Graphane
Le graphane est un matĂ©riau bidimensionnel cristallin dĂ©rivĂ© du graphĂšne. Issu de l'hydrogĂ©nation complĂšte d'une feuille de graphĂšne, il est nommĂ© ainsi par analogie avec les alcanes : Ă chaque atome de carbone est associĂ© un atome d'hydrogĂšne dont la liaison est perpendiculaire au plan du cristal. LâintĂ©rĂȘt portĂ© Ă ce nouveau matĂ©riau sâexplique par les applications concrĂštes dont il pourrait ĂȘtre le sujet, comme le stockage de lâhydrogĂšne, ou sa probable utilisation en micro et nanoĂ©lectronique.
Graphane | |
Molécule de graphane | |
Identification | |
---|---|
No CAS | |
Propriétés chimiques | |
Formule | (CH)n |
Cristallographie | |
SystĂšme cristallin | Hexagonal plan |
Unités du SI et CNTP, sauf indication contraire. | |
Histoire
Prédiction théorique
La prédiction théorique de l'existence du graphane est généralement attribuée au professeur Jorge O.Sofo en 2007[1] ; cependant, quatre ans plus tÎt, une équipe japonaise avait fait cette prédiction sans utiliser le mot "graphane"[2]. Le graphane a été obtenu pour la premiÚre fois début 2009, par une équipe internationale comprenant les deux codécouvreurs du graphÚne : Andre Geim et Konstantin Novoselov, lauréats du prix Nobel de physique 2010[3].
SynthĂšse du graphane
Le graphane a Ă©tĂ© obtenu par le procĂ©dĂ© suivant. Les Ă©chantillons de graphĂšne ont Ă©tĂ© premiĂšrement chauffĂ©s Ă 300 °C pendant 4 heures dans un gaz dâargon afin dâĂ©liminer toute impuretĂ©. Ensuite, les Ă©chantillons ont Ă©tĂ© placĂ©s dans un plasma froid dâhydrogĂšne, ou plus prĂ©cisĂ©ment dans un mĂ©lange argon (90 %) - hydrogĂšne (10 %), Ă basse pression (0,1 mbar). Les feuillets de graphĂšne Ă©taient placĂ©s entre deux Ă©lectrodes en aluminium, Ă 30 cm de la zone de dĂ©charge (permettant dâioniser les molĂ©cules diatomiques dâhydrogĂšne) afin dâĂ©viter un possible endommagement par des ions trop Ă©nergĂ©tiques. Il a fallu attendre typiquement deux heures pour que lâhydrogĂ©nation soit dĂ©crĂ©tĂ©e comme suffisante. Des mesures de rĂ©sistivitĂ© ont tout d'abord prouvĂ© que le graphĂšne est rĂ©actif chimiquement, mais surtout que le processus d'hydrogĂ©nation du graphĂšne est rĂ©versible par simple chauffage Ă haute tempĂ©rature. Ces premiers rĂ©sultats ont Ă©tĂ© corroborĂ©s par spectroscopie Raman, qui a Ă©galement permis de vĂ©rifier qu'une hydrogĂ©nation des deux cĂŽtĂ©s du plan de graphĂšne produit deux fois plus de signal qu'une hydrogĂ©nation unilatĂ©rale. Enfin, la diminution du paramĂštre de maille a Ă©tĂ© vĂ©rifiĂ©e par des mesures topographiques par MET.
Propriétés
En prĂ©sence dâhydrogĂšne, le graphĂšne rĂ©agit : lâĂ©lectron de lâatome d'hydrogĂšne se lie Ă un Ă©lectron libre du graphĂšne (les Ă©lectrons de conduction fournis par les atomes de carbone) pour former une nouvelle liaison chimique. L'hybridation des atomes de carbone passe alors de sp2 Ă sp3 (carbone tĂ©traĂ©drique). La structure est ainsi entiĂšrement saturĂ©e. Cette modification de l'hybridation a plusieurs consĂ©quences.
Propriétés structurales
PremiĂšrement, la structure spatiale du graphĂšne est modifiĂ©e. En effet, les atomes dâhydrogĂšne se lient aux atomes de carbone des deux cĂŽtĂ©s du plan de graphĂšne de façon alternĂ©e (un atome sur deux). Ils tirent donc de chaque cĂŽtĂ© du plan moyen, ce qui a pour consĂ©quence la modification de la structure atomique. Cette compression de la maille est toutefois compensĂ©e par l'Ă©longation des liaisons C-C qui valent dĂ©sormais 1,52 Ă (contre 1,42 Ă dans le graphĂšne), du fait qu'une double liaison est plus courte qu'une liaison Ï (simple).
