Histoire locale
Lâhistoire locale est le domaine des recherches et publications historiques centrĂ©es sur un territoire particulier, gĂ©nĂ©ralement limitĂ© de maniĂšre volontaire Ă une localitĂ© ou Ă une zone gĂ©ographique trĂšs restreinte. L'objet des recherches peut varier et toucher simultanĂ©ment Ă des disciplines trĂšs variĂ©es : l'archĂ©ologie, la gĂ©ographie, la dĂ©mographie, la gĂ©nĂ©alogie, la dialectologie, la toponymie, et bien d'autres. Les Ă©tudes sont souvent rĂ©alisĂ©es et publiĂ©es par des sociĂ©tĂ©s savantes locales.
DĂ©finition et concept
Lâhistoire locale est indissociable de son lieu dâĂ©tude. Pour la dĂ©finir plus clairement, certains historiens parlent « dâĂ©rudition locale ». En opposition aux historiens dits professionnels qui tendent Ă se spĂ©cialiser dans un domaine historique prĂ©cis, lâhistorien local construit un savoir large sur la localitĂ© (ou la rĂ©gion) sur laquelle il travaille. Par cet ancrage gĂ©ographique, les historiens contribuant Ă cette Ă©rudition participent Ă lâaffirmation dâune identitĂ© locale. Ainsi, Ă©tudier le passĂ© local est un moyen de prouver que le lieu est digne dâintĂ©rĂȘt[1].
Certains Ă©vĂ©nements locaux peuvent susciter cette soif de savoirs sur un lieu prĂ©cis comme lâouverture inattendue de fouilles archĂ©ologiques, la mobilisation autour d'un monument en ruine menacĂ©, d'un site remarquable, d'un redĂ©coupage administratif ou des commĂ©morations en tous genres. Quel que soit lâĂ©lĂ©ment dĂ©clencheur â le lieu, la pĂ©riode chronologique ou le thĂšme â, la fonction essentielle de lâhistoire locale consiste, en particulier par des publications (monographies, revues), Ă satisfaire la curiositĂ© dâun public souhaitant connaĂźtre le passĂ© dâune localitĂ© ou dâune rĂ©gion. Les Ă©tudes en histoire locale servent ainsi Ă nourrir des monographies ou des synthĂšses plus vastes mettant en avant des comparaisons rĂ©gionales. Elles poursuivent Ă©galement des objectifs locaux relevant de ce que l'on nomme aujourd'hui l'histoire publique, tels que fournir des informations dâordre touristique sur un lieu particulier et coopĂ©rer avec des syndicats d'initiative.
Objets d'Ă©tude
Les objets dâĂ©tude de lâhistoire locale sont trĂšs diversifĂ©s. Cependant, il est possible de dĂ©limiter un espace prĂ©cis dans lequel ces Ă©tudes sâinsĂšrent de maniĂšre rĂ©currente. Le topos peut ĂȘtre de nature et d'extension variable, allant par exemple de lâhistoire dâun quartier Ă celle dâune ville ou dâune rĂ©gion. Ă lâinstar du lieu dâĂ©tude, la pĂ©riode embrassĂ©e par l'histoire locale peut porter sur la naissance d'une commune Ă la pĂ©riode contemporaine, ou, au contraire, s'attacher Ă une pĂ©riode plus lointaine, ou encore brosser une Ă©volution sur le long terme[2].
Ceal dit, une part importante des Ă©tudes dâhistoire locale concerne lâhistoire du Temps prĂ©sent car elle permet de solliciter les tĂ©moignages des anciens. En tant que dĂ©tenteurs des savoirs, des pratiques et des traditions, ces derniers sont des maillons essentiels dans leur transmission ainsi que dans leur prĂ©servation par les historiens locaux[3].
Du point de vue thĂ©matique, lâhistoire locale ne se limite pas Ă la seule discipline historique, mais s'ouvre Ă d'autres domaines tels que les beaux-arts, lâarchitecture, la gĂ©ographie, la littĂ©rature, le folklore, lâarchĂ©ologie, etc.
MĂ©thodologie
Comme tout courant historiographique, l'histoire locale doit rĂ©pondre aux mĂ©thodes rigoureuses de la science historique. Elle comporte encore souvent des travaux rĂ©alisĂ©s par des « amateurs » peu formĂ©s aux exigences du mĂ©tier d'historien. En rĂ©alitĂ©, mĂȘme si lâhistoire locale a tendance Ă moins sâinterroger sur ses mĂ©thodes et ses objectifs, sa pratique comporte quelques spĂ©cificitĂ©s quâil sâagit dâĂ©clairer.
