. Les dĂ©cisions de justice sont soumises Ă leur aval. La monnaie tibĂ©taine, qui avait Ă©tĂ© la cause du conflit avec le NĂ©pal, devient du seul ressort de PĂ©kin[17]. Le nouveau dĂ©cret confĂšre aux ambans une autoritĂ© Ă©gale Ă celle du dalaĂŻ-lama pour ce qui est des questions et nominations administratives importantes et exige que les nominations aux postes les plus Ă©levĂ©s (comme celui de ministre du conseil) soient soumises Ă l'empereur pour approbation. Une disposition interdit aux proches parents des dalaĂŻ-lamas et panchen-lamas dâoccuper des fonctions officielles jusquâĂ la mort de ces derniers. Le dĂ©cret renferme Ă©galement des dispositions visant Ă empĂȘcher lâabus des corvĂ©es infligĂ©es Ă la paysannerie. Mais surtout, selon lâarticle premier, le choix de la rĂ©incarnation du dalaĂŻ-lama et celle du panchen lama se fera au moyen du tirage au sort dans une urne dâor afin dâĂ©viter dâĂ©ventuelles manipulations conduisant Ă la dĂ©signation de rejetons de puissantes familles laĂŻques. Constatant que « L'absence de l'armĂ©e officielle dans la rĂ©gion du Tibet a eu pour consĂ©quence l'instauration de conscriptions d'urgence en temps de crise, ce qui s'est avĂ©rĂ© dommageable pour le peuple tibĂ©tain », le 4e article dĂ©crĂšte la formation d'une infanterie tibĂ©taine de 3 000 hommes). Partant du principe qu'un drapeau militaire est une nĂ©cessitĂ© pour l'entraĂźnement quotidien d'une armĂ©e, le gouvernement central des Qing instaure le « drapeau au lion des neiges » comme drapeau militaire du Tibet[18].
Les exigences du gouvernement central sont communiquées au dalaï-lama par le général Fuk'anggan[19].
Enfin, des garnisons militaires sont établies prÚs de la frontiÚre népalaise, à Shigatsé et à Tingri[20].
Une mission diplomatique népalaise est établie à Lhassa en 1792[21] - [22].
Laurent Deshayes affirme qu'au milieu du XIXe siÚcle le Tibet n'était pas considéré comme intégré à l'empire[23]. Pour Frédéric Lenoir, ces réformes furent peu appliquées et le protectorat ne fut jamais exercé par les autorités de Pékin. Il en veut pour preuve le fait que les armées du Tibet affrontÚrent seules celles du Ladakh en 1841 et du Népal en 1854 ainsi qu'un corps expéditionnaire britannique en 1904. Seuls des représentants du gouvernement tibétain signent les traités de paix mettant fin à ces guerres[24]. Il s'agit en fait de la Convention entre la Grande-Bretagne et le Tibet, un des traités inégaux, signé sans réels représentants, les ambams refusant de signer et le dalaï-lama ayant fui l'invasion britannique à Urga (alors capitale de Mongolie-Extérieure), puis à Pékin. Devant le tollé international, ce traité sera renégocié avec la Chine lors de la Convention entre la Grande-Bretagne et la Chine relative au Tibet, l'année suivante.
Pour ce qui est du NĂ©pal, il conserve son autonomie. Cependant, l'affaiblissement de la dynastie Qing au cours du XIXe siĂšcle a entraĂźnĂ© le non-respect du traitĂ© de 1792. Par exemple, pendant la guerre anglo-nĂ©palaise de 1814-1816, lorsque la Compagnie britannique des Indes orientales envahit le NĂ©pal, non seulement la Chine n'aide pas son vassal, mais elle Ă©choue Ă©galement Ă empĂȘcher la cession du territoire nĂ©palais aux Britanniques. De mĂȘme, au cours d'une autre guerre entre le NĂ©pal et le Tibet (en) qui a lieu de 1855 Ă 1856, la Chine est totalement absente du conflit entre ses deux vassaux. En fait, les Qing n'ont pas particuliĂšrement envie de gouverner le NĂ©pal ; leur guerre visait principalement Ă consolider leur contrĂŽle du Tibet qui, Ă son tour, Ă©tait liĂ© Ă la stratĂ©gie militaire en Asie centrale[25]. Ă noter que, malgrĂ© tout, le NĂ©pal verse son tribut quinquennal Ă la Chine jusqu'Ă la rĂ©volution chinoise de 1911[26].
Notes et références
- « Tibetan and Nepalese Conflict », Official website of Nepal Army
- Regmi 1970a, p. 187.
- (en) W. W. Rockhill, "The Dalai Lama of Lhasa and their relations with the Manchu Emperors of China", 1644-1908", in T'OUNG PAO ou ARCHIVES [...] de l'Asie orientale, vol. XI, 1910, p. 1-104, p. 54 : « the difficulties which had arisen between the Gorkhas and the Tibetans resulting from the use of debased coins in Tibet, and from the inability they had heretofore shown to regulate exchange ».
- Katia Buffetrille, L'Ăąge d'or du Tibet: (XVIIe et XVIIIe siĂšcles), Les Belles Lettres, pages 135 et 143
- (en) Ram Rahul, Central Asia: an outline history, New Delhi, Concept Publishing Company, 1997, p. 46 : « Nepal invaded Tibet in the summer of 1788. The Gorkhas withdrew [the] next year on certain terms ».
- Jean Dif, Chronologie de l'histoire du Tibet et de ses relations avec le reste du monde (Suite 1).
