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CarĂȘme du rite byzantin

Le CarĂȘme du rite byzantin, plus communĂ©ment appelĂ© Grand CarĂȘme, est une pĂ©riode de jeĂ»ne et d'approfondissement de la foi pratiquĂ© dans les Églises d'Orient — Églises orthodoxes et Églises catholiques de rite byzantin. Le carĂȘme de rite byzantin est identiquement pratiquĂ© par les Églises de rite grec-melkite et grec-catholique ou uniate (Églises de rite byzantin ayant reconnu la primautĂ© de l'Église catholique romaine, et n'Ă©tant donc plus considĂ©rĂ©es par les autres Ă©glises orientales comme orthodoxes).

La signification du Grand CarĂȘme ne peut ĂȘtre saisie qu'au regard de sa destination : la fĂȘte de PĂąques[1]. La participation au carĂȘme et la fidĂ©litĂ© avec lequel il est respectĂ© marquent l'importance que l'Église porte Ă  la fĂȘte de PĂąques[2]. C'est en effet lors de la fĂȘte de PĂąques que se rassemble le plus grand nombre de fidĂšles dans les pays de tradition byzantine ; c'est, bien plus qu'Ă  NoĂ«l (contrairement aux pays occidentaux de tradition catholique), la fĂȘte Ă  laquelle participent mĂȘme ceux qui ne pratiquent pas rĂ©guliĂšrement.

Cependant cette prĂ©paration Ă  PĂąques ne doit pas ĂȘtre comprise comme une fin en soi. L'Église met en garde contre le risque d'une rigueur excessive dans le rituel. C'est ainsi que la liturgie rappelle, lors de la pĂ©riode du petit carĂȘme, la parabole du Pharisien et du Publicain ; mais plus important encore, la liturgie de PĂąques, dans l'homĂ©lie de saint Jean Chrysostome, Ă©nonce :

« Que vous ayez jeĂ»nĂ© ou non, rĂ©jouissez-vous aujourd’hui. La table est prĂ©parĂ©e, goĂ»tez-en tous ; 
que nul ne s’en retourne Ă  jeun. 
Que nul ne se lamente sur ses fautes, car le pardon a jailli du tombeau. Que nul ne craigne la mort, car celle du Sauveur nous en a dĂ©livrĂ©s. »

La pratique du jeûne

Le jeĂ»ne n'est pas seulement un ensemble de rĂšgles alimentaires : en tous cas, le carĂȘme ne saurait y ĂȘtre identifiĂ©. C'est avant tout un Ă©purement du superflu et des entraves au rapport avec Dieu. Le carĂȘme a pour objet de ramener le fidĂšle Ă  l'essentiel. JĂ©sus-Christ rĂ©pliqua Ă  Satan qui essayait de l'Ă©prouver dans son jeĂ»ne au dĂ©sert : « L'homme ne vit pas seulement de pain » (Matthieu, 4,4). Le jeĂ»ne est souvent dĂ©crit dans les Églises d'Orient comme un effort pour se libĂ©rer des dĂ©sirs qui asservissent l'esprit Ă  des biens non essentiels.

Cependant, les PĂšres affirment que cet effort n'est rien sans le secours de la priĂšre (il ne s'agit pas d'arriver seulement Ă  une maĂźtrise de soi, mais bien de rĂ©orienter son dĂ©sir). Une parole mĂ©morable (un apophtegme) d'un PĂšre du dĂ©sert, souvent citĂ©e dans le rite byzantin, affirme que l'on ne peut se glorifier de jeĂ»ner sans prier et sans amour, car les dĂ©mons jeĂ»nent eux aussi (car ils n'ont pas besoin de manger). L'Église condamne par ailleurs toute volontĂ© de performance dans le domaine des rĂšgles alimentaires — ce qui serait en fausser le sens — comme le rĂ©vĂšle cet autre cĂ©lĂšbre apophtegme :

« Abba Isaac vint chez Abba PƓmen. Il le vit en train de se verser un peu d'eau sur les pieds ; comme il Ă©tait trĂšs libre avec lui, il lui demanda : “Pourquoi certains ont-ils fait preuve d'intransigeance en traitant durement leur corps ?” Abba PƓmen rĂ©pondit : “Nous, nous n'avons pas appris Ă  tuer le corps, mais Ă  tuer les passions.” Et il dit encore : “Tous les excĂšs viennent des dĂ©mons.”[3] »

