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Comparaison entre les différents courants du bouddhisme

Loin d’ĂȘtre monolithique, le bouddhisme est composĂ© de nombreuses branches et Ă©coles diffĂ©rentes, si bien qu’il serait plus juste de parler non pas du bouddhisme en gĂ©nĂ©ral, mais des bouddhismes en particulier. Ainsi, la pensĂ©e initiĂ©e par le Bouddha historique Siddhartha Gautama n'est pas restĂ©e une philosophie figĂ©e dans le temps mais a plutĂŽt fonctionnĂ© comme un processus Ă©volutif, se modifiant progressivement lors de son expansion gĂ©ographique et de sa rencontre avec les traditions locales.

Les trois grands courants

A l'heure actuelle on peut distinguer trois courants majeurs dans le bouddhisme qui sont par ordre d'apparition :

  • le mahāyāna, terme sanskrit signifiant « Grand VĂ©hicule » qui apparaĂźt vers le dĂ©but de notre Ăšre dans le Nord de l’Inde d’oĂč il se rĂ©pand rapidement en Chine, avant de se diffuser dans le reste de l’Asie de l'Est. Des moines itinĂ©rants chinois l'exportent avec l'Ă©criture et la culture chinoise, d'abord en CorĂ©e en 372, puis au Japon Ă  partir du Ve siĂšcle. À chaque Ă©tape de sa diffusion, cette branche fut influencĂ©e par les croyances locales, ce qui a gĂ©nĂ©rĂ© un grand nombre d'Ă©coles diffĂ©rentes. Ce nouveau bouddhisme ne s’appuie pas seulement sur les Ă©crits anciens, mais aussi sur des textes postĂ©rieurs comme le SĆ«tra du CƓur ou encore le SĆ«tra du Lotus. Certains de ces textes sont considĂ©rĂ©s par les croyants comme Ă©manant du bouddha lui-mĂȘme mais qui auraient Ă©tĂ© "cachĂ©s" car jugĂ©s trop difficiles pour les gens de l’époque et devant ĂȘtre rĂ©vĂ©lĂ©s plus tard.

Perspectives historiques

Pour distinguer les similitudes et les diffĂ©rences entre les courants, il faut remonter aux sources du bouddhisme ancien, enseignĂ© par Siddhartha Gautama vers le Ve siĂšcle av. J.-C. au nord-est de l’Inde et suivre son Ă©volution pendant plus de 10 siĂšcles Ă  l’intĂ©rieur et en dehors du pays.

Pour plus de détails voir l'article Histoire du bouddhisme.

De la perspective historique, nous pouvons dégager trois étapes importantes:

  • Peu de temps aprĂšs la mort du Bouddha, des divergences sont apparues au sein des communautĂ©s de moines, portant Ă  la fois sur l’interprĂ©tation de la doctrine et sur la discipline monastique. L'une des raisons en est leur grande dispersion gĂ©ographique, d’abord au nord-est de l’Inde, ensuite dans le nord-ouest et le sud, oĂč la doctrine s’est propagĂ©e.
  • Deux cents ans environ aprĂšs la disparition du Bouddha, alors que son enseignement n’avait pas encore Ă©tĂ© fixĂ© par Ă©crit, se produisit un schisme entre l’École des Anciens (Sthaviravada), conservatrice et puriste, et la Grande AssemblĂ©e (Mahasanghika), rĂ©formatrice et contestataire. Les raisons de ces divergences sont qu’au fil des ans la pratique du bouddhisme Ă©tait ressentie comme stricte et figĂ©e au sein des Anciens, accusĂ©s de prĂ©fĂ©rer l’érudition et le dĂ©bat Ă  la pratique. En mĂȘme temps, il est apparu dans la masse populaire l’exigence d’une plus grande accessibilitĂ© notamment aux laĂŻcs et aux femmes, ainsi que la montĂ©e de la foi-dĂ©votion (bhakti), conduisant au « bouddhisme de la foi ».
  • Environ quatre cents ans aprĂšs la disparition du Bouddha, Ă©mergea progressivement le mahāyāna (Grand VĂ©hicule) dont le vƓu Ă©tait de secourir le plus grand nombre d’ĂȘtres vivants, par opposition au hÄ«nayāna (de hina= dĂ©ficient), accusĂ© de se prĂ©occuper seulement de sa propre dĂ©livrance. De la branche initiale des Anciens (Sthaviravada), il ne subsiste aujourd'hui que le Bouddhisme theravāda, pratiquĂ© au Sri Lanka et dans les autres pays du sud-est asiatique. Il a fallu encore quelques centaines d’annĂ©es pour que le Mahayana se diversifie en de nombreuses Ă©coles, chacune se basant sur un ou plusieurs sutra tardifs, et se dĂ©veloppant de façon indĂ©pendante en Asie de l’Est.

