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Gordon (esclave)

Gordon[1] ou Whipped Peter (en français : Pierre le fouetté) (fl. 1863) est un esclave Afro-Américain qui s'est échappé d'une plantation de Louisiane, en , et a gagné sa liberté lorsqu'il a atteint le camp de l'Armée de l'Union, près de Baton Rouge aux États-Unis. Il devient le sujet de photographies révélant les importantes cicatrices de son dos, qui sont causées par les coups de fouet donnés par les esclavagistes. Les abolitionnistes ont distribué ces portraits carte-de-visite de Gordon, à travers les États-Unis et dans le monde entier, pour montrer les abus de l'esclavage[2].

Gordon
Gordon à son arrivée au camp de l'Union de Bâton Rouge. Inscription au verso à l'encre "Contrebandier qui a marché 40 miles pour atteindre nos lignes.".
Biographie
Naissance
Date et lieu inconnus
Décès
Lieu inconnu
Activité
Statut
Esclave (jusqu'à )

En , ces images apparaissent dans un article, sur Gordon, publié dans le Harper's Weekly, le magazine le plus lu pendant la guerre de Sécession[3]. Les images du dos flagellé de Gordon fournissent aux habitants du Nord, une preuve visuelle du traitement brutal des esclaves et inspirent de nombreux Noirs libres à s'enrôler dans l'armée de l'Union [4]. Gordon rejoint les troupes de couleur des États-Unis, peu après leur fondation et sert comme soldat pendant la guerre[5].

Évasion

Gordon s'échappe, en , de la plantation de 12 km2 (3 000 acres) de John et Bridget Lyons, qui le possédaient avec près de 40 autres esclaves, au moment du recensement de 1860[6] - [7]. La plantation des Lyon est située le long de la rive ouest de la rivière Atchafalaya, dans la paroisse de Saint-Landry, entre les villes actuelles de Melville et de Krotz Springs, en Louisiane[8].

Afin de masquer son odeur aux chiens limiers qui le poursuivent, Gordon prend des oignons de sa plantation, qu'il porte dans ses poches. Après avoir traversé chaque ruisseau ou marécage, il se frotte le corps avec les oignons afin de chasser son odeur. Il fuit sur plus de 64 km[9], en 10 jours, avant de rejoindre les soldats de l'Union du XIXe corps, stationnés à Baton Rouge[10].

Arrivée au camp de l'Union

Pherson et son partenaire M. Oliver, qui étaient dans le camp à l'époque, réalisent des photos de Gordon, montrant les cicatrices couvrant son dos[11].

Au cours de l'examen, Gordon aurait déclaré :

« Dix jours après avoir quitté la plantation. Le contremaître Artayou Carrier m'a fouetté. J'ai eu mal au lit pendant deux mois à cause du fouet. Mon maître est venu après que j'ai été fouetté ; il a renvoyé le surveillant[12]. Mon maître n'était pas présent. Je ne me souviens pas du fouet. J'ai eu des douleurs au lit pendant deux mois à cause du fouettage puis mes sens ont commencé à revenir - j'étais un peu fou. J'ai essayé de tirer sur tout le monde. C'est ce qu'ils ont dit, je ne savais pas. Je ne savais pas que j'avais essayé de tirer sur tout le monde ; ils me l'ont dit. J'ai brûlé tous mes vêtements ; mais je ne m'en souviens pas. Je n'ai jamais été comme ça (fou) avant. Je ne sais pas ce qui me fait devenir ainsi (fou). Mon maître est venu après que j'ai été fouetté ; il m'a vu dans mon lit ; il a renvoyé le surveillant. Ils m'ont dit que j'avais tenté le premier de tirer sur ma femme ; je n'ai tiré sur personne ; je n'ai fait de mal à personne. Mon maître est le capitaine JOHN LYON[8], planteur de coton, sur Atchafalaya, près de Washington, en Louisiane. Fouetté deux mois avant Noël[5] - [N 1]. »

Service dans l'Armée de l'Union

Gordon en uniforme de l'Armée de l'Union (4 juillet 1863).

Gordon rejoint l'Armée de l'Union, en tant que guide, trois mois après que la Proclamation d'émancipation ait permis l'enrôlement d'esclaves libérés, dans les forces militaires. Lors d'une expédition, il est fait prisonnier par les Confédérés. Ils l'attachent, le battent et le laissent pour mort. Il survit et s'échappe, une fois de plus, vers les lignes de l'Union[10].

