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Camp d'internement de Ketschendorf

Le camp d’internement de Ketschendorf est un camp de prisonniers de guerre allemands dans Zone d'occupation soviĂ©tique en Allemagne sur le territoire de la commune de Ketschendorf, proche de FĂŒrstenwalde/Spree dans le Brandebourg. Il est communĂ©ment appelĂ© le camp spĂ©cial no 5 car il est le cinquiĂšme d’un complexe de 10 camps similaires des troupes d’occupation soviĂ©tiques, les Speziallager. Il fut en fonction d’avril 1945 Ă  fĂ©vrier 1947. Le camp fut crĂ©Ă© par le Commissariat du peuple aux Affaires intĂ©rieures ou NKVD Ă  la fin d’avril 1945 sur le terrain d’une ancienne citĂ© ouvriĂšre et de l’usine de fabrication de cĂąbles (Deutsche Kabelwerke). Pendant la pĂ©riode de stalinisation de la partie allemande occupĂ©e par les SoviĂ©tiques, environ 18 000 civils et soldats faits prisonniers par l’armĂ©e de libĂ©ration russe, dite ROA, ont Ă©tĂ© internĂ©s dans ce camp sans jugement prĂ©alable. Il a Ă©tĂ© dirigĂ© par le major AndreĂŻev[2] Le camp spĂ©cial no 5 n’est pas un camp de prisonniers de guerre classique composĂ© uniquement de soldats ayant combattu l’ennemi sur le champ de bataille. On y trouvait aussi des anciens membres du parti national-socialiste, des opposants Ă  la politique d’occupation soviĂ©tique et plus de 1600 adolescents entre 12 et 18 ans auxquels l’occupant russe reprochait de faire de la rĂ©sistance contre l’occupant soviĂ©tique de par leur ancienne appartenance Ă  la en tant que partisans aux Jeunesses hitlĂ©riennes ou Ă  la Werwolf. Le camp de Ketschendorf fut dissous le 17 fĂ©vrier 1947 tandis que les prisonniers internĂ©s dans ce camp furent transfĂ©rĂ©s soit dans d’autres camps spĂ©ciaux sur le sol allemand comme ceux de Buchenwald, Jamlitz, MĂŒhlberg et FĂŒnfeichen, soit dans les camps du Goulag en SibĂ©rie[3] (OpĂ©ration appelĂ©e transport des toques de fourrure)[4]. Dans ce camp d’internement, plus de 4 500 personnes moururent de maladie, de faim, d'Ă©puisement ou de mauvais traitements[5]. Ils furent enterrĂ©s dans des fosses communes entre le camp et l’actuelle autoroute A 12.

Camp d'internement de Ketschendorf
GedenkstÀtte_Speziallager_Ketschendorf.jpg
Monument du souvenir du camp d'internement de Ketschendorf.
Présentation
Nom local Internierungslager Ketschendorf Speziallager Nr. 5
Type Camp de prisonniers de guerre, Camp d’internement
Gestion
Utilisation originelle CitĂ© ouvriĂšre de l’usine de fabrication de cĂąbles Deutsche Kabelwerke AG[1]
Date de création Avril 1945
Créé par NKVD
Géré par NKVD
Dirigé par Major Andreïev
Date de fermeture 17 février 1947
Fermé par Gouvernement soviétique
Victimes
Type de dĂ©tenus Opposants Ă  la force d’occupation soviĂ©tique dont des adolescents ayant Ă©tĂ© membres des Jeunesses hitlĂ©riennes ou de la Werwolf , prisonniers de guerre, volontaires russes appartenant Ă  l’ArmĂ©e Vlassov, prisonniers civils.
Nombre de détenus max. 18000
Morts 4722
GĂ©ographie
Pays Drapeau de l'Allemagne Allemagne
RĂ©gion Drapeau de Brandebourg Brandebourg
FĂŒrstenwalde FĂŒrstenwalde
CoordonnĂ©es 52° 20â€Č 10″ nord, 14° 05â€Č 10″ est

