Hyperélasticité
L'hyperélasticité est un formalisme mathématique utilisé en résistance des matériaux pour décrire la relation contrainte-déformation de certains matériaux grandement déformables (polymères thermoplastiques, polymères thermodurcissables, élastomères, tissus biologiques). Contrairement à l'élasticité linéaire définie explicitement par la loi de Hooke pour les petites déformations, en hyperélasticité, on postule l'existence d’une densité d’énergie de déformation notée W dont les dérivées par rapport à la déformation dans une direction donnée donnent l'état de contrainte au sein du matériau dans cette même direction. Physiquement, W représente la quantité d’énergie élastique que le matériau emmagasine en fonction de l’étirement imposé.
Tous les polymères ne présentent pas le même comportement mécanique en fonction de leur microstructure (longueur des macromolécule, nature des composants chimiques, degré de réticulation, possibilité de cristallisation sous-tension[1], température d'utilisation, etc.). Une loi de comportement hyperélastique est donc une expression de W permettant de décrire le comportement particulier d'un matériau. Il en existe une multitude pouvant être séparées en deux catégories : les modèles phénoménologiques et les modèles statistiques.
Formalisme mathématique
En mécanique des milieux continus, il existe plusieurs tenseurs de déformation et de contrainte permettant de décrire le comportement du matériau dans une configuration donnée :
- le tenseur des contraintes de Cauchy représente la contrainte dite « vraie » qui est réellement ressentie par le matériau dans la configuration actuelle, c'est-à-dire la force divisée par la section à l'instant t. Cette contrainte est conjuguée à la déformation dans la configuration actuelle, c'est-à-dire au tenseur d'Euler-Almansi où est la matrice identité et le tenseur des dilatations de Cauchy-Green droit ;
- le tenseur de Piola-Kirchoff 2 (abrégé « PK2 ») représente la contrainte « ingénieure », c'est-à-dire la contrainte que ressentirait le matériau s'il était dans sa configuration initiale, soit la force divisée par la section initiale . Cette contrainte est conjuguée à la déformation dans la configuration initiale, c'est-à-dire au tenseur de Green-Lagrange où est la matrice identité et , le tenseur des dilatations de Cauchy-Green gauche.
En hyperélasticité, on postule l'existence d’une densité d’énergie de déformation notée W dont les dérivés donnent l'état de contrainte au sein du matériau. Ainsi, la manière de dériver W donnera des contraintes différentes. La dérivée de W par rapport à donnera la contrainte de Cauchy alors que sa dérivée par rapport à donnera la contrainte de PK2. Mathématiquement, on écrira :
La relation entre ces deux tenseurs est donnée par :
où est le Jacobien de la transformation, c'est-à-dire la variation de volume.
Cas des matériaux isotropes
Si le matériau est isotrope, il est possible de développer les lois de comportement grâce aux invariants des tenseurs de dilatation :
Avec , le premier invariant
, le second invariant
, le troisième invariant.
Cas des matériaux incompressibles
Si, de plus, le matériau est incompressible (), il est possible de réécrire ces équations en introduisant le multiplicateur de Lagrange noté p, assimilable à la pression hydrostatique, tel que :
Lois de comportements existantes
Dans cette section, les expressions mathématiques des modèles les plus couramment utilisés seront détaillées.
Modèles phénoménologiques
Dans l’approche dite « phénoménologique »[2], on cherche à décrire le comportement macroscopique de matériau sans nécessairement en comprendre les fondements physiques. Mooney (1940) fut le premier à proposer un potentiel d’énergie de déformation à partir des invariants du tenseur des dilatations de Cauchy-Green. Rivlin (1948) en a donné une expression simplifiée donnant le modèle « Néo-hookéen », puis une forme généralisée grâce à la décomposition en série de Taylor. Par la suite, plusieurs autres auteurs ont apporté des modèles phénoménologiques de plus en plus sophistiqués : Ogden, Gent, Yeoh, Marlow pour ne citer qu'eux. Les expressions de ces modèles sont données à partir d'invariants () ou d'élongations principales (). Rappelons qu’il est nécessaire de soustraire 3 à chaque invariant (resp. à chaque somme des élongations principales) afin d’assurer que la densité d’énergie de déformation soit nulle lorsque le matériau n’est pas sollicité, c'est-à-dire lorsque les invariants (resp. la sommes des élongations principales) sont égaux à 3.
Modèle Néo-Hookéen (1948)
où est le module d'élasticité du matériau dont la dimension est celle d'une contrainte
Modèle de Mooney-Rivlin (1940-1948)
Le modèle de Rivlin généralisé[3] est donné par :
Un cas particulier est donné par le modèle de Mooney-Rivlin dans le cas où et
où les sont les modules d'élasticité du matériau
Modèle de Gent
Contrairement au modèle Néo-hookéen et de Mooney-Rivlin qui montre une certaine linéarité en grande déformation, le modèle de Gent (en) reproduit correctement le durcissement important des élastomères avant rupture dû à la limite d'extensibilité des chaînes macromoléculaires[4]. Gent a imaginé une densité d'énergie de déformation présentant une singularité quand le premier invariant atteint une valeur limite notée
Les paramètres de ce modèle sont donc , module d'élasticité, et .