Outre le fait de focaliser son Ă©tude sur un espace restreint dont lâhistorien amateur est souvent issu, lâhistoire locale recourt Ă une dĂ©marche beaucoup plus souple et plus narrative, loin des modĂšles universitaires. De plus, elle a la particularitĂ© dâĂȘtre en partie lâĆuvre de professionnels (notaires, magistrats, banquiers, mĂ©decins, etc.) qui mettent leurs connaissances pratiques au service de la comprĂ©hension du passĂ©.
Ătant donnĂ© sa limitation gĂ©ographique, lâhistoire locale est davantage qualitative que quantitative. Cela est dĂ» en partie Ă la dimension rĂ©duite de l'objet, mais aussi au manque de qualification dans le traitement de donnĂ©es statistiques. L'histoire locale est Ă©galement plus concrĂšte, plus proche de la reconstitution de la vie quotidienne des anciens dâun quartier ou dâune ville. DĂšs lors, elle souligne lâĂ©cart entre lâhistoire gĂ©nĂ©rale et les rĂ©alitĂ©s parfois diffĂ©rentes, telles que vĂ©cues dans les rĂ©gions[4].
Peu dâĂ©tudes d'envergure internationale ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es sur lâhistoire locale et la plupart des recherches scientifiques portant sur ce courant se rapportent Ă un Ă©vĂ©nement dans un contexte national particulier[5]. Par dĂ©finition, lâhistoire locale est ancrĂ©e dans une localitĂ© et embrasse, tout au plus, l'espace rĂ©gional. Ă ce stade, le courant d'histoire locale ne cherche pas Ă universaliser sa mĂ©thodologie et ses enjeux, car tant les recherches que les rĂ©flexions se situent au niveau local[6] - [7].
Sources
Ă lâinstar de l'histoire gĂ©nĂ©rale, lâhistoire locale Ă©tudie une large diversitĂ© de sources, lesquelles varient selon le contexte chronologique et spatial. Les thĂšmes de recherche dĂ©pendent aussi des auteurs [8] - [9]. La liste ci-dessous n'est donc pas exhaustive :
- Archives notariales (RĂ©pertoire de notaires, etc.)
- Registre paroissial
- Registre d'Ă©tat civil
- Recensement
- Tableaux de conscription
- Cahier de doléances
- Presse Ă©crite
- EnquĂȘtes orales
- Archives politiques
- Archives d'organismes de charité et d'aides aux pauvres
- Archives de l'industrie
- etc.
Historiographie et spécificités géographiques
Belgique
MĂȘme si l'intĂ©rĂȘt pour l'histoire locale est sans doute aussi ancien que le loisir permettant Ă certains privilĂ©giĂ©s de s'intĂ©resser Ă l'histoire gĂ©nĂ©rale, les origines de lâhistoire locale en Belgique sont Ă relier Ă lâexistence des sociĂ©tĂ©s savantes. Peu aprĂšs lâindĂ©pendance du pays, un sentiment nationaliste et romantique engendre une importante prise de conscience identitaire. DĂšs lors, des sociĂ©tĂ©s savantes (cercles, acadĂ©mies, associations, etc.) ayant notamment pour objectif lâĂ©tude du passĂ© local et la sauvegarde du patrimoine matĂ©riel et immatĂ©riel, font leur apparition[10]. En lâespace de dix ans, quatre sociĂ©tĂ©s savantes sont fondĂ©es en Belgique : Mons (1835), Bruges (1839), Tournai (1845) et Namur (1845)[11]. De 1830 Ă 1900, dix-sept sociĂ©tĂ©s sont recensĂ©es dans le sud du pays, contre seulement neuf en Flandre.