Notes Le camp spĂ©cial no 5 fait partie des 10 camps spĂ©ciaux du NKVD dont les neuf autres furent : no 1 MĂŒhlberg, no 2 Buchenwald / Weimar, no 3 Hohenschönhausen / Berlin, no 4 Bautzen, no 6 Jamlitz, no 7 Weesow / Werneuchen transfĂ©rĂ© Ă  Sachsenhausen / Oranienburg, no 8 Torgau -Fort Zinna caserne Seydlitz, no 9 FĂŒnfeichen / Neubrandenburg, no 10 Torgau (Fort Zinna) comme regroupement du no 8 et d’une prison de Francfort/Oder

Fonction et fonctionnement du camp

DĂ©nazifier et staliniser

ConformĂ©ment Ă  la directive 00315 du rĂšglement du NKVD datĂ©e du 18 avril 1945[6], les camps spĂ©ciaux, en russe Spezlagerija, avaient de maniĂšre gĂ©nĂ©rale la fonction premiĂšre « d’épurer les troupes armĂ©es de l’armĂ©e rouge de tout Ă©lĂ©ment ennemi ou subversif sur le front arriĂšre »[7]. De facto, comme dans les autres camps rĂ©partis sur le sol de l'ancienne Allemagne de l'Est, les personnes internĂ©es dans le camp de Ketschendorf furent celles dont l’administration soviĂ©tique estimait qu’elles avaient servi le rĂ©gime nazi de maniĂšre active ou bien celles qu’elle considĂ©rait comme dangereuses et rebelles vis-Ă -vis de le l’occupant soviĂ©tique en Allemagne de l’Est[8]. Il s’agit Ă  la fois d’une stratĂ©gie de dĂ©nazification, mais en mĂȘme aussi d’une mise au pas des Allemands qui n’accueillaient pas favorablement la mise en place d’un rĂ©gime marxiste-lĂ©niniste. Toutes les catĂ©gories sont concernĂ©es (hommes, femmes, adolescents, enfants, de 12 Ă  72 ans) et il n’était pas rare que l’arrestation se fasse sur la base de la dĂ©nonciation[9].

Toutes les deux semaines, le directeur gĂ©nĂ©ral de la division des camps spĂ©ciaux du MVD, le colonel Sviridov, envoie au vice-ministre de l'intĂ©rieur Ivan Serov un rapport classĂ© top secret oĂč il indique l'Ă©tat du contingent de prisonniers internĂ©s dans les camps spĂ©ciaux (le « Spezkontingent Â»). Dans celui du 24 mars 1947, donc peu aprĂšs la fermeture du camp de Ketschendorf, Sviridov et le chef du bureau d'ordre, le capitaine Skvorcov, dĂ©clarent Ă  leur supĂ©rieur 63394 dĂ©tenus, dont[10] :

  • 32211 ex-membres actifs du NSDAP ;
  • 10362 ex-collaborateurs de la Gestapo, du Sicherheitsdienst et d'autres organes rĂ©pressifs ;
  • 7198 condamnĂ©s civils et prisonniers de guerre ;
  • 5535 espions, saboteurs, Ă©lĂ©ments subversifs anticommunistes, terroristes des services secrets allemands ;
  • 4722 Membres de toutes les organisations et groupuscules sciemment infiltrĂ©s par les autoritĂ©s allemandes ou les services secrets au sein mĂȘme du territoire d'opĂ©ration de l'ArmĂ©e rouge Ă  des fins de dĂ©stabilisation du rĂ©gime ;
  • 2 433 hommes politiques Ă  la tĂȘte des administrations communales, cantonales et rĂ©gionales, les rĂ©dacteurs de journaux et magazines ou les Ă©crivains auteurs de publications antisoviĂ©tiques ;
  • 507 dirigeants d'organisations fascistes chargĂ©es de l'encadrement de la jeunesse ;
  • 426 responsables de stations de radio illĂ©gales, de camp de munition et d'imprimeries illĂ©gales[11].

