Insignes et emblèmes de l'Empire Byzantin
Durant la majeure partie de son histoire, l'Empire romain d'Orient ne semble pas avoir utilisé d'héraldiques, au sens où on l'entend en Europe de l'Ouest. Divers emblèmes (grec moderne : σημεῖα, sēmeia; sing. σημεῖον, sēmeion) ont été utilisés dans les cérémonies officielles et à des fins militaires, tels que des bannières ou des boucliers sur lesquels étaient peints différents motifs tels que la croix ou le labarum. L'utilisation de la croix et des icônes du Christ, de la Vierge et de saints divers est également attestée sur les sceaux des officiers de l'Empire, même si ces derniers étaient plutôt utilisés comme des emblèmes familiaux[1].
Insignes de l'Empire
Les Aigles
L'aigle impérial à une seule tête, symbole de l'Empire romain, continua à être utilisé dans l'Empire byzantin, bien que beaucoup plus rarement. Ainsi, les "porteurs d'Aigles" (ὀρνιθόβορας), les descendants des aquilifers des légions romaines, sont encore attestés au VIe siècle dans le traité militaire connu sous le nom de Strategikon de l'empereur Maurice, bien qu'il soit impossible de déterminer si les titres qu'ils portaient ressemblaient à ceux des légionnaires aquilae[2]. L'aigle cesse d'apparaître sur les pièces de monnaie à partir du VIIe siècle, même si on le trouve encore de temps en temps sur les sceaux officiels et sur les bas-reliefs en pierre. Dans les derniers siècles de l'Empire, des aigles seront encore cousus sur les vêtements impériaux, et peints dans les manuscrits enluminés en tant que décoration de coussins (suppedia) sur lesquels les empereurs se tenaient[3].
L'emblème le plus souvent associé à l'Empire byzantin est l'aigle à deux têtes. Son apparition est antérieure à l'époque byzantine. Il s'agirait d'un motif traditionnel provenant d'Anatolie durant la période hittite. Les Byzantins, quant à eux, ne l'ont utilisé que dans les derniers siècles de l'Empire[3]. L'adoption de l'aigle à deux têtes a parfois été datée du milieu du XIe siècle lorsque les Comnènes l'ont, semble-t-il, adopté en s'inspirant de gravures rupestres hittites provenant de leur Paphlagonie natale. Cette thèse semble pourtant clairement erronée. Bien que l'aigle à deux têtes commence effectivement à être utilisé comme motif décoratif dans l'art byzantin au cours du XIe siècle, aucune relation n'est attestée entre ce symbole et la famille impériale avant le XIIIe siècle et la dynastie des Paléologues[3]. Avant cette période, à la fin du XIIe et tout au long du XIIIe siècle, l'aigle fut utilisé dans le nord de la Syrie et de la Haute Mésopotamie. Les sultans artukides d'Amida en Mésopotamie l'utilisèrent comme insigne. Il fut notamment arboré sur les pièces de la dynastie zengide. Saladin et le sultan seldjoukide Kay Qubadh Ier l'ont également utilisé comme motif décoratif de leurs édifices[3].
Les empereurs paléologues utilisèrent l'aigle à deux têtes comme un symbole des membres supérieurs de la famille impériale. Il est alors principalement utilisé sur les vêtements et autres costumes, comme l'atteste Georges Kodinos dans son Livre de Bureaux au milieu du XIVe siècle. Selon Kodinos, l'empereur portait des chaussures particulières (tzangia) avec des aigles de perles sur les deux tibias et sur le cou-de-pied[4]. Les despotes portaient des bottes similaires de blanc et de pourpre, et faisaient broder des aigles de perles sur leurs selles, tandis que les tapis de selle et les tentes étaient décorées avec des aigles rouges sur fond blanc[4]. De manière similaire, le sébastokrator portait des bottes bleues avec des aigles brodés de fil d'or sur fond rouge, tandis que son tapis de selle était bleu avec quatre aigles brodés de rouge[4]. La seule occasion notable durant laquelle l'aigle à deux têtes fut affichée sur un drapeau fut le voyage de l'empereur Jean VIII Paléologue au Concile de Florence, durant lequel l'aigle fut brodé sur le drapeau du navire de l'Empereur. Ce point fut noté par Sphrantzes et confirmé par sa représentation sur les portes de Filarète de la Basilique Saint-Pierre[3] - [2].
