Homme de Java
L'Homme de Java est le nom donné à un ensemble de fossiles appartenant à l'espÚce Homo erectus, découverts à Trinil, au bord du fleuve Solo (12 km à l'ouest de Ngawi), dans la province de Java oriental. Les premiers vestiges fossiles ont été découverts en 1891 et 1892 par le médecin et anatomiste néerlandais EugÚne Dubois. Ils lui ont permis de définir en 1894 l'espÚce Pithecanthropus erectus, renommée dans les années 1960 Homo erectus. D'autres fossiles ont été mis au jour par la suite à Trinil, en 1898 et 1900, puis en 1978. L'attribution de certains d'entre eux à l'espÚce Homo erectus est discutée. Selon la derniÚre étude de datation publiée en 2014, la couche géologique des fossiles de 1891 serait datée d'environ 500 000 ans.
Homme de Java | |||
Dessin d'un crĂąne d'homme de Java par EugĂšne Dubois en 1922. | |||
CoordonnĂ©es | 7° 22âČ 27âł sud, 111° 21âČ 28âł est | ||
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Pays | Indonésie | ||
Ăle | Java | ||
Kabupaten | Ngawi | ||
Vallée | Solo | ||
Localité voisine | Trinil | ||
Période géologique | PléistocÚne moyen | ||
Ăpoque gĂ©ologique | PalĂ©olithique infĂ©rieur | ||
DĂ©couvert le | 1891 | ||
DĂ©couvreur(s) | EugĂšne Dubois | ||
Particularités | premier homme fossile découvert hors d'Europe | ||
Identifié à | Homo erectus | ||
Géolocalisation sur la carte : Indonésie
GĂ©olocalisation sur la carte : Java
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Historique
Entre les deux ouvrages majeurs de Charles Darwin, L'Origine des espĂšces en 1859 et La Filiation de l'homme et la sĂ©lection liĂ©e au sexe en 1871, le biologiste et philosophe allemand Ernst Haeckel proposa un arbre gĂ©nĂ©alogique thĂ©orique de lâHomme, dans lequel il faisait apparaitre un « chainon manquant », un ĂȘtre intermĂ©diaire entre le singe et lâhomme. Dans son ouvrage LâHistoire de la crĂ©ation naturelle paru en 1868, il nomma cette crĂ©ature hypothĂ©tique Pithecanthropus alalus[1]. Le nom de genre Ă©tait formĂ© Ă partir des racines grecques ÏίΞηÎșÎżÏ, pĂthÄkos, « grand singe » et áŒÎœÎžÏÏÏÎżÏ, anthropos, « homme ». Le nom dâespĂšce Ă©tait formĂ© sur le prĂ©fixe privatif « a- » et le λαλÎÏ / laleĂŽ, « parler » : lâabsence de langage articulĂ© Ă©tait en effet considĂ©rĂ©e comme lâune des caractĂ©ristiques nĂ©cessaires du PithĂ©canthrope.
Le mĂ©decin anatomiste nĂ©erlandais EugĂšne Dubois, passionnĂ© par les nouvelles thĂ©ories relatives Ă lâorigine de lâHomme, entreprit de rechercher les fossiles prouvant lâexistence du PithĂ©canthrope, que Ernst Haeckel et le naturaliste anglais Alfred Russel Wallace imaginaient originaire d'Asie, notamment parce qu'on voit parfois les gibbons d'Asie du Sud-Est utiliser la marche bipĂšde sur de courtes distances. Pour cela, il sâengagea comme mĂ©decin militaire dans lâarmĂ©e des Indes orientales nĂ©erlandaises. NommĂ© en 1887 Ă Sumatra, en IndonĂ©sie, il sây rendit convaincu quâil trouverait sous les tropiques les traces dâun ĂȘtre intermĂ©diaire entre lâHomme et les grands singes[2] - [3].