Peu après, Gordon s'enrôle dans une unité de la guerre civile des troupes de couleur américaines. Il aurait combattu courageusement comme sergent dans le Corps d'Afrique, pendant le siège de Port Hudson, en [13]. C'est la première fois que des soldats afro-américains jouent un rôle de premier plan dans un assaut[11].

Postérité

En 2011, James Bennet, rédacteur en chef de The Atlantic, constate : « Une partie de l'incroyable puissance de cette image est, je pense, la dignité de cet homme. Il pose. Son expression est presque indifférente. Je trouve cela remarquable. Il dit essentiellement : "C'est un fait"[N 2]. - [14]. »

J.W. Mercer, chirurgien adjoint du 47e régiment d'infanterie du Massachussetts (en), sous les ordres du colonel L.B. Marsh, déclare le : « J'ai constaté qu'un grand nombre des quatre cents contrebandiers que j'ai examinés étaient gravement lacérés comme le spécimen représenté sur la photographie ci-jointe[N 3]. ».

Je joins ici une photo prise par un artiste, de la vie, du dos d'un nègre, exposant les cicatrices d'un ancien fouettage. Peu d'écrivains à sensation ont jamais dépeint des châtiments plus graves que ceux que cet homme a dû recevoir, bien que rien dans son apparence n'indique une méchanceté inhabituelle - mais au contraire, il semble INTELLIGENT et SAGE [emplase de Towle][N 4]

Dr. Samuel Knapp Towle, chirurgien du 30e régiment de volontaires du Massachusetts, dans une lettre datée du à William Johnson Dale, chirurgien général de l'État du Massachusetts. Le Dr Towle est le responsable de l'hôpital général des États-Unis, à Baton Rouge, d'une capacité de 900 lits en 1863.

Il nous est parvenu récemment, depuis Bâton Rouge, la photographie d'un ancien esclave - maintenant, grâce à l'armée de l'Union, un homme libre. Elle le représente en position assise, le corps robuste et nu jusqu'à la taille, la tête fine et le visage intelligent de profil, le bras gauche plié, reposant sur la hanche, et le dos nu exposé à la vue. Sur ce dos, horrible à contempler ! est un témoignage contre l'esclavage plus éloquent que n'importe quel mot. Cicatrisée, arrachée, ramassée en grandes arêtes, nouée, sillonnée, la pauvre chair torturée se distingue par un hideux témoignage du fouet de l'esclavagiste. Des mois se sont écoulés depuis que le martyre a été subi, et les blessures ont guéri, mais tant que la chair durera, cette terrible impression restera. C'est une image touchante, un appel si muet et si puissant que seuls des êtres endurcis peuvent la regarder sans émotion. Aussi nombreux que soient les hommes qui dépeignent de fausses images, le soleil ne ment pas. Il n'y a pas d'échappatoire à de telles preuves, et voir, c'est croire. C'est pourquoi de nombreuses personnes souhaitaient une copie de la photographie, et de nombreuses copies ont été prises à partir de l'original[N 5].

Le chirurgien du premier régiment de Louisiane, (coloré,) écrivant à son frère dans la ville, joint cette photographie, avec ces mots : « Je t'envoie la photo d'un esclave tel qu'il apparaît après avoir été fouetté. J'ai vu, pendant la période où j'ai inspecté des hommes pour mon propre régiment et pour d'autres, des centaines de ces vues - elles ne sont donc pas nouvelles pour moi ; mais il se peut qu'elles soient nouvelles pour toi. Si tu connais quelqu'un qui parle de la manière humaine dont les esclaves sont traités, veuille lui montrer cette photo. C'est un sermon en soi[N 6].
(Picture of a Slave - The Liberator[15]) »
Nous avons reçu de Bâton Rouge la photographie d'un esclave au dos nu, lacéré par le fouet... Nous regardons l'image avec un ébahissement qui ne trouve pas de mots pour s'exprimer. Stupéfaction devant la cruauté qui pourrait commettre un tel outrage ; devant la folie brutale, l'ignorance stupide, qui pourrait permettre une telle infatuation ; devant l'absence non seulement de sentiment humain, mais de prudence économique de bon sens, d'intelligence ordinaire, affichée dans une telle inconscience frénétique. Parmi quel genre de personnes de telles choses sont-elles possibles ? ... Cette carte-photo devrait être multipliée par cent mille, et dispersée dans tous les États. Elle raconte l'histoire d'une manière que même Mme Stowe ne peut approcher ; parce qu'elle raconte l'histoire à l'oeil. Si voir c'est croire - et c'est le cas dans l'immense majorité des cas - voir cette carte équivaudrait à croire les choses des États esclavagistes que les hommes et les femmes du Nord remueraient ciel et terre pour les abolir[N 7] !

