Figure de la Terre à l'époque moderne
Le XVe siècle est celui du renouveau en Europe. La chute de Byzance, en 1453, marque traditionnellement la fin du Moyen Âge et le début de l'époque moderne. À cette époque, Nicolas de Cues (1401–1464), évêque de Brixen (Tyrol), émet des idées originales qui plongent leurs racines dans la métaphysique. Il enseigne en particulier la doctrine de l'impetus impressus, qui inspirera les travaux de Leonardo da Vinci et de Nicolas Copernic. D'autre part, Georg von Purbach (1423–1461) et son disciple Johannes Müller von Königsberg, dit Regiomontanus (1436–1476), remettent les études astronomiques à l'honneur en Europe occidentale. Johann Gutenberg (1398?–1468) invente la typographie en 1440, et l'imprimerie se développe à grande allure à partir de 1450, permettant ainsi de diffuser sur une grande base des œuvres religieuses et scientifiques. L'invention de l'imprimerie constitue un fait essentiel, capital, dont il est sans doute impossible d'exagérer l'importance. Il explique en grande partie l'essor scientifique en Europe à partir du milieu du XVe siècle.
Copernic et le système héliocentrique
En 1543 paraît le célèbre ouvrage intitulé « Torinensis De Revolutionibus Orbium Coelestium Libri VI » [1] dédicacé au pape Paul III, grand protecteur des arts et des sciences, celui-là même qui engagea Michel-Ange pour décorer la chapelle Sixtine. Cet ouvrage de Nicolas Copernic (1472–1543) bouleverse les dogmes (ou le paradigme) de la science officielle, en exposant le système héliocentrique. Ce dernier, pourtant présenté prudemment dans une préface rédigée par Copernic lui-même ou, plus vraisemblablement, à son insu par l'éditeur Osiander, comme une hypothèse de travail mathématique pour simplifier les calculs, et non pas comme une réalité physique, va soulever des polémiques scientifico-religieuses pendant le siècle qui va suivre. Il va finalement triompher dans le monde scientifique, mais non sans avoir fait des victimes très célèbres comme Galilée, qui eurent l'imprudence de le défendre trop vigoureusement contre les dogmes ecclésiastiques et les aristotéliciens intransigeants. En fait, l'idée de Copernic n'était guère nouvelle, puisqu'elle fut déjà défendue par Aristarque de Samos dix-sept siècles plus tôt. En outre, elle était « dans l'air du temps », pour ainsi dire. Pour s'en convaincre, il suffit de citer la phrase suivante de Leonardo da Vinci (1451-1519), écrite bien avant la parution de l'œuvre de Copernic : « la Terre n'est pas au milieu du cercle du Soleil ni au milieu du Monde, mais bien au milieu de ses éléments qui l'accompagnent et lui sont unis »[2].
L'hypothèse héliocentrique de Copernic n'est en fait pas entièrement révolutionnaire. En effet, elle ne rompt pas avec la tradition philosophique remontant à Platon, qui veut que les astres, êtres d'essence divine, circulent sur des orbes circulaires, le cercle et la sphère étant les figures géométriques « parfaites »[3]. En faisant tourner la Terre autour du Soleil, la Terre devient semblable aux autres planètes. C'est à Kepler qu'on doit l'idée que les trajectoires des planètes ne sont pas des cercles, mais des ellipses, et c'est donc lui le grand astronome. La contribution essentielle de Copernic à la Science n'est même pas de rendre l'hypothèse héliocentrique particulièrement plausible et attrayante, mais bien de mettre le modèle héliocentrique sous une forme mathématique qui permet de comparer ses conséquences chiffrées avec celles du modèle de Ptolémée. En effet, si le modèle géocentrique de Ptolémée, avec ses très nombreux épicycles, déférents et excentriques, est particulièrement complexe, le modèle héliocentrique de Copernic reste toujours très compliqué, car il ne renonce pas à des orbites circulaires et se trouve ainsi obligé lui aussi d'introduire un nombre élevé d'épicycles pour être en accord avec les observations cinématiques de l'époque. Toutefois, le système de Copernic explique avec beaucoup plus de simplicité la rétrogradation des planètes et l'ordre de la période de révolution des planètes (la période de révolution d'un an de la Terre s'insère logiquement entre les périodes de révolution de Vénus et de Mars).
