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Coordination nationale pour l'avortement libre et gratuit

La Coordination nationale pour l'avortement libre et gratuit (CNALG), organisation quĂ©bĂ©coise active de 1978 Ă  1982, a rĂ©uni des militantes impliquĂ©es dans les comitĂ©s fĂ©ministes du Parti quĂ©bĂ©cois, des reprĂ©sentantes syndicales et des travailleuses sociales des organismes communautaires et des CLSC[1]. Sa mission fut de rendre accessible l’avortement et de rassembler les organisations fĂ©ministes militantes locales et Ă  l’échelle nationale.

Contexte de création

Au dĂ©but des annĂ©es 1970, des Ă©tudiantes de l’UniversitĂ© McGill publient le premier manuel de contraception quĂ©bĂ©cois, Ă  la suite de l’émergence des luttes en faveur de l’avortement aux États-Unis[1]. La rĂ©ponse des femmes Ă  la brochure est fulgurante, rĂ©vĂ©lant leur besoin d’ĂȘtre guidĂ©es et l’abondance des avortements clandestins[2]. Un « service de rĂ©fĂ©rence » voit le jour, celui-ci permettant aux femmes de se rencontrer pour discuter et recevoir de l’information sur l’avortement, et aussi Ă  les orienter vers les ressources adaptĂ©es Ă  leurs besoins. Ce service, pris en charge par plusieurs groupes tels que le ComitĂ© de lutte pour l’avortement libre et gratuit (CLALG), est un avancement quelque peu timide. La Commission Bird de 1968 avait suggĂ©rĂ© la dĂ©criminalisation de l’avortement dans ses recommandations, raison pour laquelle les militantes ont cru que cela aurait lieu rapidement. L’impatience et l’insatisfaction sont palpables dans les groupes fĂ©ministes au cours des annĂ©es suivantes. On tente de faire porter le chapeau aux lois fĂ©dĂ©rales, Ă  la religion, puis au Parti quĂ©bĂ©cois dĂšs le milieu des annĂ©es 1970[1].

En effet, en 1974, le jury de la Cour d’appel du QuĂ©bec met fin aux poursuites entamĂ©es contre le docteur Henry Morgentaler, militant d’origine polonaise ayant mis en place des cliniques d’avortements clandestins Ă  MontrĂ©al. Il fut le premier Ă  introduire la technique par aspiration au Canada, une mĂ©thode beaucoup plus sĂ©curitaire[3]. La Cour dĂ©laissa Ă©galement les charges portĂ©es envers d’autres mĂ©decins accusĂ©s d’avoir collaborĂ© avec lui[1]. Les actions du docteur Morgentaler, combinĂ©es Ă  la lutte de la Coalition pour le droit Ă  l’avortement, ont Ă©tĂ© considĂ©rables dans la lĂ©galisation de la pratique[3]. Ce procĂšs particulier fut grandement soutenu par le Front commun pour l'abrogation des lois sur l'avortement qui, en 1973, convoqua une assemblĂ©e dans le but de former un comitĂ© de dĂ©fense pour Morgentaler[1].

En rĂ©action aux Ă©vĂšnements politiques et ayant la volontĂ© de se mobiliser, les militantes montrĂ©alaises Carole Denis, Louise Julien, Danielle Fortin, Louise Vandelac, Claire Brassard et HĂ©lĂšne Beauchamp[4], du CLALG, forment la Coordination nationale pour l’avortement libre et gratuit, en 1978. Elles auront fait appel Ă  d’autres rĂ©seaux fĂ©ministes, tels que le Front de libĂ©ration des femmes ainsi que le Centre des femmes, dans le but d’unir leurs forces[1]. La mĂȘme annĂ©e, on estime que 75 % des avortements ont Ă©tĂ© pratiquĂ©s dans la clandestinitĂ©[2].

RĂ©alisations de la Coordination

Le QuĂ©bec a Ă©tĂ© la province la plus opposĂ©e Ă  l’avortement, entre 1970 et 1980[5]. La majoritĂ© des dirigeants politiques, les instances religieuses et les fervents de la droite conservatrice font partie des opposants principaux pour l’accĂšs Ă  l’avortement des femmes. NĂ©anmoins, en 1977, soit huit ans aprĂšs la lĂ©galisation de l’avortement au QuĂ©bec, le Conseil des ministres annonce la crĂ©ation de plusieurs cliniques de planification familiale, les cliniques Lazure, oĂč il est possible de pratiquer des avortements. Il faut toutefois qu’elles respectent la loi fĂ©dĂ©rale autorisant la procĂ©dure Ă  des fins thĂ©rapeutiques seulement, c’est-Ă -dire si la santĂ©, physique ou mentale, ou la vie de la femme est en danger[6]. Cette procĂ©dure nĂ©cessite l’approbation d’un minimum de trois mĂ©decins, membres du comitĂ© d’avortement thĂ©rapeutique de l’institution mĂ©dicale oĂč a lieu la procĂ©dure[6]. La Coordination nationale revendiquera cette loi, qui restreint l’accĂšs Ă  l’avortement et qui met Ă  risque d’emprisonnement les mĂ©decins Ă©tant prĂȘts Ă  tout pour aider les femmes[2].

