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Ciceronianus

Le Ciceronianus, sive de optimo dicendi genere est un dialogue satirique en latin publié par Érasme. La lettre dédicatoire est datée du , et l'ouvrage parut en mars chez Froben, à Bâle, et en mai chez Simon de Colines, à Paris.

Sujet

Le Ciceronianus est une attaque contre l'humanisme paganisant et fascinĂ© par l'AntiquitĂ© classique, et tout spĂ©cialement par l'Ĺ“uvre de CicĂ©ron, en vogue dans certains milieux au dĂ©but du XVIe siècle. Le titre est une allusion Ă  saint JĂ©rĂ´me, auteur favori d'Érasme : dans sa lettre 22, JĂ©rĂ´me raconte que mĂŞme après sa conversion, il restait bien trop occupĂ© par son goĂ»t pour l'Ĺ“uvre de CicĂ©ron, trouvant le style des prophètes de l'Ancien Testament repoussant ; un jour il tomba gravement malade et fut donnĂ© pour mourant ; il se vit alors en songe devant le tribunal du jugement dernier. « Interrogatus condicionem Christianum me esse respondi. Et ille qui residebat : mentiris, ait, Ciceronianus es, non Christianus ; ubi thesaurus tuus, ibi et cor tuum Â». De mĂŞme, Érasme formule vers le dĂ©but de son dialogue la question suivante : « Qui ne prĂ©fĂ©rerait ĂŞtre cĂ©lĂ©brĂ© aux yeux de la postĂ©ritĂ© comme un cicĂ©ronien plutĂ´t que comme un saint ? Â».

Présentation

La fiction est une longue conversation entre trois personnages : Bulephorus, qui est le porte-parole des idĂ©es d'Érasme ; Hypologus, le questionneur ; et Nosoponus, le type caricaturĂ©, zĂ©lĂ© cicĂ©ronien qui dĂ©jeune de dix raisins de Corinthe pour garder son esprit absolument pur. Dans ce dernier personnage, les lecteurs français reconnurent Christophe de Longueil (1488-1522), qui n'Ă©tait plus lĂ  pour se dĂ©fendre, et les lecteurs italiens Pietro Bembo. Au dĂ©but, le « cicĂ©ronianisme Â» est prĂ©sentĂ© satiriquement comme une maladie dont il faut trouver le remède. Le personnage de Bulephorus domine nettement le dialogue.

Pour Érasme, derrière un certain humanisme trop enthousiaste pour l'AntiquitĂ© classique, se cache une vraie rĂ©surgence de l'esprit paĂŻen : « C'est du paganisme, crois-moi, Nosoponus, c'est du paganisme qui charme lĂ -dedans notre oreille et notre cĹ“ur. Nous ne sommes chrĂ©tiens que de nom Â». Il se moque des transpositions auxquelles se livrent certains humanistes de l'Ă©poque : « JĂ©sus-Christ, le Verbe et le Fils du Père Ă©ternel, est descendu dans le monde conformĂ©ment aux prophètes Â» devient sous leur plume « Optimi maximique Jovis interpres ac filius, servator, rex, juxta vatum responsa ex Olympo devolavit in terras Â». Si c'est l'impiĂ©tĂ© des « cicĂ©roniens Â» qui est l'imputation la plus sĂ©rieuse, le dialogue roule en grande partie sur la question du style : « N'est pas cicĂ©ronien, soutient Nosoponus, un auteur dans les livres duquel on peut trouver un seul petit mot qui ne soit prĂ©sent dans un texte de CicĂ©ron Â». Nosoponus est prĂ©sentĂ© comme un personnage ridicule, superstitieux en toutes choses : de mĂŞme qu'il croit en l'astrologie, de mĂŞme il est sottement fascinĂ© par les mots, les tropes et les rythmes de phrase de CicĂ©ron ; il affirme qu'il n'a lu aucun autre auteur que CicĂ©ron depuis sept ans.

La conclusion du dialogue est que le seul « cicĂ©ronien Â» qu'il y ait eu est CicĂ©ron lui-mĂŞme. Pour le prouver, Érasme offre une liste d'Ă©crivains latins anciens et modernes dont il caractĂ©rise brièvement le style, Ă  chaque fois diffĂ©rent. Les prĂ©tendus « cicĂ©roniens Â» modernes se voient dĂ©prĂ©ciĂ©s selon leurs propres critères. Cette liste surtout fit beaucoup de bruit dans le Landerneau humaniste : on releva qui s'y trouvait ou ne s'y trouvait pas, et on y lut des jugements qui Ă©taient souvent expĂ©ditifs ou ambigus (dans la bouche de Nosoponus).