Propriétés électroniques
La structure du graphane ressemble alors Ă celle du diamant, un allotrope isolant Ă large gap en Ă©nergie. Câest donc sans surprise que le graphane est effectivement caractĂ©risĂ© par un comportement isolant, avec la particularitĂ© notoire que la largeur du gap peut ĂȘtre modulĂ©e par lâajout dâune plus ou moins grande quantitĂ© dâhydrogĂšne[4]. C'est une des raisons pour lesquelles les articles parlent de plus en plus du graphane comme un matĂ©riau semi-conducteur. En effet, lâadsorption dâhydrogĂšne accompagnĂ©e du changement dâhybridation dĂ©place les bandes de conduction Ï, ouvrant un gap en Ă©nergie dans la structure de bande. Le gap dâĂ©nergie au point Î (centre de la premiĂšre zone de Brillouin) vaut alors 3,5 eV (une valeur corrigĂ©e serait de 5,97 eV)[5].
Propriétés magnétiques
Le graphane idĂ©al est entiĂšrement non-magnĂ©tique: tous les Ă©lectrons participent aux liaisons C-C et C-H. Le retrait dâun atome dâhydrogĂšne engendre un passage Ă la configuration Ă©lectronique sp2, plane, avec rĂ©apparition dâune orbitale pz perpendiculaire. Ce site vacant prĂ©sente ainsi un Ă©lectron non-appariĂ© qui gĂ©nĂšre un moment magnĂ©tique de 1 ÎŒB (magnĂ©ton de Bohr). Une absence dâatomes dâhydrogĂšne dans le graphane peut donner naissance Ă des structures magnĂ©tiques particuliĂšres. Celles-ci dĂ©pendent de la forme et de la taille de la zone oĂč la dĂ©shydrogĂ©nation a Ă©tĂ© effectuĂ©e. Ces rĂ©sultats dâaimantation contrĂŽlĂ©e par dĂ©shydrogĂ©nation, bien que purement thĂ©oriques, encouragent les auteurs qui expliquent que des feuilles de graphane pourraient alors servir pour stocker des donnĂ©es, avoir des applications en spintronique, ou encore ĂȘtre utilisĂ©es en tant que marqueurs non toxiques en imagerie mĂ©dicale[5].
Applications
Stockage de l'hydrogĂšne
La caractĂ©ristique la plus intĂ©ressante rĂ©vĂ©lĂ©e par l'Ă©quipe qui a synthĂ©tisĂ© pour la premiĂšre fois le graphane est que le processus de fixation des atomes dâhydrogĂšne sur le graphĂšne peut ĂȘtre inversĂ© simplement en chauffant le graphane. Cette rĂ©versibilitĂ© fait du graphane un matĂ©riau prometteur pour stocker dans un faible volume de grandes quantitĂ©s dâhydrogĂšne facilement libĂ©rables. Il pourrait ainsi amĂ©liorer les rendements des actuelles piles Ă combustibles Ă dihydrogĂšne. Il faut malheureusement garder Ă l'esprit que les coĂ»ts de production du graphĂšne sont encore bien trop Ă©levĂ©s actuellement pour envisager une distribution Ă l'Ă©chelle industrielle (quelques millions de dollars pour quelques centimĂštres carrĂ©s). Une possibilitĂ©, selon le professeur M.Katsnelson, serait de se contenter de feuilles de graphĂšne multicouches, bien plus facile Ă produire[6].