Le jeûne alimentaire

Pendant le Grand CarĂȘme, la plupart des fidĂšles pratique un jeĂ»ne alimentaire qui rĂ©pond Ă  certaines rĂšgles gĂ©nĂ©rales. Cependant, ces rĂšgles, dĂ©crites ci-dessous, ne doivent pas ĂȘtre appliquĂ©es aveuglĂ©ment : selon la tradition des Églises d'Orient toute dĂ©cision de jeĂ»ner se fait en consultation avec son PĂšre spirituel (gĂ©nĂ©ralement son confesseur) afin d'en dĂ©finir les modalitĂ©s, adaptĂ©es Ă  la personnalitĂ© de chacun (c'est ainsi que certains PĂšres, paradoxalement, peuvent recommander du repos Ă  ceux qui sont incapables de s'en accorder).

Les rĂšgles gĂ©nĂ©rales du jeĂ»ne consistent Ă  s'abstenir totalement de viande et de laitages (et certains jours de vin et d'huile). Cependant, le carĂȘme n'est pas pratiquĂ© de la mĂȘme maniĂšre les jours de la semaine (c'est-Ă -dire du lundi au vendredi), et en fin de semaine. En effet, le samedi (jour du sabbat) et le dimanche (jour du Seigneur) sont considĂ©rĂ©s par l'Église orthodoxe comme jours de fĂȘte incompatibles avec un jeĂ»ne trop strict. Tandis que l'on s'abstiendra pendant la semaine de viande, d'huile (comme de toute matiĂšre grasse) et de vin, en se limitant de prĂ©fĂ©rence Ă  un seul repas par jour (le soir), il est en revanche permis les samedis et dimanches de carĂȘme de prendre deux repas par jour, accompagnĂ©s d'huile et de vin (mais pas de viande).

RÚgles générales du jeûne alimentaire
Du lundi au vendrediSamedi et Dimanche

De préférence un seul repas par jour

Deux repas par jour

Ni huile ni vin

Huile et vin autorisés

Aucun produit d'origine animale.
(Ni viande, ni poisson, ni produits laitiers, ni Ɠufs.)

Aucun produit d'origine animale.
(Ni viande, ni poisson, ni produits laitiers, ni Ɠufs.)

Ces rĂšgles de jeĂ»nes alimentaires doivent s'accompagner de mĂ©ditations, d'efforts spirituels, d'assistance aux offices, sans quoi elles perdent tout intĂ©rĂȘt spirituel et omettent ce qui en constitue le sens.

La maniĂšre de vivre pendant le carĂȘme

Le carĂȘme ne saurait se limiter Ă  des actes extĂ©rieurs comme les rĂšgles alimentaires et la prĂ©sence aux offices. Cette pĂ©riode implique une transformation gĂ©nĂ©rale de son genre de vie en accord avec ces efforts. La plupart des fidĂšles, par exemple, Ă©vitent le cinĂ©ma et les boĂźtes de nuit pendant la durĂ©e du carĂȘme, rĂ©duisent leur sorties afin de crĂ©er un climat plus simple, plus dĂ©pouillĂ©, sans trop de divertissements, avec son rythme propre. (De nos jours, certains fidĂšles Ă©teignent leur tĂ©lĂ©vision durant le carĂȘme, particuliĂšrement les premiĂšre, quatriĂšme et septiĂšme semaines). Comme on se prive des plaisirs de la table, il s'agit de s'ouvrir Ă  des nourritures spirituelles plus stimulantes pour l'esprit et pour l'Ăąme, lectures saintes, contemplation des Ɠuvres d'art


Il est de coutume de ne cĂ©lĂ©brer ni fĂȘte, ni mariage durant le Grand CarĂȘme, afin d'en respecter le "ton". Ce ton particulier au carĂȘme porte, dans le rite byzantin, le nom de "radieuse tristesse" (du grec ancien : Ï‡Î±ÏÎżÏ€ÎżÎč᜞Μ Ï€Î­ÎœÎžÎżÏ‚, « tristesse produisant la joie ») : durant le carĂȘme, la joie vĂ©ritable rĂ©sulte de l'effort Ă  se dĂ©tacher des entraves matĂ©rielles.

