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Homme de Kennewick

L’Homme de Kennewick est le nom donné à un squelette fossile d'Homme moderne trouvé en 1996 au bord du fleuve Columbia, près de la ville de Kennewick, dans l'État de Washington, dans le Nord-Ouest des États-Unis. Avant que la génétique vienne clarifier la situation en 2015, son interprétation faisait l'objet de controverses. Certains scientifiques comme l'anthropologue James Chatters (en) considéraient qu'il présentait des traits anatomiques le rapprochant des Européens plutôt que des Asiatiques, et qu'il pouvait donc traduire une vague ancienne de peuplement de l'Amérique depuis l'Europe.

Homme de Kennewick
Image illustrative de l’article Homme de Kennewick
Crâne de l'Homme de Kennewick exposé au musée d'État d'histoire naturelle de Karlsruhe.
CoordonnĂ©es 46° 13′ 23″ nord, 119° 08′ 36″ ouest
Pays Drapeau des États-Unis États-Unis
État Washington
Vallée fleuve Columbia
Localité voisine Kennewick
Daté de entre 7600 et
Période géologique Holocène
Époque géologique Mésolithique
DĂ©couvert le 28 juillet 1996
Identifié à Homo sapiens
Géolocalisation sur la carte : États-Unis
(Voir situation sur carte : États-Unis)
localisation
GĂ©olocalisation sur la carte : Washington
(Voir situation sur carte : Washington)
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En , une étude génétique menée par une équipe américano-danoise a établi que l’ADN du squelette était plus étroitement lié aux populations amérindiennes qu’à n’importe quelle autre population dans le monde[1] - [2]. En 2016, il fut décidé que les restes humains de l'Homme de Kennewick auraient une sépulture amérindienne. Le 17 février 2017, le Burke Museum a restitué à une délégation amérindienne ces restes qui ont été inhumés le lendemain.

DĂ©couverte

Le squelette fut mis au jour à la suite d'un éboulement de la rive du fleuve Columbia. Il fut trouvé le , lors de la course annuelle d'hydroglisseurs, par deux jeunes spectateurs qui avaient trébuché sur ce qu'ils ont pris initialement pour un « galet rond » et qui était en fait un crâne humain.

James Chatters, l'anthropologue local convoqué sur les lieux, constata aussitôt que le crâne, manifestement ancien, présentait des caractères caucasoïdes comme les Européens[3]. Il décida alors de fouiller plus avant et d'extraire les 350 fragments du squelette pratiquement complet appartenant à un même individu. L'os du bassin réservait une surprise : une pointe de lance en pierre taillée, presque entière, y était restée enfoncée. Il n'était pas mort de la blessure causée par la lance, et avait vécu encore une vingtaine d'années, l'os s'étant ressoudé autour de ce fragment.

Interprétations des années 1990-2000

Datation

Les datations par le carbone 14 ont permis d'établir que l'Homme de Kennewick a vécu entre 7600 et De nombreux fossiles humains plus anciens ont été découverts sur le continent américain.

Caractère caucasoïde

Les observations anatomiques laissaient alors penser à des caractères physiques caucasiens et non amérindiens, notamment un crâne dolichocéphale. Pour certains, cette découverte aurait pu remettre en cause la théorie du peuplement asiatique du continent américain.

Son découvreur le décrivait ainsi : « C’est le seul [squelette] aussi complet et aussi vieux aux États-Unis. Il appartenait à un homme d’une quarantaine d’années à la face étroite, au menton proéminent. Il n’avait pas eu une vie paisible. Il crispait souvent la bouche et pleurait sans doute beaucoup… »[4]. Selon ses analyses, cet homme ne ressemblait pas aux autres hommes peuplant la région à cette époque : sa morphologie crânienne aurait été de type « caucasoïde », c’est-à-dire proche de celle des Européens, et non « mongoloïde » comme celle des Asiatiques et des Amérindiens.


Le fleuve Columbia et la ville de Kennewick.

Controverse scientifique

Un peuplement ancien

L'interprĂ©tation de l'Homme de Kennewick s'inscrivait dans le dĂ©bat sur le premier peuplement de l'AmĂ©rique. Il est actuellement majoritairement admis que les premières populations du Nouveau Monde sont venues d'Asie du Nord-Est par le dĂ©troit de BĂ©ring il y a quelque 25 000 Ă  20 000 ans, mais qu'elles seraient restĂ©es bloquĂ©es en Alaska pendant plusieurs milliers d'annĂ©es avant de pouvoir franchir les barrières glaciaires en direction du Sud et peupler le reste du continent.