Les chiffres montrent clairement que les camps spéciaux visent davantage les partisans ou présumés sympathisants de l'ancien régime nazi ou les opposants au nouveau maßtre des lieux que les prisonniers de guerre. Une police de sécurité d'état en remplace une autre en quelque sorte.

Le commissariat du peuple aux Affaires intĂ©rieures reçut du rĂ©gime soviĂ©tique les pleins pouvoirs pour gĂ©rer Ă  sa maniĂšre les conditions de dĂ©tention des citoyens allemands internĂ©s dans ces camps spĂ©ciaux par opposition aux autres pays d’occupation alliĂ©s occidentaux qui se rĂ©fĂ©raient Ă  la directive 38 du Conseil de contrĂŽle alliĂ© pour leurs camps de prisonniers[9]. DĂšs leur arrivĂ©e au camp, les prisonniers subissaient des interrogatoires le plus souvent la nuit dans les salles du sous-sol que l’on nomme usuellement « caves GPU Â»[12] du nom de la police secrĂšte soviĂ©tique de l’époque (ĐžĐ±ŃŠĐ”ĐŽĐžĐœŃ‘ĐœĐœĐŸĐ” ĐłĐŸŃŃƒĐŽĐ°Ń€ŃŃ‚ĐČĐ”ĐœĐœĐŸĐ” ĐżĐŸĐ»ĐžŃ‚ĐžŃ‡Đ”ŃĐșĐŸĐ” упраĐČĐ»Đ”ĐœĐžĐ”, signifiant administration nationale politique unifiĂ©e, OGPU) qui deviendra le KGB. D'ailleurs, le supĂ©rieur hiĂ©rarchique du major AndreĂŻev le vice-ministre de l'intĂ©rieur Ivan Serov sera le premier directeur gĂ©nĂ©ral du KGB en 1954. Avec menace ou utilisation de la torture, on leur extorquait des aveux reportĂ©s dans un document Ă©crit en alphabet cyrillique qu’ils devaient signer[9]. Il n’y a pas eu de jugement devant un tribunal et les dĂ©tenus n’ont pas de justification officielle de leur arrestation.

Entre 1945 et 1947, les dirigeants des camps spĂ©ciaux avaient Ă©voluĂ© dans leur façon expĂ©ditive d'accueillir les nouveaux dĂ©tenus. Avec le temps, certains directeurs de camps refusaient d'emprisonner une personne dont la peine d'internement n'avait pas Ă©tĂ© prononcĂ©e et signĂ©e par un juge. Ceci contraria le ministre de la SĂ©curitĂ© d'État, Viktor Abakoumov, qui Ă©crit le 13 mars 1947 un courrier de rĂ©clamation au ministre de l'IntĂ©rieur, le gĂ©nĂ©ral Kruglov, pour qu'il ordonne aux chefs de camps de poursuivre l'incarcĂ©ration de prisonniers dans les camps spĂ©ciaux y compris quand la peine n'a pas Ă©tĂ© sanctionnĂ©e par un juge du parquet[13]. Il semble que son injonction n'ait pas Ă©tĂ© complĂštement entendue puisque, trois plus tard, la demande est rĂ©itĂ©rĂ©e le 24 juin 1947 par le parquet judiciaire militaire reprĂ©sentĂ© par le gĂ©nĂ©ral d'armĂ©e B.Ć aver qui demande Ă  Sviridov de continuer Ă  emprisonner des personnes dans les camps spĂ©ciaux sans qu'aucun jugement n'ait Ă©tĂ© prononcĂ©[14] car c'est en quelque sorte la vocation d'un camp spĂ©cial de rĂ©pondre Ă  l'urgence que fait naĂźtre le combat quotidien contre les Ă©lĂ©ments subversifs et anticommunistes.

