Effet bouba-kiki
L'effet bouba-kiki est une correspondance non arbitraire entre la forme visuelle d'un objet et la suite de phones (c'est-à -dire la prononciation) qu'on lui associe, observée pour la première fois par le psychologue germano-américain Wolfgang Köhler en 1929[1].
Description
Dans le cadre d'expériences psychologiques, d'abord entreprises sur l'île de Tenerife (où la langue principale est l'espagnol), Köhler présenta aux participants des formes (ressemblant à celles ci-contre) et leur demanda laquelle s'appelait takete et laquelle baluba (maluma dans la version de 1947). Sans le déclarer explicitement, Köhler laissa entendre que se fut manifestée une préférence marquée à apparier la forme dentelée à takete, et la forme arrondie à baluba.
En 2001, Vilayanur S. Ramachandran et Edward Hubbard[2] ont repris l'expérience de Köhler avec la paire kiki et bouba, et ont demandé à des étudiants anglophones aux États-Unis et des locuteurs du tamoul en Inde laquelle des deux formes est bouba et laquelle est kiki ?[3] Entre 95 % et 98 % des sondés réunis ont associé la forme arrondie à bouba et la dentelée à kiki, suggérant que le cerveau humain accorde d'une façon quelconque des sens abstraits aux formes et sons d'une façon cohérente. En 2006, Daphne Maurer (en) et al.[4] démontrent que des enfants âgés d'à peine 2 ans et demi (soit trop jeunes pour lire) font preuve de cet effet. Les individus autistes ne font pas preuve d'une préférence aussi marquée[5].
On constate aussi que l'effet se manifeste également lorsqu'il s'agit d'une paire de prénoms, suggérant qu'un degré de familiarité ne réprime pas l'effet. En 2015, Sidhu et Pexman[6] ont démontré que les sondés tendent à apparier des prénoms comme Molly aux formes arrondies et des prénoms comme Kate aux dentelées. De surcroît, les individus associent certains traits (comme un caractère détendu) aux prénoms « arrondis ».
En 2019, des chercheurs ont utilisé pour la première fois l'IRM fonctionnelle pour étudier l'effet bouba-kiki. Ils montrent grâce à un test IAT que cet effet d'association entre forme et son est implicite, et ne relève pas d'une décision consciente. De plus, lorsque sons et formes sont congruents, cela se reflète à la fois dans l'aire sensorielle visuelle et dans l'aire auditive du cortex. Enfin, l'activité du cortex préfrontal est plus importante lors de la présentation de stimuli incongruents que lorsque les stimuli sont congruents[7].
Une étude conduite en ligne par la chercheuse Aleksandra Ćwiek et collègues atteste de la robustesse de cet effet, présent dans plus de 20 langues[8] - [9].
Explications
D'après Ramachandran et Hubbard[2], l'effet bouba-kiki serait un facteur de l'évolution de langues, car il suggère que les noms attribués aux objets ne sont pas entièrement arbitraires. Il est plus probable que la forme arrondie est nommée bouba parce que la bouche prend une forme plus arrondie pour produire ce son-là , alors que la bouche doit se tendre dans le cas de kiki. Autrement, il se peut que la distinction se fasse entre les consonnes coronales ou dorsales telles que /k/ et les consonnes labiales telles que /b/. Ces correspondances du genre synesthésique font penser que l'effet constitue le fondement neurologique du symbolisme phonétique, selon lequel les correspondances entre sons et objets ou évènements ne se fait pas au hasard.
Cependant, des recherches plus récentes[10] indiquent que l'effet pourrait être un cas d'idéesthésie (en), soit un phénomène dans lequel l'activation de concepts provoque des expériences semblables aux perceptions. Le terme, d'origine grecque, signifie sensation d'idées.
