ChalkĂš
La ChalkĂš (en grec byzantin ΧαλÎșáż Î Ïλη/ chalkÄ, «Porte de Bronze») dĂ©signe lâentrĂ©e de cĂ©rĂ©monie (vestibule) du Grand Palais de Constantinople; elle doit son nom aux vantaux de bronze du portail ou, s'il faut en croire Cedrenos, aux tuiles de bronze dorĂ© du toit[1]. Son intĂ©rieur Ă©tait revĂȘtu de marbre et de somptueuses mosaĂŻques, alors que lâextĂ©rieur se parait de nombreuses statues. On y trouvait en particulier une icĂŽne du Christ qui deviendra lâun des principaux symboles iconodoules durant la pĂ©riode de lâiconoclasme. Ce vestibule, qui semble avoir Ă©tĂ© dĂ©moli au XIIIe siĂšcle, s'ouvrait Ă l'extrĂ©mitĂ© de la Regia, prolongeant la MĂ©sĂ© aprĂšs le Milion jusqu'au palais impĂ©rial et au SĂ©nat[2].
Emplacement
Des fouilles effectuĂ©es en 2003 ont permis de dĂ©gager une porte monumentale au sud-est de Hagia Sophia dans lâaxe du Million et sâouvrant sur lâAugusteon (la place principale oĂč se dĂ©roulaient les cĂ©rĂ©monies officielles) par un podium de marbre Ă trois degrĂ©s ornĂ© de pilastres Ă niches et de colonnes[3]. Il y a tout lieu de croire quâil sâagissait de la ChalkÄ; cette position correspond Ă des dessins et plans du XVIIIe siĂšcle la situant Ă 100 m. au sud du coin sud-ouest de Hagia Sophia (Sainte-Sophie)[4]; les bains de Zeuxippos Ă©taient situĂ©s au sud et lâHippodrome de Constantinople Ă lâouest.
Historique
La premiĂšre structure connue sur cet emplacement fut Ă©rigĂ©e par lâarchitecte Aetherius pendant le rĂšgne de lâempereur Anastase (r. 491 â 518) pour cĂ©lĂ©brer sa victoire aprĂšs la guerre isaurienne (492 â 497)[5]. Cette structure brula de mĂȘme quâune bonne partie du centre-ville lors des rĂ©voltes de Nika en 532 pour ĂȘtre rebĂątie subsĂ©quemment par lâempereur Justinien Ier (r. 527 â 565)[4]. Câest cet Ă©difice quâa dĂ©crit en dĂ©tail lâĂ©crivain Procope de CĂ©sarĂ©e dans son « De Aedificiis »[6]. Il sâagissait dâune vaste salle voutĂ©e dont les portes de bronze ne sâouvrait plus au Xe siĂšcle que pour laisser passage Ă lâempereur lorsquâil sortait en procession vers lâAugustĂ©ion[7].
La ChalkÄ elle-mĂȘme ou ses dĂ©pendances servit de prison au cours des VIIe siĂšcle et VIIIe siĂšcle jusquâĂ ce que lâempereur Basile Ier la fasse restaurer pour la transformer en cours de justice[8] - [4].
