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Effet isotopique cinétique

L'effet isotopique cinétique (en anglais, kinetic isotope effect ou KIE) est la variation de la vitesse d'une réaction chimique lorsqu'un atome d'un des réactifs est remplacé par l'un de ses isotopes[1].

Par exemple, le remplacement d'un atome 12C par un atome 13C conduit Ă  un effet isotopique cinĂ©tique dĂ©fini par le rapport des constantes de vitesse (on met en gĂ©nĂ©ral au numĂ©rateur la constante qui concerne l'isotope le plus lĂ©ger). Dans la substitution nuclĂ©ophile du bromure de mĂ©thyle par l'ion cyanure, le rapport mesurĂ© est de 1,082 Â± 0,008[2] - [3]. Cette valeur indique que le mĂ©canisme rĂ©actionnel est la substitution nuclĂ©ophile bimolĂ©culaire (SN2), plutĂŽt que la substitution nuclĂ©ophile monomolĂ©culaire (SN1) pour laquelle les effets isotopiques sont plus grandes, de l'ordre de 1,22[2].

Les effets isotopiques les plus importants correspondent aux plus grands changements relatifs de masse, parce que l'effet dĂ©pend des frĂ©quences de vibration molĂ©culaire des liaisons impliquĂ©es. Par exemple, changer un atome de protium 1H (ou simplement H) en deutĂ©rium 2H (ou D) reprĂ©sente une augmentation de masse de 100 %, tandis que remplacer un carbone 12 par un carbone 13 n'augmente la masse que de 8 %. La vitesse de rĂ©action d'une liaison C–H est souvent six Ă  dix fois plus Ă©levĂ©e que la rĂ©action analogue d'une liaison C–D (kH/kD = 6–10), mais une rĂ©action de 12C n'est que quelques pour cent plus rapide que la rĂ©action correspondante avec 13C.

Le mĂ©canisme d'une rĂ©action chimique peut ĂȘtre Ă©tudiĂ© en observant l'effet isotopique. BriĂšvement, le remplacement d'un atome d'hydrogĂšne protium par un atome de deutĂ©rium peut amener une baisse de la vitesse de rĂ©action si l'Ă©tape cinĂ©tiquement dĂ©terminante met en jeu la rupture d'une liaison entre l'hydrogĂšne et un autre atome. Donc si la vitesse de rĂ©action est modifiĂ©e lorsque les protiums sont remplacĂ©s par les deutĂ©riums, il est raisonnable de penser que l'Ă©tape cinĂ©tiquement dĂ©terminante comporte la rupture d'une liaison entre un hydrogĂšne et un autre atome.

La substitution isotopique peut modifier la vitesse de rĂ©action de plusieurs façons. Souvent, la diffĂ©rence de vitesse peut ĂȘtre expliquĂ©e comme consĂ©quence du changement de masse d'un atome sur la frĂ©quence vibrationnelle de la liaison chimique que l'atome forme, mĂȘme si la configuration Ă©lectronique est presqu'inchangĂ©e. Un isotopologue plus lourd possĂšde des frĂ©quences vibrationnelles plus petites, et alors l'Ă©nergie du point zĂ©ro diminue. Si l'Ă©nergie du point zĂ©ro est infĂ©rieure, il faut fournir une Ă©nergie d'activation supĂ©rieure pour briser la liaison, ce qui ralentit la vitesse selon la loi d'Arrhenius.

Classement

Un effet isotopique cinĂ©tique primaire peut arriver lors de la formation ou le bris d'une liaison jusqu'Ă  l'atome oĂč le marquage isotopique a lieu. Pour les rĂ©actions de substitution nuclĂ©ophile, de tels effets ont Ă©tĂ© mĂ©surĂ©s pour le groupe partant (Br− Ă  l'exemple ci-dessus) ou le nuclĂ©ophile (CN−), ou bien au carbone substituĂ© (carbone alpha) tel qu'indiquĂ© ci-dessus pour la rĂ©action CN− + CH3–Br.

Un effet isotopique cinĂ©tique secondaire est observĂ©e lorsqu'aucune liaison jusqu'Ă  l'atome qui change d'isotope n'est rompue ni formĂ©e dans l'Ă©tape dĂ©terminante de vitesse de la rĂ©action. Ces effets ont tendance Ă  ĂȘtre bien plus petits que les effets primaires; cependant ils peuvent quand-mĂȘme ĂȘtre mesurĂ©s Ă  haute prĂ©cision et sont encore trĂšs utiles pour l'Ă©lucidation des mĂ©canismes rĂ©actionnels.