Selon la thĂ©orie solutrĂ©enne, un groupe aurait pu arriver entretemps d'Europe de l'Ouest au dĂ©but du Tardiglaciaire, il y a entre 20 000 et 17 000 ans. Les hommes du SolutrĂ©en auraient pu caboter le long de la banquise, qui descendait alors en hiver jusqu'Ă  la latitude de l'Espagne actuelle.

Les limites de ces interprétations

La pertinence des classifications anatomiques basées exclusivement sur des indices céphaliques a été contestée. L'anthropologue Franz Boas a démontré dès 1913 l'influence des facteurs environnementaux sur l'indice céphalique[5] - [6].

Les arguments basĂ©s sur les similitudes entre outils de pierre des sites Clovis et du SolutrĂ©en ont Ă©galement Ă©tĂ© contestĂ©s. Le SolutrĂ©en est l'une des cultures du PalĂ©olithique supĂ©rieur europĂ©en, prĂ©sent dans le Sud-Ouest de la France et en Espagne de 23 000 Ă  17 000 ans avant le prĂ©sent. Il est notamment connu pour avoir livrĂ© des pointes foliacĂ©es bifaciales très fines, nommĂ©es « feuilles de laurier », prĂ©sentant des analogies morphologiques avec les pointes retrouvĂ©es sur les sites Clovis. Les tenants d'une migration des groupes solutrĂ©ens vers l'AmĂ©rique perdent toutefois de vue que plus de 4 000 ans sĂ©parent les dernières expressions du SolutrĂ©en en Europe des premières pointes Clovis[7]. La production de pointes foliacĂ©es bifaciales est connue dans de nombreux contextes gĂ©ographiques (Australie, Afrique du Sud) et une convergence morpho-technique est possible entre outillages solutrĂ©ens et Clovis.

Polémique concernant les droits des minorités amérindiennes

Une polémique est apparue lorsque les tribus amérindiennes (dont les Umatillas, les Colvilles, les Walla Walla, les Yakamas et les Nez-Percés) ont souhaité, quelques jours après la découverte, récupérer les ossements de l'homme de Kennewick, qu’ils nomment « le grand ancêtre », pour le rendre à la terre.

Ils ont d'abord eu gain de cause, en application d'une loi fédérale de 1990, le Native American Graves Protection and Repatriation Act. Début , le corps du génie de l'armée, unité du génie militaire chargée des aménagements hydrauliques de l’État, a enseveli l'emplacement où avait été découvert le squelette.

Les Amérindiens satisfaits présidaient la cérémonie, tandis qu'un hélicoptère de l'armée déversait des tonnes de terre et de pierre sur le site, interdisant toute recherche future. Les ossements eux-mêmes ont été mis sous séquestre au musée Burke d'histoire naturelle et de culture, à Seattle, dans l'État de Washington.

C'est alors que, privĂ©s de leur objet d'Ă©tude, Robson Bonnichsen, Douglas W. Owsley ainsi que six autres anthropologues ont intentĂ© un procès au gouvernement fĂ©dĂ©ral. Le , la Cour d'appel des États-Unis pour le neuvième circuit rejeta l'appel lancĂ© par le gĂ©nie militaire amĂ©ricain et les tribus des Umatillas, des Colville, des Yakamas, des Nez-PercĂ©s, etc. estimant que les plaignants Ă©taient incapables de prouver leur parentĂ© avec l'homme prĂ©historique en question[8] - [9]. Le juge dĂ©montra en outre que le gouvernement fĂ©dĂ©ral avait agi de mauvaise foi et il accorda aux chercheurs le remboursement des 2 379 000 $ de frais occasionnĂ©s par le procès[10]. C'est ainsi que les Ă©tudes gĂ©nĂ©tiques purent reprendre.