AprĂšs deux annĂ©es de recherches infructueuses Ă Sumatra, la dĂ©couverte de l'Homme de Wajak en 1888 dans l'est de l'ile de Java l'incita Ă se rendre Ă Java, oĂč il entreprit de fouiller les dĂ©pĂŽts alluviaux du fleuve Solo, Ă Trinil, assistĂ© de deux ingĂ©nieurs et dâun groupe de prisonniers condamnĂ©s aux travaux forcĂ©s. En 1891, il dĂ©couvrit une molaire supĂ©rieure droite (Trinil 1) et une calotte crĂąnienne trĂšs particuliĂšre (Trinil 2), prĂ©sentant des caractĂ©ristiques quâil considĂ©ra d'abord comme proches des grands singes. Il proposa dans un premier temps l'appellation Anthropopithecus. En aout 1892, son Ă©quipe exhuma Ă 15 mĂštres des premiers fossiles un fĂ©mur portant une excroissance pathologique (Trinil 3) mais trĂšs proche dâun fĂ©mur d'homme moderne, appartenant incontestablement Ă un ĂȘtre parfaitement bipĂšde. En 1894, Dubois dĂ©crivit ces diffĂ©rents fossiles comme les restes dâune espĂšce inconnue jusquâalors, Pithecanthropus erectus, le « singe-homme Ă©rigĂ© ». La bipĂ©die Ă©vidente montrĂ©e par le fĂ©mur, combinĂ©e Ă la faible capacitĂ© crĂąnienne estimĂ©e de Trinil 2, permettaient Ă EugĂšne Dubois d'affirmer qu'il avait dĂ©couvert le fameux « chainon manquant » entre le singe et l'Homme annoncĂ© par Ernst Haeckel[4] - [5].
La publication dâEugĂšne Dubois fut accueillie avec scepticisme en Europe[6]. Seul l'Homme de NĂ©andertal Ă©tait alors connu, et ses rares fossiles, tout comme ceux de lâHomme de Cro-Magnon, suscitaient encore des dĂ©bats passionnĂ©s. De nombreux spĂ©cialistes doutaient du caractĂšre humain de la calotte crĂąnienne de Java et surtout de son association avec le fĂ©mur. Le doute a depuis Ă©tĂ© levĂ© sur la calotte crĂąnienne, qui appartient bien Ă l'espĂšce Homo erectus, mais le fĂ©mur demeure discutĂ©[7].
AprĂšs le retour d'EugĂšne Dubois en Europe, son Ă©quipe reprit les fouilles et mit au jour en 1898 et 1900 sur le mĂȘme site d'autres fossiles humains, une sĂ©rie de fĂ©murs partiels et une prĂ©molaire, notĂ©s Trinil 5 Ă 8[8].
En 1950, le biologiste germano-américain Ernst Mayr proposa de renommer le Pithécanthrope sous le nom d'Homo erectus, ce qui fut entériné dans les années 1960. En 1978, le chercheur indonésien Teuku Jacob découvrit deux fragments de fémurs supplémentaires sur le site de Trinil, notés Trinil 9 et 10.
Liste des fossiles de Trinil
Fossiles découverts par EugÚne Dubois
En 1891 et 1892, EugÚne Dubois découvrit une calotte crùnienne, un fémur, et deux molaires dans la formation géologique Trinil H.K.[9]
- Trinil 1 : molaire supérieure droite, 1891
- Trinil 2 : calotte crĂąnienne, 1891
- Trinil 3 : fémur I, fémur gauche complet pathologique, 1892[8]
- Trinil 4 : molaire, 1892
En 1894, EugÚne Dubois décrivit le Pithecanthropus erectus sur la base de ces fossiles.
