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Expérience de Asch

L'expérience de Asch, publiée en 1951, est une expérience du psychologue Solomon Asch qui démontre le pouvoir du conformisme sur les décisions d'un individu au sein d'un groupe[1].

Description de l'expérience

Exemple : la ligne de gauche est la ligne de référence ; les trois lignes de droite sont les lignes de comparaison.

Asch invita un groupe d'étudiants (entre 7 et 9) de 17 à 25 ans à participer à un prétendu test de vision auquel avaient auparavant été soumis des sujets témoins qui n'eurent aucun mal à donner toujours la bonne réponse. Tous les participants étaient complices de l'expérimentateur, sauf un. L'expérience avait pour objet d'observer comment cet étudiant (le sujet « naïf ») allait réagir au comportement des autres.

Les complices et le sujet furent assis dans une pièce et on leur demanda de juger la longueur de plusieurs lignes tracées sur une série d'affiches. À gauche, une ligne modèle, et à droite, 3 autres lignes. Chacun devait dire laquelle de ces 3 lignes sur la droite était égale à la ligne modèle de gauche[1] - [2]. Avant que l’expérience ne commence, l’expérimentateur avait donné des instructions à ses complices. Au début, ils donnaient la bonne réponse, c'est-à-dire aux 6 premiers essais mais lors des 12[3] autres, ils donnèrent unanimement la même fausse réponse[1] - [2]. Le sujet « naïf » était l’avant-dernier à répondre. Asch mit en avant que celui-ci fut surpris des réponses énoncées par ses acolytes[2]. Au fur et à mesure des essais, il devint de plus en plus hésitant quant à ses propres réponses.

L'expérience fut réitérée avec un seul comparse, lequel était positionné en premier. Après lui, plusieurs sujets ignorant le véritable objectif de l'expérience alignaient également leur réponse sur celle de ce comparse. L'attitude de ce dernier "sûr de lui, avec une voix ferme" avait une influence particulièrement marquée sur les réponses des sujets.

Les résultats de cette expérience ont montré que la plupart des sujets répondaient correctement sans influence extérieure, mais qu'ils se conforment sur 36,8 % des mauvaises réponses soutenues à l'unanimité par les complices[2] ou par l'unique comparse, et que 75 % des sujets se conforment au moins une fois. Les sujets étaient même amenés à soutenir des réponses allant contre l'évidence et contre leur propre vue (voir les expériences filmées[4]), pour par exemple affirmer que deux lignes avaient la même longueur, alors que l'écart était très visible car de plus de cm. La situation contrôle montre 0,0045 % d’erreur de la part des participants.

Les diffĂ©rents « sujets » de cette expĂ©rience ont frĂ©quemment tĂ©moignĂ©, interrogĂ©s dans l'après-coup, de leur sentiment de confusion, d'anxiĂ©tĂ© ou de stress. D'autres avaient refoulĂ© ces Ă©motions contradictoires et pensaient simplement s'ĂŞtre trompĂ©s.

Après l'annonce des résultats, le sujet attribuait parfois sa piètre performance à sa propre « mauvaise vue ». Ceci rejoint dans une certaine mesure l'expérience de Milgram où le sujet se décharge totalement de sa responsabilité (attitude et comportement) sur l'expérimentateur. Dans les deux cas, le sujet se dédouane de la responsabilité de ses décisions et de ses actes (facteur interne) sur un facteur externe.

Variantes

L’expérience de Asch comprend différents facteurs. L’auteur s’est alors demandé ce qu’il pouvait se passer s’il en faisait varier certains paramètres :