Le besoin de se coordonner et de rĂ©aliser une histoire scientifique donne naissance en 1885 Ă la FĂ©dĂ©ration des Cercles ArchĂ©ologiques et dâHistoire de Belgique. La publication rĂ©guliĂšre des rĂ©sultats de la FĂ©dĂ©ration souligne alors la diversitĂ© des Ă©tudes menĂ©es par les « amateurs » et les professionnels dans le domaine de lâhistoire locale. D'un point de vue topologique, un rĂ©trĂ©cissement s'opĂšre dans le temps : si les sociĂ©tĂ©s savantes du XIXe siĂšcle Ă©tendent leur champ dâaction Ă lâhistoire dâune province ou dâune ville, les entreprises nĂ©es durant la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle sâintĂ©ressent essentiellement Ă lâhistoire dâune ville et de ses habitants. Depuis 1960, le champ dâaction sâest encore rĂ©duit, portant dĂ©sormais son intĂ©rĂȘt sur des quartiers, des rues, des Ă©vĂ©nements ou des personnages[12]. En 1978, lâAssociation des Cercles francophones dâHistoire et dâArchĂ©ologie de Belgique se constitue parallĂšlement Ă la fĂ©dĂ©ralisation du pays[13].
Outre cette rĂ©duction gĂ©ographique apparente, les sociĂ©tĂ©s savantes se distinguent par leurs prĂ©occupations. Certaines privilĂ©gient les beaux-arts et le folklore tandis que dâautres consacrent davantage d'efforts Ă lâarchĂ©ologie. De plus, toutes ces sociĂ©tĂ©s ne produisent pas une histoire similaire. Alors que certaines sont de vĂ©ritables acadĂ©mies dont les productions scientifiques sont riches et inĂ©dites, dâautres ne pratiquent que des recherches de « seconde main » Ă la qualitĂ© parfois mĂ©diocre. Les sociĂ©tĂ©s savantes sont Ă©galement investies dâune sĂ©rie de taches et de missions importantes :
« dâune part rechercher, collectionner, rĂ©pertorier et Ă©tudier le patrimoine artistique, les archives, le matĂ©riel iconographique et les parlers rĂ©gionaux, dâautre part mettre Ă profit toutes les occasions dâencourager de nouvelles recherches. Ils travaillent du reste gĂ©nĂ©ralement sur un territoire gĂ©ographique restreint et bien dĂ©limitĂ©. Les rĂ©sultats des recherches peuvent ainsi ĂȘtre publiĂ©s dans des revues, des annuaires ou des monographies qui contribuent Ă une meilleure connaissance de la tradition locale[14]. »
En conclusion, les sociĂ©tĂ©s savantes se positionnent en protectrices de leur patrimoine et constituent un facteur essentiel de la pĂ©rennitĂ© de lâhistoire locale.
France
En Europe, c'est en Italie que les prĂ©curseurs peuvent ĂȘtre identifiĂ©s : Paul Ămile, Du Haillan⊠En France, il faut attendre le XVIIe pour que certains curieux se penchent sur les antiquitĂ©s rĂ©gionales et en dressent un tableau. Ainsi paraĂźt en 1609, AntiquitĂ©s et recherches des villes de France par AndrĂ© Du Chesne, couvrant le territoire national selon le ressort des huit parlements.
Le clergĂ© catholique acquiert un rĂŽle central dans la production historique durant les siĂšcles suivants. D'abord les moines, bĂ©nĂ©dictins en particulier, assurent de maniĂšre prĂ©coce une transmission et conservation de documents sans Ă©quivalents par ailleurs, mais surtout, une forte implication locale (droits, justifications des revenus, etc.) Par la suite, le clergĂ© sentant sa prĂ©Ă©minence toujours un peu plus exposĂ©e Ă des dĂ©veloppements concurrents, voire hostiles, se prĂ©occupe de la consolider autant que possible. Afin que leurs prĂ©rogatives en matiĂšre de justice soient davantage respectĂ©es, l'AssemblĂ©e du clergĂ© de 1615 invite les Ă©vĂȘques Ă soutenir leurs droits et donc Ă valoriser les preuves et l'anciennetĂ©.
Durant ce siĂšcle, l'histoire locale reste cantonnĂ©e une dĂ©marche de collecte des documents disponibles. Leur publication ne s'occupe de la critique des textes que d'une façon assez marginale. Les Ă©vĂȘchĂ©s, les Ă©vĂȘques, les monastĂšres, sont le sujet de plusieurs ouvrages essentiellement structurĂ©s de maniĂšre chronologique. Dom Guillaume Morin, grand prieur de l'abbaye Saint-Pierre de FerriĂšres, Ă©largit le champ d'investigations et donne une place aux paroisses dans son Histoire du Gastinais.
