Bataille de Montaigu (16 septembre 1793)
La première bataille de Montaigu a lieu lors de la guerre de Vendée initiale. Après avoir pris Legé sans combattre, les Républicains rattrapent les Vendéens à Montaigu le et les mettent en déroute. Ils prennent ensuite Clisson le lendemain.
Date | |
---|---|
Lieu | Montaigu |
Issue | Victoire républicaine |
Républicains | Vendéens |
8 000 hommes[1] | ~ 10 000 hommes |
Coordonnées | 46° 58′ 25″ nord, 1° 18′ 31″ ouest |
---|
Prise de Legé par les républicains
Le , les républicains de l'armée de Mayence et de l'armée des côtes de Brest poursuivent leurs succès en Vendée. Couëtus a été battu la veille, près de Saint-Jean-de-Corcoué, tandis que Lyrot est repoussé aux Sorinières par Beysser qui occupe ensuite Machecoul. Des milliers de réfugiés convergent sur Legé, quartier-général du général vendéen Charette. Celui-ci se sait désavantagé par le désordre et la panique qui ont gagné les civils et de nombreux soldats. À l'aube du , alors que les républicains sont en approche, il fait mine d'accepter le combat et déploie sa cavalerie. Il couvre la fuite de son infanterie et des civils pendant que les républicains prennent position, puis se retire à son tour, laissant Legé totalement abandonnée[4]. La division du général Kléber entre la première dans la ville et y délivre 1 200 prisonniers patriotes, militaires et civils, qui y étaient emprisonnés[1]. Le général Beysser arrive peu après et ses troupes mettent la ville au pillage[1].
DĂ©roulement
Les républicains se mettent en marche sur trois colonnes pour attaquer Montaigu. La première, commandée par le général Aubert-Dubayet, part de Rocheservière. La deuxième, sous les ordres de Kléber, la flanque sur la gauche en partant de Remouillé. Sur le flanc droit, la troisième colonne commandée par Beysser, forte de 6 000 hommes, doit partir de Mormaison[1].
Le , au soir, la colonne de Beysser arrive la première en vue de Montaigu. Le combat s'engage le lendemain matin malgré une forte pluie. Les Vendéens se portent à la rencontre des républicains et la fusillade commence près du bourg de Saint-Georges-de-Montaigu. Les belligérants s'affrontent pendant plusieurs heures dans un combat de tirailleurs[3].
De son côté, parti à sept heures du matin de Remouillé, Kléber est retardé par un accident de son train d'artillerie, mais il arrive à son tour à Montaigu[1]. La vue de cette seconde colonne provoque la panique des Vendéens qui se débandent en direction de Clisson. La cavalerie de Bouin de Marigny se lance alors à leur poursuite et sabre de nombreux fuyards[3].
Kléber entend profiter de la déroute demande au représentant Turreau l'autorisation de foncer sur Clisson. Malgré l'avis favorable du représentant il se heurte au général Beysser qui estime ses troupes trop épuisées pour continuer la marche. Les républicains restent alors à Montaigu et la ville, désertée par ses habitants, est pillée par les troupes républicaines. Selon les mémoires de Kléber, le général Beysser y prend lui-même part[1].
Au soir, la colonne de Beysser reste à Montaigu, tandis que celle de Kléber regagne Remouillé et que celle de Dubayet, qui n'a pas vu le combat, rétrograde sur Rocheservière[1].
Pertes
Du côté des républicains, les pertes sont assez légères. Dans ses mémoires, Kléber écrit que sa colonne n'a perdu qu'un officier tué et quatre hommes blessés, dont un officier[1]. Les pertes de Beysser sont plus importantes, sa colonne ayant combattu plus longuement. L'officier vendéen Pierre-Suzanne Lucas de La Championnière mentionne notamment dans ses mémoires l'action d'une dizaine de hussards, tués après s'être jetés au milieu de l'armée royaliste[3].
Côté vendéen, les pertes sont bien plus lourdes, particulièrement lors de la déroute. Kléber écrit qu'il vit le faubourg de Montaigu « jonché de cadavres des rebelles[1] ». D'après Lucas de La Championnière, au moins 600 hommes « tombèrent sous le fer des cavaliers[3] ».