De mĂȘme, la liturgie de saint Jean Chrysostome, considĂ©rĂ©e comme une vĂ©ritable fĂȘte, n'est pas cĂ©lĂ©brĂ©e durant le carĂȘme. L'Eucharistie est donnĂ©e uniquement le dimanche lors de la Liturgie de Saint Basile, plus longue et plus solennelle.

L'entrĂ©e dans le carĂȘme

Si le Grand CarĂȘme est strict, il est prĂ©parĂ© de façon progressive. Toute grande fĂȘte ou pĂ©riode liturgique doit, selon la tradition orientale, ĂȘtre prĂ©parĂ©e, afin de permettre une conversion progressive. Le carĂȘme est donc anticipĂ© lors de cinq dimanches, Ă©voquant chacun, par leurs lectures Ă©vangĂ©liques, les Ă©tapes fondamentales de la conversion. Cette pĂ©riode est appelĂ©e petit carĂȘme ou prĂ©-carĂȘme.

PrĂ©paration du Grand CarĂȘme
Les dimanches initiant la semaine ÉvĂšnements suivant ces dimanches Nom de la semaine suivant ces dimanches RĂšgles de jeĂ»ne pendant la semaine
Dimanche du Publicain et du Pharisien Semaine de la viande La viande est permise mĂȘme le mercredi et le vendredi
Dimanche du Fils prodigue Samedi des défunts Semaine normale (jeûne les mercredi et vendredi)
Dimanche du Jugement dernier Carnaval Ă  partir du dimanche soir Semaine des laitages La viande est supprimĂ©e, mais non les laitages, ni les Ɠufs, qu'on peut mĂȘme manger les mercredi et vendredi
Dimanche du Pardon Fin du Carnaval ; Lundi Pur Le Grand CarĂȘme dĂ©bute lors du Lundi Pur JeĂ»ne strict : aucune nourriture le Lundi Pur, lĂ©gumes et fruits sans huile le reste de la semaine

PremiĂšre semaine de prĂ©-carĂȘme, dite semaine de la viande

La viande est autorisĂ©e cette semaine, mĂȘme le mercredi et le vendredi qui sont habituellement des jours de jeĂ»ne.

Le premier dimanche ouvrant la premiĂšre semaine de prĂ©-carĂȘme, est appelĂ© le dimanche du Publicain et du Pharisien. L'Ă©vangile (Luc 18:10-14) de ce dimanche Ă©voque la valeur de l'humilitĂ©, la priĂšre humble du publicain Ă©tant agrĂ©Ă©e et non celle, fiĂšre, du pharisien.

« Le Seigneur dit cette parabole : « Deux hommes montĂšrent au Temple pour prier ; l’un Ă©tait Pharisien et l’autre publicain. Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-mĂȘme : Mon Dieu, je te rends grĂąces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultĂšres, ou bien encore comme ce publicain ; je jeĂ»ne deux fois la semaine, je donne la dĂźme de tout ce que j’acquiers. Le publicain, se tenant Ă  distance, n’osait mĂȘme pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine, en disant : Mon Dieu, aie pitiĂ© du pĂ©cheur que je suis ! Je vous le dis : ce dernier descendit chez lui justifiĂ©, l’autre non. Car tout homme qui s’élĂšve sera abaissĂ©, mais celui qui s’abaisse sera Ă©levĂ©[4] - [5]. »

DeuxiĂšme semaine de prĂ©-carĂȘme

Le deuxiĂšme dimanche de prĂ©-carĂȘme, premier jour de la deuxiĂšme semaine, est appelĂ© le dimanche du Fils prodigue. L'Ă©vangile de ce dimanche (Luc 15:11-32) Ă©voque la possibilitĂ© de rĂ©soudre le sentiment d'ĂȘtre exilĂ© de Dieu, de revenir Ă  lui.