Pour une approche davantage mĂ©thodique, Luc Achery prĂ©sente dans sa circulaire de 1647 un tableau des thĂšmes essentiels de l'histoire d'un monastĂšre : la fondation, la vie monastique, le pouvoir de l'abbĂ© et son rĂŽle local, les biens, l'abbaye, etc. Un demi-siĂšcle plus tard, Dom J. Mabillon s'adresse au public lui-mĂȘme dans son ouvrage intitulĂ© Avis pour ceux qui travaillent aux histoires de monastĂšres, achevĂ© en , mais seulement publiĂ© en 1724. Il participe au mouvement d'affranchissement Ă l'Ă©gard des documents, des faits et de leur chronologie vers une vĂ©ritable historiographie.
La suite du dĂ©veloppement de l'histoire locale est marquĂ©e par l'abbĂ© LebĆuf (1687-1760) et le succĂšs rencontrĂ© par son Histoire du diocĂšse de Paris. Il incarne le modĂšle du premier historien local. En effet, il va lui-mĂȘme chercher les informations directement dans les paroisses, les structure autour d'un questionnaire de base (critĂšre de « valeur charpentiĂšre » comme dirait V. CarriĂšre[15]) et les critique en fonction des structures fonciĂšres telles que la dimension urbaine ou rurale. Conscient des moyens limitĂ©s d'un seul homme face Ă l'ampleur de la tĂąche, il s'efforce de susciter l'Ă©mulation au sein des acadĂ©mies de province. Bien que fortement contrariĂ© par la RĂ©volution française, ce mouvement est durablement initiĂ©.
La RĂ©volution bouleverse les cadres matĂ©riels â en l'occurrence par la destruction, la saisie des archives ecclĂ©siastiques et la crĂ©ation de l'Ă©tat civil â et conteste la place centrale du clergĂ© qu'il occupe depuis des siĂšcles. C'est donc quelques annĂ©es plus tard, selon une certaine parentĂ© avec les premiers efforts de consolidation de ses droits aux XVe-XVIe siĂšcle, que le clergĂ©, et particuliĂšrement le haut clergĂ© soutient l'Ă©tude du passĂ© (proche, mais lointain) de l'Ăglise Ă l'Ă©chelle locale.
Ce n'est certes pas par un intĂ©rĂȘt historique abstrait, mais prĂ©occupĂ© par la qualitĂ© des bons offices de ses curĂ©s, que dĂšs le dĂ©but de son Ă©piscopat en 1828, Claude-Louis de Lesquen, Ă©vĂȘque de Rennes, publie une ordonnance d'environ 260 pages consacrĂ©es Ă la rĂ©daction d'un registre de paroisse. Il s'agit d'un vĂ©ritable journal reprenant la vie de la paroisse que chaque curĂ© doit transmettre Ă son successeur pour la continuitĂ© et la qualitĂ© du service de cette derniĂšre. Le volume donne le dĂ©tail de toutes les questions Ă considĂ©rer, en commençant par tout ce qui touche aux origines anciennes de l'Ăglise et de la paroisse en gĂ©nĂ©ral. DĂšs lors, chaque curĂ©, bien ou mal disposĂ©, doit se faire historien local et traquer les Ă©vĂ©nements constitutifs de sa paroisse. Cette initiative ne reste pas sans lendemain et est soutenue par ses successeurs, en particulier Ă travers la circulaire Ă©piscopale du . Une vaste opĂ©ration de collecte et de numĂ©risation de ces cahiers de paroisse entreprise autour de l'annĂ©e 2000 par un directeur honoraire des Archives dĂ©partementales d'Ille-et-Vilaine, a assurĂ© la prĂ©servation de plus de 400 registres, concernant 280 paroisses.
Ces initiatives se multiplient au cours de la deuxiÚme moitié du siÚcle et reçoivent les encouragements diocésains, tel qu'il résulte par exemple des conférences ecclésiastiques du DiocÚse de Poitiers en 1847.