Fin de la controverse et de la polémique

Selon une étude génétique, menée par l'équipe du chercheur danois Eske Willerslev (en), de l'université de Copenhague, et par l'École de médecine de l'université Stanford, publiée en juin 2015 dans la revue Nature, Morton Rasmussen, un des chercheurs, affirme « en analysant cet ADN ancien [du squelette], nous avons pu démontrer que l'Homme de Kennewick est plus étroitement lié aux populations amérindiennes actuelles qu’à n’importe quelle autre population ». Il a ajouté « en raison de la controverse entourant les origines de cet individu, ces nouvelles informations seront d’un grand intérêt pour les scientifiques et également pour les membres des tribus qui réclament le corps ». L'haplogroupe du chromosome Y (transmis de père en fils) de l'Homme de Kennewick est Q-M3 et son haplogroupe de l'ADN mitochondrial (transmis par la ligne maternelle) est X2a, deux marqueurs uniparentaux qui se trouvent presque exclusivement chez les Amérindiens[1] - [2] - [11]. D'après cette étude génétique, l'Homme de Kennewick est très proche des populations de la tribu Colville de l'État de Washington, et des Algonquins[11].

En 2016, le Corps du génie de l'armée des États-Unis puis la Smithsonian Institution ont annoncé qu'après deux décennies d'argumentations scientifiques et juridiques, les restes de l'Homme de Kennewick auraient une sépulture amérindienne[12] - [13], ce qui fut mis en œuvre en février 2017.

Notes et références

  1. (en) « Kennewick Man closely related to Native Americans, geneticists say », sur sciencedaily.com, (consulté le )
  2. Agence Science-Presse, « La saga Kennewick approche de sa fin », sur sciencepresse.qc.ca, (consulté le )
  3. Attilio Gaudio, L'odyssée de l'homme en marche : voyage anthropologique : connaissances actuelles et méthodes de recherche, Firenze University Press, , p. 120.
  4. Sylvie Briet, « L'Amérique s'en fait pour ses vieux os », sur liberation.fr, (consulté le )
  5. (en) Corey S. Sparks et Richard L. Jantz, « A reassessment of human cranial plasticity : Boas revisited », PNAS, vol. 99, no 23,‎ , p. 14636-14639 (DOI 10.1073/pnas.222389599, lire en ligne)
  6. (en) Ralph L. Holloway, « Head to head with Boas : Did he err on the plasticity of head form? », PNAS, vol. 99, no 23,‎ , p. 14622-14623 (DOI 10.1073/pnas.242622399, lire en ligne)
  7. (en) Lawrence Guy Straus, David J. Meltzer et Ted Goebel, « Ice Age Atlantis? Exploring the Solutrean-Clovis 'Connection' », World Archaeology, Taylor & Francis, Ltd., vol. 37, no 4,‎ , p. 507-532 (JSTOR 40025088, lire en ligne)
  8. Cf. le jugement « Judgment no. 02-35994 : Bonnichsen, et al., vs. United States, et al. » [PDF], sur United States Court of Appeals for the Ninth Circuit (Ninth Circuit Court of Appeals), (consulté le ).
  9. (en) Melissa Lee Phillips, « Scientists finally study Kennewick Man », sur BBC News, (consulté le ).
  10. (en) Douglas Preston, « The Kennewick Man Finally Freed to Share His Secrets », sur Smithsonian Magazine, .
  11. (en) Morten Rasmussen et al., « The ancestry and affiliations of Kennewick Man », Nature, no 523,‎ , p. 455-458 (DOI 10.1038/nature14625, lire en ligne)
  12. (en) « Kennewick Man to get Native American burial », sur Science, (consulté le ).
  13. (en) Erin Blakemore, « Over 9,000 Years Later, Kennewick Man Will Be Given a Native American Burial », sur Smithsonian, (consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

  • (en) James C. Chatters, Ancient Encounters : Kennewick Man and the First Americans, New York, Simon and Schuster, , 304 p. (ISBN 978-0-684-85936-1, OCLC 469321717, lire en ligne).
  • (en) Richard Dawkins, Unweaving the Rainbow : Science, Delusion and the Appetite for Wonder, Boston, Houghton Mifflin, (1re Ă©d. 1998), 336 p. (ISBN 978-0-618-05673-6, OCLC 45155530, lire en ligne).
  • Jean-Pierre Payot, La Guerre des Ruines : archĂ©ologie et gĂ©opolitique, Paris, Choiseul, , 188 p. (ISBN 978-2-36159-002-4, OCLC 718184088).
  • Collectif La Recherche, Les grandes controverses scientifiques, Paris, Dunod, , 166 p. (ISBN 978-2-10-071033-1), p. 135 Ă  145.

Articles connexes

Liens externes

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