Description et vie au camp

Le major AndreĂŻev qui dirige le camp spĂ©cial no 5 Ă  FĂŒrstenwalde-Ketschendorf est considĂ©rĂ© par sa hiĂ©rarchie comme « le plus expĂ©rimentĂ© Â» [15]; c'est pourquoi, quand le camp spĂ©cial no 5 sera fermĂ©, son supĂ©rieur, le colonel Sviridov demande le 10 fĂ©vrier 1947 en mĂȘme temps que d'envoyer son rapport bihebdomadaire au MVD sur le contingent de prisonniers (Il annonce 74401 dĂ©tenus dans 8 camps spĂ©ciaux et une prison) que le major AndreĂŻev soit nommĂ© directeur du camp no 2 Ă  Buchenwald Ă  la place du capitaine Matuskov qu'il propose d'envoyer dans les rangs des cadres supĂ©rieurs du MVD, ce qui sonne objectivement comme une voie de garage pour sa carriĂšre. Ivan Serov appose sa signature et Ă©crit Ă  la main en bas de la lettre de Sviridov: « ApprouvĂ© Â»[15].

Les bĂątiments de la citĂ© ouvriĂšre de l’usine de cĂąble « Deutsche Kabelwerke Â» furent rĂ©quisitionnĂ©s, transformĂ©s, sĂ©curisĂ©s et entourĂ©s d’une palissade de planches haute de 2,50 m pourvue de fil barbelĂ© et contrĂŽlĂ©e par des miradors. Les habitants de la citĂ© construite Ă  l’origine pour environ 500 personnes avaient dĂ» Ă©vacuer leur logement de maniĂšre prĂ©cipitĂ©e. Les prisonniers se composaient Ă  environ 66 % d’hommes adultes, 14 % respectivement d’adolescents masculins, % de femmes et jeunes filles, 14 % de ressortissants soviĂ©tiques volontaires des bataillions de combat allemands dans l’armĂ©e Vlassov et quelques civils de toutes les nationalitĂ©s pour le reste[16].


Les prisonniers vivaient et dormaient Ă  mĂȘme le sol, parfois sur le bĂ©ton nu, dans les caves, les appartements de la citĂ©, les couloirs, entassĂ©s sur des espaces rĂ©duits jusque dans les combles. Il fallut attendre les milliers de dĂ©cĂšs de l’hiver 1945-46 pour que augmenter l’espace de vie des prisonniers[16]. Les conditions d’hygiĂšne Ă©taient dĂ©plorables, les dĂ©tenus Ă©taient entourĂ©s d’insectes nuisibles. La toilette se faisait Ă  l’extĂ©rieur dans des auges oĂč l’eau gelait pendant les mois d’hiver. Toutes les 2 semaines, les geĂŽliers Ă©pouillaient les prisonniers. Le taux Ă©levĂ© de mortalitĂ© Ă©tait dĂ» Ă  la sous-alimentation, les maladies et l’absence de soins mĂ©dicaux, mais aussi le manque d’activitĂ© physique et d’occupation quelconque. D’aprĂšs les estimations actuelles, pendant ces deux annĂ©es du camp, 4722 personnes ont trouvĂ© la mort. Ils furent enterrĂ©s Ă  l’extĂ©rieur du camp Ă  proximitĂ© de l’autoroute A 12 plus tard dans des petites fosses et vers la fin du camp dans de grandes fosses communes. En cas de dissolution d’un camp, les transferts de celui-ci vers un autre camp se transformaient en marche de la mort car ils avaient lieu par un froid glacial et dans des conditions inhumaines pendant de nombreux jours voir de nombreuses semaines [17].

