Corporations d'arts et métiers médiévales de Florence
La formule corporations médiévales de Florence désigne les organisations professionnelles qui ont existé pendant les derniers siècle du Moyen Âge dans cette ville, qui est alors un des grands États d'Italie, la république de Florence, ainsi qu'une puissance économique majeure, avec des entreprises opérant à l'échelle de l'Europe (notamment les banques, comme celle des Médicis).
Ces organisations professionnelles, appelées en France « métiers » (et plus tard, « corporations »), étaient en Italie appelées arti (pluriel du mot arte)[1].
Les travailleurs florentins, y compris les chefs d'entreprise, appartenaient pour la plupart à une organisation de métier, un Arte, qui, à partir du XIIIe siècle, faisait partie soit des sept Arti maggiori, soit des Arti minori, l'ensemble étant appelé Arti di Firenze. Un certain nombre de travailleurs en étaient cependant dépourvus, formant la catégorie des ciompi.
Ce classement avait une importance politique, puisque le gouvernement, la Seigneurie de Florence, était formé par six représentants des arts majeurs et deux représentants des arts mineurs ; le neuvième, le gonfalonnier de justice, était choisi dans une des grandes familles de Florence.
Un épisode important de l'histoire de la ville est lié à l'organisation des métiers : la révolte des Ciompi, en 1378, qui permet à ces travailleurs pauvres d'obtenir la création d'organisations professionnelles, pour une très brève période, cependant.
Définition du mot Arte
L’Arte (au pluriel : Arti) est, depuis le Moyen Âge, l'ensemble des gestes précis concernant une pratique maîtrisée entre la science théorique et la pratique spontanée et va prendre son sens définitif connu aujourd'hui (Beaux-Arts).
Le mot s'applique donc d'abord pour la maîtrise d'une activité artisanale et ses savoirs transmis par les associations (guildes) ou les corporations des métiers qui protègent ainsi leurs savoir-faire, leurs secrets de fabrication, leur groupe.
L'implication de ces corporations est d'abord économique, ensuite politique, mais aussi artistique par le soutien à certains artistes (Liste des œuvres commanditées).
Le mot Arte, aussi appliqué à la production plastique artistique depuis l'antiquité se précisera par le nom de Beaux-Arts dès la naissance de la notion d'artiste signant ses œuvres et reconnu comme tel. Ce domaine nécessite autant regroupement et aide mutuelle par souci culturel mais aussi politique (implication des Médicis dans les Beaux-Arts et les artistes à Florence) ; les Arti marchandes s'impliqueront, par le même souci, envers la production artistique, en créant ce que nous appelons aujourd'hui le mécénat.
Contexte historique : la république de Florence
Dans le cadre du recul de l'autorité impériale en Italie au XIe siècle et au XIIe siècle, Florence devient une commune en 1115, disposant d'une grande indépendance en se plaçant en général dans le camp des papes (le parti Guelfe).
Le gouvernement qui apparait à la fin du XIII est celui de la Seigneurie (Signoria di Firenze), qui est dominée par les Arts majeurs (six sièges sur neuf), ne laissant que deux sièges aux arts mineurs et un siège aux grandes familles, celui du gonfalonnier de justice.
À partir du XIIIe siècle, Florence est aussi un pôle de l'économie européenne, aux côtés des républiques de Venise[2] et de Gênes, qui assurent l'essentiel du commerce en Méditerranée, mais aussi de Bruges (comté de Flandre) et de la Hanse en Europe du Nord. Florence est particulièrement tournée vers l'industrie de la laine et vers l'activité bancaire. Elle émet une monnaie réputée, le florin.
Les corporations de Florence
Histoire
Pour ces raisons, des riches et influentes corporations marchandes de Florence sont nommées Arti di Firenze et sont constituées au milieu du XIIe siècle à l'initiative d'une societas mercatorum de trois consuls en réaction d'opposition à la societas militium des aristocrates et de leurs alliés de la grande bourgeoisie, le popolo grasso.
Elles comportent également un chef militaire ou consul : le podestat dont la charge ne peut dépasser un an (Ainsi Jacopo di Cione inscrit à l'Arte dei Medici e Speziali en 1369, en devient le podestat de la corporation en 1384, en 1387 et en 1392).
Initialement de Calimala (le Change et la Laine - Cambio e Lana), dès 1193, plusieurs autres Arti s'en détachent et constituent les Arti maggiore dès le milieu du XIIIe siècle.
Dès 1282, les corporations fournissent les huit des neuf « Prieurs » (Priori) de la Signoria (« la seigneurie ») le gouvernement florentin : six parmi les Arti maggiore et deux chez les Arti minori.
Toutes les corporations de la ville furent supprimées en 1770 par un décret du grand-duc Pierre-Léopold de Lorraine.
Les sept Arts majeurs (Arti di Calimala)
- Arte di Calimala : production et commerce de draps - affinés de l'écru - et par conséquent négoce mais aussi importation d'épices, de parfums, de bijoux, d'étoffes précieuses, exportation de blé
- Arte del Cambio : le Change et les banquiers
- Arte della Seta o di Por Santa Maria : les Soyeux et les Orfèvres
- Arte della Lana : la Laine
- Arte dei Vaiai e Pellicciai : les Pelletiers et Fourreurs
- Arte dei Giudici e Notai : les Juges et Notaires
- Arte dei Medici e Speziali : les Médecins et Apothicaires, mais aussi barbiers, épiciers, merciers et marchands de couleurs (pour le secret de leur fabrication) ; pour ces dernières raisons, les peintres leur sont associés.