Theodore Tilton (en)[16].

Dans la culture populaire

Dans le film Lincoln, de 2012, Tad, le fils d'Abraham Lincoln, regarde à la lueur d'une bougie, une plaque de verre représentant la photo de l'examen médical de Gordon[17].

Emancipation, un film d'Antoine Fuqua basé sur la fuite de Gordon, incarné par Will Smith, connaît une sortie limitée dans quelques salles américaines le avant une diffusion mondiale sur Apple TV+ le .

Galerie

  • Photo du dos de Gordon
    Photo du dos de Gordon
  • Carte-de-visite de Gordon.
    Carte-de-visite de Gordon.
  • Photo colorée.
    Photo colorée.
  • Article sur Gordon, publié dans le Harper's Weekly (4 juillet 1863).
    Article sur Gordon, publié dans le Harper's Weekly (4 juillet 1863).
  • Couverture d'un livre sur l'esclavage.
    Couverture d'un livre sur l'esclavage.
  • Recensement des esclaves de la propriété de John Lyons. Gordon est probablement l'un des esclaves masculins adultes répertoriés ici, par âge.
    Recensement des esclaves de la propriété de John Lyons. Gordon est probablement l'un des esclaves masculins adultes répertoriés ici, par âge.

Notes et références

Citations étrangères

  1. « Ten days from to-day I left the plantation. Overseer Artayou Carrier whipped me. I was two months in bed sore from the whipping. My master come after I was whipped; he discharged the overseer. My master was not present. I don't remember the whipping. I was two months in bed sore from the whipping and my sense began to come—I was sort of crazy. I tried to shoot everybody. They said so, I did not know. I did not know that I had attempted to shoot everyone; they told me so. I burned up all my clothes; but I don't remember that. I never was this way (crazy) before. I don't know what make me come that way (crazy). My master come after I was whipped; saw me in bed; he discharged the overseer. They told me I attempted to shoot my wife the first one; I did not shoot any one; I did not harm any one. My master's Capt. JOHN LYON, cotton planter, on Atchafalya, near Washington, Louisiana. Whipped two months before Christmas ».
  2. « Part of the incredible power of this image I think is the dignity of that man. He's posing. His expression is almost indifferent. I just find that remarkable. He's basically saying, 'This is a fact.' »
  3. « I have found a large number of the four hundred contrabands examined by me to be badly lacerated as the specimen represented in the enclosed photograph. »
  4. « I enclose a picture taken by an artist here, from life, of a Negro's back, exhibiting the scars from an old whipping. Few sensation writers ever depicted worse punishments than this man must have received, though nothing in his appearance indicates any unusual viciousness—but on the contrary, he seems INTELLIGENT and WELL-BEHAVED »
  5. « There has lately come to us, from Baton Rouge, the photograph of a former slave—now, thanks to the Union army, a freeman. It represents him in a sitting posture, his stalwart body bared to the waist, his fine head and intelligent face in profile, his left arm bent, resting upon his hip, and his naked back exposed to full view. Upon that back, horrible to contemplate! is a testimony against slavery more eloquent than any words. Scarred, gouged, gathered in great ridges, knotted, furrowed, the poor tortured flesh stands out a hideous record of the slave-driver's lash. Months have elapsed since the martyrdom was undergone, and the wounds have healed, but as long as the flesh lasts will this fearful impress remain. It is a touching picture, an appeal so mute and powerful that none but hardened natures can look upon it unmoved. However much men may depict false images, the sun will not lie. From such evidence as this there is no escape, and to see is to believe. Many, therefore, desired a copy of the photograph, and from the original numerous copies have been taken. »
  6. « I send you the picture of a slave as he appears after a whipping. I have seen, during the period I have been inspecting men for my own and other regiments, hundreds of such sights—so they are not new to me; but it may be new to you. If you know of any one who talks about the humane manner in which the slaves are treated, please show them this picture. It is a lecture in itself. »
  7. « We received from Baton Rouge the photographic likeness of a slave's naked back, lacerated by the whip ... We look on the picture with amazement that cannot find words for utterance. Amazement at the cruelty which could perpetrate such an outrage as this; at the brutal folly, the stupid ignorance, that could permit such a piece of infatuation; at the absence not only of humane feeling, but of economical prudence of common sense, of ordinary intelligence, displayed in such frantic thoughtlessness. Among what sort of people are such things possible? ... This card-photograph should be multiplied by the hundred thousand, and scattered over the states. It tells the story in a way that even Mrs. Stowe cannot approach; because it tells the story to the eye. If seeing is believing—and it is in the immense majority of cases—seeing this card would be equivalent to believing things of the slave states which Northern men and women would move heaven and earth to abolish! »

