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Droit-de-l'hommisme

Le droit-de-l’hommisme (ou droits-de-l’hommisme) est Ă  la fois un idiotisme français et un nĂ©ologisme Ă  connotation pĂ©jorative, crĂ©Ă© Ă  la fin du XXe siĂšcle pour remettre en cause les concepts d'ingĂ©rence humanitaire (par exemple lors de l'intervention militaire de l'OTAN au Kosovo en 1998-1999) et d'aide humanitaire menĂ©es par les ONG (par exemple MĂ©decins sans frontiĂšres).

Plus généralement, cette expression peut renvoyer à :

  • soit une approche jugĂ©e gĂ©nĂ©reuse mais inefficace par des politiciens, en regard des principes de la Realpolitik ;
  • soit au contraire une instrumentalisation des droits de l'Homme Ă  des fins purement stratĂ©giques (cette critique Ă©mane alors de personnes ne voyant dans l'exercice de la vie politique qu'une posture cynique et hypocrite).

Plus rarement mais aussi plus radicalement, l'expression vise la critique du concept de « droits de l'Homme » (posée par Karl Marx dÚs le milieu du XIXe siÚcle).

Dans les usages, le terme tend à remplacer le mot humanitarisme, utilisé à partir du XIXe siÚcle et lui aussi connoté péjorativement, en particulier au XXe siÚcle (« amour de l'humanité excessif ou prétentieux » tout d'abord[1], puis « souci généreux, parfois excessif et utopique, du bien de l'humanité »[2]), bien que l'on ne puisse considérer les deux termes comme totalement synonymes, en raison de l'évolution des mentalités au fil du siÚcle.

Origines

En 1837, Honoré de Balzac qualifie l'humanitarisme de « stupide amour collectif »[3].

En 1843, Karl Marx ne voit dans les droits de l'homme que ceux de « l'homme égoïste, l'homme séparé de l'homme et de la communauté ».

En 1874, dans Quatrevingt-treize, Victor Hugo se moque des cercles philanthropiques : « Vous voulez les pauvres secourus, moi je veux la misÚre supprimée ».

En 1883, Paul Lafargue qualifie les droits de l'homme de « droits de l'exploitation capitaliste »[4].

En 1916, dans La Trahison des Clercs, Julien Benda voit dans l'humanitarisme « une dĂ©chĂ©ance morale; bien mieux (
) une dĂ©chĂ©ance intellectuelle ».

En 1919, dans L'homme du ressentiment, Max Scheler Ă©crit : « L'humanitarisme remplace, "le prochain" et "l'individu" (qui seuls expriment vraiment la personnalitĂ© profonde de l'homme) par "l'humanitĂ©" (
) Il est assez significatif que la langue chrĂ©tienne ignore "l'amour de l'humanitĂ©". Sa notion fondamentale est "l'amour du prochain". L'humanitarisme moderne ne vise directement ni la personne ni certains actes spirituels dĂ©terminĂ©s (
), ni mĂȘme cet ĂȘtre visible qu'est "le prochain" ; il ne vise que la somme des individus humains, comme telle »[5].

En 1931, dans le numĂ©ro 31 des Annales politiques et littĂ©raires consacrĂ© Ă  l'Exposition coloniale internationale, Marcel Espiau, futur collaborateur des Nouveaux Temps de Jean Luchaire, qui figurera sur la liste noire du ComitĂ© national des Ă©crivains en 1944, indique que les organisateurs de l'exposition avaient pensĂ© faire circuler des pousse-pousse tirĂ©s par des "Ă©tudiants annamites de Paris qui [
] ont protestĂ© contre l'exhibition de la dĂ©chĂ©ance passĂ©e de leur race. [
] Cent cinquante pousse-pousse Ă©taient commandĂ©s et resteront dans leur remise. Du moins, les chameaux qui, eux, n'ont aucun ministre pour les reprĂ©senter ni d'intellectuels «droidelhommisant» prĂȘteront leur colonne vertĂ©brale aux familles accourues."

En 1989, à l'occasion d'un colloque organisé à Paris, le juriste Alain Pellet, spécialiste en droit international public, crée le néologisme « droit de l'hommisme »[6].

Approche politique récente

En 1999, le ministre de l'intĂ©rieur Jean-Pierre ChevĂšnement ironise sur le « droits-de-l’hommisme de pacotille »[7].

En 2002, son successeur Nicolas Sarkozy en fait autant. S’opposant Ă  la LDH et aux associations contestant son projet de loi sur la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure (LSI), il dĂ©clare : « Tous les droits-de-l’hommistes de la crĂ©ation passent devant la porte de Saint-Ouen en disant : “Mon dieu, les pauvres” puis s’en vont pour aller dĂźner en ville Â»[8].

