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Financement monétaire

Le financement monétaire (parfois appelé monétisation des dettes ou péjorativement la « planche à billets ») est une pratique consistant pour une banque centrale à financer directement le budget de l'État. Dans la pratique, le financement monétaire s'effectue par l'achat de bons du trésor ou titres de dette publique, sur le marché primaire par la banque centrale, ou par l'octroi d'une ligne de crédit par la banque centrale au gouvernement.

Bien que le financement monétaire permette en théorie de diminuer le coût des dépenses publiques, cette pratique est formellement interdite ou rarement pratiquée, en raison du risque d'hyperinflation.

Histoire

L'origine du financement monétaire est difficile à définir. Le Japon, qui avait interdit le financement monétaire à la Banque du Japon en 1883, l'autorise à nouveau en 1932. Le programme monte en puissance progressivement et aboutit à l'augmentation forte des taux d'inflation, la baisse du pouvoir d'achat, et la chute de la valeur de yen face au dollar. Le financement monétaire est à nouveau interdit par le plan Dodge[1]. Pour se prémunir de l'inflation les États-Unis interdisent le financement monétaire direct en 1935 via le Banking Act ; la Réserve fédérale des États-Unis n'a dès lors le droit de monétiser la dette qu'indirectement, c'est-à-dire en passant par des opérations d'open market ou du quantitative easing[2].

La France la pratique avec prudence durant la Seconde Guerre mondiale, au prix de niveaux d'inflation très élevés. Les exigences de maîtrise de l'inflation et de maintien du pouvoir d'achat à partir des années 1960 conduit l'exécutif à réduire son recours au financement monétaire. Lorsqu'il est aboli en 1993, le montant des avances de la Banque de France représentait 3 % de la dette publique[3].

Certains pays, comme le Zaïre, optent pour un financement monétaire de leurs déficits dans les années 1980, et connaissent des phases de forte inflation[4]. Il en va de même pour l'Union des républiques socialistes soviétiques lorsqu'elle ne peut avoir accès aux marchés de capitaux. Afin de faire baisser son inflation durant ses dernières années, elle substitue au financement monétaire de ses déficits l'émission de GKO, des obligations publiques[5].

Afin d'éviter tout dérapage, qui aurait des conséquences en chaîne sur les autres pays, le financement monétaire est interdit en Zone euro par l'article 123 du Traité de Lisbonne (ex article 104 du Traité de Maastricht). L'augmentation massive des dettes publiques dans les années 2010 et 2020 conduisent à faire revenir la question du financement monétaire dans le débat public[6].

Concept

Fonctionnement

Le financement monétaire fait croître, par l'action de la banque centrale, la masse monétaire de la zone monétaire. Cela génère une hausse des prix. Le financement monétaire est ainsi considéré comme une forme de taxe sur les détenteurs de titres, car leur valeur réelle diminue au fur que le niveau des prix augmente[7].

Typologie

Le financement monétaire peut prendre une variété de formes, selon les modalités d'interventions exactes de la banque centrale, et de son intention. Il existe ainsi une certaine zone grise entre certaines formes de financement monétaire. Il faut donc distinguer plusieurs cas de figure.

Typologie des formes de financement monétaire[8]
Direct Indirect ou ex-post
Non-remboursable

(permanent)

Financement monétaire direct sans contrepartie au bilan de la banque centrale. Conversion de dettes publiques détenues par la banque centrale en dette perpétuelles, ou annulation ex post.
Remboursable

(ou réversible)

Achat de dettes par la banque centrale sur le marché primaire

Lignes de crédit ou avances de la banque centrale à l'État

Rachat de dettes par la banque centrale sur le marché secondaire (assouplissement quantitatif)

Formes directes de financement monétaire

Dans sa forme la plus courante et directe, le financement monétaire prend la forme de prêts à taux zero à l'État. La Banque d'Angleterre y a par exemple eu recours dans le cadre de la gestion de la crise du Covid19[9].