« Il dit encore : "Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit Ă  son pĂšre : PĂšre, donne-moi la part de fortune qui me revient. Et le pĂšre leur partagea son bien. Peu de jours aprĂšs, rassemblant tout son avoir, le plus jeune fils partit pour un pays lointain et y dissipa son bien en vivant dans l’inconduite. "Quand il eut tout dĂ©pensĂ©, une famine sĂ©vĂšre survint en cette contrĂ©e et il commença Ă  sentir la privation. Il alla se mettre au service d’un des habitants de cette contrĂ©e, qui l’envoya dans ses champs garder les cochons. Il aurait bien voulu se remplir le ventre des caroubes que mangeaient les cochons, et personne ne lui en donnait. Rentrant alors en lui-mĂȘme, il se dit : Combien de mercenaires de mon pĂšre ont du pain en surabondance, et moi je suis ici Ă  pĂ©rir de faim ! Je veux partir, aller vers mon pĂšre et lui dire : PĂšre, j’ai pĂ©chĂ© contre le Ciel et envers toi ; je ne mĂ©rite plus d’ĂȘtre appelĂ© ton fils, traite-moi comme l’un de tes mercenaires. Il partit donc et s’en alla vers son pĂšre. "Tandis qu’il Ă©tait encore loin, son pĂšre l’aperçut et fut pris de pitiĂ© ; il courut se jeter Ă  son cou et l’embrassa tendrement. Le fils alors lui dit : PĂšre, j’ai pĂ©chĂ© contre le Ciel et envers toi, je ne mĂ©rite plus d’ĂȘtre appelĂ© ton fils. Mais le pĂšre dit Ă  ses serviteurs : Vite, apportez la plus belle robe et l’en revĂȘtez, mettez-lui un anneau au doigt et des chaussures aux pieds. Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilĂ  Ă©tait mort et il est revenu Ă  la vie ; il Ă©tait perdu et il est retrouvĂ© ! Et ils se mirent Ă  festoyer. "Son fils aĂźnĂ© Ă©tait aux champs. Quand, Ă  son retour, il fut prĂšs de la maison, il entendit de la musique et des danses. Appelant un des serviteurs, il s’enquĂ©rait de ce que cela pouvait bien ĂȘtre. Celui-ci lui dit : C’est ton frĂšre qui est arrivĂ©, et ton pĂšre a tuĂ© le veau gras, parce qu’il l’a recouvrĂ© en bonne santĂ©. Il se mit alors en colĂšre, et il refusait d’entrer. Son pĂšre sortit l’en prier. Mais il rĂ©pondit Ă  son pĂšre : VoilĂ  tant d’annĂ©es que je te sers, sans avoir jamais transgressĂ© un seul de tes ordres, et jamais tu ne m’as donnĂ© un chevreau, Ă  moi, pour festoyer avec mes amis ; et puis ton fils que voici revient-il, aprĂšs avoir dĂ©vorĂ© ton bien avec des prostituĂ©es, tu fais tuer pour lui le veau gras ! "Mais le pĂšre lui dit : Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est Ă  moi est Ă  toi. Mais il fallait bien festoyer et se rĂ©jouir, puisque ton frĂšre que voilĂ  Ă©tait mort et il est revenu Ă  la vie ; il Ă©tait perdu et il est retrouvĂ© !" »

Semaine des laitages ou de la tyrophagie

La viande est supprimĂ©e, mais les laitages et les Ɠufs sont autorisĂ©s mĂȘme le mercredi et le vendredi (jours habituels de jeĂ»ne). Lors de ces deux jours de la semaine, on ne cĂ©lĂšbre pas la liturgie et l'on rĂ©cite la PriĂšre de saint Éphrem.

Le troisiĂšme dimanche — dimanche du Jugement dernier — est aussi appelĂ© dimanche des laitages ou dimanche de la tyrophagie, parce qu'un jeĂ»ne limitĂ© Ă  la viande est prescrit par l'Église Ă  partir de la semaine qui le suit. Le soir de ce dimanche commence le carnaval[6]. Par ce jeĂ»ne dĂ©bute, d'une maniĂšre graduelle, l'effort du Grand CarĂȘme, effort qui ne sera pleinement exigĂ© qu'une semaine plus tard. Seuls le mercredi et le vendredi y sont considĂ©rĂ©s comme constituant dĂ©jĂ  tout Ă  fait deux jours de carĂȘme (avec les adaptations liturgiques propres au carĂȘme). Dans l'Ă©vangile de ce jour-lĂ , le Christ affirme que tout ce que nous faisons pour le plus humble, c'est Ă  Lui que nous le faisons. Un autre aspect du carĂȘme est ainsi Ă©voquĂ© : l'aumĂŽne, suivant l'ancienne tradition selon laquelle ce que l'on Ă©conomise en jeĂ»nant, on le redistribue aux plus pauvres.