Fossiles découverts par l'équipe d'EugÚne Dubois
EugĂšne Dubois Ă©tait rentrĂ© en Europe, mais son Ă©quipe dĂ©couvrit en 1898 et 1900 de nouveaux vestiges humains, supposĂ©ment sur le mĂȘme site, une dent et plusieurs diaphyses fĂ©morales, qui sont des fĂ©murs sans leurs articulations proximale et distale[8], mais la couche gĂ©ologique oĂč ont Ă©tĂ© trouvĂ©s les fĂ©murs est incertaine, et leur attribution discutĂ©e[9] :
- Trinil 5 : prémolaire inférieure, 1898, formation Trinil H.K.[9]
- Trinil 6 : fémur II, fémur droit sans extension distale, 1900
- Trinil 7a : fémur III, diaphyse gauche, 1900
- Trinil 7b : fémur V, fragment de diaphyse gauche, 1900
- Trinil 8 : fémur IV, diaphyse droite, 1900
Fossiles découverts par Teuku Jacob
Deux fragments de fĂ©murs humains ont Ă©tĂ© dĂ©couverts en 1978, supposĂ©ment sur le mĂȘme site, par le chercheur indonĂ©sien Teuku Jacob[8] :
- Trinil 9 : diaphyse droite, 1978
- Trinil 10 : diaphyse droite incomplĂšte, 1978
Datations et débats
Les fossiles découverts par EugÚne Dubois ont été estimés ùgés d'environ 700 000 ans par le chercheur germano-néerlandais Gustav von Koenigswald dans les années 1930. Puis des études ont proposé un ùge compris entre 1 million et 700 000 ans, qui est resté longtemps admis[9]. En 2014, une nouvelle étude a daté la couche géologique de Trinil 2 entre 540 000 et 430 000 ans.
Le fossile Trinil 2 reste attribué à l'espÚce Homo erectus, mais les deux molaires ont été réattribuées en 2019 par le chercheur français Clément Zanolli à l'espÚce Meganthropus palaeojavanicus, qui ne ferait pas partie de la sous-tribu des Hominina[10].
Les fémurs et fragments de fémurs paraissent trÚs modernes à plusieurs chercheurs, qui se demandent si certains d'entre eux ne seraient pas plutÎt des fémurs d'Homo sapiens, introduits par des remaniements géologiques dans la couche stratigraphique de la calotte crùnienne Trinil 2, à moins qu'ils aient été trouvés dans une couche géologique distincte. Le débat n'est toujours pas tranché à ce jour.
Références
- (de) Ernst Haeckel, 1868, NatĂŒrliche Schöpfungsgeschichte, Berlin
- François Sémah, Purwasito A., et Djubiantono T., 1993, « Un fascinant chainon manquant », in : Le Pithécanthrope de Java - A la découverte du chainon manquant, François Sémah et Dominique Grimaud-Hervé (dir.), Les Dossiers de l'Archéologie, no 184, p. 4-11
- Jean-Jacques Hublin, 2001, « La conquĂȘte des vieux continents », in : Aux origines de l'humanitĂ© - de l'apparition de la vie Ă l'homme moderne, Yves Coppens et Pascal Picq (dir.), Fayard, p. 348-377
- (de) EugÚne Dubois, 1894, Pithecanthropus erectus, eine menschenÀhnliche Uebergagsform aus Java, Batavia, Landesdruckerei
- (en) Bernard Wood, Wiley-Blackwell Encyclopedia of Human Evolution, Wiley-Blackwell, , 1056 p. (ISBN 978-1-118-65099-8, DOI 10.1002/9781444342499)
- EugĂšne Dubois, « Le Pithecanthropus erectus et l'origine de l'homme », Bulletin de la SociĂ©tĂ© d'anthropologie de Paris, vol. 7,â , p. 460-467 (lire en ligne)
- Jacqueline Ducros et Albert Ducros, « L'AnnĂ©e de l'homme-singe », Bulletins et MĂ©moires de la SociĂ©tĂ© d'anthropologie de Paris, Nouvelle SĂ©rie, vol. 3-4, t. 5,â , p. 457-473 (DOI 10.3406/bmsap.1993.2376, lire en ligne). Un compte-rendu du congrĂšs international « Pithecanthropus Centennial 1893-1993 » (Leiden, 1993)
- Dominique Grimaud-Hervé, Frédérique Valentin, François Sémah, Anne-Marie Sémah, Tony Djubiantono, et Harry Widianto, Le fémur humain Kresna 11 comparé à ceux de Trinil, Comptes-Rendus de l'Académie des Sciences, Paris, t. 318, série II, p. 1139 à 1144, 1994, lire en ligne
- (en) Robin Dennell, The Palaeolithic Settlement of Asia, Cambridge University Press, (lire en ligne), p. 147
- (en) Clément Zanolli, Reassessing the Early to Middle Pleistocene hominid diversity in Java, 8 avril 2019