Les prisonniers des camps spĂ©ciaux furent libĂ©rĂ©s Ă  partir de juillet 1948 sur dĂ©cision du gouvernement de l’Union soviĂ©tique. La dissolution des camps fut dĂ©finitive en 1950. Cela ne signifie pas que tous les dĂ©tenus du camp d’internement de Ketschendorf ayant survĂ©cu aux mauvaises conditions de vie soient revenus dans leurs foyers. En effet, quand le camp de Ketschendorf fut fermĂ© en mars 1947, la plupart des prisonniers furent transfĂ©rĂ©s dans d’autres camps spĂ©ciaux de la zone d’occupation soviĂ©tique, mais quelques-uns furent Ă©galement envoyĂ©s dans les camps du goulag en SibĂ©rie. C'est le cas au camp no 5 comme des autres; une commission d'enquĂȘte a dĂ©cidĂ© conformĂ©ment Ă  l'ordonnance no 001196 du MVD en date du 26 dĂ©cembre 1946 de faire partir en URSS 5232 prisonniers sĂ©lectionnĂ©s pour le travail forcĂ©. Le 8 fĂ©vrier 1946, ces dĂ©tenus sont acheminĂ©s par train Ă  Brest d'oĂč ils partent pour la SibĂ©rie. A cette date, environ 69000 prisonniers sont dĂ©tenus dans les camps spĂ©ciaux et les commandants de camps annoncent qu'il y a encore de la place pour 30 000 personnes.

Un autre problÚme se pose au camp no 5 avec les détenus ùgés de plus de 45 ans et la capacité à travailler. Dans un rapport du 15 décembre 1946, le commandant du camp déclare avoir :

  • 2743 dĂ©tenus en-dessous de 45 ans dont 1665 hommes et 323 femmes sont aptes Ă  travailler;
  • 2349 dĂ©tenus au-dessus de 45 ans dont 685 hommes et 85 femmes sont aptes Ă  travailler.

Cela reprĂ©sente 45 % du contingent total qui sont considĂ©rĂ©s inaptes au travail sans que le rapport ne dise pour quelle raison. C'est probablement le cas dans d'autres camps spĂ©ciaux. Le 20 mars 1947, le colonel Sviridov demande par consĂ©quent Ă  Serov de libĂ©rer les personnes ayant plus de 45 ans pour inaptitude au travail, soit 13709 prisonniers sur 61 200 personnes internĂ©s en vertu de l'ordonnance du NKVD no 00315 du 18 avril 1945. Cela reprĂ©sente 22 % du total des dĂ©tenus[6]. En 1947, de moins en moins de prisonniers arrivent dans le camp de FĂŒrstenwalde-Ketschendorf et l'atmosphĂšre gĂ©nĂ©rale va plutĂŽt dans le sens de la libĂ©ration de certaines catĂ©gories de prisonniers. C'est pourquoi la fermeture du camp no 5 est entĂ©rinĂ©e[6].

Le sort de certains prisonniers est encore inconnu Ă  ce jour. AprĂšs la dissolution du camp numĂ©ro 5 en 1947, les bĂątiments furent rendus Ă  la commune pour une utilisation Ă  des fins civiles ; celle-ci prĂ©tend ne pas avoir Ă©tĂ© informĂ©e de l’existence des fosses communes [17]. Avant de libĂ©rer les prisonniers des camps spĂ©ciaux, l’autoritĂ© soviĂ©tique a fait signer une obligation de rĂ©serve qui revenait Ă  leur imposer la non divulgation des conditions de vie et d’internement dans les camps sous peine d’ĂȘtre Ă  nouveau emprisonnĂ©s [17].

Exhumation, réinhumation et mémoire difficile en RDA

Les membres des familles des prisonniers morts dans le camp qui avait Ă©tĂ© informĂ©s du dĂ©cĂšs de leurs proches et de l’endroit oĂč se trouvaient les fosses communes malgrĂ© l’injonction faite aux ex-prisonniers de ne pas divulguer cette information, sont venues apporter les fleurs sur les tombes [18]. Le rĂ©gime socialiste de la RDA, pays frĂšre de l’URSS, partageait sans surprise les convictions des soviĂ©tiques concernant le dĂ©dain qu’ils ressentaient pour les anciens combattants de l’armĂ©e allemande sur le front de l’Est et tous les opposants Ă  la rĂ©volution communiste. Le conseil municipal de la commune de Ketschendorf s’opposait par conviction idĂ©ologique Ă  tout travail de mĂ©moire qui concernerait les personnes non grata dĂ©signĂ©es de maniĂšre collective en RDA par le terme de fasciste. Pendant la nuit, la police du peuple enlevait tout ce qui avait Ă©tĂ© dĂ©posĂ© Ă  l’endroit des fosses communes puisqu'un tel acte de mĂ©moire pour des ennemis de la nouvelle Allemagne correspondait Ă  une infraction contre l’ordre dĂ©mocratique et antifasciste du pays [18].

