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Emprunt Giscard

L'emprunt Giscard d'Estaing est un emprunt national Ă©mis par l'État français Ă  la fin de l'annĂ©e 1972 au taux d'intĂ©rĂŞt de 7 %, alors que ValĂ©ry Giscard d'Estaing est ministre de l'Économie et des Finances.

Contexte

L'objectif initial de l'emprunt est de réorienter les fonds vers l’épargne plutôt que vers la consommation, et de financer une baisse de la TVA qui devrait permettre une baisse des prix, et donc la modération salariale : pour cela, il baisse le taux des produits industriels de 23 % à 20 % et celui de plusieurs autres biens et services de 7,5 % à 7 %, alors que le taux sur la viande de bœuf est supprimée[1].

Cependant, l'arrivée du premier choc pétrolier fin 1973 va frapper les économies développées, dont la France. Afin de compenser les pertes de recettes budgétaires causées par l'effet récessif du choc, le ministre des Finances Valéry Giscard d'Estaing s'active et met en place une série de mesures de redressement[2].

LancĂ© le , l'emprunt Ă  15 ans est totalement souscrit dans la journĂ©e. Si son taux de 7 % est infĂ©rieur d’un point au prix du marchĂ©, il reste supĂ©rieur au taux d’inflation[1]. Il est garanti en unitĂ©s de compte europĂ©ennes (Ă©quivalente Ă  la valeur en or du dollar d’avant la dĂ©valuation de 1971, soit 888,670 88 mg d’or fin) que la naissance le du serpent monĂ©taire europĂ©en, un accord assurant une certaine stabilitĂ© monĂ©taire entre les pays de la CommunautĂ© Ă©conomique europĂ©enne, semblait rendre sĂ»r, alors que le système des accords de Bretton Woods se dĂ©litait. Pour sĂ©curiser totalement les emprunteurs, la direction du TrĂ©sor propose une garantie supplĂ©mentaire : au cas oĂą la paritĂ© entre le franc et l’unitĂ© de compte europĂ©enne venait Ă  disparaĂ®tre, si elle n’était plus liĂ©e Ă  l’or ou si le franc flottait librement, la garantie porterait sur la valeur moyenne en francs du lingot d’un kilo au cours des trente derniers sĂ©ances boursières de 1972, soit 10 483 francs[1].

Jacques Calvet et Claude Pierre-Brossolette sont opposés à l'indexation sur l'or, qu'ils considèrent comme hasardeuse, mais Giscard d'Estaing insiste pour des raisons historiques et le souvenir de l'emprunt Pinay de 1952[2]. Le plan est cocréé par Jean-Yves Haberer, directeur de la Direction générale du Trésor[3] - [4].

Conception

Le taux d'intérêt de l'emprunt est fixé à 7 %[5]. Les instabilités économiques et financières incitent le ministre à indexer l'emprunt sur le cours de l'or et donc du dollar[6]. Le choix paraissait alors assez judicieux car, alors, le cours de l'or ne grimpait pas plus vite que l'inflation, et parfois moins certaines années, tandis que l'or continuait d’inspirer confiance aux épargnants.

En 1976, les accords de la Jamaïque, confirmant officiellement l'abandon du rôle légal international de l'or renversent complètement cette situation. Le franc, comme les autres monnaies, n'est plus rattaché au dollar, qui lui-même n'est plus rattaché à l'or. Seul l'emprunt Giscard reste indexé sur le cours du lingot d'or du fait, entre autres de la « clause d’indexation qui [aurait ] largement profilé aux souscripteurs » [7]. Cette indexation jouera à la hausse à partir de 1978, lorsque la valeur de l'or est au plus haut[8]. L'indexation coûtera d'autant plus cher à l’État que le franc est dévalué à plusieurs reprises.

Au Parlement français, le Parti communiste français proteste contre la mise en place de l'emprunt[9].

Conséquences

Peu après son Ă©mission, le coĂ»t de l'emprunt explose. Parce qu'il Ă©tait in fine indexĂ© sur l'or, qui lui-mĂŞme Ă©tait convertible en dollar jusqu'aux accords de la JamaĂŻque conclus les 7 et [1], l'emprunt est sensible aux fluctuations qui se font de plus en plus fortes dans les annĂ©es 1970. Les dĂ©valuations successives creusent le coĂ»t de l'emprunt. La valeur du franc est divisĂ©e par 3,5 en 15 ans, notamment entre 1973 et 1985[10]. Comme l'emprunt est Ă©mis en dollars US, et que le taux de change passe de 1$ = 4,4F (1973) Ă  1$ = 6,2F (1988), avec un pic de conversion Ă  1$ = 10F en 1985, la valeur initiale des emprunts se multiplie. En 1981, un bon d'emprunt d'une valeur de 1 000 francs valait 7 000 francs[11].