Une seconde forme de financement monétaire direct est l'achat de titres de dettes publique à l'émission (c'est-à-dire sur le marché primaire). Dans ce cas, la banque centrale peut en théorie revendre les bons du trésor acquis.

Ces différentes formes de financement monétaires étaient pratiquées pendant la première et deuxième guerre mondiale par la Banque de France[10], et pendant les Trente Glorieuses par le Canada[11].

Formes indirectes de financement monétaire

Le quantitative easing tel que pratiqué par les grandes banques centrales (y compris la BCE) n'est pas une forme stricte de financement monétaire, en raison du fait que ces politiques de relance monétaire des banques centrales s'effectuent de façon indirecte (sur le marché secondaire), et que ces opérations sont réversibles (la BCE peut revendre les obligations au secteur privé)[12]. De plus l'intentionnalité de la banque centrale est différente : les programmes d'achats de titres de dette publiques (QE) ne sont pas justifiés pour financer les gouvernements, mais pour pousser les taux long à la baisse de façon à stimuler la création monétaire par le crédit bancaire. L'augmentation du déficit de l'État que ces politiques permettent sont présentés comme étant des effets secondaires non-intentionnels. C'est en tout cas le point de vue juridique légal, puisque la Cour de Justice Européenne a jugé que le programme ne violait pas l'interdiction de financement monétaire tel que fixé dans les Traités Européens[13] - [14].

Pourtant on peut estimer que l'effet économique est semblable voire équivalent à un financement monétaire. En effet, dans la mesure où le QE de la BCE réduit effectivement le cout de l'endettement des pays de la zone euro par la baisse des taux de marché qu'elle provoque, et que les banques centrales nationales aux états les profits effectués sur ces obligations de dettes publiques[15], l'avantage procuré par la politique de QE est significatif pour les gouvernements. Certains observateurs estiment ainsi que la distinction entre QE et financement monétaire relève de l'hypocrisie[16].

De plus, le quantitative easing pourrait devenir une monétisation ex-post des dettes dans le cas où les titres de dettes possédées par la banque centrales venaient à être annulés ou convertis en dettes perpétuelles, comme cela est parfois proposé[17]. Selon la BCE, une annulation de dette ex-post des titres de dette publique détenus dans le cadre du QE constituerait clairement une situation illégale de financement monétaire[18].

Conséquences et débats

Excès d'inflation

Les effets supposés du financement monétaire font l'objet de débat au sein de la communauté des économistes[19] - [20]. Selon la théorie monétariste, notamment, toute augmentation de la masse monétaire disponible dans l'économie provoque immanquablement de un excès d'inflation[21]. C'est la justification de l'interdiction du financement monétaire[22].

En théorie, l'effet positif du financement monétaire est de réduire le coût de financement des dépenses publiques de l'État, qui peut se financer auprès de la banque centrale à des conditions préférentielles, peut-être moins onéreuses que les conditions proposées par les marchés financiers. Ainsi l'État peut bénéficier du pouvoir de création monétaire de la banque centrale[23].

En pratique, il existe des épisodes historiques, notamment en France[24] et au Canada[11], pendant lesquelles la pratique courante du financement monétaire n'a pas provoqué une inflation significative. Par ailleurs une étude de 56 épisodes d'hyperinflation[25] dans le monde tend à montrer que les causes d'hyperinflation sont souvent multi-factorielles, le rôle de la banque centrale souvent secondaire vis à vis de décision politiques ou de facteurs géopolitiques[26].

Stimulation ou déstabilisation

Cet outil économique peut contribuer à stimuler l'économie, mais peut également la déstabiliser durablement. Les États ont fréquemment abusé de la création monétaire, par exemple pour financer des guerres coûteuses.

Le financement monétaire peut agir de façon néfaste sur la confiance des investisseurs, ce qui peut se traduire par une inflation et un retournement des conditions d'émission de la dette sur les marchés.

Influence sur la valeur de la monnaie

Le canal du marché des changes est susceptible de dégrader la position du pays qui monétiserait ses déficits du fait d'une surabondance de la monnaie sur les marchés[27]. Cela a notamment plombé les économies d'Afrique subsaharienne qui ont monétisé leur dette[28].