En 2022, la chercheuse et maîtresse de conférence en psychologie cognitive Mathilde Fort et son confrère Jean-Luc Schwartz proposent une nouvelle explication pour ce phénomène et ses paradoxes, basées sur les propriétés physiques des sons et des objets. Selon cette explication, le cerveau effectue une correspondance entre les fréquences sonores produites par les sons des mots « bouba » ou « kiki » et le spectre de fréquences que peut produire l'objet associé en roulant. Un objet rond ne présentant pas d’aspérités et produira un son continu avec un spectre à basses fréquences, tandis qu'un objet anguleux, présentant des pointes, produira un spectre riche en hautes fréquences. Ces deux paramètres combinés expliquent jusqu’à 100% de l’effet Bouba-Kiki[11] - [12].
Utilisation
Ce type de préférences associatives ou « associations automatiques » est utilisé en marketing pour choisir des marques[13].
Dans le jeu vidéo Baba Is You sorti en 2019, les noms des personnages Baba et Keke ont été inspirés par cette expérience[14].
L'équipe de création de la marque de mode Sportmax de Max Mara indique s'être inspirée de cet effet d'association entre sons et formes pour créer sa collection printemps-été 2023[15].
Références
- « Effet Bouba-Kiki », sur psymath.blogspot.co.uk (consulté le ).
- (en) Vilayanur S. Ramachandran, « Synaesthesia---AWindow Into Perception, Thought and Language », Journal of Consciousness Studies. 8.,‎ , p. 3-34. (lire en ligne)
- « L'effet Bouba-Kiki », sur animalerienumerique.blogspot.co.uk (consulté le ).
- Daphne Maurer, Thanujeni Pathman et Catherine J. Mondloch, « The shape of boubas: sound-shape correspondences in toddlers and adults », Developmental Science, vol. 9, no 3,‎ , p. 316–322 (ISSN 1363-755X, PMID 16669803, DOI 10.1111/j.1467-7687.2006.00495.x, lire en ligne, consulté le )
- Oberman et Ramachandran 2008.
- Sidhu et Pexman 2015.
- Nathan Peiffer-Smadja et Laurent Cohen, « The cerebral bases of the bouba-kiki effect », NeuroImage, vol. 186,‎ , p. 679–689 (ISSN 1095-9572, PMID 30503933, DOI 10.1016/j.neuroimage.2018.11.033, lire en ligne, consulté le )
- (en) Aleksandra Ćwiek, Susanne Fuchs, Christoph Draxler et Eva Liina Asu, « The bouba/kiki effect is robust across cultures and writing systems », Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences, vol. 377, no 1841,‎ , p. 20200390 (ISSN 0962-8436 et 1471-2970, PMID 34775818, PMCID PMC8591387, DOI 10.1098/rstb.2020.0390, lire en ligne, consulté le )
- Le Point magazine, « Étude : l’effet « bouba-kiki » retrouvé dans plus de 20 langues », sur Le Point, (consulté le )
- Gómez Milán et al. 2013.
- Camille Gaubert, « Langage et neurosciences : le mystérieux "effet Bouba-Kiki" enfin expliqué », sur Sciences et Avenir, (consulté le )
- (en) Mathilde Fort et Jean-Luc Schwartz, « Resolving the bouba-kiki effect enigma by rooting iconic sound symbolism in physical properties of round and spiky objects », Scientific Reports, vol. 12, no 1,‎ , p. 19172 (ISSN 2045-2322, PMID 36357511, PMCID PMC9649795, DOI 10.1038/s41598-022-23623-w, lire en ligne, consulté le )
- « L’effet « BOUBA-KIKI » dans notre cerveau », Institut du cerveau et de la moelle épinière, .
- (en) GOFIG_news, « A Coffee Break with: Arvi Teikari, Baba is You », sur Medium, (consulté le ).
- (en-US) Harpers BAZAAR, « Discover Sportmax Spring/Summer 2023 Collection & Runway », sur Harper's Bazaar Australia, (consulté le )
Bibliographie
- (en) Vilayanur S. Ramachandran et Edward Hubbard, « Synaesthesia: A Window Into Perception, Thought and Language », Journal of Consciousness Studies (en), vol. 8, no 12,‎ , p. 3–34 (lire en ligne).
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