  • la taille du groupe : le nombre de participants varia de 1 Ă  15 personnes. Asch remarqua que face Ă  une seule personne, le sujet maintenait son indĂ©pendance. Lorsqu’il Ă©tait face Ă  deux autres personnes, 13,6 % des sujets acceptaient la mauvaise rĂ©ponse. Dès que la majoritĂ© Ă©tait constituĂ©e de trois personnes, le taux de conformisme s’élevait Ă  31,8 %. Asch conclut dès lors qu’un nombre de 3 Ă  4 complices suffisait pour que le taux de conformisme plafonne. De plus, celui-ci commencerait Ă  baisser une fois que les complices sont plus de 7[5] ;
  • l'unanimitĂ© du groupe : dans cette variante, le sujet « naĂŻf » Ă©tait soutenu par un partenaire de confiance. Dans une condition, ce partenaire Ă©tait Ă©galement naĂŻf et dans l’autre, on lui avait demandĂ© de donner les rĂ©ponses correctes. Les rĂ©sultats ont montrĂ© que lorsqu'il n'y avait pas unanimitĂ© parmi les complices, le taux de conformisme diminuait. En effet, les sujets « naĂŻfs » s'Ă©mancipaient du groupe pour soutenir la rĂ©ponse vraie, mais dissidente et contrariante pour le groupe[1] - [2] ;
  • toutefois, ne sachant pas exactement si c’était la simple prĂ©sence d’un autre partenaire ou l’exactitude de sa rĂ©ponse qui avait jouĂ© un rĂ´le dans la diminution du taux de conformisme, Asch testa une nouvelle condition. Dans celle-ci, le partenaire se dĂ©tachait de la majoritĂ© mais Ă©galement du sujet « naĂŻf » car il donnait une autre mauvaise rĂ©ponse. Les rĂ©sultats ont Ă©galement montrĂ© une diminution dans le taux de conformisme[2] ;
  • retrait d’un vrai partenaire : le sujet « naĂŻf » se sentait soutenu par le partenaire qui rĂ©pondait Ă©galement correctement. Après quelques essais, on lui demanda de se rallier Ă  la majoritĂ©. Asch s'attendait Ă  ce que le sujet « naĂŻf » maintienne son indĂ©pendance vis-Ă -vis de la majoritĂ© lorsqu'il serait Ă  nouveau seul. Les rĂ©sultats ont cependant montrĂ© que le taux de conformisme augmenta Ă  la suite de la perte du partenaire[1] - [2].

Autres facteurs qui influencent le conformisme

D’autres facteurs ont été identifiés comme pouvant également influencer le conformisme d’un individu.

Facteurs qui peuvent influencer le conformisme
Facteurs Aspects étudiés
StimulusAmbiguïté
Caractéristiques du groupeTaille
Attrait
Unanimité
Cohésion
Traits de personnalitéBesoin d’affiliation
Estime de soi
Personnalité de type autoritaire
CultureCollectiviste ou individualiste
RéponsePublique ou privée
SexeMasculin ou féminin
  • AmbiguĂŻtĂ© du stimulus : Crutchfield (1955)[6] a constatĂ© que lorsque les sujets Ă©taient face Ă  des stimuli ambigus, cela augmentait leur taux de conformisme. En effet, lorsqu'ils pensent qu'ils ne sont pas compĂ©tents, les sujets ont moins tendance Ă  affronter la majoritĂ©. Toutefois, dans le cas de l’expĂ©rience de Asch, le stimulus avait Ă©tĂ© testĂ© auparavant et avait Ă©tĂ© reconnu comme non ambigu[7].
