Effet Google
L' effet Google, parfois aussi dĂ©nommĂ© amnĂ©sie numĂ©rique[1] est un phĂ©nomĂšne mondial dĂ©crit par diverses Ă©tudes comme la tendance Ă oublier les dĂ©tails d'informations qui peuvent ĂȘtre facilement trouvĂ©es en ligne en utilisant les moteurs de recherche Internet, ou en utilisant des applications telles que la cartographie associĂ©e au GPS[2]. Mais la capacitĂ© Ă apprendre hors ligne[3] ou le souvenir subjectif d'une expĂ©rience semblent rester inchangĂ©s[4].
Cet effet pourrait aussi ĂȘtre vu comme une modification des informations et du niveau de dĂ©tail que le cerveau jugerait important de retenir, modification qui modifierait nos relations Ă la rĂ©alitĂ© et augmenterait notre dĂ©pendance Ă l'Ă©gard de la technologie informatique. Cette technologie modifierait nos conditions de vies, mais aussi la maniĂšre dont nous mĂ©morisons des informations telles que noms, repĂ©rage dans l'espace ou le temps, numĂ©ros de tĂ©lĂ©phone, dates d'anniversaires, Ă©vĂ©nements personnels ou historiques, faits marquants. L'excĂšs de confiance dans l'ordinateur et les moteurs de recherche diminue nos capacitĂ©s mĂ©morielle.
Histoire
Cet effet a d'abord été décrit et nommé par Betsy Sparrow (Université Columbia), Jenny Liu (Université du Wisconsin-Madison) et Daniel M. Wegner (Université Harvard) dans un article paru en juillet 2011[5]. Leur étude se basait sur quatre expériences.
- Dans la premiÚre, des sujets répondait à des questions triviales faciles et difficiles, puis devait effectuer une tùche Stroop modifiée (impliquant à la fois des mots de tous les jours et des mots liés à la technologie informatique tels qu'écran ou Google). Les sujets retrouvaient plus lentement les mots technologiques évoquant l'ordinateur, surtout aprÚs des questions difficiles.
- Dans la deuxiÚme expérience, les sujets devaient lire des déclarations triviales. La moitié du groupe a été conduite à croire que ces déclarations seraient enregistrées et disponibles pour une consultation ultérieure ; l'autre moitié a été explicitement chargée d'essayer de s'en souvenir. Les deux groupes ont ensuite été testés sur leur mémorisation des déclarations.
- Dans la troisiĂšme expĂ©rience, les sujets ont lu et tapĂ© des dĂ©clarations triviales puis ont Ă©tĂ© informĂ©s que ces textes avait Ă©tĂ© effacĂ©s, enregistrĂ©s ou enregistrĂ©s dans un emplacement spĂ©cifique. Puis, on leur a donnĂ© une tĂąche de reconnaissance et on leur a demandĂ© s'ils avaient vu la dĂ©claration exacte, si elle avait Ă©tĂ© enregistrĂ©e et si la dĂ©claration avait Ă©tĂ© enregistrĂ©e, oĂč elle avait Ă©tĂ© enregistrĂ©e.
- Dans la derniÚre expérience, les sujets ont à nouveau tapé des énoncés triviaux et on leur a dit que chacun avait été enregistré dans un dossier au nom générique (par exemple, éléments, faits). Ils ont ensuite reçu deux tùches de mémorisation différentes : une pour les déclarations et une pour le dossier spécifique dans lequel chaque déclaration a été enregistrée[6].
Le terme "amnĂ©sie numĂ©rique" a Ă©tĂ© proposĂ© par Kaspersky Lab Ă propos des rĂ©sultats d'une enquĂȘte non examinĂ©e en 2015 par le fournisseur de sĂ©curitĂ©, qui a dĂ©clarĂ© : "Les rĂ©sultats rĂ©vĂšlent que 'l'effet Google' s'Ă©tend probablement au-delĂ des faits en ligne pour inclure des informations personnelles importantes"[1]. Au lieu de se souvenir des dĂ©tails, 91 % des personnes ont utilisĂ© Internet et 44 % ont utilisĂ© leur smartphone[1]. Aux Ătats-Unis, Kaspersky Lab a interrogĂ© 1 000 consommateurs ĂągĂ©s de 16 Ă 55 ans et plus ; la plupart ne pouvaient pas se souvenir d'informations importantes telles que des numĂ©ros de tĂ©lĂ©phone qui auraient dĂ» ĂȘtre familiers, ce qui a conduit Ă la conclusion qu'ils avaient oubliĂ© les informations en raison de la facilitĂ© de les trouver Ă l'aide d'appareils[7].