- Ram Rahul, op. cit., p. 46 : « The Manchu court realized that the defeat of Tibet by the Gorhkas (Chin : Kuo-er-k'ao) might reduce it to the status of a vassal of Nepal ».
- Wang Jiawei et Nyima Gyaincain, Le statut du Tibet de Chine dans l'histoire, 2003, 367 pages, p. 73.
- Colonel Kirkpatrick, An Account of the Kingdom of Nepaul, London: William Miller, (lire en ligne)
- Regmi 1970a, p. 186.
- cette traduction a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e Ă partir d'une traduction anglaise du texte original et non Ă partir du texte original lui-mĂȘme
- Regmi 1970b, p. 98.
- Isrun Engelhardt, Tibet in 1938-1939: Photographs from the Ernst SchÀfer Expedition to Tibet
- Baburam Acharya, The Bloodstained Throne : Struggles for Power in Nepal (1775-1914), Penguin Books Limited, , 224 p. (ISBN 978-93-5118-204-7, lire en ligne)
- (en) Kate Teltscher, The High Road to China : George Bogle, the Panchen Lama, and the First British Expedition to Tibet, New York, Farrar, Straus and Giroux, , 244-246 p. (ISBN 978-0-374-21700-6)
- Melvyn C. Goldstein, The Snow Lion and the Dragon, op. cit., p. 19 : « The inability of the Tibetans to expel the Nepalese forces without an army from China, coupled with charges of poor leadership and organization in the Tibetan government, prompted yet another Qing reorganization of the Tibetan government, this time through a written plan called the "Twenty-Nine Regulations for Better Government in Tibet" ».
- Warren W. Smith Jr., Tibetan Nation: A History Of Tibetan Nationalism And Sino-Tibetan Relations, Westview Press, 1997, p. 134-135.
- (en) Melvyn Goldstein et Dawei Sherap, A Tibetan revolutionary the political life and times of Bapa PhĂŒntso Wangye, University of California Press, (ISBN 978-1-4175-4514-8, lire en ligne), pp. 174-175, 194-195.
- Melvyn C. Goldstein, The Snow Lion and the Dragon, op. cit., p. 19 : « This reform package included the selection of top incarnations (hutuktus ) like the Dalai and Panchen Lamas through a lottery conducted in a golden urn, the aim being to prevent the selection of incarnations being manipulated to fall in politically powerful lay families.[14] It also elevated the ambans to equal political authority with the Dalai Lama for major administrative issues and appointments and mandated that nominations for top positions like council minister be submitted to the emperor for approval. The reforms also included regulations forbidding exploitation of peasants through the misuse of corvee labor, and prohibited the relatives of the Dalai and Panchen Lamas from holding public office during the lamas' lifetimes [...] The Qing rationale for these changes was conveyed by Fu Kangan, the general in charge of the expeditionary force, in comments to the Dalai Lama at that time ».
- Melvyn C. Goldstein, The Snow Lion and the Dragon, op. cit., p. 19 : « Qing military garrisons staffed with Qing troops, moreover, were now established near the Nepalese border at Shigatse and Dingri ».
- Wangpo Bashi, Relations historiques entre le NĂ©pal et le Tibet, 23 novembre 2010.
- Roland Barraux, Histoire des Dalaï-Lamas, Quatorze reflets sur le Lac des Visions, édition Albin Michel, 1993. Réédité en 2002 chez Albin Michel. (ISBN 2226133178), p. 345.
- Laurent Deshayes, Les Chinois au Tibet : « Mais, en rĂ©alitĂ©, jamais PĂ©kin n'exerça d'autoritĂ© Ă la hauteur de ses prĂ©tentions. Les rĂ©formes imposĂ©es, qui touchaient les rites funĂ©raires comme la sĂ©lection des grands religieux rĂ©incarnĂ©s, ne furent jamais vraiment appliquĂ©es, soit par incompĂ©tence de l'empire et de ses agents, soit parce que les TibĂ©tains s'y refusaient, et ce n'est pas faire une caricature que de dire que le seul Ă©lĂ©ment tangible de la protection chinoise fut l'octroi de titres nobiliaires honorifiques aux grandes familles tibĂ©taines. Sous une formulation qui se voulait plus concrĂšte, le rapport traditionnel de « religieux-protecteur » restait inchangĂ© dans les faits, une fois passĂ©s les armĂ©es chinoises et le vent rĂ©formateur. Au milieu du XIXe siĂšcle d'ailleurs, le gouvernement de PĂ©kin ne considĂ©rait toujours pas le Tibet comme une province, encore moins comme une dĂ©pendance, mais au contraire, comme un pays Ă part entiĂšre dans lequel, pour le bien-ĂȘtre de la population, il entendait exercer une sorte de droit de regard de maniĂšre Ă sĂ©curiser ses propres frontiĂšres. »
- Frédéric Lenoir, Tibet Le moment de vérité, Plon, mai 2008
- Peter Perdue, China Marches West: The Qing Conquest of Central Eurasia (Cambridge: Belknap Press, 2005).
- Alexandra David-NĂ©el, Le vieux Tibet face Ă la Chine nouvelle, Plon, 1953, chap. I, Coup d'Ćil d'ensemble sur la situation (rĂ©Ă©dition de 1999, in Grand Tibet et Vaste Chine, p. 961-1110, (ISBN 2-259-19169-X)), p. 965.
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Lecture pour approfondir
- Wright, Daniel, History of Nepal. New Delhi-Madras, Asian Educational Services, 1990