  • CaractĂ©ristiques du groupe : en plus de la taille et de l’unanimitĂ© du groupe, son attrait ainsi que sa cohĂ©sion peuvent Ă©galement expliquer le conformisme.
    L'attrait du groupe : plusieurs auteurs ont mis en avant qu’un individu qui se sent attiré par un groupe, aura plus de chance de se conformer aux normes qu’il préconise[8] - [9].
    La cohésion du groupe : lorsqu’un groupe est très cohésif, il a également plus d’influence sur ses membres[10], ce qui peut expliquer un plus haut taux de conformisme[11].
  • Besoin d’affiliation : certains auteurs ont montrĂ© que plus le besoin d’affiliation (besoin de se faire aimer des autres) est important pour un individu, plus il se conformera[12]. Il en est de mĂŞme lorsqu’il a une faible estime de soi[13] ou lorsqu’il accorde une grande importance Ă  l’harmonie sociale, aux rapports interpersonnels[14] et Ă  son image[15] - [16] car il craint la dĂ©sapprobation sociale[11].
  • PersonnalitĂ© de type autoritaire : plusieurs auteurs ont mis en Ă©vidence que les individus qui ont une « personnalitĂ© autoritaire » seraient plus sensibles Ă  l’influence sociale. Leur volontĂ© de respecter les conventions, les normes et le pouvoir pourrait expliquer cette tendance[6] - [17] - [18].
  • Culture : selon plusieurs auteurs, le conformisme peut varier selon la culture et plus prĂ©cisĂ©ment si la culture est individualiste ou collectiviste[19] - [20] - [21]. Selon Triandis[22], les cultures collectivistes mettent l’accent sur l’importance du groupe comme entitĂ© et attachent peu d’importance au dĂ©veloppement d’une personnalitĂ© autonome. Ceci permet d’expliquer pourquoi le conformisme n’est pas perçu comme une rĂ©ponse Ă  la pression sociale, mais comme un signe de maturitĂ©, en accord avec leurs valeurs[11]. En effet, le conformisme tĂ©moigne du fait que la personne est responsable et consciente de son lien avec la communautĂ©[21]. Les cultures individualistes mettent quant Ă  elle l’accent sur l’initiative individuelle et l’indĂ©pendance d’esprit qui importent beaucoup dans la culture nord-amĂ©ricaine par exemple[21]. Whittaker et Meade[23] ont rĂ©pliquĂ© l’expĂ©rience de Asch dans plusieurs pays et ont dĂ©couvert des taux de conformisme assez similaires (31 % au Liban, 32 % Ă  Hong Kong, 34 % au BrĂ©sil, 51 % chez les Bantous du Zimbabwe). Cependant, les rĂ©pliques mises en Ĺ“uvre 20 ans plus tard ont montrĂ© moins de conformitĂ©[24] - [25].
  • RĂ©ponse : lorsqu’ils doivent rĂ©pondre en prĂ©sence des autres (publiquement), les individus ont une plus grande tendance Ă  se conformer que lorsqu’ils peuvent Ă©crire leurs rĂ©ponses en privĂ©[1].
  • Sexe : Eagly et Carli[26] ont mis en avant que les femmes avaient lĂ©gèrement tendance Ă  se conformer davantage que les hommes.