Lâempereur Romain LĂ©capĂšne (r. 920 â 944) y annexa une petite chapelle dĂ©diĂ©e au Christ Chalkites (ΧÏÎčÏÏÏÏ Î§Î±Î»ÎșÎŻÏηÏ), laquelle fut rebĂątie sur une plus grande Ă©chelle par lâempereur Jean Ier TzimiskĂšs (r. 969 â 976), lequel y fit disposer des reliques avant dây ĂȘtre inhumĂ© [4] - [9] - [10]. Cette reconstruction fut facilitĂ©e par le fait que son prĂ©dĂ©cesseur, lâempereur NicĂ©phore II Phokas (r. 963 â 976) avait fait rĂ©duire le pĂ©rimĂštre du mur entourant le palais avec comme consĂ©quence que la ChalkÄ ne lui Ă©tait plus attachĂ©e[4]. LâentrĂ©e principale du palais, dont les portes de bronze avaient Ă©tĂ© enlevĂ©es par lâempereur Isaac II lâAnge au cours de son premier rĂšgne (1185-1195) nâest plus mentionnĂ©e par les chroniqueurs byzantins aprĂšs 1200[4] - [11]. Toutefois, la chapelle survĂ©cut au cours des siĂšcles suivants et est mentionnĂ©e par des pĂšlerins russes au cours du XIVe siĂšcle[12]. Au cours de la pĂ©riode ottomane, les ruines de la chapelle Ă©taient connues sous le nom de Arslanhane et servaient de mĂ©nagerie[13]. On retrouve des dessins de la chapelle au XVIIIe siĂšcle jusquâĂ sa disparition en 1804[4].
Architecture
Plusieurs descriptions de cette porte monumentale sont parvenues jusquâĂ nous dont la plus ancienne est celle de Procope de CĂ©sarĂ©e; nous possĂ©dons Ă©galement des informations sur les statues qui en dĂ©coraient la façade dans le Parastaseis syntomoi chronikai[14] - [N 1].
Telle quâelle apparaissait aprĂšs avoir Ă©tĂ© reconstruite sous Justinien, la ChalkÄ Ă©tait un bĂątiment rectangulaire reposant sur quatre piliers et supportant un dĂŽme central sur pendentifs, Ă la façon byzantine. Les piliers nord et sud semblent avoir Ă©tĂ© un peu moins haut que ceux Ă lâest et Ă lâouest[15]. La structure centrale Ă©tait flanquĂ©e de petites salles sur les cĂŽtĂ©s sud et nord, celles-ci couvertes dâun toit en voute[16]. Il est difficile dâĂ©tablir prĂ©cisĂ©ment la relation entre la porte et le Christ Chalkites. Selon Cyril Mango, cette chapelle aurait Ă©tĂ© situĂ©e sur la gauche de la porte, mais il a Ă©tĂ© Ă©galement proposĂ© quâelle ait Ă©tĂ© bĂątie sur le dessus de la porte elle-mĂȘme [17]. On sait seulement quâelle Ă©tait placĂ©e sur une plateforme surĂ©levĂ©e et situĂ©e, selon des descriptions du XVIIIe siĂšcle Ă quelque 100 m au sud-est de Hagia Sophia[4].
Procope nous a Ă©galement laissĂ© une description de la dĂ©coration intĂ©rieure de la ChalkÄ : les murs Ă©taient recouverts de marbre de diffĂ©rentes couleurs, alors que les plafonds Ă©taient ornĂ©s de mosaĂŻques reprĂ©sentant Justinien et son Ă©pouse ThĂ©odora accompagnĂ©s du SĂ©nat, ainsi que par des reprĂ©sentations des victoires de BĂ©lisaire au cours des guerres contre les Vandales et les Goths, de mĂȘme que de son retour triomphal prĂ©sentant trophĂ©es de guerre et chefs vaincus Ă lâempereur[18].
En revanche, on sait relativement peu de choses sur la dĂ©coration extĂ©rieure, sinon que dâaprĂšs le Parastaseis syntomoi, on y trouvait diverses statues, probablement situĂ©es dans des niches au-dessus de la porte centrale[19]. Celles-ci comprenaient des statues de lâempereur Maurice (r. 582-602) ainsi que de son Ă©pouse et de ses enfants, deux statues de philosophes rapportĂ©es dâAthĂšnes, lesquels Ă©tendaient les bras lâun vers lâautre[20], des statues de lâempereur ZĂ©non (r. 474-491) et de lâimpĂ©ratrice Ariadne[21], de mĂȘme que quatre tĂȘtes de gorgones rapportĂ©es du temple dâArtĂ©mis Ă ĂphĂšse « qui entourent la ChalkÄ avec au-dessus dâelles le signe de la croix[22]". Selon le mĂȘme texte, se trouvaient « Ă proximitĂ© » des statues de lâempereur Maximien Hercule (r. 285-305) ainsi que la Maison de ThĂ©odose; lâemplacement de la statue de lâimpĂ©ratrice PulchĂ©rie par rapport Ă lâĂ©difice demeure incertaine[23].