Si la France ne ratifie pas les accords de la JamaĂŻque, elle ne peut en inflĂ©chir les consĂ©quences et dès , c’est la clause subsidiaire, celle qui va calculer les intĂ©rĂŞts sur la valeur du lingot de 1972 qui s’applique[1]. Ă€ la fin de 1980, le lingot d’un kilo d’or fin vaut Ă  Paris 90 000 francs, soit 8,6 fois sa valeur de rĂ©fĂ©rence pour le paiement des coupons. Le coupon versĂ© en 1981 atteint donc 609,03 francs, 61 % de la valeur du principal[1]. Fin 1983, le lingot cote 104 000 francs et l’État doit verser 18 milliards de francs d’intĂ©rĂŞts, soit trois fois le capital levĂ© dix ans plus tĂ´t, et reprĂ©sente près du quart du service global de la dette publique[1]. Le lingot revient en 1988, date du remboursement, Ă  son niveau de 1980. Le coĂ»t du principal nĂ©anmoins s'Ă©lève Ă  55 milliards, soit 8,5 fois la somme initiale. Le TrĂ©sor doit utiliser le produit des privatisations dĂ©cidĂ©es par le gouvernement Chirac en 1986 et 1987 pour faire face Ă  cette Ă©chĂ©ance : 45 des 67 milliards de francs des privatisations y sont consacrĂ©s[1].

Cet emprunt a Ă©tĂ© particulièrement coĂ»teux pour les finances publiques. Si 6,5 milliards ont Ă©tĂ© empruntĂ©s pour 15 ans, en janvier 1985, 22,6 milliards de francs avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© remboursĂ©s[12]. En intĂ©rĂŞts et capital, l’État a dĂ» rembourser en tout entre 76[13] et 90 milliards de francs[14] - [15].

Lors du débat télévisé de 1981 entre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, le président sortant est critiqué par le candidat socialiste et ne peut masquer l'échec de cet emprunt, bien que ce ne fut pas l'élément marquant de la confrontation[1]. Toutefois, élu président, Mitterrand continuera à respecter les clauses de l'emprunt sans chercher à les limiter. Ainsi Catherine Lalumière, ministre de la Consommation, répond le à la tribune de l’Assemblée nationale que « Le gouvernement se considère lié par la parole donnée au nom de l’État », refusant d'aller au défaut de paiement à un moment où le pouvoir socialiste tente de se réconcilier avec les milieux d’affaires et les marchés internationaux[1].

Postérité

Dans le roman Le BĂ»cher des vanitĂ©s de Tom Wolfe, le protagoniste Sherman McCoy essaie d'acheter 600 millions de dollars de l'emprunt Giscard, soit 15 % de son Ă©mission totale, et Ă©choue[16].

Notes et références

  1. Romaric Godin, « Le désastre de l’emprunt Giscard », sur mediapart.fr, (consulté le )
  2. Georges Valance, VGE (Valéry Giscard d'Estaing): Une vie, Flammarion, (ISBN 978-2-08-127884-4, lire en ligne)
  3. Laurent Joffrin, Le gouvernement invisible: naissance d'une démocratie sans le peuple, Arléa, (ISBN 978-2-86959-553-8, lire en ligne)
  4. L'express international, Groupe Express, (lire en ligne)
  5. Thierry Schluck et Jérôme Perrin, La gestion financière: Assurance de portefeuille, capital risque, effet de ciseaux, gearing, O.P.C.V.M., passif social, rating, etc., Retz, (ISBN 978-2-7256-6008-0, lire en ligne)
  6. Les actions plus rémunératrices que les obligations et l'or au XXe siècle, Insee Première, février 2002
  7. Journal Le Monde, Vendredi 26 octobre 1984 page 9 (Serge Marti)
  8. Le précédent du très cher emprunt Giscard, L'Humanité, Mercredi 16 Juillet 1997
  9. Jack Dion et Pierre Ivorra, Sur la piste des grandes fortunes, Editions sociales, (ISBN 978-2-209-05669-9, lire en ligne)
  10. Pouvoir d'achat de l'euro et du franc d'après l'INSEE ratio entre l'indice 1973 = 0,78819 et l'indice 1988 = 0,21947
  11. (en) Tocqueville Society, The Tocqueville Review: La Revue Tocqueville, Tocqueville Society, (lire en ligne)
  12. Jack Dion et Pierre Ivorra, Sur la piste des grandes fortunes, Editions sociales, (ISBN 978-2-209-05669-9, lire en ligne)
  13. Les inrockuptibles, Editions Indépendantes, (lire en ligne)
  14. Eric Roussel, Valéry Giscard d’Estaing, Humensis, (ISBN 979-10-329-0251-6, lire en ligne)
  15. Cinq manières de diminuer vraiment les dépenses de l'Etat, L'Expansion, 1997
  16. (en) Kevin Dowd et Martin Hutchinson, Alchemists of Loss: How modern finance and government intervention crashed the financial system, John Wiley & Sons, (ISBN 978-0-470-68996-7, lire en ligne)

Articles connexes

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