Notes et références

  1. (en) S. E. Asch, « Effects of group pressure upon the modification and distortion of judgments Â», in H. Guetzkow (ed.) Groups, leadership and men, Carnegie Press, Pittsburgh, PA, 1951.
  2. (en) Solomon Asch, « Opinions and Social Pressure », Scientific American, vol. 193, no 5,‎ , Scientific American (lire en ligne)
  3. Psychologues les grandes idées tout simplement, PRISMA, pages 225-226 "les complices avaient pour instruction de répondre correctement lors des 6 premiers essais, puis de donner une même réponse erronée lors des 12 autres"
  4. Vidéo en anglais de l'expérience
  5. Asch, S.E. (1955). Opinions and Social Pressure. Scientific American, 193, 31-35.
  6. (en) Richard S. Crutchfield, « Conformity and character », American Psychologist, vol. 10, no 5,‎ , p. 191-198 (DOI 10.1037/h0040237)
  7. Bédard, L., Déziel, J. et Lamarche, L., Introduction à la psychologie sociale. Vivre, penser et agir avec les autres, Éditions du Renouveau Pédagogique Inc, 2006.
  8. Festinger, L., Schachter, S. & Back, K. (1950). Social pressures in informal groups: A study of human factors in housing. New York: Harper and Brothers.
  9. (en) Romin W. Tafarodi, So-Jin Kang et Alan B. Milne, « When different becomes similar: Compensatory conformity in bicultural visible minorities », Personality and Social Psychology Bulletin, vol. 28, no 8,‎ , p. 1131-1142 (DOI 10.1177/01461672022811011, lire en ligne)
  10. (en) Albert J. Lott et Bernice E. Lott, « Group cohesiveness, communication level and conformity », Journal of Abnormal and Social Psychology, vol. 62, no 2,‎ , p. 408-412 (DOI 10.1037/h0041109)
  11. Myers, D.G. et Lamarche, L. (1992). Psychologie Sociale. McGraw-Hill : Montréal.
  12. (en) Paul E. McGhee et Richard C. Teevan, « Conformity behavior and need for affiliation », Journal of Social Psychology, vol. 72, no 1,‎ , p. 117-121 (DOI 10.1080/00224545.1967.9922305)
  13. (en) David J. Stang, « Conformity, ability and self-esteem », Representative Research in Social Psychology, vol. 3, no 2,‎ , p. 97-103
  14. (en) Gregory M. Rose, Aviv Shoham, Lynn R. Kahle et Rajeev Batra, « Social values, conformity and dress », Journal of Applied Social Psychology, vol. 24, no 17,‎ , p. 1501-1519 (DOI 10.1111/j.1559-1816.1994.tb01560.x)
  15. (en) Kaoru Kurosawa, « Self-monitoring and conformity revisited: A case for four-factor measurement model », Japanese Psychological Research, vol. 35,‎ , p. 19-31
  16. (en) Nicholas E. Perrine et Patricia A. Aloise-Young, « The role of self-monitoring in adolescents’susceptibility to passive peer pressure », Personality and Individual Differences, vol. 37, no 8,‎ , p. 1701-1716 (DOI 10.1016/j.paid.2004.03.005)
  17. (en) Alan C. Elms et Stanley Milgram, « Personality characteristics associated with obedience and defiance toward authoritative command », Journal of Experimental Research in Personality, vol. 1, no 4,‎ , p. 282-289
  18. (en) Stanley Feldman, « Enforcing social conformity: A theory of authoritarism », Political Psychology, vol. 24, no 1,‎ , p. 41-74 (DOI 10.1111/0162-895X.00316)
  19. (en) Rod Bond et Peter B. Smith, « Culture and conformity: A meta-analysis of studies using Asch’s (1952b, 1956) line judgment task », Psychological Bulletin, vol. 119, no 1,‎ , p. 111-137 (lire en ligne)
  20. (en) Robert B. Cialdini, Wilhelmina Wosinska, Daniel W. Barrett, Jonathan Butner et Malgorzata Gornik-Durose, « Compliance with a request in two cultures : The differential influence of social proof and commitment/consistency on collectivists and individualists », Personality and Social Psychology Bulletin, vol. 25, no 10,‎ , p. 1242-1253 (DOI 10.1177/0146167299258006)
  21. (en) Heejung Kim et Hazel Rose Markus, « Deviance or uniqueness, harmony or conformity? A cultural analysis », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 77, no 4,‎ , p. 785-800 (lire en ligne)
  22. (en) Harry C. Triandis, « The self and social behavior in differing cultural contexts », Psychological Review, vol. 96, no 3,‎ , p. 506-520 (lire en ligne)
  23. (en) James O. Whittaker et Robert D. Meade, « Social pressure in the modification and distortion of judgment: A cross-cultural study », International Journal of Psychology, vol. 2, no 2,‎ , p. 109-113 (DOI 10.1080/00207596708247207)
  24. (en) Nigel Nicholson, Steven G. Cole et Thomas Rocklin, « Conformity in the Asch situation: a comparison between contemporary British and US Students », British Journal of Social Psychology, vol. 24, no 1,‎ , p. 59-63 (DOI 10.1111/j.2044-8309.1985.tb00660.x)
  25. (en) Marie-France Lalancette et Lionel G. Standing, « Asch fails again », Social Behavior and Personality, vol. 18, no 1,‎ , p. 7-12 (DOI 10.2224/sbp.1990.18.1.7)
  26. (en) Alice H. Eagly et Linda L. Carli, « Sex of researchers and sex-typed communications as determinants of sex differences in influenceability: A meta-analysis of social influence studies », Psychological Bulletin, vol. 90, no 1,‎ , p. 1-20

Bibliographie

  • « Studies on independance and conformity : a minority of one against an unanimous majority Â», Asch Solomon, Psychological Monographs, 1956, 70, 416.
  • « Conformisme et soumission Â», dans Psychologie sociale expĂ©rimentale, Doise W., Deschamps J., Mugny G. Armand Colin, collection U, 1978, p. 105-113.
  • Asch, S.E. (1951). Effects of group pressure upon the modification and distortion of judgments. In H. Guetzkow (ed.) Groups, leadership and men. Pittsburgh, PA: Carnegie Press, p.177-190 : lien vers une version en ligne
  • Asch, S.E. (1955). Opinions and Social Pressure. Scientific American, 193, 31-35.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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