Lorsque paraît l'œuvre de Copernic, les sciences sont surtout cultivées dans l'Italie de la Renaissance. Des mathématiciens attachés à l'université de Bologne, à savoir Gerolamo Cardano (Jérôme Cardan, 1501-1576), Niccolò Fontana Tartaglia (1499-1557), Lodovico Ferrari (1522-1565) et Raphaël Bombelli (1526-1573), donnent les formules permettant de résoudre les équations des troisième et quatrième degrés et introduisent les nombres complexes en algèbre vers 1550. Porta invente la chambre noire, qu'il perfectionne ensuite à l'aide d'une lentille servant d'objectif. Par ailleurs, on pense que c'est lui le premier inventeur de la lunette, qui révolutionnera un peu plus tard l'astronomie et la géodésie. C'est encore à cette époque que le Hollandais Gerhard Kremer, dit Mercator, propose la projection cartographique qui porte son nom. En France, le mathématicien, juriste, astronome et cryptographe François Viète (1540-1603) reprend dans son œuvre mathématique un exposé systématique de la trigonométrie plane et sphérique, dont il fournit les formules essentielles. On le considère aussi comme le père de l'algèbre classique.
Tycho Brahe, Johannes Kepler et Galilée
En Europe du Nord œuvre, quelques décennies après la mort de Copernic, le célèbre astronome danois Tycho Brahe (1546–1601). On lui doit des méthodes d'observation et des observations astronomiques qui furent de très loin les meilleures de l'époque. La précision de ces observations, qui se situe autour de la minute de degré, ne peut guère être améliorée sans utiliser des instruments optiques. Tycho Brahe rejette le système héliocentrique de Copernic, mais se déclare en faveur d'un système du monde comparable à celui de Héraclite du Pont qui n'est ni entièrement héliocentrique ni entièrement géocentrique. Parmi ses travaux, notons aussi la publication de tables de réfraction, l'observation de la supernova de 1572, l'emploi de la méthode de triangulation en 1578 pour lever la carte de l'île de Hven où il avait fait construire selon ses propres plans son observatoire d'Uraniborg. Cette triangulation lui permet de relier l'île de Hveen à la côte voisine du Danemark. Tycho Brahe fait en outre remarquer que si les étoiles de la sphère des fixes étaient proches, leurs coordonnées devraient subir une variation parallactique annuelle, ce qui n'est pas le cas pour ses observations.
En 1582 eut lieu la réforme grégorienne du calendrier, qui ne fut toutefois pas acceptée par tous les États immédiatement, tant s'en faut. À en croire son élève Viviani, c'est l'année suivante, en 1583, que le jeune Galilée aurait remarqué l'isochronisme des petites oscillations du pendule. Vers 1595, John Napier dit Neper, baron de Merchiston (1550–1617), invente les logarithmes dont son ami Henry Briggs (1561–1630) publiera des tables à quatorze décimales vers 1624. Celles-ci furent complétées en 1628 par Adriaan Vlacq (1600–1667). Les logarithmes «naturels», ou «népériens», ne seront introduits par Leonhard Euler que vers 1748, alors que Briggs préconise dès 1617 les logarithmes décimaux, ou «communs». Le système de Napier ne correspond en fait ni à l'un ni à l'autre. Les logarithmes seront appliqués aux lignes trigonométriques, et seront adoptés avec enthousiasme par Johannes Kepler.
Galileo Galilei (Galilée), né à Pise en 1564 et mort à Arcetri près de Florence en 1642, étudie dès 1602 la chute des corps au moyen d'un plan incliné. On a vu que les lunettes d'approche semblent avoir été inventées par Porta vers 1580 ; en tout cas, on en fabriquait en Italie à partir de 1590. Néanmoins, ce n'est guère que vers 1608 que les opticiens hollandais Jansen et Lipperhey commencent à diffuser cette marchandise. Galilée construit lui-même en 1610 une lunette astronomique sur la base d'indications assez vagues et applique immédiatement son instrument à l'observation du ciel. Parmi les découvertes de Galilée plus sensationnelles les unes que les autres, figurent notamment les quatre satellites majeurs circulant autour de Jupiter, qui constituent en quelque sorte un système solaire en miniature, les phases des planètes Mercure et Vénus, l'aspect curieux de Saturne (dû à son anneau, qui ne sera pas résolu par Galilée lui-même), les montagnes et les «mers» de la Lune, les étoiles individuelles de la Voie lactée, les taches solaires. Galilée défendait avec acharnement le système héliocentrique et l'idée que la Terre tournait sur elle-même et autour du Soleil, ce que lui valut un procès intenté par l'Inquisition Catholique. Galilée avançait en effet des arguments scientifiques de poids en faveur de la thèse de Copernic, mais qui ne pouvaient l'emporter de façon décisive sur ses adversaires, faute de pouvoir présenter une expérience mettant en évidence ce mouvement[4]. Ce n'est qu'à la suite des travaux de Kepler et de Newton que le système héliocentrique s'est imposé. Les premières confirmations scientifiques datent de 1672 où le ralentissement du pendule à horloge à l'équateur est attribué à la force centrifuge résultant de la rotation de la Terre sur son axe, et de 1728 où James Bradley explique le phénomène d'aberration de la lumière par la rotation de la Terre autour du Soleil.