Avec la chute du mur de Berlin, le travail de mĂ©moire s’en trouve facilitĂ©. Au dĂ©but de l’annĂ©e 1990, les survivants du camp de Ketschendorf se rassemblĂšrent et organisĂšrent le 8 mai 1990 une cĂ©rĂ©monie du souvenir pour leurs camarades morts dans le camp spĂ©cial no 5. Un monument a Ă©tĂ© Ă©rigĂ© Ă  l’emplacement des fosses communes. Les autoritĂ©s russes autorisĂšrent l’accĂšs libre aux piĂšces d’archives qui permirent de connaĂźtre l’identitĂ© et le nombre de prisonniers du camp spĂ©cial numĂ©ro 5 ainsi que les noms des personnes dĂ©cĂ©dĂ©es dans le camp puisqu’il y avait un registre des dĂ©cĂšs. AprĂšs avoir traduit leur nom Ă  partir de la forme russe cyrillique, il fut possible de redonner leur nom d’origine aux personnes enterrĂ©es de maniĂšre anonyme dans les fosses communes. Une stĂšle commĂ©morative a Ă©tĂ© Ă©rigĂ©e Ă  l’emplacement des fosses communes du camp spĂ©cial avec le soutien de Service pour l’entretien des sĂ©pultures militaires allemandes et le financement du land de Brandebourg. Des cĂ©rĂ©monies du souvenir y ont lieu chaque annĂ©e[19]. Le site du camp spĂ©cial no 5 est gĂ©rĂ© par une association Ă  but non lucratif nommĂ©e Initiativgruppe Internierungslager Ketschendorf e .V.. Elle est membre de l’organisation parapluie Union des fĂ©dĂ©rations de victimes de la terreur communiste (UOKG) et collabore avec d’autres associations de victimes d’horizons diffĂ©rents[20].

Transfert des dépouilles à Halbe

Plaques nominatives des prisonniers du camp spécial n° 5 transférés au cimetiÚre boisé d'Halbe.

En 1952, plusieurs milliers de cadavres furent dĂ©couverts lors de travaux d’excavation pour la construction d’immeubles. Sur l’initiative d’un pasteur luthĂ©rien, Ernst Teichmann, leurs dĂ©pouilles enterrĂ©es dans ces fosses communes furent exhumĂ©es et transfĂ©rĂ©es au cimetiĂšre boisĂ© d'Halbe[21]. EscortĂ© par les services du ministĂšre de la SĂ©curitĂ© d’État, les restes des prisonniers ont Ă©tĂ© transportĂ©s dans 30 camions et enterrĂ©s dans le cimetiĂšre brandebourgeois situĂ© sur les lieux de la bataille meurtriĂšre de la poche d'Halbe[22]. Il fut interdit au pasteur d’indiquer nominativement l’identitĂ© et le nombre de morts sur les pierres tombales. À l’époque de la RDA, ils Ă©taient considĂ©rĂ©s comme « soldats inconnus ». AprĂšs 1986, un monument du souvenir fut Ă©rigĂ© en mĂ©moire des victimes de la terreur stalinienne.