Entre-temps, la recherche historique s'est dĂ©veloppĂ©e en dehors du champ religieux, mĂȘme si lĂ aussi, les troubles successifs dĂ©tournent puis soutiennent le regard rĂ©trospectif. Des sociĂ©tĂ©s savantes commencent Ă se dĂ©velopper dans les rĂ©gions. AprĂšs les ComitĂ©s des Chartes fondĂ©s par Moreau de Saint-MĂ©ry, Guizot Ă©tablit en 1833 les ComitĂ©s des travaux historiques et scientifiques. Les archives dĂ©partementales sortent insensiblement de l'ombre et s'Ă©mancipent du dĂ©sordre dont on les a chargĂ©es.
En 1864, l'abbé Auber participe à la 31e session du CongrÚs archéologique de France par son exposé De la rédaction des chroniques paroissiales. En 1874, un quart des 258 volumes de la Collection des documents inédits relatifs à l'histoire de France concerne directement l'histoire locale.
Ce sont les érudits locaux du XIXe siÚcle qui contribuent largement à inventer la « France des pays », mis en valeur par la géographie de l'école de Paul Vidal de La Blache dans les années 1900. Ils mettent en place une mémoire et une identité locales, fondées sur la reconnaissance et l'étude du patrimoine, comme le montre l'exemple du VendÎmois à partir des années 1840.
De la fin du siÚcle jusqu'à la PremiÚre Guerre mondiale, les sociétés savantes continuent à se développer et produisent donc des travaux d'histoire locale. Qu'elles soient complémentaires ou concurrentes, les initiatives paroissiales participent toujours à l'émulation et à la production d'articles, publiés par la suite dans les bulletins paroissiaux.
Ă l'initiative d'AndrĂ© Malraux et d'AndrĂ© Chastel, le service de l'Inventaire gĂ©nĂ©ral des monuments et richesses artistiques de la France est crĂ©Ă© en 1962[16]. Sous la tutelle du ministĂšre de la Culture, il a pour mission de « recenser et dĂ©crire l'ensemble des constructions prĂ©sentant un intĂ©rĂȘt culturel ou artistique ainsi que l'ensemble des Ćuvres et objets d'art crĂ©Ă©s ou conservĂ©s en France depuis les origines ». Ce service possĂšde une direction centrale et des directions rĂ©gionales Ă©laborant une information de nature scientifique selon des normes nationales. Cette information (bases de donnĂ©es, textes, photographies, relevĂ©s graphiques, cartographie, bibliographie, etc.) fournit aux chercheurs et Ă toute personne intĂ©ressĂ©e, des donnĂ©es homogĂšnes sur les Ă©difices et les objets d'art en France. Ce travail aboutit Ă la publication par l'Imprimerie nationale d'une collection de monographies portant sur le patrimoine d'un canton. Le service de l'Inventaire a Ă©galement crĂ©Ă© les bases MĂ©rimĂ©e, Palissy et Archidoc. En trente-cinq ans, prĂšs de 35 % du territoire a Ă©tĂ© recensĂ©[17].
La derniĂšre partie du XXe siĂšcle est marquĂ©e sur ce plan par de nouvelles facilitĂ©s de reproduction et de publication (photocopie, informatique et photographie numĂ©rique par exemple) et de communication, notamment grĂące Ă l'apparition d'internet. Des colloques et des « rencontres d'histoire locale » sont organisĂ©s dans les rĂ©gions. Le grand public s'intĂ©resse Ă son passĂ© et l'histoire locale permet Ă plus d'un amateur d'en faire une exploration active. ConcrĂštement, la modernisation progressive des services d'archives assure de bonnes conditions de travail aux chercheurs. Il ne manque plus le plus souvent que quelques commĂ©morations ou Ă©vĂšnements particuliers rĂ©unissent les Ă©nergies autour d'un projet relativement ambitieux s'il veut ĂȘtre sĂ©rieux.
EncouragĂ© par le ministĂšre du Tourisme, Michel-Georges Micberth lance en 1986 la collection Monographies des villes et villages de France : en 2017, elle compte plus de 3 480 titres Ă son catalogue (monographies locales, dictionnaires dĂ©partementaux et rĂ©gionaux). Cette collection donne la possibilitĂ© de retrouver des ouvrages rares ou difficilement accessibles. Ă ses dĂ©buts, elle Ă©tait administrĂ©e par une association (loi 1901), elle est aujourdâhui Ă©ditĂ©e par Le livre dâHistoire-Lorisse.