Arthur Koestler, dans son magnifique essai intitulé «Les Somnambules», soutient que l'astronome Johannes Kepler (1571-1630) est le révolutionnaire le plus important de l'histoire de la Science, sinon dans ses actes du moins dans ses écrits, puisqu'il a osé remplacer les cercles par des ellipses. Kepler publie en 1604 un traité d'optique qui contient une table des réfractions jusqu'à 80° de distance zénithale et la description de la lunette à oculaire convergent. Il traite aussi des ellipses et de la manière de les utiliser pour évaluer les différences de longitude. En 1609 paraît le premier de ses deux ouvrages les plus importants, l'«Astronomia Nova», c'est-à-dire «Astronomie Nouvelle», dans lequel il adopte le système héliocentrique de Copernic, mais va bien au-delà.
En effet, en se servant des observations précises à une minute de degré près accumulées par son maître Brahe, Kepler peut énoncer les deux premières lois du mouvement planétaire, auxquelles il aboutit après des calculs fort complexes. Sa première loi s'énonce ainsi : L'orbite d'une planète est une ellipse dont le Soleil occupe l'un des foyers. Cette loi est en rupture totale avec les conceptions précédentes. La deuxième loi de Kepler, également contenue dans l'«Astronomia Nova», stipule que le rayon vecteur qui joint la Terre au Soleil balaye des aires égales en des temps égaux. C'est la «loi des aires». La troisième loi ne sera publiée que dix années plus tard, en 1619, dans le deuxième de ses deux ouvrages les plus importants. Celui-ci est intitulé «Harmonices Mundi», les «Harmonies du Monde». Elle s'énonce ainsi : Les carrés des temps de révolution de deux planètes autour du Soleil sont entre eux comme les cubes des demi-grands axes. Pour Kepler la pesanteur est une propriété générale de tous les matériaux, et les attractions sont proportionnelles aux quantités de matière mises en cause. Kepler ne fut pas très loin de la formulation exacte des lois de la dynamique, mais il n'arrivait pas à concevoir clairement l'importance dynamique de la variation de la vitesse, autrement dit de l'accélération. Cette formulation fut l'œuvre de Newton, trois quarts de siècle plus tard.
L'aurore de la géodésie moderne
Dans les années 1614-1621, le Hollandais Snellius (Willibrord Snell, 1580–1626), essentiellement dans un but cartographique procède à une triangulation entre les villes hollandaises Alkmaar et Berg-op-Zoom. Il mesure une base dans la région de Leyde et trace triangles et méridienne. Ses instruments ne sont pas très précis, ses résultats, bien que bons pour l'époque, ne sont pas très exacts, puisqu'il détermine le degré de méridien trop court d'environ 4 %[5]. Cette imprécision est surtout causée par la mauvaise conformation de certains triangles retenus. Néanmoins, la méthode est désormais lancée et fournira au cours des décennies suivantes des mesures précises des dimensions de la Terre. Snell n'est pas le premier à avoir effectué une triangulation géodésique. Nous avons déjà cité celle effectuée au Danemark par Tycho Brahe en 1578. En fait, au XVIe siècle sont apparues de nouvelles méthodes de topométrie, qui se sont développées en s'appuyant sur des méthodes antiques. En 1528, Sebastian Münster propose de faire un levé trigonométrique simple de l'Allemagne, mais vraisemblablement le premier à effectuer une triangulation fut le Hollandais Rainer Gemma Frisius (1508–1555) ; celle-ci constituait en la mesure de la largeur d'une rivière en 1533, en utilisant pour ce faire des triangles quelconques. Néanmoins, c'est à Snell qu'on doit la première triangulation opérée dans le but avoué de déterminer la circonférence de la Terre.