Similitudes et divergences

Des points communs

La sagesse de l'Arahat versus la compassion du Bodhisattva

Pour le Theravada, l’Arahat est celui qui s’est dĂ©livrĂ© de toutes les souillures (kilesa), qui est parvenu Ă  l’extinction, au nirvana. Avant d’y arriver, il doit passer par plusieurs Ă©tapes:

  • celui qui est entrĂ© dans le courant (sotapanna),
  • celui qui ne reviendra qu’une fois (sakadagami),
  • celui qui ne reviendra plus (anagami).

On distingue aussi les trois « vĂ©hicules » ou trois façons d’atteindre l’éveil:

  • le « vĂ©hicule » des auditeurs (sravaka-yana), empruntĂ© par ceux qui s’éveillent en Ă©coutant l’enseignement du Bouddha;
  • le « vĂ©hicule » des solitaires (pratyeka-yana), empruntĂ© par ceux qui s’éveillent en dĂ©couvrant eux-mĂȘmes la voie, mais qui restent seuls dans le silence;
  • les parfaits bouddhas (samma-sambuddha), ceux qui s’éveillent par eux-mĂȘmes et vont enseigner la voie aux autres.

Dans le Mahayana, l’idĂ©al de l'Arahat a Ă©tĂ© remplacĂ© par celui du Bodhisattva[3]. Le Bodhisattva (Bodhi= Ă©veil; sattva= ĂȘtre) est un ĂȘtre Ă©veillĂ© qui a fait le vƓu de rester dans le monde pour aider tous les ĂȘtres vivants Ă  se dĂ©livrer de la souffrance. Le « vĂ©hicule » idĂ©al Ă  emprunter est donc le Bodhisattva-yana. En fait, la notion de Bodhisattva existe dĂ©jĂ  dans le bouddhisme primitif, mais elle est plutĂŽt vue comme un Ă©tat d’ĂȘtre Ă©veillĂ© pendant un certain temps avant son Ă©veil parfait. D’aprĂšs les Jātakas (rĂ©cits des vies antĂ©rieures du Bouddha) celui-ci a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dans le passĂ©, par sa conduite-mĂȘme, un Bodhisattva. Ce qui est nouveau pour le Mahayana, c’est que l’idĂ©al du Bodhisattva a remplacĂ© celui d’Arahat. L’accent est mis sur l'amour bienveillant et la compassion, qui sont devenus aussi importants que la sagesse ou la comprĂ©hension profonde. Ainsi dans les pagodes Mahayanistes, les Arahats sont reprĂ©sentĂ©s Ă  part comme des disciples du Bouddha, hiĂ©rarchiquement infĂ©rieurs aux Bodhisattva placĂ©s Ă  cĂŽtĂ© des Bouddhas et vĂ©nĂ©rĂ©s comme eux.

Les trois corps de Bouddha

Pour le Theravada, seul le Bouddha historique, c'est-Ă -dire le bouddha Gautama existe. Certes, dans le passĂ© beaucoup d’hommes sont devenus des bouddhas, comme beaucoup d’autres le seront dans le futur, mais tous apparaissent dans un cadre historique.

Pour le Mahayana, le bouddha a une dimension spirituelle, il est vu comme un ĂȘtre transcendantal, au-delĂ  du temps et de l’espace et peut apparaĂźtre sous trois formes:

  • le corps de transformation ou Nirmāáč‡akāya, dans lequel il est rĂ©incarnĂ©;
  • le corps de jouissance ou Sambhogakāya, dans lequel il vit dans le monde des dieux et apparaĂźt aux humains, prĂȘchant la doctrine;
  • le corps du Dharma ou Dharmakāya, qui est le principe ultime et abstrait de la BouddhĂ©itĂ©.