Dans le monde byzantin, l'aigle (teinté d'or sur fond rouge) a également été utilisée par le despotat de Morée et par la Gattilusi de Lesbos, qui ont été des vassaux des empereurs paléologues[5] - [2]. L'aigle à deux têtes a par ailleurs été utilisé dans l'enclave dissidente de l'Empire de Trébizonde, ce qui est attesté par les vêtements impériaux et drapeaux de l'époque. En effet, les portulans de l'Ouest ont utilisé l'aigle à deux têtes (argent/or sur rouge/vermillon) aux XIVe et XVe siècles comme symbole de Trébizonde plutôt que de Constantinople. Des aigles à une tête sont également attestés sur des pièces de monnaie de Trébizonde, et une source datant de 1421 dépeint le drapeau de Trébizonde comme un drapeau jaune et rouge orné d'une tête d'aigle. Selon toute vraisemblance, tout comme dans le métropole byzantine, les deux motifs continuèrent d'être utilisés côte à côte[2].
D'autres états des Balkans suivirent le modèle Byzantin : les Serbes principalement, mais aussi les Bulgares et l'Albanie sous Georges Kastrioti (plus connu sous le nom de Scanderbeg). À partir de 1472, l'aigle fut également adopté par la Grande-principauté de Moscou puis par la Russie[3]. Dans l'Ouest de l'Europe, le Saint-Empire romain germanique adopta de la même façon l'aigle à deux têtes au milieu du XIIIe siècle sous le règne de Frédéric II Hohenstaufen, et l'utilisa en parallèle de sa version à une seule tête[3].
Croix de tétragramme
Durant de la période de la dynastie des Paléologues, l’emblème qui se rapprocha le plus d’un « drapeau national byzantin » fut l’insigne de la dynastie régnante, la «croix tétragrammatique», une croix d'or ou d'argent avec quatre lettres bêta «B» de même couleur dans chaque coin (souvent interprétés comme des barres de ferrocérium)[3] - [2].
La croix était déjà utilisée fréquemment en tant qu’insigne depuis la fin de l'Antiquité. À partir du VIe siècle, on retrouve des traces de croix avec des lettres de quartier, en particulier à partir de pièces de monnaie, formant les acronymes de diverses invocations, par ex. "X" pour Σταυρὲ Χριστοῦ χάριν χριστιανούς χάριζε ("Croix du Christ accordant la grâce aux chrétiens") ou les lettres ΣΒΡΔ pour Σταυρὲ σου βοήθει Ρωμανόν δεσπότην ("Ta Croix aide le Seigneur Romanos")[3]. Des représentations de drapeaux avec des croix et des disques d'or apparaissent à partir du Xe siècle, ainsi qu’une représentation d'un drapeau presque identique à l’insigne des Paléologues à partir du début du XIIIe siècle[2].
La croix tétragrammatique apparaît très régulièrement aux XIVe et XVe siècles. On la trouve notamment sur des pièces byzantines lors du règne conjoint d’Andronic II Paléologue et de son fils Michel IX Paléologue, ainsi que sur plusieurs portulans (cartes de navigation) occidentaux pour désigner Constantinople et d'autres villes byzantines, et également au-dessus de l'une des fenêtres du Palais du Porphyrogénète. Elle est mentionnée par pseudo-Kodinos comme "la bannière impériale traditionnelle [flamoulon]"[6] - [3] - [2].
Notes et références
- (en) Alexander Kazhdan (dir.), Oxford Dictionary of Byzantium, New York et Oxford, Oxford University Press, , 1re éd., 3 tom. (ISBN 978-0-19-504652-6 et 0-19-504652-8, LCCN 90023208).
- Babuin, A. (2001). "Standards and insignia of Byzantium". Byzantion: Revue internationale des études byzantines. 71 (1): 5–59.
- Soloviev, A. V. (1935). "Les emblèmes héraldiques de Byzance et les Slaves". Seminarium Kondakovianum (en français). 7: 119–164.
- Verpeaux, Jean, ed. (1966). Pseudo-Kodinos, Traité des Offices. Centre national de la recherche scientifique.
- Soloviev, A. V. (1935). "Les emblèmes héraldiques de Byzance et les Slaves". Seminarium Kondakovianum. p. 134-135
- Grierson, Philip (1999). Catalogue of the Byzantine Coins in the Dumbarton Oaks Collection and in the Whittemore Collection, Volume 5 Part 1: Michael VIII to Constantine XI, 1258–1453. Introduction, Appendices, and Bibliography. Washington, DC: Dumbarton Oaks. (ISBN 978-0-88402-261-9).