Les Arts mineurs (Arti minori)
Ils apparaissent à partir de 1289 :
- Arte dei Linaioli e Rigattieri : Tisseurs de Lin et fripiers
- Arte dei Calzolai : Chaussetiers
- Arte dei Fabbri : Forgerons et Métalliers
- Arte dei Maneschalchi : Maréchaux-ferrants
- Arte dei Beccai : Bouchers
- Arte dei Vinattieri : Marchands de vin, taverniers
- Arte degli Albergatori : Aubergistes
- Arte degli Oliandoli e Pizzicagnoli : Marchands d'huile, sel et fromages
- Arte dei Corazzai e Spadai : Armuriers et fourbisseurs
- Arte dei Chiavaioli : Serruriers
- Arte dei Correggia : Corroyeurs
- Arte dei Maestri di Pietra e Legname : Marchands de pierres et de bois travaillés
- Arte dei Fornai : Boulangers
- Arte dei Cuoiai e Galigai : Artisans du cuir et les selliers.
La cotisation assez élevée que paient les membres, écartant les petits employeurs ou artisans regroupe par le fait des associations d'employeurs.
Ainsi les poissonniers, le prolétariat urbain et le monde agricole, pourtant acteurs économiques, en sont complètement exclus (le popolo minuto et les ciompi).
Réalisations des Arti encore visibles à Florence
Les œuvres commanditées par Calimala :
- les portes de bronze doré du baptistère San Giovanni,
- la façade de l'église de San Miniato al Monte et leur signature par l'aigle dorée figurant au sommet.
- Le Caroccio, char guerrier, également du baptistère Saint-Jean, orné de marbres précieux et de mosaïques et restauré par leurs soins en 1280.
- les statues de leurs saints protecteurs sur les piliers de la chapelle Orsanmichele, ancienne loggia et entrepôts qu'elles occupaient :
L'Arte della Lana a été responsable de la bonne marche de la construction du Duomo sur les plans de Filippo Brunelleschi.
Liste des saints protecteurs des Arti des tabernacles de Orsanmichele
(ce sont toutes des copies, les originaux étant, pour la plupart, dans la cour du Musée du Bargello à Florence)
- La Madone de la rose - Madonna della Rosa (1399 env.) de Pietro di Giovanni Tedesco - commandité par Medici e Speziali (Médecins et Apothicaires)
- Les Quatre Saints couronnés (1409-1417) de Nanni di Banco - commandité par Maestri di Pietra e Legname (Charpentiers et Maçons)
- Saint Luc (1597-1602) de Giambologna - commandité par Giudici e Notai (Juges et Notaires)
- Saint Marc (1411-1413) de Donatello - commandité par Linaivoli e Rigattieri (Tisseurs de lin et Fripiers)
- Saint Philippe (1410-1412) de Nanni di Banco - commandité par Calzauoli (Chausseurs)
- le Christ et Saint Thomas (1467-83) de Andrea del Verrocchio - commandité par Tribunale di Mercanzia (Tribunal des Marchands)
- Saint Eloi (1417-1421) de Nanni di Banco - commandité par Maneschalchi (Maréchaux-ferrants)
- Saint Jacques (1410-1422) de Lamberti - commandité par Pellicciai (Fourreurs et Maroquiniers)
- Saint Pierre (1415) de Bernardo Ciuffagni - commandité par Beccai (Bouchers)
- Saint Jean le Baptiste (1414-1416) de Lorenzo Ghiberti - commandité par Calimala (Négociants de Laine affinée)
- Saint Georges (1415-1417) de Donatello - commandité par Corazzai (Armuriers)
- Saint Matthieu (1419-1423) de Lorenzo Ghiberti - commandité par Cambio (Changeurs)
- Saint Etienne (1427-1428) de Lorenzo Ghiberti - commandité par Lana (Tisseurs de Laine)
- Saint Jean l'évangéliste (1515) de Baccio da Montelupo - commandité par Seta (Soyeux et Orfèvres)
Giudici e Notai Calimala Cambio Lana Seta (Por Santa Maria) Medici e Speziali Vaiai Calzolai Beccai Legnaioli
Notes et références
- Même en français, il existe un lien entre « l'art », « les arts » et « les métiers », comme le montrent les expressions « les règles de l'art » et « l'École des Arts et Métiers », où il ne s'agit pas des « beaux-arts ».
- La république de Venise est beaucoup plus ancienne, car Venise dépendait de l'Empire byzantin, dont elle s'est libérée dès la fin du VIIe siècle.
Bibliographie
- Giulio Gandi, Le Arti maggiori e minori in Firenze : con numerose illustrazioni di Firenze scomparsa, Multigrafica, Rome, 1971.
- Marco Giuliani, Luca Giannelli, Le arti fiorentine, Scramasax, Florence, 2006.
- Paola Grifoni, Francesca Nannelli, Le statue dei santi protettori delle arti fiorentine e il Museo di Orsanmichele, Quaderni del servizio educativo, Edizioni Polistampa, Florence, 2006.
- Cécile Maisonneuve, Florence au XVe siècle. Un quartier et ses peintres, Comité des travaux historiques et scientifiques, 2012
- Yves Renouard, Les Villes d'Italie de la fin du Xe siècle au début du XIVe siècle, 1968, nouvelle édition par Ph. Braunstein, 1969, SEDES, Tome 2, p. 364 365.