Grande-Bretagne
Lâhistoire locale en Grande-Bretagne ne concerne pas uniquement des professionnels. Il existe un vĂ©ritable intĂ©rĂȘt de la part des amateurs pour ce type dâhistoire Ă lâinstar dâautres espaces gĂ©ographiques. NĂ©anmoins, le cas britannique contraste quelque peu avec ses voisins car lâhistoire locale y connait un dĂ©veloppement universitaire trĂšs prospĂšre. Il existe de vĂ©ritables dĂ©partements dâhistoire locale dans les universitĂ©s britanniques. La premiĂšre universitĂ© Ă couvrir ce champ est lâUniversitĂ© de Leicester en 1965 avec lâun des pionniers en la matiĂšre, le professeur W. G. Hoskins (en). Depuis, lâEnglish local history sâest largement rĂ©pandue en tant que discipline acadĂ©mique. Il y a Ă©galement la British Association for Local History, fondĂ©e en 1982, ayant pour but la promotion de ce type dâhistoire dans les milieux universitaires, mais Ă©galement chez les amateurs, davantage sous la forme de loisir. Il y a donc dans cette rĂ©gion une volontĂ© de concilier le milieu acadĂ©mique et amateur[18].
Cette histoire peut se concentrer sur des thĂ©matiques multiples. Elle sâintĂ©resse par exemple au passĂ© des villes, des paroisses, du paysage, des Ă©coles, des populations, etc. : une multiplicitĂ© d'Ă©lĂ©ments qui caractĂ©risent la vie locale des Britanniques. Ces thĂšmes peuvent ĂȘtre Ă©tudiĂ©s pour toutes les pĂ©riodes. En effet, certaines Ă©tudes prennent lâAntiquitĂ© comme point de dĂ©part tandis que d'autres s'attachent aux pĂ©riodes les plus rĂ©centes[19].
L'Histoire orale est l'une des ramifications les plus fécondes en Grande-Bretagne. Celle-ci connait un renouveau dans les milieux professionnels et chez les historiens locaux depuis le travail de George Ewart Evans, Ask the Fellows Who Cut the Hay (1956) qui y développe les techniques principales de ce courant [20].
Allemagne
Tout comme en Belgique et en France, lâhistoire locale allemande est principalement conduite par les instituts rĂ©gionaux et sociĂ©tĂ©s savantes qui se sont rĂ©unis en 1852, sous la houlette de Hans von und zu AufseĂ et du Prince Jean Ier de Saxe pour former la Gesamtverein der deutschen Geschichts- und Altertumsvereine. Depuis lors, elle publie chaque annĂ©e la BlĂ€tter fĂŒr deutsche Landesgeschichte, exceptĂ© entre 1944 et 1950[21].
L'un des premiers jalons de lâhistoire locale en Allemagne sont les Dorfchroniken (chroniques de village) oĂč est inscrite annĂ©e aprĂšs annĂ©e la vie de la communautĂ©. Ces chroniques sont des commandes Ă©manant des Ătats : lâĂ©dit n°14870B du Königlichen Regierung zu Minden dĂ©crĂšte qu'Ă partir du , toutes les municipalitĂ©s doivent se doter dâun livre de chronique et ont pour tĂąche de le poursuivre rĂ©guliĂšrement. AprĂšs la Seconde Guerre mondiale, lâhistoire locale tombe dans le discrĂ©dit Ă la suite de la montĂ©e du National-socialisme et de nombreuses chroniques de village sont abandonnĂ©es. Cependant, le mouvement de mai 1968 trouve un nouvel intĂ©rĂȘt Ă ce domaine de l'histoire et se focalise dĂšs lors sur les crimes de guerre.
Espagne
Depuis la pĂ©riode mĂ©diĂ©vale, les institutions produisant des documents relatifs Ă lâhistoire locale sont particuliĂšrement puissantes en Espagne. En consĂ©quence, ces documents sont donc nombreux, mais mal entretenus et dispersĂ©s. Les archives municipales se retrouvent dans les communes (conseil municipal) tandis que les institutions ecclĂ©siastiques conservent les archives paroissiales et monastiques. Dans les institutions supĂ©rieures, les sources sur lâhistoire locale gardent la municipalitĂ© comme critĂšre de classification. Il est donc facile de trouver les documents administratifs, judiciaires et ecclĂ©siastiques dans les archives provinciales et les archives de lâĂtat.