« Alors le Roi dira Ă  ceux qui seront Ă  sa droite : “Venez, les bĂ©nis de mon PĂšre. HĂ©ritez du Royaume qui vous a Ă©tĂ© prĂ©parĂ© depuis la fondation du monde. Car j’ai eu faim et vous m’avez donnĂ© Ă  manger, j’ai eu soif et vous m’avez donnĂ© Ă  boire, j’étais sans logis et vous m’avez recueilli, j’étais nu et vous n’avez vĂȘtu, j’étais infirme et vous m’avez visitĂ©, en prison et vous ĂȘtes venus Ă  moi”. Alors les justes lui rĂ©pondront : “Seigneur, quand t’avons-nous vu affamĂ© et t’avons donnĂ© Ă  manger, ou ĂȘtre assoiffĂ© et t’avons-nous donnĂ© Ă  boire ? Quand t’avons-nous vu sans logis et t’avons-nous recueilli, ou nu et t’avons-nous vĂȘtu ? Quand t’avons-nous vu infirme ou en prison et sommes-nous venus Ă  toi ?” Et le Roi leur rĂ©pondra : “Amen, je vous le dis, ce que vous avez fait Ă  l’un de mes frĂšres, Ă  l’un des plus petits, c’est Ă  moi que vous l’avez fait.” Alors il dira Ă  ceux qui sont Ă  sa gauche : “Éloignez-vous de moi, maudits, au feu Ă©ternel prĂ©parĂ© pour le diable et ses complices ! Car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donnĂ© Ă  manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donnĂ© Ă  boire, j’étais sans logis et vous ne m’avez pas recueilli, j’étais nu et vous ne m’avez pas vĂȘtu, infirme et prisonnier et vous ne m’avez pas visitĂ©.” Alors eux aussi rĂ©pondront : “Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim ou soif, ou sans logis, ou nu, ou infirme, et t’avons-nous pas rendu service ?” Alors il leur rĂ©pondra en disant : “Amen, je vous le dis, ce que vous n’avez pas fait Ă  l’un de ces plus humbles, Ă  moi non plus vous ne l’avez pas fait !”[7] »

Le dernier dimanche avant le carĂȘme

Le quatriĂšme dimanche est appelĂ© dimanche du Pardon ou de l'“Expulsion d'Adam hors du Paradis”, ou encore “dernier jour des laitages”. Il marque la fin du carnaval et le dĂ©but du Grand CarĂȘme qui commencera le lendemain, au lundi pur. Le carĂȘme est compris comme la libĂ©ration de l'esclavage du pĂ©chĂ© (entrĂ© dans l'homme par une rupture de jeĂ»ne). L'Ă©vangile de ce dimanche (Matthieu 6:14-21) dicte les recommandations nĂ©cessaires Ă  cette libĂ©ration : d'une part le jeĂ»ne ne doit pas ĂȘtre pratiquĂ© de façon ostentatoire, d'autre part celui-ci n'a aucune valeur s'il n'est accompagnĂ© du pardon Ă  son prochain ("Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre PĂšre cĂ©leste vous pardonnera aussi").

« Le Seigneur dit : Oui, si vous remettez aux hommes leurs manquements, votre PĂšre cĂ©leste vous remettra aussi ; mais si vous ne remettez pas aux hommes, votre PĂšre non plus ne vous remettra pas vos manquements. Quand vous jeĂ»nez, ne vous donnez pas un air sombre comme font les hypocrites : ils prennent une mine dĂ©faite, pour que les hommes voient bien qu’ils jeĂ»nent. En vĂ©ritĂ© je vous le dis, ils tiennent dĂ©jĂ  leur rĂ©compense. Pour toi, quand tu jeĂ»nes, parfume ta tĂȘte et lave ton visage, pour que ton jeĂ»ne soit connu, non des hommes, mais de ton PĂšre qui est lĂ , dans le secret ; et ton PĂšre, qui voit dans le secret, te le rendra. Ne vous amassez point de trĂ©sors sur la terre, oĂč la mite et le ver consument, oĂč les voleurs percent et cambriolent. Mais amassez-vous des trĂ©sors dans le ciel : lĂ , point de mite ni de ver qui consument, point de voleurs qui perforent et cambriolent. Car oĂč est ton trĂ©sor, lĂ  sera aussi ton cƓur. »