LâicĂŽne du Christ ChalkitĂšs
Il a longtemps Ă©tĂ© admis quâau-dessus de lâentrĂ©e de la ChalkÄ se trouvait une icĂŽne du Christ, appelĂ©e Christ ChalkitÄs (Christ de la ChalkÄ), reprĂ©sentĂ© debout sur un piĂ©destal[4]. Lâorigine de cette icĂŽne est inconnue; si lâon en croit la Parastaseis, elle aurait dĂ©jĂ existĂ© vers 600, mais on ne peut en ĂȘtre certain[24]. Son emplacement bien visible au-dessus de la principale entrĂ©e du palais impĂ©rial en faisait lâun des symboles les plus importants de la ville[25]. DĂšs lors, lâordre donnĂ© par lâempereur LĂ©on III lâIsaurien (r. 717-741) de lâenlever constituait une dĂ©claration politique; le geste suffit Ă provoquer une rĂ©volte dans la ville en mĂȘme temps quâelle marquait le dĂ©but de la pĂ©riode iconoclaste dans lâempire [26].
Toutefois, certains historiens contemporains mettent en doute cet épisode[27]. Selon Kaplan, la ChalkÚ était à l'époque décorée d'une abondante statuaire et d'une croix, mais sans icÎne du Christ[28]. L'épisode aurait été inventé ou déformé par les auteurs du début du IXe siÚcle.
Ă la suite du premier rĂ©tablissement du culte des icĂŽnes, vers 787, l'impĂ©ratrice IrĂšne fit placer (ou restaurer selon les thĂ©ories) une icĂŽne sur la ChalkĂš. Elle sera toutefois enlevĂ©e (Ă nouveau ?) sous lâempereur LĂ©on V lâArmĂ©nien (r. 813-820) et remplacĂ©e par une simple croix. AprĂšs la restauration dĂ©finitive des icĂŽnes en 843, elle fut remplacĂ©e par une icĂŽne en mosaĂŻque produite par le moine et artiste Lazaros[26] - [29].
On ignore quelle Ă©tait lâapparence exacte de cette icĂŽne. Bien que lâimage originelle ait Ă©tĂ© dĂ©crite comme un buste du Christ, de type Pantocrator, des rĂ©fĂ©rences byzantines plus tardives, comme les piĂšces de monnaie de Jean III VatatzĂšs (r. 1221-1254) et des mosaĂŻques de la Deesis dans lâĂ©glise de la Chora utilisent ce terme pour dĂ©signer un Christ debout sur un piĂ©destal[30] - [31].
Bibliographie
Source primaire
- Procope de Césarée (trad. Denis Roques), Constructions de Justinien Ier, Alexandrie, Edizioni dell'Orso, 2011. (ISBN 978-8-8627-4296-2).
Sources secondaires
- (en) Arnold Hugh Martin Jones & alii. Prosopography of the Later Roman Empire. University of Cambridge Press, vol 2., 1980. (ISBN 978-1-107-11930-7).
- (en) Cameron, Averil & Herrin, Judith. Constantinople in the early eighth century: the Parastaseis syntomoi chronikai (introduction, translation, and commentary). Brill Archive, 1984. (ISBN 978-90-04-07010-3).
- (en) Cormack, Robin . Byzantine art. Oxford, Oxford University Press, 2000. (ISBN 978-0-19-284211-4).
- (en) Featerstone, Michael. âSpace and Ceremony in the Great Palace of Constantinople under the Macedonian Emperorsâ (in) Le corti nellâalto medioevo, Spoleto 24-29 aprile 2014. Fondazione Centro italiano di studi sullâalo mediovevo, Spoleto, 2015.