Dans son Érasme, Johan Huizinga souligne que le Ciceronianus est un texte rĂ©trograde dans le cheminement d'Érasme, alors âgĂ© d'environ soixante ans : il dĂ©nonce ou ridiculise ce que lui-mĂŞme avait souvent reprĂ©sentĂ© dans les dĂ©cennies prĂ©cĂ©dentes : ses adversaires lui avaient reprochĂ© de traduire le grec Logos par Sermo au lieu de Verbum ; il avait voulu corriger la mĂ©trique des hymnes religieux, et avait composĂ© des odes et pĂ©ans classiques pour la Vierge et les saints ; ses propres Adagia avaient rĂ©pandu la prĂ©dilection pour les sentences et les tournures classiques. « Dans sa lutte contre le purisme humaniste, il est le prĂ©curseur d'un puritanisme chrĂ©tien Â», Ă©crit l'historien[1].

RĂ©actions

Cette publication provoqua une levée de boucliers en France et en Italie. Épigrammes et libelles anti-érasmiens fleurirent. Jules César Scaliger était particulièrement déchaîné, prétendant vouloir venger la mémoire de Christophe de Longueil (dans deux discours Contre Érasme publiés en 1531 et 1537). En France, c'est surtout un passage maladroit sur Guillaume Budé (dans une réplique de Nosoponus[2]) qui provoqua la polémique, et Germain de Brie, ami des deux célèbres humanistes, se dépensa pour les réconcilier, mais le Ciceronianus n'en fut pas moins l'occasion de la rupture (l'interruption de la correspondance) entre Érasme et Budé. Étienne Dolet riposta sous la même forme qu'Érasme dans son dialogue Erasmianus sive Ciceronianus, de imitatione Ciceroniana, publié à Lyon, chez Sébastien Gryphe, en 1535 : on y voit dialoguer à Padoue Simon Villanovanus, disciple et champion de Christophe de Longueil, et Thomas More, porte-parole d'Érasme ; ce dernier y est étrillé, Christophe de Longueil y est proclamé à la fois meilleur latiniste et meilleur chrétien que lui, et la conception érasmienne du rapport à Cicéron et à l'Antiquité classique y est longuement critiquée. L'Italien Giulio Camillo apporta une réponse plus sereine dans son Trattato dell'imitatione, écrit en France et qui circula en manuscrit avant d'être imprimé à Paris en 1544.

Éditions

  • Érasme, Il Ciceroniano o Dello stile migliore / Dialogus cui titulus Ciceronianus, sive De optimo dicendi genere, texte latin, traduction italienne, introduction et notes par Angiolo Gambaro, Brescia, La Scuola, 1965.
  • Érasme, Dialogus cui titulus Ciceronianus, sive De optimo dicendi genere. Adagiorum chiliades (Adagia selecta), texte latin, traduction allemande, introduction et notes par Theresa Payr, Ausgewählte Schriften / Erasmus von Rotterdam 7, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1995.
  • Étienne Dolet, Erasmianus sive Ciceronianus , introduction, fac-similĂ© de l'Ă©dition originale, commentaires et appendices par Émile V. Telle, Travaux d'Humanisme et Renaissance CXXXVIII, Genève, Droz, 1974.
  • Jules CĂ©sar Scaliger, Orationes duæ contra Erasmum, textes prĂ©sentĂ©s, Ă©tablis, traduits et annotĂ©s par Michel Magnien, prĂ©face de Jacques Chomarat, Travaux d'Humanisme et Renaissance CCCXXIX, Genève, Droz, 1999.

Bibliographie

  • Pierre Mesnard, « Ă‰rasme et BudĂ© Â», Bulletin de l'Association Guillaume BudĂ©, n° 3, , p. 307-331.
  • Pierre Mesnard, « La bataille du Ciceronianus Â», Études, t. CCCXXVIII, , p. 240-255.
  • Pierre Mesnard, « La religion d'Érasme dans le Ciceronianus Â», Revue thomiste, t. LXVIII, 1968, p. 267-272.

Notes et références

  1. Johan Huizinga, Érasme, Gallimard, 1955, p. 278.
  2. Nosoponus le cicéronien dit curieusement qu'il mettrait Josse Bade (simple imprimeur) au-dessus de Guillaume Budé, tout en ajoutant que ce dernier n'est pas sans mérite. Dans une seconde édition, le nom de Budé fut remplacé par celui d'Apulée, auteur tardif peu correct au regard de la norme cicéronienne.
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