La priĂšre du carĂȘme orthodoxe

Une priĂšre spĂ©ciale, attribuĂ©e par la tradition Ă  Éphrem le Syrien, est rĂ©citĂ©e deux fois chaque jour du carĂȘme :

"Seigneur et MaĂźtre de ma vie,
ne m'abandonne pas à l'esprit de paresse, de découragement,
de domination et de vaines paroles ! (une métanie)

Mais fais-moi la grĂące, Ă  moi ton serviteur,
de l'esprit d'intégrité, d'humilité,
de patience et d'amour ! (une métanie)

Oui, Seigneur-Roi,
accorde-moi de voir mes fautes
et de ne pas condamner mon frĂšre,
car Tu es béni dans les siÚcles des siÚcles ! (une métanie)

Amin."

La priĂšre est dite deux fois. La premiĂšre fois, une mĂ©tanie (c'est-Ă -dire un prosternement) conclut chacune des trois demandes. Ces mĂ©tanies ont beaucoup d'importance pour l'Église, car elles permettent de faire participer le corps Ă  la priĂšre, de restaurer celui-ci dans sa vraie fonction en tant que "temple de l'Esprit", car lui aussi est appelĂ© selon la thĂ©ologie byzantine, Ă  ĂȘtre transfigurĂ©, Ă  devenir glorieux. « L'homme tout entier, dans sa chute, s'est dĂ©tournĂ© de Dieu, l'homme tout entier devra ĂȘtre restaurĂ© ; c'est tout l'homme qui doit revenir Ă  Dieu. (
) Pour cette raison, tout l'homme — corps et Ăąme — se repent. Le corps participe Ă  la priĂšre de l'Ăąme de mĂȘme que l'Ăąme prie par et dans le corps. Les prosternements, signes psychosomatiques du repentir et de l'humilitĂ©, de l'adoration et de l'obĂ©issance, sont donc le rite quadragĂ©simal par excellence[8]. »

On rĂ©pĂšte ensuite douze fois : « Ô Dieu, purifie-moi, pĂ©cheur » en effectuant chaque fois une petite mĂ©tanie (on se signe puis on vient toucher de la main le sol). On lit alors de nouveau la priĂšre de saint Éphrem, en ne se prosternant qu'une fois, Ă  la fin. A none et pendant la liturgie des Dons prĂ©sanctifiĂ©s, on ne fait que la premiĂšre rĂ©citation, avec trois prosternations.

Cette priĂšre est construite selon un double mouvement, de la mĂȘme maniĂšre que le psaume pĂ©nitentiel 50[9], Ă  la fois de purification des fautes et d'ouverture Ă  la grĂące de Dieu, correspondant au double aspect de la conversion baptismale de la mort du vieil homme et de la naissance en un homme nouveau, de la mort et de la RĂ©surrection du Christ.

Selon le commentaire des PĂšres de l’Église orientale, elle suivrait l'ordre d'engendrement des passions comme des vertus. Ce serait de la paresse et du dĂ©couragement, compris comme absence d'effort dans la recherche d'une communion avec Dieu, que naĂźtrait le besoin de substitutions que sont le dĂ©sir de domination et le bavardage inutile. L'intĂ©gritĂ© (correspondant au grec ancien : ÏƒÏ‰Ï†ÏÎżÏƒÏÎœÎ·, sophrosunĂȘ : mot difficile Ă  traduire signifiant tout Ă  la fois intĂ©gritĂ©, chastetĂ©, virginitĂ© et modĂ©ration) est le contraire de la paresse comprise comme dispersement de ses forces et de ses dĂ©sirs. Quiconque se connaĂźt vĂ©ritablement dans son intĂ©gritĂ©, devient humble. Devenu humble, il est moins prompt Ă  condamner les autres et Ă  s'emporter contre eux ; sa vision s'est Ă©largie au-delĂ  de sa personne (il ne s'agit pas d'un aveuglement ni d'une indulgence, mais d'une comprĂ©hension). Le fruit de toutes les vertus, qui les couronne toutes, c'est l'amour (ou charitĂ©, c'est-Ă -dire l'agapĂš, un amour surnaturel, non pas un Ă©tat sentimental, mais selon la thĂ©ologie orthodoxe, la participation Ă  une Ă©nergie divine).