Nanoélectronique
Une seconde exploitation du graphane serait son utilisation comme matĂ©riau de base en micro et nanoĂ©lectronique. En effet, son caractĂšre semi-conducteur Ă gap large peut servir de base Ă de nombreux mĂ©canismes. Le fait que la hauteur du gap soit modulable par simple taux dâhydrogĂ©nation[4] - [7] ou par dĂ©coupe plus ou moins large dâun nanoruban[7], font du graphane un semi-conducteur particuliĂšrement intĂ©ressant. De plus, bien que tous deux semi-conducteurs, le graphĂšne et le graphane possĂšdent des gaps en Ă©nergie trĂšs diffĂ©rents (fondamentalement nul pour le graphĂšne ; de 5,97 eV pour le graphane[5]). Des mĂ©canismes combinant les deux matĂ©riaux sont fortement envisageables pour les conductions Ă©lectroniques souhaitĂ©es. RĂ©cemment, une Ă©quipe iranienne a prouvĂ© la faisabilitĂ© de jonction P-N Ă base de graphane par simple dĂ©shydrogĂ©nation[8]. Une autre a mis en valeur son comportement supraconducteur lorsquâil est dopĂ© p ; la tempĂ©rature critique atteindrait 90 K (bien au-dessus du point dâĂ©bullition de lâazote)[9]. Enfin, les travaux thĂ©oriques de E.Penev et A.Singh, dĂ©montrent que la dĂ©shydrogĂ©nation localisĂ©e du graphane rĂ©vĂšle des domaines en graphĂšne se comportant comme des boĂźtes quantiques, ouvrant ainsi une nouvelle voie dans la recherche de pointe sur les semi-conducteurs[10].
Stockage de données
Les capacitĂ©s de magnĂ©tisation du graphane par simple dĂ©sorption dâatomes dâhydrogĂšne, en font un matĂ©riau convenant au stockage de donnĂ©es. Lâarrachement dâatomes dâhydrogĂšne en surface est dĂ©jĂ maĂźtrisĂ© par diverses techniques (en utilisant un faisceau laser par exemple).
ProblĂšme de la "H-frustration"
Lors de ces Ă©tudes sur le graphane, lâexpĂ©rimentateur peut rencontrer un problĂšme important qui empĂȘche actuellement la fabrication dâune feuille de graphane idĂ©ale. En effet, le recouvrement uniforme de la couche de graphĂšne avec des atomes dâhydrogĂšne pose problĂšme. LâhydrogĂ©nation nâest pas parfaitement ordonnĂ©e, mais les Ă©tudes thĂ©oriques rĂ©vĂšlent un processus de croissance des domaines hydrogĂ©nĂ©s autour des quelques liaisons C-H initiales[11]. Quand deux domaines se rencontrent, il peut arriver que le recouvrement devienne incompatible avec la succession de liaisons alternĂ©es de chaque cĂŽtĂ© du plan. On parle de « H-frustration ». Ainsi, au niveau des parois entre domaines, la structure est perturbĂ©e et le paramĂštre de maille diminue. Ainsi, dĂšs les premiers instants du processus dâhydrogĂ©nation, des incompatibilitĂ©s de domaine sont prĂ©sentes, et il est malheureusement trĂšs improbable quâune feuille de graphane parfaite soit obtenue. Les frustrations seront toujours prĂ©sentes.
Voir aussi
Liens externes
Notes et références
- Sofo, Jorge O. et al. (2007). "Graphane: A two-dimensional hydrocarbon". Physical Review B 75 (15): 153401â4.
- Sluiter, Marcel; Kawazoe, Yoshiyuki (2003). "Cluster expansion method for adsorption: Application to hydrogen chemisorption on graphene". Physical Review B 68: 085410
- D. C. Elias and al. (2009). "Control of Graphene's Properties by Reversible Hydrogenation: Evidence for Graphane". Science 323 (5914): 610.
- D. W. Boukhvalov et al., Phys. Rev. B 77, 035427 (2008).
- H. Ćahin, C. Ataca, and S. Ciraci. Magnetization of graphane by dehydrogenation. Appl. Phys. Lett. 95, 222510 (2009)
- « ru.nl/english/general/news_age⊠»(Archive.org ⹠Wikiwix ⹠Archive.is ⹠Google ⹠Que faire ?).
- H. Ćahin, C. Ataca, and S. Ciraci. Electronic and magnetic properties of graphane nanoribbons. PHYSICAL REVIEW B 81, 205417 (2010)
- Behnaz Gharekhanlou, Sina Khorasani. Current-voltage characteristics of graphane p-n junctions. IEEE Transactions on Electron Devices, vol. 57, no. 1, pp. 209-214 (2010)
- G. Savini, A. C. Ferrari, and F. Giustino. Doped graphane: a prototype high-Tc electron-phonon superconductor. Phys Rev Lett 105, 037002 (2010)
- Abhishek K. Singh, Evgeni S. Penev and Boris I. Yakobson. Vacancy clusters in graphane as quantum-dots. ACS Nano, 2010, 4 (6), pp 3510â3514
- Sergio B. Legoas, Pedro A. S. Autreto, Marcelo Z. S. Flores, Douglas S. Galvao (2009). âGraphene to Graphane: The Role of H Frustration in Lattice Contractionâ