Cette thĂ©orie des trois corps[3] ou Trikāya explique l’existence dans le Mahayana d’un vĂ©ritable panthĂ©on bouddhique: en dehors du bouddha Gautama, on vĂ©nĂšre le bouddha Amitābha, le bouddha Vairocana (du Grand Soleil), le bouddha Maitreya (de l’Avenir), le Bouddha Bhaisajyaguru (de la MĂ©decine), et de nombreux Bodhisattvas dont les plus connus sont: Avalokiteƛvara (de la Compassion), Kshitigarbha (de la Terre), Manjushri (de la Sagesse), Samantabhadra (de la Pratique).

La nature de Bouddha

C’est une particularitĂ© du Mahayana: il existe en chacun ce que l’on appelle l’« esprit d’éveil»[3] (bodhicitta, de bodhi: Ă©veil et citta: esprit), un potentiel de devenir un Bouddha. Autrement dit, chacun porte en soi la nature de Bouddha, un germe de Bouddha. Ce qui implique que chaque homme est destinĂ©, en dĂ©veloppant cette nature intrinsĂšque, Ă  devenir bouddha. Dans le Theravada, l'atteinte du nirvana est moins Ă©vidente, elle nĂ©cessite la mise en Ɠuvre d'une discipline morale et mentale rigoureuse.

La notion de vacuité

La vacuitĂ© ou ƚƫnyatā est un concept majeur dans le Mahayana, au point oĂč elle est parfois citĂ©e comme le 4e Sceau ou caractĂ©ristique de l’existence (tilakkhana, 3 Sceaux), Ă  cĂŽtĂ© de l’impermanence, du non-soi et de la souffrance. Elle n’est guĂšre mentionnĂ©e dans le Theravada[3] dans lequel sa prĂ©sence est plutĂŽt implicite. Le sutra du CƓur est quotidiennement rĂ©citĂ© dans les monastĂšres mahayanistes, avec sa fameuse phrase « La forme est la vacuitĂ©, la vacuitĂ© est la forme ».

Foi et dévotion

Dans le Theravada, comme dans le bouddhisme originel, il n’est pas question de foi religieuse, ni de croyance en des forces surnaturelles, mais uniquement d’une « foi de confiance » que les disciples portent en leur maĂźtre. C’est Ă  partir du IVe siĂšcle av. J.-C. que la « foi-dĂ©votion » (bhakti) s’est dĂ©veloppĂ©e en Inde, gagnant progressivement les masses populaires jusque vers le dĂ©but de notre Ăšre, coĂŻncidant avec l’apparition du Mahayana et l’influençant fortement[3]. ArrivĂ©e au mĂȘme rang que la sagesse, elle conduit tout droit au « bouddhisme de la foi », reprĂ©sentĂ© par les Ă©coles de la terre pure, de l’ornementation fleurie, de la terrasse cĂ©leste, caractĂ©risĂ©es par la vĂ©nĂ©ration de divers Bouddhas dont Amitābha et de plusieurs bodhisattvas. Ces Ă©coles deviendront florissantes en Chine et dans les pays d’influence chinoise. Cette notion de dĂ©votion joue aussi un rĂŽle important dans le Vajrayana, doublĂ© du caractĂšre magique du tantrisme. La seule Ă©cole du Mahayana qui n’est pas influencĂ©e par la foi-dĂ©votion reste l’École de la MĂ©ditation (Chan en Chine et Zen au Japon), oĂč seule compte la rĂ©alisation personnelle, aidĂ©e seulement par une forte relation maĂźtre-Ă©lĂšve. DĂ©jĂ  Nāgārjuna constatait que « le chemin de la foi est aisĂ©e, le chemin de la sagesse dur et difficile».