- (fr) Girkin, Ăigdem. « La Porte Monumentale trouvĂ©e dans les fouilles prĂšs de lâancienne prison de Sultanat Ahmet » (dans) Anatolia Antiqua, 16 (2008) pp. 259-290.
- (fr) Janin, Raymond. "Constantinople Byzantine. DĂ©veloppement urbain et rĂ©pertoire topographique". Paris, Institut français dâĂ©tudes byzantines, 1950. ISSN 0402-8775.
- (en) Kazhdan, Alexander (dir.), Oxford Dictionary of Byzantium, New York et Oxford, Oxford University Press, 1991, 1re Ă©d., 3 tom. (ISBN 978-0-19-504652-6).
- (fr) Kaplan, Michel. La chrétienté byzantine du début du VIIe siÚcle au milieu du XIe siÚcle, SEDES, 1997. (ISBN 978-2-7181-9184-3).
- (en) Majeska, George P. Russian Travelers to Constantinople in the Fourteenth and Fifteenth Centuries. Dumbarton Oaks, 1984. (ISBN 978-0-88402-101-8).
- (en) Mango, Cyril. The Brazen House : A Study of the Vestibule of the Imperial Palace of Constantinople, Copenhague, 1959.
- (de) MĂŒller-Wiener, Wolfgang. Bildlexikon zur Topographie Istanbuls : Byzantion, Konstantinupolis, Istanbul bis zum Beginn des 17. Jh., TĂŒbingen, Wasmuth, 1977. (ISBN 978-3-8030-1022-3).
Notes et références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Chalke » (voir la liste des auteurs).
Notes
- Texte byzantin datant duVIIIe siÚcle ou IXe siÚcle constitué de commentaires sur la topographie de Constantinople et de ses monuments, entre autres de la statuaire classique grecque.
Références
- Kazdhan (1991), « Chalke », vol. 1, p. 405
- Featherstone (2015) p. 588
- Girkin (2008) p. 271
- Kazdhan (1991) p. 406
- Prosopography of the Later Roman Empire, II, « Aetherius 2 », p. 19
- Procope. De Aedificiis, I. 10.11-20
- Featherstone (2015) pp. 588-589
- Mango (1958) p. 34
- Janin (1968) pp. 529-530
- Mango (1958) p. 149
- Mango (1958) pp. 34-35
- Majeska (1984) pp. 241-242
- Mango (1985) pp. 149-169
- Cameron & Herrin (1984) pp. 48-51
- Procope, De Aedificiis, 1.10.12-14
- Procope, De Aedificiis, 1.10.13-14
- Mango (1958) p. 154; câest la thĂ©orie adoptĂ©e par les concepteurs de la reconstruction en 3D de Byzantium 1200
- Procope, De Aedificiis, 1.10.16-18
- Mango (1958) pp. 99-104
- Cameron & Herrin (1984) p. 63
- Cameron & Herrin (1984) p. 95
- Cameron & Herrin (1984) pp. 121, 159
- Cameron & Herrin (1984) pp. 159, 207-208
- Mango (1958) pp. 103, 108-112
- Cameron & Herrin (1984) p. 175
- Kazdhan (1991) pp. 406 (ChalkÄ) et 440 (Christ Chalkites)
- Kaplan, (1997) p. 50-51
- Description dans la lettre du patriarche Germain Ier Ă l'Ă©vĂȘque Thomas de Claudiopolis, datant de 725/730.
- Cormack (2000), p. 114
- Kazdhan (1991) p. 440
- Mango (1958) pp. 135-142
Voir aussi
Liens internes
Liens externes
- Byzantium 1200. âCHALKE (GATE of the GREAT PALACE)â. [en ligne] http://www.byzantium1200.com/chalke.html.
- « The Buildings of Constantinople ». [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=JzZp-qAYCZg.