La CNALG organisera une importante manifestation le , Ă  QuĂ©bec, exigeant la gratuitĂ© et le libre accĂšs Ă  l’avortement, en plus de congĂ©s payĂ©s et de garderies gratuites pour les nouvelles mĂšres[7]. Le ComitĂ© de lutte pour l'avortement, le ComitĂ© national de la condition fĂ©minine du Parti quĂ©bĂ©cois, le Centre de documentation fĂ©ministe ainsi que plusieurs autres regroupements Ă  caractĂšre fĂ©ministe se sont dĂ©placĂ©s dans les rues de la haute ville pour protester[1]. Ce sont des Ă©pouses, des travailleuses, des mĂšres qui ont pris la parole publiquement, ont manifestĂ© et ont participĂ© aux projets de façon bĂ©nĂ©vole et anonyme, dans le but de mettre fin aux injustices systĂ©miques auxquelles elles Ă©taient confrontĂ©es[8].

Deux ans plus tard, la Coordination nationale publie un rapport rĂ©alisĂ© par plusieurs dizaines de femmes au QuĂ©bec: «L'avortement : la rĂ©sistance tranquille du pouvoir hospitalier». Il dĂ©voile la dysfonction des cliniques Lazure et dĂ©montre qu’elles ne sont pas l’issue du problĂšme. Les mesures incitatives, principalement financiĂšres, n’ont pas permis l’instauration d’un systĂšme d’avortement convenable. En Mauricie, dans les Laurentides-LanaudiĂšre, en Outaouais et sur la Rive-Sud de QuĂ©bec, il n’était pas possible d’avoir recours Ă  la procĂ©dure. De plus, bien que six hĂŽpitaux sur 14 aient connu une augmentation du nombre d’avortements pratiquĂ©s, les avortements tardifs sont en dĂ©croissance, voire presque absents. La rigiditĂ© des critĂšres a menĂ© les femmes vers les avortements illĂ©gaux, notamment dans les centres locaux de services communautaires ainsi que dans les centres de santĂ© des femmes[5]. Aussi, le rapport offre des statistiques dĂ©taillĂ©es en fonction des rĂ©gions, en plus d'informer les lecteurs sur les diffĂ©rentes mĂ©thodes d’avortement possibles. Il met en lumiĂšre les tactiques de dissuasion des professionnels de la santĂ©, ainsi que des tĂ©moignages de femmes ayant vĂ©cu le processus. AprĂšs avoir subi un avortement dans la clinique de l’HĂŽpital gĂ©nĂ©ral de MontrĂ©al, une patiente s’est confiĂ©e Ă  la Coordination.

J’entends quelqu’un me parler, je reconnais la voix d’une infirmiĂšre qui avait Ă©tĂ© gentille. - Ça fait si mal que ça? me demande-t-elle. LĂ  je sentis un mĂ©lange de peine et de colĂšre monter. Je ne savais si c’était seulement mon vĂ©cu Ă  moi que j’allais exprimer: ‘’Non ce n’est pas la douleur physique qui me met dans cet Ă©tat. J’ai jamais Ă©tĂ© violĂ©e mais cela doit ressembler Ă  ça. Sentir que tu [n'es] pas traitĂ©e comme un ĂȘtre humain mais comme un paquet de viande qu’on brutalise sans aucun mĂ©nagement, sans aucun respect. Je pensais que le mĂ©decin allait me dĂ©foncer. ‘’[9]

Devant la force de frappe de cette enquĂȘte et la pression des fĂ©ministes, le ministre Lazure accepte de recevoir la Coordination nationale pour discuter de la situation[10].

Émergence de nouvelles associations  

Au début des années 1980, la Coordination nationale laisse place à la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN), le Regroupement des centres de santé de femmes du Québec (RCSFQ) et le Comité de vigilance[11].

Puis, en 1985, plus d’une centaine de groupes syndicaux, d’intervenants sociaux et de groupes de femmes se rĂ©unissent pour former la Coalition quĂ©bĂ©coise pour le droit Ă  l’avortement libre et gratuit (CQDALG), l’hĂ©ritier de la Coordination nationale[12]. Ses membres souhaitent ĂȘtre visibles politiquement et coopĂ©rer avec le reste du Canada, mais surtout reprĂ©senter, sensibiliser et soutenir les citoyens ayant Ă  cƓur le droit Ă  l’avortement libre et gratuit[4]. Cet organisme Ă  but non lucratif dĂ©nonce la passivitĂ© du gouvernement et le mouvement pro-vie qui prend de l’ampleur Ă  l’étĂ© 1986, Ă  la suite des poursuites menĂ©es contre deux CLSC[12].