Références

  1. Frédéric Burguière, Les dettes publiques à la dérive: anatomie d'un monde financièrement fragilisé, Eyrolles, (ISBN 978-2-212-56942-1, lire en ligne)
  2. (en) United States President, January 1955 Economic Report of the President: Hearings ... 84th Congress, 1st Session Pursuant to Sec. 5 (a) of Public Law 304 (79th Congress)., U.S. Government Printing Office, (lire en ligne)
  3. « La loi de 1973 sur la Banque de France – La limitation des avances au Trésor », sur Banque de France, (consulté le )
  4. Nkanga-Makumba, La problématique du financement de l'impasse budgétaire et son impact sur le développement économique des pays du tiers monde: cas du Zaïre : de 1983 a 1987, (lire en ligne)
  5. Revue économique, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, (lire en ligne)
  6. Philippe Martin, Jean Pisani-Ferry, Xavier Ragot, « Pour une refonte du cadre budgétaire européen », sur www.cae-eco.fr (consulté le )
  7. Economie & prévision, Direction de la prévision, Ministère de l'économie, (lire en ligne)
  8. Tableau inspiré de: http://partageonsleco.com/2020/05/18/la-monetisation-de-la-depense-publique-fiche-concept/
  9. « La Banque d’Angleterre va financer le budget britannique - L'AGEFI », L'Agefi,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  10. Vincent Duchaussoy, Eric Monnet, La Banque de France et le financement direct et indirect du Trésor pendant la Première Guerre mondiale : un modèle français ?
  11. Josh Ryan-Collins, « Breaking the taboo: a history of monetary financing in Canada, 1930-1975 », The British Journal of Sociology, vol. 68, no 4,‎ , p. 643–669 (ISSN 1468-4446, PMID 28783229, DOI 10.1111/1468-4446.12278, lire en ligne, consulté le )
  12. La Finance Pour Tous, « Le rachat de titres de la dette publique par la BCE peut-il être assimilé à de la création monétaire ? », sur La finance pour tous (consulté le )
  13. https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2018-12/cp180192fr.pdf
  14. https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2020-1-page-123.htm
  15. Direction générale du Trésor, « Annuler la dette détenue par la BCE, est-ce légal ? Utile ? Souhaitable ? », sur Direction générale du Trésor, (consulté le )
  16. « Les achats de dettes par la BCE, « une jolie hypocrisie, nécessaire pour pouvoir agir » », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  17. Mathias Thépot, « Annuler la dette de la France à la BCE ? Une solution pragmatique », sur www.marianne.net, 2020-11-26utc17:37:54+0000 (consulté le )
  18. "Le Traité sur le fonctionnement de l’UE est clair : l’article 123 interdit le financement monétaire. Si nous achetions des obligations souveraines et décidions de ne pas demander leur remboursement, ce serait du financement monétaire. La loi ne nous l’autorise pas." interview de Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE, pour Le Monde.
  19. https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2020/OFCEpbrief80.pdf
  20. Henri Sterdyniak, « Sur la monétisation », sur OFCE le blog, (consulté le )
  21. Paul De Grauwe et Sebastian Diessner, « What price to pay for monetary financing of budget deficits in the euro area », sur VoxEU.org, (consulté le )
  22. « Indépendance et interdiction du financement monétaire », sur Banque Nationale de Belgique (consulté le )
  23. Adair Turner, Le retour du financement monétaire
  24. https://www.cairn.info/revue-d-economie-financiere-2014-1-page-157.htm
  25. (en) Steve H. Hanke et Nicholas Krus, World Hyperinflations, Social Science Research Network, (lire en ligne), chap. ID 2130109
  26. Frances Coppola, « Inflation Is Always And Everywhere A Political Phenomenon » (consulté le )
  27. La Lettre du C.E.P.I.I., Le Centre, (lire en ligne)
  28. John Hooley et Mika Saito, « Inflation and ‘fiscal dominance’: Evidence from sub-Saharan Africa », sur VoxEU.org, (consulté le )
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