Une étude naturaliste et deux autres, contrÎlées ont évalué les effets de l'utilisation des médias sociaux sur trois aspects de l'expérience : la mémoire, l'engagement et le plaisir. Les psychologues ont comparé la mémorisation d'expériences récentes chez des gens qui ont enregistré et partagé ces expériences via des médias sociaux, par rapport à d'autres gens n'ayant pas, eux, utilisé de médias sociaux.
Ces études n'ont pas observé de différences significatives en termes d'engagement de souvenir "subjectif" de l'expérience (plaisir/déplaisir), mais les participants "sans média" en avaient systématiquement des souvenirs plus précis que les participants qui utilisaient les médias"[4].
Selon Diana I. Tamir (Department of Psychology, Princeton University), les rĂ©sultats de ces Ă©tudes, pris dans leur ensemble, suggĂšrent que l'utilisation des mĂ©dias peut empĂȘcher les gens de se souvenir des Ă©vĂ©nements mĂȘmes qu'ils cherchent Ă prĂ©server via ces mĂ©dias[4] ; et "Ironiquement (...) l'utilisation des mĂ©dias pour prĂ©server ces moments peut empĂȘcher les gens de les vivre pleinement en premier lieu"[4].
PhénomÚne
L'Ă©tude originale de 2011 a produit trois conclusions principales :
- les gens sont prĂȘts Ă faire appel Ă l'ordinateur quand on leur pose des questions de culture gĂ©nĂ©rale, mĂȘme s'ils connaissent la bonne rĂ©ponse. Et cet effet est particuliĂšrement prononcĂ© si la question est difficile et la rĂ©ponse inconnue d'eux.
- les gens oublient facilement des informations s'ils pensent qu'elles pourront ĂȘtre consultĂ©es plus tard. Et une instruction explicite de se souvenir du matĂ©riel n'a dans ce cas pas d'effet significatif sur la mĂ©morisation de l'information.
- si l'information est sauvegardĂ©e, les gens sont bien plus susceptibles de se rappeler oĂč elle se trouve que de se souvenir de l'information elle-mĂȘme. Et ils tendent Ă se souvenir soit du fait, soit du lieu oĂč est rangĂ© l'information, mais pas des deux ; et cet effet persiste mĂȘme quand l'information est plus facilement mĂ©morisable que le nom du lieu[6] - [8].
Une Ă©tude (2012) de Lav R. Varshney montre qu'un 'effet Google' semble aussi Ă l'Ćuvre dans les thĂšses de doctorat : l'augmentation longitudinale du nombre de rĂ©fĂ©rences citĂ©es montre une tendance Ă mieux mĂ©moriser l'endroit oĂč trouver des informations pertinentes (c'est-Ă -dire quels articles contiennent l'information), plutĂŽt que de l'information elle-mĂȘme[9]. En outre, Varshney a dĂ©couvert un phĂ©nomĂšne connexe : les informations apprises via Internet sont mĂ©morisĂ©es avec moins de prĂ©cision et avec moins de confiance que celles apprises dans une encyclopĂ©die.
L'imagerie cérébrale montre en outre que les personnes qui mémorisaient des informations trouvées via Internet présentaient une diminution des activations dans plusieurs régions du cerveau - dont le gyrus occipital bilatéral, le gyrus temporal gauche et le gyrus frontal moyen bilatéral - par rapport au groupe ayant appris de l'encyclopédie[10].
MĂ©moire transactionnelle
La dĂ©pendance croissante Ă l'Ă©gard des ordinateurs, de l'Internet ou du Cloud soulĂšve des inquiĂ©tudes, par exemple lorsqu'elle empĂȘche de traiter l'information et de l'intĂ©rioriser[11].
En 2011, Sparrow et al. avancent l'idĂ©e que la "dĂ©pendance Ă l'Ă©gard des ordinateurs" est liĂ© Ă une forme de mĂ©moire transactionnelle, car si les gens trouvent et partagent facilement des informations, ils oublient surtout celles qu'ils pensent ĂȘtre facilement disponibles plus tard, tout en se souvenant mieux de l'emplacement de l'information que de l'information elle-mĂȘme. L'hypothĂšse de Sparrow et al. Ă©tait que les gens et leurs ordinateurs tendent Ă devenir des « systĂšmes interconnectĂ©s », avec des processus sous-jacents qui seraient les mĂȘmes que ceux de la mĂ©moire transactive traditionnelle. Dans les rĂ©seaux sociaux basĂ©s sur le monde numĂ©rique, ces processus permettent de savoir ce qu'un ordinateur sait et comment et oĂč le trouver[6]. C'est ici l'Internet qui semble tendre Ă remplacer la mĂ©moire autrefois prĂ©servĂ©e par le groupe, notamment dans les sociĂ©tĂ©s de culture orale.