Pour la pĂ©riode moderne, deux sources sont incontournables. La premiĂšre sont les Relations topographiques de Philippe II (roi d'Espagne), qui a pour ambition dâĂ©tablir une description dĂ©taillĂ©e de toutes les localitĂ©s du royaume. La deuxiĂšme est le Cadastre d'Ensenada, une enquĂȘte minutieuse Ă grande Ă©chelle sur la population, les propriĂ©tĂ©s, les bĂątiments, le bĂ©tail, les mĂ©tiers, les revenus, le recensement, et mĂȘme les spĂ©cificitĂ©s gĂ©ographiques de chaque rĂ©gion. Il existe Ă©galement dâautres sources importantes telles que les MĂ©moires politico-Ă©conomiques dâEugenio Larruga y Boneta et le Diccionario geogrĂĄfico-estadĂstico-histĂłrico de España y sus posesiones de Ultramar de Pascual Madoz. Ces sources sont des initiatives privĂ©es, mais toujours soutenues par lâĂtat. Il existe Ă©galement dans de nombreuses localitĂ©s, des travaux dâĂ©rudits locaux ayant produit des chroniques sur les faits importants de leur rĂ©gion.
Pour la pĂ©riode contemporaine, les statistiques officielles et la multiplication des sources publiques ou privĂ©es rendent abondante la documentation sur lâhistoire locale. Les journaux et mĂȘme lâhistoire orale deviennent des sources importantes.
Ătats-Unis
Aux Ătats-Unis, lâhistoire locale se concentre sur lâhistoire dâun lieu, des habitants dâun village et dâun canton particulier. Chaque ville, village ou canton ont une histoire et proposent ses propres sources. Cependant, ces derniĂšres sont dispersĂ©es et successivement divisĂ©es par Ătat, canton et village, ce qui rend les recherches plus complexes. LâAssociation amĂ©ricaine pour lâhistoire nationale et locale a pour but de faciliter lâaccĂšs et la diffusion de ces sources, en regroupant des historiens, des bĂ©nĂ©voles, des musĂ©es ou des sociĂ©tĂ©s historiques.
LâĂtat et les municipalitĂ©s locales ont souvent des institutions complĂ©mentaires pour couvrir des sites dâintĂ©rĂȘt plus local. Dans le registre national amĂ©ricain, prĂšs de 79 000 sites historiques sont inscrits. Aujourdâhui, beaucoup de sociĂ©tĂ©s historiques recherchent activement des collections manquantes afin de complĂ©ter cette histoire locale.
Depuis peu, un nouveau mouvement Ă©merge aux Ătats-Unis. Il sâagit dâune nouvelle forme dâhistoire locale prenant place dans plusieurs quartiers urbains du pays : If This House Could Talk. Cette nouvelle tendance Ă petite Ă©chelle encourage lâintĂ©rĂȘt pour lâhistoire locale et permet une participation plus large du public. Toutefois, aucun comitĂ© scientifique ne supervise ce mouvement et aucun examen nâest fait pour vĂ©rifier le contenu. Si ce mouvement tend Ă publier ses travaux dans des collections permanentes dâhistoire locale, elles seront surement surveillĂ©es par une organisation dâhistoriens confirmĂ©s par la suite.
Australie[22]
De la mĂȘme maniĂšre quâaux Ătats-Unis, lâAustralie sâintĂ©resse Ă©galement Ă son histoire locale. Cette histoire se concentre surtout sur des villes (en se focalisant sur un quartier central des affaires (SBD), sa banlieue ou ses municipalitĂ©s) ou sur des campagnes. Cependant, les limites des collectivitĂ©s locales ont changĂ© au fil du temps. En dehors des villes, lâhistoire locale analyse le plus souvent les villages et les zones environnantes.
Les historiens ont observĂ© la maniĂšre dont lâhistoire locale a Ă©tĂ© traitĂ©e en Australie depuis le XIXe siĂšcle. Dans un premier temps, il sâagit avant tout dâune histoire des pionniers et des colons, mais Ă©galement des communautĂ©s autochtones. Dans un second temps, lâhistoire locale sâest intĂ©ressĂ©e Ă lâhistoire urbaine, lâhistoire publique ainsi quâĂ son patrimoine.