La structure du Grand CarĂȘme

Une semaine avant le carĂȘme, le jeĂ»ne commence progressivement par l'exclusion de la viande dans le rĂ©gime alimentaire, Ă  partir du Dimanche appelĂ© "de l'abstinence de viande". C'est Ă  partir du Dimanche du Pardon que s'initie vĂ©ritablement le Grand CarĂȘme et que commence le jeĂ»ne strict, en excluant dĂ©sormais tous laitages (et certains jours, l'huile et le vin).

Durant le Grand CarĂȘme, les pĂ©ricopes lues sont prises uniquement dans l'Ancien Testament, se concentrant sur le livre de la GenĂšse, le livre des Proverbes, et le livre d'IsaĂŻe.

Le Grand CarĂȘme s'achĂšve par le vendredi de la sixiĂšme semaine : au contraire des catholiques, les orthodoxes ne comptent pas la semaine sainte dans les quarante jours de carĂȘme. Le Samedi de Lazare, et le Dimanche des Rameaux prĂ©cĂšdent l'entrĂ©e dans la Semaine Sainte, et font office de rĂ©pit dans le jeĂ»ne (on peut manger des Ɠufs de poisson le samedi et du poisson le dimanche, qui est une des douze grandes fĂȘtes) ainsi que de transition entre l'esprit ascĂ©tique de la Sainte Quarantaine et l'esprit thĂ©ophanique de la Semaine Sainte. Ces quarante jours d'ascĂšse, fortement concentrĂ©s, dans l'hymnographie, sur le combat contre les passions et les appĂ©tits humains, sont Ă  l'origine un reflet des quarante jours du Christ au dĂ©sert aprĂšs le baptĂȘme dans le Jourdain[10].

En semaine, pas de liturgie sauf le mercredi et le vendredi, oĂč est cĂ©lĂ©brĂ©e la Liturgie des Dons prĂ©sanctifiĂ©s. Le samedi est cĂ©lĂ©brĂ©e la Liturgie de saint Jean Chrysostome, en mĂ©moire des dĂ©funts. Le dimanche, la Liturgie de saint Basile. Contrairement au reste de l'annĂ©e, le dimanche n'est pas le premier jour de la semaine, mais le dernier : le premier jour du carĂȘme est un lundi. Cette inversion du cycle habituel hebdomadaire est typique du Grand CarĂȘme, pendant lequel le rythme de la vie est comme inversĂ©. Dans l'antiquitĂ©, la pratique monastique Ă©tait d'ailleurs de commencer le jour liturgique avec les matines, et non les vĂȘpres comme cela se fait tout le reste de l'annĂ©e (selon Gn. 1, 5 : « Il y eut un soir, il y eut un matin ») : cette pratique s'est aujourd'hui restreinte Ă  la Semaine Sainte, mais manifeste aussi cette inversion du cycle temporel comme Ă©lĂ©ment fondamental du carĂȘme.

La PremiĂšre semaine de carĂȘme

  • Lundi pur, suivant le Dimanche du Pardon, premier jour du Grand CarĂȘme
  • Le Grand Canon de saint AndrĂ© de CrĂšte est lu aux Apodeipnons (grandes Complies) du lundi, mardi, mercredi et jeudi.
  • Samedi de saint ThĂ©odore Tiron (miracle liĂ© au jeĂ»ne).
  • Le Premier dimanche de carĂȘme (dernier jour de la premiĂšre semaine) est appelĂ© le Dimanche de l'Orthodoxie. Cette fĂȘte commĂ©more la victoire de l'Orthodoxie sur l'iconoclasme et le rĂ©tablissement de la vĂ©nĂ©ration des icĂŽnes.

La deuxiĂšme semaine de carĂȘme

Le DeuxiĂšme dimanche de carĂȘme (dernier jour de la deuxiĂšme semaine) est appelĂ© le Dimanche de saint GrĂ©goire Palamas ou Dimanche des Reliques. GrĂ©goire Palamas justifia la doctrine de l'hĂ©sychasme devant ses dĂ©tracteurs, en affirmant la possibilitĂ© pour l'homme de participer aux Ă©nergies incrĂ©Ă©es de Dieu.