Modèle d'Ogden
Le modèle d'Ogden pose[5] :
où et sont les paramètres du modèle. Contrairement aux autres modèles, ces paramètres n'ont pas de signification physique.
Modèles statistiques
Dans l’approche statistique, il est question de reproduire le comportement mécanique macroscopique par des considérations microstructurales physiquement fondées. On distingue les modèles gaussiens et non-gaussiens. Flory est en 1953 le premier à proposer un modèle statistique pour décrire le comportement des polymères en utilisant une répartition gaussienne des chaînes, c’est-à-dire que la longueur des chaînes est supposée suivre une loi normale. Il considère que l’entropie du réseau est la somme des entropies élémentaires des chaînes constitutives, que la longueur de chaque chaîne varie dans le même rapport que les dimensions du milieu macroscopique et que la déformation est isochore (sans variation de volume). En prenant en considération toutes ces hypothèses physiques, une densité d’énergie de déformation est définie en fonction des trois élongations principales :
où n est le nombre de chaînes par unité de volume, k la constante de Boltzmann et T la température absolue.
On remarque premièrement qu’en posant et en remplaçant la somme des carrés des élongations principales par le premier invariant du tenseur des dilations, on retrouve le modèle néo-hookéen. Le modèle de Flory ne s’avère précis que pour les petites déformations au même titre que le modèle néo-hookéen. De plus, la répartition gaussienne suppose que les chaînes moléculaires puissent atteindre une longueur infinie, ce qui est physiquement impossible. C’est la raison pour laquelle la théorie statistique à répartitions non-gaussienne a vu le jour. Ces derniers améliorent les prédictions pour une large gamme de déformation. Le premier modèle non-gaussien a été introduit par Kuhn et Grun (1942) décrivant l’élasticité d’une chaîne isolée composée de N monomères, tous de longueur L . La longueur initiale d’une chaîne est déterminée statistiquement, ainsi que sa longueur maximale . L’expression de la densité d’énergie d’une chaîne isolée est formulée comme suit :
où , et désigne la bijection réciproque de la fonction de Langevin. Cette fonction de Langevin inverse permet de reproduire le durcissement lors des grandes déformations.
De manière générale, tous les modèles statistiques sont basés sur cette théorique statistique non-gaussienne.
Modèle d'Arruda-Boyce (2016)
Le plus célèbre des modèles statistiques est le modèle d'Arruda-Boyce[7]. Ellen M. Arruda et Mary C. Boyce ont développé le modèle dit « à huit chaînes » en considérant un élément cubique dont les demi-diagonales définissent les huit directions privilégiées de déformation. Le solide complet étant composé d'une multitude d'éléments cubiques. Du fait de la symétrie du modèle par rapport aux trois directions principales du tenseur de déformation, les huit chaînes se déforment toutes de la même quantité :
avec .
Modèle de Gent
En 2003, Cornelius O. Horgan, chercheur au département de Génie Civil de l'Université de Virginie (USA), et Giuseppe Saccomandi, chercheur au département d'Ingénierie de l'Innovation à l'Université de Lecce en Italie, ont prouvé[8] que le modèle de Gent, originellement phénoménologique, est analogue au modèle d'Arruda-Boyce à huit chaînes. Ainsi, le modèle de Gent est relié à la microstructure du matériau selon les relations suivantes :
.
avec le module d'élasticité du modèle de Gent, un scalaire ayant le rôle de limite d'extensibilité, la densité de chaînes et le nombre moyen de monomères par chaîne.
Références
- Nicolas Candau, Compréhension des mécanismes de cristallisation sous tension des élastomères en conditions quasi-statiques et dynamiques, INSA Lyon, , 323 p. (lire en ligne), §2.4, p38-49
- (en) Gilles Marckmann et Erwan Verron, Comparison of Hyperelastic Models for Rubber-Like Materials, , 25 p. (lire en ligne).
- (en) R.S. Rivlin, Large elastic deformations of isotropic materials. IV. Further developments of the general theory, Philosophical Transactions of the Royal Society of London. Series A, Mathematical and Physical Sciences, , p. 379-397.
- (en) A. N. Gent, A new constitutive relation for rubber, Rubber Chemistry Tech, , 69 p., p. 59-61
- (en) R.W. Ogden, Large Deformation Isotropic Elasticity – On the Correlation of Theory and Experiment for Incompressible Rubberlike Solids, , VOL. 326, N°1567, P. 565-584.
- (en) O. H. Yeoh, "Some forms of the strain energy function for rubber," Rubber Chemistry and technology, , p. 754-771.
- (en) Ellen M. Arruda, Mary C. Boyce, A three-dimensional constitutive model for the large stretch behavior of rubber elastic materials, , 25 p. (lire en ligne).
- (en) Cornelius O. Horgan, Giuseppe Saccomandi, A Molecular-Statistical Basis for the Gent Constitutive Model of Rubber Elasticity, , 10 p.