Références

  1. Abruzzo 2011, p. 309. Gordon est un nom de famille possible
  2. The Liberator 1863.
  3. Heidler, Heidler et Coles 2002, p. 931.
  4. (en) Frank H. Goodyear, « Photography changes the way we record and respond to social issues », sur le site Smithsonian Institution [lien archivé], (consulté le ).
  5. (en) Eric Rymer, « Ten days from today I left the plantation », sur le site historylink101.com (consulté le ).
  6. Abruzzo 2011, p. 309
  7. (en) « Population schedules of the eighth census of the United States, 1860, Louisiana », sur archive.org, (consulté le ).
  8. (en) « Captain John Lyons of St. Landry Parish », sur le site shawra.com [lien archivé] (consulté le ).
  9. (en) « Civil War CDV of African American Contraband, Baton Rouge, La », sur le site cowanauctions.com [lien archivé] (consulté le ).
  10. Harper's Weekly 1863.
  11. (en) Ann Shumard, « Bound for Freedom's Light », sur le site civilwar.org [lien archivé], (consulté le ).
  12. (en) « “Peter” Showing Whipping Scars », sur le site docsteach.org, (consulté le ).
  13. The Liberator 1863.
  14. Norris 2011.
  15. (en) « Picture of a Slave », The Liberator, , p. 2 (lire en ligne, consulté le ).
  16. Tilton 1863, p. 4.
  17. (en) Doris Kearns Goodwin, « Lincoln », sur le site imsdb.com, (consulté le ).

Voir aussi

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Bibliographie

  • (en) Margaret Abruzzo, Polemical Pain : Slavery, Cruelty, and the Rise of Humanitarianism, JHU Press, , 344 p. (ISBN 978-1-4214-0127-0, lire en ligne), p. 309. Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • (en) David S. Heidler, Jeanne T. Heidler et David J. Coles, Encyclopedia of the American Civil War : A Political, Social, and Military History, W. W. Norton & Company, (ISBN 978-0-3930-4758-5). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • (en) Copy photograph of Gordon, a runaway slave, vers 1863.

Articles

  • (en) « The Scourged Slave's Back », The Liberator, , p. 3 (lire en ligne, consulté le ). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • (en) « A Typical Negro », Harper's Weekly, (lire en ligne, consulté le ). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • (en) David Silkenat, « A Typical Negro - Gordon, Peter, Vincent Coyler, and the Story Behind Slavery's Most Famous Photograph », American Nineteenth Century History, vol. 15, no 2, , p. 169-186 (DOI 10.1080/14664658.2014.939807, lire en ligne [PDF], consulté le ).
  • (en) « The Whipping Scars On The Back of The Fugitive Slave Named Gordon », usslave.blogspot.com, (lire en ligne, consulté le ).
  • (en) Mike Fleming, « Antoine Fuqua & Will Smith Runaway Slave Thriller ‘Emancipation’ To Be Introduced At Virtual Cannes Market; Based On Indelible ‘Scourged Back’ Photo », Deadline, (lire en ligne, consulté le ). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • (en) Joan Paulson Gage, « A Slave Named Gordon », The New York Times, (lire en ligne, consulté le ).
  • (en) Joan Paulson Gage, « Icons of Cruelty », The New York Times, (lire en ligne, consulté le ).
  • (en) « The Realities of Slavery », New-York Daily Tribune, , p. 4 (lire en ligne, consulté le ).
  • (en) « A Picture for the Times », The Liberator, , p. 3 (lire en ligne, consulté le ). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • (en) Michele Norris, « 'The Atlantic' Remembers Its Civil War Stories », NPR, (lire en ligne, consulté le ). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • (en) Theodore Tilton, « The Scourged Back », The Independent (New York), vol. XV, no 756, , p. 4 (lire en ligne, consulté le ). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.

Article connexe

Lien externe

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