En 1637, l'astronome anglais Richard Norwood (1590–1675) mesure la distance de Londres à York au moyen d'une chaîne d'arpenteur et par décompte de pas. Il détermine l'angle au centre correspondant à l'arc de méridien associé à cette distance en observant les hauteurs du Soleil à midi, respectivement à Londres et à York. Il trouve pour la distance L(1°) correspondant à un degré de latitude environ 367196 pieds, c'est-à-dire environ 111,92 kilomètres. Ce résultat est trop grand d'un peu moins de 1 %. La même année, en 1637, René Descartes publie les lois de l'optique géométrique, surtout la loi de réfraction. Descartes est déjà connu à cette époque pour plusieurs travaux mathématiques importants. En fait, il déduit la loi exacte de la réfraction, qui s'appelle maintenant « loi de Snell-Descartes » en s'appuyant sur une hypothèse inexacte. Pierre de Fermat (1601–1665) accepte le résultat trouvé par Descartes, mais critique ses fondements théoriques. De la sorte, il est amené à énoncer le fameux principe de tautochronisme, dit « principe de Fermat ». Celui-ci exprime que le chemin parcouru par la lumière est toujours tel qu'il correspond à un temps de parcours extrémum.
L'année après la parution de la loi de la réfraction, Galilée publie ses découvertes fondamentales en mécanique, à savoir celles qui concernent le mouvement uniformément accéléré et la trajectoire des projectiles dans le vide, et il définit la force comme la cause de l'accélération. C'est encore à cette époque que Descartes, Fermat, Roberval et d'autres mettent au point la construction des tangentes aux courbes. Puis, en 1641, Blaise Pascal invente l'arithmomètre, précurseur des machines à calculer et des ordinateurs.
En 1643, Viviani — disciple de Galilée — exécute l'expérience du baromètre de Torricelli (1608–1647), qui met en évidence le poids de l'air et l'existence d'une atmosphère limitée, dont l'expérience de Pascal et Périer, effectuée en 1648 au Puy-de-Dôme, viendra apporter la preuve irréfutable. Tous ces progrès scientifiques vont jouer, à court ou à long terme, un rôle important dans le développement de la géodésie et de la théorie de la figure de la Terre.
En 1661 le père jésuite Giovanni-Baptista Riccioli reprend la mesure de la longueur L(1°) d'un degré de latitude par une méthode différente de celle d'Eratosthène. Elle se base sur la détermination d'angles zénithaux. Riccioli s'était servi déjà de cette méthode en 1645 en collaboration avec Grimaldi. Elle consiste à mesurer en deux sommets P1 et P2, de distance connue P1P2, les distances zénithales réciproques z1 et z2. La somme des angles du triangle P1OP2, où O désigne le centre de la Terre, étant égale à 180°, on déduit que l'angle au centre α est fourni par α = z1 + z2 – 180°. Cette méthode, indiquée par Kepler, ne pouvait pas fournir de résultats précis à l'époque, et à ce jour-même elle n'est guère recommandée. En effet, la mesure précise des distances zénithales est rendue délicate par la réfraction atmosphérique négligée à tort par Riccioli. Ainsi, sa valeur de 62900 toises pour L(1°) tombait loin de la valeur exacte. En appliquant un coefficient de réfraction convenable, on peut corriger ce résultat a posteriori et le ramener à une valeur comprise entre 55000 et 57000 toises, sans pouvoir préciser davantage.
Notes
- (en) Nicolai Copernici, « Torinensis de revolutionibus orbium coelestium libri VI », Norimbergae : Apud Ioh. Petreium, (consulté le ).
- Péladan, Les Manuscrits de Léonard de Vinci - Les 14 manuscrits de l'institut de France, Paris, E. Sansot et Cie, (lire en ligne), p. 264
- Stanislaw Fiszer, Platon, inspirateur de Copernic, HAL archives-ouvertes, (lire en ligne), p. 2
- Galilée attribua le phénomène des marées à la rotation de la Terre sur son axe, mais ses arguments étaient insuffisants à l'époque
- (en) N. D. Haasbroek, Gemma Frisius, Tycho Brahe and Snellius and their triangulations, Delft, Rijkscommissie voor geodesie, (lire en ligne), §47 p. 108
Annexes
Articles connexes
Bibliographie
- René Dugas, Histoire de la mécanique, éd. du Griffon & éd. Dunod, Neuchâtel, Paris, 1950
- Jacques Gapaillard, Et pourtant elle tourne ! Le mouvement de la terre, éd. du Seuil, Paris, 1993, (ISBN 2-02-013157-9)
- Arthur Koestler, Les Somnambules, éd. Calmann-Lévy, Paris, 1960
- René Taton, Histoire générale des sciences (4 volumes), Quadrige/Presses universitaires de France, 1994
- Arkan Simaan et Joëlle Fontaine, L'Image du monde des Babyloniens à Newton, Adapt Editions, Paris, 1998
Liens externes
- La forme et les dimensions de la Terre - L'histoire de la géodésie sur Cosmovision.com