MalgrĂ© la dĂ©criminalisation de l’avortement en 1988 au Canada, l’affaire Chantale Daigle de 1989 Ă©branle tout le QuĂ©bec. L’ancien partenaire de Mme Daigle avait dĂ©posĂ© une injonction Ă  la Cour pour lui interdire d’avoir recours Ă  un avortement. La Coalition rassemble alors plus d’une dizaine de milliers de manifestants pour l’appuyer dans son combat, qu’elle gagne, quelques mois plus tard. Ce verdict marque la fin des droits du fƓtus et du pĂšre, jusque-lĂ  considĂ©rĂ©s comme les principaux obstacles au droit des femmes de disposer librement de leur corps[13]. À la fin de l’annĂ©e, la CQDALG, le RCSFQ et la FQPN militent pour empĂȘcher la mise en place du projet de loi C-43 ayant pour but de recriminaliser l’avortement. Le plan du gouvernement Mulroney est rejetĂ© par le SĂ©nat en 1991[12].

En 1995, le ministĂšre de la SantĂ© et des Services sociaux publie un rapport sur les dispositions de planification des naissances. On peut y lire que les sphĂšres communautaires, publiques et privĂ©es se doivent d’ĂȘtre complĂ©mentaires pour les services d’avortement, une vision autrefois avancĂ©e par la Coordination nationale. Face au principe de gratuitĂ© qui tarde Ă  se concrĂ©tiser, l’Association pour l’accĂšs Ă  l’avortement entreprend des procĂ©dures judiciaires pour que les femmes ayant recours Ă  des avortements en cliniques mĂ©dicales bĂ©nĂ©ficient d’un remboursement des frais payĂ©s. Il faudra attendre 13 ans avant que l’avortement soit totalement gratuit, et encore plusieurs dĂ©cennies avant que l’article sur l’avortement soit officiellement retirĂ© du Code criminel[6].

Voir aussi

Source primaire

  1. «BAnQ numérique» , sur numerique.banq.qc.ca (consulté le )

Notes et références

  1. Diane Lamoureux, « La lutte pour le droit Ă  l’avortement (1969-1981) », Revue d'histoire de l'AmĂ©rique française, vol. 37, no 1,‎ , p. 81–90 (ISSN 0035-2357 et 1492-1383, DOI 10.7202/304126ar, lire en ligne, consultĂ© le )
  2. Comité de lutte pour l'avortement libre et gratuit, C'est à nous de décider : l'avortement : la situation actuelle, les méthodes médicales d'avortement, comment obtenir un avortement au Québec, Montréal, Editions du Remue-ménage,
  3. « Henry Morgentaler | l'Encyclopédie Canadienne », sur www.thecanadianencyclopedia.ca (consulté le )
  4. « Advitam - BibliothÚque et Archives nationales du Québec », sur advitam.banq.qc.ca (consulté le )
  5. (en) Louise Langevin, « La bataille de l'avortement, chronique quĂ©bĂ©coise par Louise Desmarais », Canadian Journal of Women and the Law, vol. 28, no 3,‎ , p. 668–675 (ISSN 0832-8781 et 1911-0235, DOI 10.3138/cjwl.28.3.668, lire en ligne, consultĂ© le )
  6. Conseil du statut de la femme, Gouvernement du QuĂ©bec, L’avortement au QuĂ©bec : Ă©tat des lieux au printemps 2008, QuĂ©bec, Conseil du statut de la femme Direction des communications, , 53 p.
  7. « Manifestation en faveur de l'avortement à Québec », sur bilan.usherbrooke.ca (consulté le )
  8. Marie-Laurence Raby, UniversitĂ© Laval, « Histoire transnationale de l’avortement clandestin: rĂ©cit d’un militantisme fĂ©ministe d’hier Ă  aujourd’hui » [PDF] (consultĂ© le )
  9. La Coordination nationale pour l'avortement libre et gratuit, L’avortement : la rĂ©sistance tranquille du pouvoir hospitalier, Ottawa, Éditions du Remue-mĂ©nage, , 94 p., p. 81
  10. Sylvie Dupont, Françoise GuĂ©nette, Ariane Émond, Lise Moisan, Francine Pelletier, Claudine Vivier, « Bye Bye Temps Fou », La vie en rose,‎ , p. 36 (lire en ligne [PDF])
  11. Par Denise Couture, « LA BATAILLE DE L’AVORTEMENT (2016), UN OUVRAGE PHARE DE LOUISE DESMARAIS », sur L'autre Parole, (consultĂ© le )
  12. Louise Des marais, « La lutte pour le droit Ă  l'avortement », Relais femmes,‎ (lire en ligne [PDF])
  13. « La lĂ©galitĂ© de l’avortement », sur Éducaloi (consultĂ© le )
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