Les gens semblent moins sûrs de pouvoir bien mémoriser les informations trouvées sur l'Internet. Et le fait d'avoir récemment cherché et trouvé des informations sur Internet peuvent favoriser la motivation à à nouveau utiliser Internet[11].
Puis, plusieurs chercheurs se sont demandĂ© si l'effet Google est vraiment une forme de mĂ©moire transactive, arguant qu'aucune transaction ne se produit rĂ©ellement entre la personne et l'ordinateur. Les rĂ©seaux informatiques et Internet ne peuvent donc ĂȘtre conçus comme un systĂšme cognitif distribuĂ©. Au contraire, les ordinateurs ne sont que des outils exploitĂ©s pour aider Ă dĂ©clencher une mĂ©moire ou pour rechercher facilement des informations. Contrairement Ă la mĂ©moire transactionnelle traditionnelle, les informations ne sont pas perdues sans Internet, mais simplement plus lentes et plus difficiles Ă trouver[12] - [13].
L'argument de l'absence de transaction avec l'ordinateur, cité ci-dessus, est moins vraie depuis l'avÚnement du Web 2.0, et plus du tout depuis l'apparition d'assistants personnels ou d'agents conversationnels comme ChatGPT qui dialoguent avec l'utilisateur, en langage naturel).
RĂ©plication
Dans une grande Ă©tude de rĂ©plication publiĂ©e par le journal Nature en 2018[14] l'« effet Google » Ă©tait l'une des expĂ©riences qui n'ont pas pu ĂȘtre reproduites.
Voir aussi
Articles connexes
- MĂ©moire externe (psychologie)
- Exocortex
Liens externes
Bibliographie
- Bankov, K. (2022). Internet, the Encyclopedic Competence, and the Google Effect. In The Digital Mind: Semiotic Explorations in Digital Culture (p. 137-158). Cham: Springer International Publishing
- Yadav A âDigital Amnesiaâon The Rise as We Outsource Our Memory to The Web ; Journal of critical reviews ; (ISSN 2394-5125) ; VOL 6, ISSUE 03, 2019| https://jcreview.com/admin/Uploads/Files/62412affcb2df7.56220824.pdf
Notes et références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Google effect » (voir la liste des auteurs).
- « Study: Most Americans suffer from 'Digital Amnesia' », WTOP-FM,â (lire en ligne, consultĂ© le )
- Masashi Sugimoto, Takashi Kusumi, Noriko Nagata et Toru Ishikawa, « Online mobile map effect: how smartphone map use impairs spatial memory », Spatial Cognition & Computation, vol. 22, nos 1-2,â , p. 161â183 (ISSN 1387-5868 et 1542-7633, DOI 10.1080/13875868.2021.1969401, lire en ligne, consultĂ© le )
- « Google is changing your brain, study says, and don't you forget it », San Jose Mercury News,â (lire en ligne, consultĂ© le )
- (en) Diana I. Tamir, Emma M. Templeton, Adrian F. Ward et Jamil Zaki, « Media usage diminishes memory for experiences », Journal of Experimental Social Psychology, vol. 76,â , p. 161â168 (DOI 10.1016/j.jesp.2018.01.006, lire en ligne, consultĂ© le )
- « Study Finds That Memory Works Differently in the Age of Google » [archive du ], Columbia University,
- B. Sparrow, J. Liu et D. M. Wegner, « Google Effects on Memory: Cognitive Consequences of Having Information at Our Fingertips », Science, vol. 333, no 6043,â , p. 776â778 (PMID 21764755, DOI 10.1126/science.1207745, Bibcode 2011Sci...333..776S, S2CID 7688306, lire en ligne [archive du ])
- Dick Meyer, « Can't recall phone numbers? Blame 'digital amnesia' », Boston Herald,â , p. 15
- (en) Curtis A. Olson, « Focused search and retrieval: The impact of technology on our brains », Journal of Continuing Education in the Health Professions, vol. 32, no 1,â , p. 1â3 (PMID 22447705, DOI 10.1002/chp.21117)
- (en) Lav R. Varshney, « The Google effect in doctoral theses », Scientometrics, vol. 92, no 3,â , p. 785â793 (DOI 10.1007/s11192-012-0654-4, S2CID 12426806)
- (en) Guangheng Dong et Marc N. Potenza, « Behavioural and brain responses related to Internet search and memory », European Journal of Neuroscience, vol. 42, no 8,â , p. 2546â2554 (PMID 26262779, DOI 10.1111/ejn.13039, S2CID 30654435)
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