Aux rĂ©actions de substitution nuclĂ©ophile dĂ©jĂ  mentionnĂ©es, les effets isotopiques secondaires permettent Ă  distinguer entre mĂ©canismes SN1 et SN2. En effet les effets isotopiques cinĂ©tiques secondaires pour l'hydrogĂšne liĂ© au carbone alpha sont plus grands pour les rĂ©actions SN1 et approchent le maximum thĂ©orique de 1,22, tandis que les effets pour les rĂ©actions SN2 sont trĂšs proches Ă  1 ou mĂȘme infĂ©rieurs Ă  1. Les effets isotopiques cinĂ©tiques supĂ©rieurs Ă  1 sont dits normaux, de sorte que l'espĂšce deutĂ©rĂ© rĂ©agit plus lentement, tandis que les effets infĂ©rieurs Ă  1 sont dits inverses.

Généralement, si les constantes de force de rappel sont plus petites à l'état de transition qu'aux réactifs, il y aura un effet isotopique cinétique normal (par exemple ). Les effets isotopiques inverses () sont attribués aux constantes de force qui sont supérieures à l'état de transition, en supposant que l'effet est dû surtout aux vibrations moléculaires d'élongation de liaisons[2].

Théorie

La plupart des effets isotopiques cinĂ©tiques, surtout pour la substitution de l'hydrogĂšne par le deutĂ©rium, proviennent de la diffĂ©rence d'Ă©nergie entre les rĂ©actifs et l'Ă©tat de transition des isotopologues en question. Cette diffĂ©rence peut ĂȘtre expliquĂ©e qualitativement dans le cadre de l'approximation Born-Oppenheimer, en supposant que la courbe d'Ă©nergie potentielle est la mĂȘme pour les deux espĂšces isotopiques. En mĂ©canique quantique cependant, des niveaux vibrationnels discrets sont associĂ©s Ă  cette courbe, et le niveau vibrationnel le plus bas possĂšde une Ă©nergie lĂ©gĂšrement supĂ©rieure au minimum de la courbe d'Ă©nergie potentielle. Cette diffĂ©rence d'Ă©nergie, dite Ă©nergie du point zĂ©ro, est consĂ©quence du principe d'incertitude de Heisenberg et nĂ©cessite une incertitude dans la longueur de liaison C-H ou C-D. Étant donnĂ© que l'espĂšce deutĂ©rĂ©e est plus lourde et se comporte de façon plus «classique», ses niveaux d'Ă©nergie de vibration sont plus proches Ă  la courbe d'Ă©nergie potentielle classique, et son Ă©nergie du point zĂ©ro est infĂ©rieure. Les diffĂ©rences d'Ă©nergie du point zĂ©ro entre les deux espĂšces isotopiques, au moins dans la plupart des cas, diminuent dans l'Ă©tat de transition, puisque la constante de force de rappel diminue au cours de la rupture de la liaison. Par consĂ©quent, la plus faible Ă©nergie de point zĂ©ro de l'espĂšce deutĂ©rĂ©s se traduit par une plus grande Ă©nergie d'activation de sa rĂ©action, tel qu'indiquĂ©e Ă  la figure ci-dessous, ce qui conduit Ă  un effet isotopique cinĂ©tique normal pour lequel (kH/kD) > 1.

DiffĂ©rences d'Ă©nergie du point zĂ©ro et diffĂ©rences d'Ă©nergie d'activation au cours de la rupture des liaisons C-H et C-D analogues. Ici TS = Ă©tat de transition, ZPE = Ă©nergie du point zĂ©ro, ΔG≠ = enthalpie libre d'activation.

Notes et références

  1. (en) « kinetic isotope effect », IUPAC, Compendium of Chemical Terminology [« Gold Book »], Oxford, Blackwell Scientific Publications, 1997, version corrigée en ligne : (2019-), 2e éd. (ISBN 0-9678550-9-8)
  2. Kenneth C. Westaway, « Using kinetic isotope effects to determine the structure of the transition states of SN2 reactions », Advances in Physical Organic Chemistry, vol. 41,‎ , p. 217–273 (DOI 10.1016/S0065-3160(06)41004-2).
  3. K. R. Lynn et Peter E. Yankwich, « Isotope Fractionation at the Methyl Carbon in the Reactions of Cyanide Ion with Methyl Chloride and Methyl Bromide », Journal of the American Chemical Society, vol. 83, no 15,‎ , p. 3220–3223 (DOI 10.1021/ja01476a012).

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