Selon l'almanach historique de 1793, le combat fait 7 morts et 50 blessés chez les républicains et 1 500 tués chez "les Brigands"[2].
Prise de Clisson par les républicains
Le lendemain, , les brigades de Kléber et Beaupuy se mettent en route sur Clisson qui est prise sans combat, les républicains n'y trouvent que quelques femmes qui les acclament[4].
« Le 14 septembre, je me mis en marche dès qu'il fit jour. Marigny, Merlin et moi, avec quelques ordonnances et quelques officiers de l'état-major, nous précédâmes la troupe et avançâmes assez inconsidérément à travers un pays très coupé, jusque dans la plaine en forme de glacis que domine Legé. Sitôt que l'ennemi nous aperçut, il nous salua de quelques coups de canon et, incessamment après, il nous donna un instant l'espoir de vouloir nous combattre en bataille rangée ; car nous vîmes sortir, par les chemins des deux extrémités de la ville, deux colonnes de cavalerie, les enseignes déployées, et faisant mine, par une manœuvre assez régulière, de venir à nous.
J'envoyais de suite un officier de l'état-major pour faire avancer la cavalerie et l'infanterie légère, qui ne tardèrent pas à arriver. Mais ce qui nous étonna beaucoup, c'est que cet ennemi, qui annonçait une si bonne contenance, rentra dans la ville, avant de s'être déployé, par un mouvement aussi régulier et aussi grave. On aurait dit qu'il voulait nous porter le défi d'y aller chercher.
La cavalerie fut mise en bataille à l'entrée de la plaine. Marigny envoya quelques patrouilles et quelques vedettes en avant ; je fis filer à droite et à gauche l'infanterie dans le bois, qui, des deux côtés de la route, s'avance en demi-cercle vers la ville, avec ordre de se tenir soigneusement caché dans les broussailles. Enfin ma brigade entière arrive à son tour, je lui fait faire halte et, la divisant en deux parties, je donnai à chaque chef de brigade les ordres nécessaires pour attaquer le poste par les deux chemins qui y conduisent ; l'heure de l'attaque était arrivée et nous n'attendions plus que le signal que devait donner Beysser, pour nous porter en avant.
Cependant les patrouilles vinent nous dire que l'on ne voyait personne autour des murs et que la ville même paraissait tranquille et déserte. Je demandai alors au général Canclaux la permission d'y envoyer, avec un peu de cavalerie, mon aide de camp Buquet, pour examiner la chose de plus près et nous en rendre un compte exact. J'obtins aisément son consentement et Buquet s'avança avec Decaen, adjoint, et plusieurs chasseurs ; mais en ne voyant pas de canonniers proches de la pièce qui était en avant de la ville, ils en conclurent que l'ennemi avait pris la fuite et y entrèrent. Ils nous en firent prévenir sur-le-champ et, ouvrant les portes des prisons, ils en firent sortir près de douze cents malheureuses victimes de tout sexe et de tout âge, que les Rebelles avaient incarcérés pour faits de patriotisme. Rien n'était si touchant que de voir ces martyrs de la liberté s'élancer au-devant de nous, nous serrer les mains, nous embrasser en nous appelant leurs libérateurs et en faisant retentir les airs des cris de : Vive la République !
Dans la crainte d'un méprise de la part de Beysser, il fallait le faire prévenir de tout ce qui s'était passé. Buquet et Decaen d'un côté et Lavalette, aide de camp du général Canclaux, de l'autre, se chargèrent de cette mission. Ils furent d'abord accueillis par quelques coups de fusils ; mais ils sont enfin reconnus et portent à ce général la nouvelle de la prise de Legé. Il entra dans la ville, une demi-heure après nous, à la tête de sa troupe qui avait trouvé Machecoul évacué. Les prisonniers patriotes, dont il vient d'être parlé, nous apprirent que, dès la veille, à dix heures du soir, l'ennemi commença par évacuer la ville, et que cette évacuation dura jusqu'à quatre heures du matin ; qu'un des chefs, avec quatre cents chevaux environ, y était seul resté pour protéger la retraite, jusqu'au moment de notre arrivée. La ville fut mise au pillage, par les troupes de Beysser exclusivement. Mon avant-garde reçut l'ordre de se rendre de suite à la Grolle. La division de Beysser se rendit également le même soir à Rocheservière.