La situation s’amĂ©liore aprĂšs la rĂ©unification de l’Allemagne : le Volksbund Deutsche KriegsgrĂ€berfĂŒrsorge , Service pour l’entretien des sĂ©pultures militaires allemandes (SESMA), fit mettre en 2004 dans le bloc 9 du cimetiĂšre militaire d'Halbe 49 plaques nominatives avec les noms des 4620 victimes du camp connues Ă  cette date. Des bĂ©nĂ©voles du monde associatif soutenus par le service de recherche de la Croix-Rouge, parviennent Ă  reconstituer les noms des personnes dĂ©cĂ©dĂ©es avec la graphie la plus juste authentique possible afin de rĂ©aliser les plaques commĂ©moratives nominatives [18]. Le travail d’identification des dĂ©tenus dĂ©cĂ©dĂ©s se poursuit d’annĂ©e en annĂ©e ; en 2009, trois nouvelles stĂšles sont ajoutĂ©es pour corriger et complĂ©ter les prĂ©cĂ©dentes. Dans les annĂ©es 2013-2014, un registre des dĂ©cĂšs comportant le nom, le prĂ©nom, la date de naissance, le lieu de naissance, le dernier domicile et date de dĂ©cĂšs des prisonniers fut rĂ©alisĂ© pour toutes les personnes internĂ©es dans ce camp. On peut y trouver les noms de 4722 victimes du temps, soit 100 personnes de plus que celles recensĂ©es dix ans plus tĂŽt.

Références

  1. (de) ChaĂźne de tĂ©lĂ©vision MDR, « Vergessene Wurzeln : Das Speziallager Ketschendorf », Émission Zeitreise, sur TĂ©lĂ©vision MDR, (consultĂ© le ).
  2. (de) Ralf Possekel, Sowjetische Dokumente zur Lagerpolitik [« Documents soviĂ©tiques relatifs Ă  la politique des camps »], Walter de Gruyter, , 424 p. (ISBN 978-3-05-007473-3), p. 276. Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article.
  3. (de) Karl Wilhelm Fricke, Politik und Justiz in der DDR : zur Geschichte der politischen Verfolgung 1945-1968, Cologne, Verl. Wissenschaft und Politik, , 675 p. (ISBN 3-8046-8568-4), p. 95.
  4. (de) Eva Ochs, Heute kann ich das ja sagen : Lagererfahrungen von Insassen sowjetischer Speziallager in der SBZ/DDR, Cologne, Böhlau Verlag, , 343 p. (ISBN 978-3-412-01006-5), p. 84.
  5. (de) Spiegel, « SchlĂ€ge mit Stacheldraht », Magazine SPIEGEL,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  6. Possekel 2014, p. 279-280.
  7. DĂ©finition gĂ©nĂ©rale du site WikipĂ©dia en allemand, dans l’article : Speziallager.
  8. (de) Eckhard FichtmĂŒller (dir.), Die Straße, die in den Tod fĂŒhrte: Das sowjetische Internierungslager Ketschendorf Speziallager Nr.5 Initiativgruppe IKSL 5, dĂ©cembre 2016.
  9. FichtmĂŒller 2016, p. 2
  10. Possekel 2014, p. 280, doc. no 67..
  11. Lettre dactylographiée no 600660, top secret, tapée à Berlin le 24 mars 1947 - GA RF, f° 9401, op. 1, d. 4152, l.77 - Rapport bihebdomadaire du nombre des détenus de la division des camps spéciaux au vice-ministre de l'intérieur Serov.
  12. (de) Peter Erler et Ekkehard Schultz, GPU Keller : Arrestlokale und UntersuchungsgefÀngnisse sowjetischer Geheimdienste in Berlin 1945-1949, Bund der Stalinistisch Verfolgten e.V., coll. « Services secrets », , 77 p..
  13. Possekel 2014, p. 277-278.
  14. Possekel 2014, p. 285.
  15. Possekel 2014, p. 276-277.
  16. FichtmĂŒller 2016, p. 3.
  17. FichtmĂŒller 2016, p. 4.
  18. FichtmĂŒller 2016, p. 5.
  19. FichtmĂŒller 2016, p. 7.
  20. FichtmĂŒller 2016, p. 8.
  21. Béatrice Angrand et Markus Ingenlath (dir.), « Lieux de mémoire : 100 projets pour la paix », sur Office franco-allemand de la jeunesse, .
  22. (en) Tony Le Tissier, Slaughter at Halbe. The Destruction of Hitler's 9(th) Army, Londres, Sutton, (1re Ă©d. 2005).
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