Les sources pour faire cette histoire sont gĂ©nĂ©ralement conservĂ©es dans les bibliothĂšques dâĂtat, les bibliothĂšques publiques, les sociĂ©tĂ©s historiques et les dĂ©pĂŽts dâarchives publiques. Par exemple, la BibliothĂšque dâĂtat de Victoria possĂšde une grande quantitĂ© de documents traitant de ce type dâĂ©tude pour la ville de Melbourne et dâautres localitĂ©s environnantes. Dâautres bibliothĂšques de la rĂ©gion offrent Ă©galement des collections dâhistoire locale, mais il serait absurde de se limiter Ă ces seules institutions. En effet, il en existe dâautres telles que la Public Record Office Victoria et la Royal Historical Society of Victoria. En Nouvelle-Galles du Sud, la Royal Australian Historical Society, crĂ©Ă©e en 1901, est lâinstitution de rĂ©fĂ©rence pour lâhistoire locale.
Controverse
L'histoire locale connaĂźt Ă©galement son lot de dĂ©bats. Ainsi, les historiens universitaires, c'est-Ă -dire des historiens professionnels formĂ©s Ă la science historique, ont parfois relĂ©guĂ© l'histoire locale au second plan de la pratique historique. Ce domaine est davantage perçu comme une histoire faite par des amateurs et est donc en opposition face Ă des courants historiographiques encouragĂ©s dans les institutions universitaires (histoire globale, histoire intellectuelle, etc.). La pratique de lâhistoire locale et rĂ©gionale semble ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme infĂ©rieure Ă dâautres types dâhistoire.
Ce prĂ©tendu rapport hiĂ©rarchique repose sur la distinction du savoir des producteurs : dâune part, une connaissance produite par des historiens universitaires experts de la discipline historique, et dâautre part, celui issu dâhistoriens « amateurs », non-initiĂ©s aux complexitĂ©s de la pratique. Les uns se tournent vers la communautĂ© scientifique internationale, les autres vers le public ciblĂ© plus localement. Les critiques Ă lâĂ©gard de lâhistoire locale de la part des universitaires sont alors dâordre mĂ©thodologique : critique historique douteuse, dĂ©tails trop prĂ©cis, manque de recul, bibliographies peu exhaustives, etc[23].
MalgrĂ© cette distinction apparente, de nombreux travaux dâhistoire locale sont pourtant dĂ©rivĂ©s dâexercices universitaires, de mĂ©moire de maĂźtrises ou de thĂšses[24]. De plus, certains historiens universitaires se retrouvent Ă la tĂȘte de comitĂ©s de rĂ©dactions des sociĂ©tĂ©s savantes locales. Amateurs et professionnels de ce domaine travaillent alors en collaboration, entraĂźnant la coexistence de recherches nuancĂ©es d'un point de vue qualitatif.
Cependant, les historiens amateurs obtiennent toute lĂ©gitimitĂ© lorsque leur auteur est introduit aux bonnes mĂ©thodes de la science historique. En effet, chacun peut acquĂ©rir les compĂ©tences nĂ©cessaires Ă la recherche. Les archivistes et les sociĂ©tĂ©s peuvent fournir des conseils, des encouragements et des informations. Des formations et des guides d'histoire locale selon les rĂ©gions sont Ă©galement largement disponibles[25]. Ces historiens locaux non spĂ©cialistes peuvent alors produire un savoir pertinent et complĂ©mentaire aux Ă©tudes plus « gĂ©nĂ©rales » des universitĂ©s »[26]. Il faut souligner selon Jacques Gelis : « quâil est faux de considĂ©rer lâhistoire locale comme une histoire au rabais dĂšs lors quâelle obĂ©it aux rĂšgles de toute recherche sĂ©rieuse[27].
L'histoire locale met lâaccent sur les variations du terrain par rapport aux Ă©pisodes historiques nationaux. Ce faisant, elle montre de façon plus concrĂšte la diversitĂ© des particularismes locaux (coutumes, traditions, etc.) face au pouvoir central. Elle permet de comprendre lâĂ©cart entre la « grande histoire » et ce qui se passait rĂ©ellement Ă une Ă©chelle moins large. Par ses recherches, lâhistoire locale donne des travaux de premiĂšre main, explorant quelquefois des champs novateurs de la discipline qui les rĂ©flexions futures des historiens universitaires. En dâautres termes, elle se prĂ©sente comme une recherche en attente de futurs travaux nationaux ou gĂ©nĂ©raux[28].
Notes et références
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Voir aussi
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