En 2007, l’ancien ministre des Affaires Ă©trangĂšres Hubert VĂ©drine dĂ©clare : « le droit-de-l’hommisme est une posture de repli. C’est une politique de remplacement qui prend acte de notre incapacitĂ© Ă  intervenir, y compris sur le plan militaire. Ce droit-de-l’hommisme est valorisant vis-Ă -vis des opinions publiques europĂ©ennes, mais il n’a aucune influence sur les mondes russe, arabe ou chinois. Nous faisons des discours pour pallier notre absence de pouvoir ou d’influence »[9]. Hubert VĂ©drine conseille au contraire davantage de rĂ©alisme en politique Ă©trangĂšre.

La mĂȘme annĂ©e, Isabelle Lasserre, spĂ©cialiste des questions de dĂ©fense et stratĂ©gie, estime que « les non-batailles de l'aprĂšs-guerre froide ont Ă©tĂ© remplacĂ©es, au dĂ©but des annĂ©es 1990, par un certain droit-de-l'hommisme servant de justification Ă  l'interventionnisme effrĂ©nĂ© dans le monde et au droit d'ingĂ©rence »[10].

Opinions de la société civile

En 1992, certains militants libertaires rapprochent l'humanitarisme des pratiques de philanthropie mises en place à la fin du XVIIIe siÚcle par les cercles libéraux : « Les organisations humanitaires ressemblent aux femmes de patrons qui s'occupaient des pauvres pendant que leurs maris les fabriquaient »[11].

Les milieux conservateurs ne sont pas non plus avares de critiques. Ainsi, en 1993, Luc Ferry fait remarquer que « l'on reproche volontiers au droit-de-l'hommisme de verser dans un « universalisme abstrait » et désincarné, oublieux des réalités historiques qui, seules, permettent de comprendre le sens véritable des conflits humains. Bien plus, on soupçonne la nouvelle charité de faire trop bon ménage avec le «business»: pour l'essentiel, elle servirait à donner bonne conscience aux téléspectateurs tout en assurant le succÚs médiatique de ses promoteurs »[12].

En 2002, SĂ©bastien Homer, du journal L'HumanitĂ©, qualifie le droit-de-l'hommisme de « nĂ©ologisme d'extrĂȘme-droite »[13] et la revue RĂ©sistances et dissidences y voit « l'idĂ©ologie d'extrĂȘme-droite[14]. Et pour Jean-Pierre Mignard, en 2008, « droit-de-l'hommisme » est « un nĂ©ologisme venu des soutes de la nouvelle droite »[15].

Selon l'essayiste Jean Bricmont, en 2009, le droit-de-l’hommisme n'est qu'une stratĂ©gie de communication du pouvoir consistant Ă  exploiter et dĂ©tourner la philosophie des droits de l’homme pour promouvoir des intĂ©rĂȘts qui en sont trĂšs Ă©loignĂ©s, notamment pour « justifier » une politique impĂ©rialiste ou oligarchique[16] - [17].

Notes et références

  1. Dictionnaire académique français, 1932
  2. Littré, 1986
  3. Honoré de Balzac, Les employés, 1837
  4. Paul Lafargue, Le Droit Ă  la paresse, 1883. Le Temps des Cerises, 2002, p. 85
  5. Max Scheler, L'homme du ressentiment, Gallimard, 1958, p. 112.
  6. Alain Pellet, "Droits-de-l'hommisme et droit international", in Droits fondamentaux, n° 1, juillet-décembre 2001
  7. Libération, 16 janvier 1999
  8. Pascal Ceaux, HervĂ© Gattegno et Piotr Smolar, « Nicolas Sarkozy se veut le dĂ©fenseur de la "France des oubliĂ©s" », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  9. Richard Werly, « Hubert VĂ©drine : Le « droit de l’hommisme Â», posture de repli », Le Temps,‎ (lire en ligne).
  10. Isabelle Lasserre, L'Impuissance française 1989-2007, Flammarion, , p. 209.
  11. "L'humanitarisme : une formidable escroquerie", Le Projet, n°7, 1992
  12. Luc Ferry, "Feux croisés sur l'action humanitaire", L'Express, 2 décembre 1993
  13. Sébastien Homer, "Le mot Droit-de-l'hommiste", L'Humanité, 26 octobre 2002
  14. L'Afrique (centrale) des droits de l'homme, Rupture n°4, 2002 p. 140
  15. Jean-Pierre Mignard, 'L'Europe doit défendre une nouvelle pratique des droits de l'homme", Le Monde, 27 août 2008.
  16. « Edfäž€ćźšć‘ćź˜çœ‘ - 䞻站-EDFäž€ćźšć‘ćź˜çœ‘ », sur modele-dac.net (consultĂ© le ).
  17. Jean Bricmont, Impérialisme humanitaire : droits de l'homme, droit d'ingérence, droit du plus fort ?, Bruxelles, Aden,

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

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