La troisiĂšme semaine de carĂȘme

  • Le TroisiĂšme dimanche de carĂȘme est appelĂ© Dimanche de la Croix ; marquant la mi-carĂȘme, il est un encouragement dans la poursuite de l'effort. À travers la Croix, c'est dĂ©jĂ  la victoire sur la mort qui est cĂ©lĂ©brĂ©e. On se prosterne toute la semaine qui suit devant la Croix posĂ©e sur l'analogion au milieu de l'Ă©glise, y compris le dimanche. L'hymnographie du dimanche annonce dĂ©jĂ  la rĂ©surrection. Le mercredi et le vendredi de la semaine suivante, on chante un canon de la Croix.

La quatriĂšme semaine de carĂȘme

  • Le QuatriĂšme dimanche de carĂȘme est appelĂ© Dimanche de Jean Climaque, en mĂ©moire de ce saint rĂ©dacteur d'un des plus importants ouvrages de spiritualitĂ© du monachisme oriental.

La cinquiĂšme semaine de carĂȘme

La sixiĂšme semaine de carĂȘme

  • La sixiĂšme semaine rappelle la marche de JĂ©sus vers BĂ©thanie.
  • Le vendredi, veille du Samedi de Lazare, est le dernier jour du Grand CarĂȘme, ou Sainte Quarantaine. Le Samedi de Lazare et le Dimanche des Rameaux, trĂšs proches d'un point de vue hymnographique, sont deux jours Ă  part, et opĂšrent une transition vers la Semaine Sainte.

La FĂȘte de l'Annonciation

Cette fĂȘte fixe (le ) est presque toujours situĂ©e pendant la pĂ©riode du carĂȘme, dont les dates sont mobiles. En 1991, elle tomba le jour de PĂąques (cette coĂŻncidence se reproduira en 2075 ). Il arrive aussi que cette fĂȘte, quand PĂąques est tĂŽt dans l'annĂ©e, ait lieu hors du Grand CarĂȘme mais pendant la semaine sainte (comme en 2017, oĂč il fallut combiner les offices de Samedi Saint et de l'Annonciation). En de rares cas, elle tombe aprĂšs PĂąque, comme en 2010 (cette coĂŻncidence se reproduira en 2037). Dans ce cas, l'office cĂ©lĂ©brĂ© se nomme Kyriopascha, et est une combinaison Ă  peu prĂšs Ă©gale des hymnes des deux fĂȘtes.

Références

  1. Selon l'interprĂ©tation d'un des plus importants thĂ©ologiens orthodoxes du XXe siĂšcle, Alexandre Schmemann : « Avant tout le carĂȘme est un voyage spirituel et sa destination est PĂąques ». Le Grand CarĂȘme', Alexandre Schemann, Abbaye de Bellefontaine, 1974.
  2. « Toute la liturgie de l'Église est ordonnĂ©e autour de PĂąques, et, ainsi, l'annĂ©e liturgique, c'est-Ă -dire la succession des saisons et des fĂȘtes, devient un voyage, un pĂšlerinage vers PĂąques, vers la Fin qui est en mĂȘme temps le Commencement : fin de ce qui est vieux, commencement de la vie nouvelle, un passage constant de ce monde au Royaume dĂ©jĂ  rĂ©vĂ©lĂ© en Christ. » in Le Grand CarĂȘme, Alexandre Schmemann, Abbaye de Bellefontaine, 1974.
  3. Abba, dis moi une parole, Apophtegmes des PÚres du désert, choisis et traduit par Lucien Regnault, Solesmes, 1998, p. 47.
  4. Luc, 18:10-14
  5. dimanche du publicain et du pharisien
  6. Par l'italien, du latin carnem et levare : « ĂŽter la viande Â».
  7. Matthieu 15
  8. Le Grand CarĂȘme, Alexandre Schmemann, Abbaye de Bellefontaine, 1974, p. 45.
  9. Numérotation de la Septante.
  10. Initialement, il y avait trois jeûnes dans l'année liturgique, tous les trois de 40 jours : celui de Noël, qui dure toujours 40 jours (pour le PÚre, qui envoie son Fils sur terre), celui de Pùques, qui dure toujours 40 jours (pour le Fils, qui se sacrifie pour le monde), et celui qui suivait la PentecÎte (pour le Saint Esprit, qui guide les hommes dans la mission) : celui-ci aurait ensuite été divisé en deux, et est à l'origine du jeûne des apÎtres, qui a une durée variable, et celui de la MÚre de Dieu, qui dure 14 jours en août.

Bibliographie et liens externes

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