Les moyens habiles

Dans le Theravada, pour progresser dans la voie chacun ne peut compter que sur soi-mĂȘme, et l’essentiel est de contrĂŽler son mental, sans avoir besoin d’autres moyens. Le Theravada repose donc essentiellement sur le dĂ©veloppement de la sagesse par la pratique mĂ©ditative et la rĂ©flexion[3]. Dans le Mahayana par contre, on peut s’aider de moyens habiles, les "Upaya" pour parvenir Ă  la dĂ©livrance, ou Ă  l’éveil, ou Ă  la simple transformation de soi. Ces moyens habiles peuvent ĂȘtre des sons (cloche, tambour, instruments de musique divers), des priĂšres, des mantras, ou des mandalas. Les priĂšres adressĂ©es aux bouddhas et bodhisattvas sont conçues comme des appels Ă  des forces extĂ©rieures, la « force de l’autre » venant se substituer Ă  la « force de soi ». En effet, les mĂ©rites " accumulĂ©s " par les plus forts, les grands bodhisattvas par exemple, peuvent ĂȘtre transfĂ©rĂ©s aux plus faibles afin que tous arrivent Ă  la pleine rĂ©alisation de la bouddhĂ©itĂ© innĂ©e. Pour les tenant du Mahayana, le bouddhisme Ă©tait parvenu au terme d’une longue Ă©volution Ă  un tel Ă©tat de dĂ©clin et l’homme Ă  un tel degrĂ© de faiblesse qu’il a besoin d’une aide extĂ©rieure, que ce soit par le « transfert de mĂ©rites » que par l’intervention d’un grand nombre de sauveurs.

Un public plus ou moins large

Le Theravada est considĂ©rĂ© comme plus conservateur et plus Ă©litiste, l'accĂšs Ă  l'Ă©veil nĂ©cessitant gĂ©nĂ©ralement un engagement monacal. Cette tradition valorise donc la vie monastique, car c'est seulement en suivant les rĂšgles strictes dictĂ©es par le Bouddha que l'homme peut espĂ©rer acquĂ©rir pleinement une discipline mentale libĂ©ratrice. Ainsi les moines de ce courant, les bhikkhus sont tenus de respecter 227 rĂšgles et les nonnes 311. À l'inverse, le Mahayana apparaĂźt comme plus libĂ©ral et plus accessible aux laĂŻcs et aux femmes. Dans ce courant le nombre de rĂšgles est variable. Dans le Zen par exemple, les moines ne sont tenus de respecter que 10 rĂšgles (les kai 戒) Le Theravada se tient davantage Ă  l’écart du monde, sur le modĂšle de la vie monacale, il est plus contemplatif. De son cĂŽtĂ©, le Mahayana semble plus engagĂ© dans le monde, avec une plus forte dimension sociale.

La variété des textes

L’enseignement du Theravada est relativement homogĂšne, contenu essentiellement dans le Canon pali. À l'inverse, celui du Mahayana est hĂ©tĂ©rogĂšne, quoique reconnaissant le Canon pali, il s'est diffĂ©renciĂ© en de multiples Ă©coles, chacune s’appuyant sur un ou plusieurs sutras tardifs spĂ©cifiques. Elles vont de l’École de la mĂ©ditation visant la rĂ©alisation Ă  travers la vacuitĂ©, jusqu’à celle de la Terre Pure reposant sur la foi-dĂ©votion au Bouddha Amitabha en passant par le Vajrayana avec ses nombreux rites tantriques.

Bien entendu, cette analyse reste assez schĂ©matique et est Ă  nuancer. Il n’est pas rare de trouver des Ă©lĂ©ments mĂ©langĂ©s de diffĂ©rentes Ă©coles au sein d’un mĂȘme monastĂšre.

Voir aussi

Articles connexes

Notes et références

  1. Encyclopedia of Religion, Macmillan, New York, sv Councils, Buddhist
  2. A.K. Warder, Indian Buddhism, 3rd edn, page 307. American Asiatic Association, Asia Society, Asia: Journal of the American Asiatic Association, p. 724.
  3. « Petit et Grand Véhicules, quelles différences? », sur http://www.truclamthienvien.fr/, (consulté le )

Bibliographie

  • Philippe Cornu, Dictionnaire encyclopĂ©dique du bouddhisme, 2001, Seuil
  • Edward Conze, Le bouddhisme, Éditions Payot & Rivages, 1952, rĂ©Ă©ditĂ© en 1970, 1978, et 1995 (traduit de l’anglais : Buddhism – Oxford, Bruno Cassirer Ltd, 1951)
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