Nous espérions tous que Dubayet, avec sa colonne, aurait intercepté les quatre cents cavaliers ennemis qui venaient d'abandonner Legé ; mais, malgré toute la diligence qu'il mit dans sa marche, il arriva trop tard. Dubayet passa la nuit dans les landes en deçà de Rocheservière, et Montaigu devint le nouveau lieu de rassemblement des fanatiques.
Mon avant-garde arriva tard à la Grolle, par une nuit très obscure et une pluie abondante ; elle passa la nuit au bivouac, car ce village indiqué, comme plusieurs autres, en grands caractères sur la carte de Bretagne, est composé de dix à douze maisons éloignées les unes des autres.
Le lendemain, Dubayet vint me remplacer à la Grolle et jeta la brigade aux ordres du général Beaupuy à Vieillevigne. Mon avant-garde eut ordre de se rendre à Remouillé, pour être, le jour suivant, à portée de coopérer à l'attaque de Montaigu. Marigny avait pris le devant avec sa cavalerie soutenue de son infanterie légère ; le pays était très difficultueux. Je restai de ma personne à la tête de ma brigade. Marigny rencontra à Remouillé environ quatre cents brigands, leur donna la chasse et en tua plusieurs. Merlin, lui-même, enleva d'un coup de sabre le crâne d'un de ces Brigands, qui, dans leur fuite, se dirigèrent sur Montaigu. Je fis établir de fortes gardes et, après avoir indiqué à la troupe les lieux de rassemblements en cas l'alerte, je lui permis de se loger dans le village, presque entièrement abandonné par ses habitants.
A l'instant je reçois l'ordre de me rendre le lendemain à Montaigu par la route de Nantes à La Rochelle, et j'apprends que ma troupe, dans cette attaque, doit former la colonne de gauche ; que celle du centre doit être composée de l'armée aux ordres du général Dubayet, partant de Rocheservière, et celle de droite, formée par le corps de six mille hommes aux ordres de Beysser, qui, partant de Mormaison, se porterait sur la route de La Rochelle, du côté opposé.
Le moment du départ était fixé à sept heures du matin, et la colonne du centre devait donner le signal de l'attaque. Je pars à l'heure même, bien résolu de ne rien négliger pour mettre, dans notre marche, la plus grande célérité ; mais le malheur veut qu'un avant-train de la première pièce se brise dans le défilé, presque impraticable, au sortir du village, et interrompe la marche de la colonne ; les soldats sont obligés de filer un à un par les hauteurs, et cette manœuvre occasionne une grande perte de temps.
Malgré ce retard, mon avant-garde n'est plus qu'à un demi-quart de lieue de la ville, lorsque j'entends les premiers coups de canon. Je vole à la tête de ma troupe, j'ordonne à Marigny de se porter vivement en avant avec sa cavalerie, et je lui recommande de prendre le premier chemin qu'il trouvera à sa gauche, soit pour couper la retraite à l'ennemi s'il arrive assez tôt, soit pour lui tomber sur les flancs ou le charger en queue s'il le trouve en fuite ; il exécute mes ordres à son ordinaire, avec valeur et intelligence.
Je fais ensuite obliquer à gauche et par échelons à travers les buissons, les huit premières compagnies d'infanterie légère, pour soutenir et seconder Marigny dans son expédition ; j'envoie le deuxième bataillon de la même troupe fouiller un château et quelques fermes sur notre droite, d'où l'ennemi venait de nous tirer quelques coups de fusils, dont Merlin avait reçu une contusion au bras. Je m'avance moi-même au pas de charge avec le reste de ma brigade ; j'ordonne de faire main basse sur tout ce qui aura la témérité de nous attendre et j'arrive ainsi à la tête de ma colonne dans Montaigu au même instant que Beysser. Ma présence semble l'interdire ; mais les cris de : Vive la République ! Nous rallient aussitôt
Je perdis dans cette affaire un brave officier d'infanterie des Chasseurs de Kastel, qui a été tué en voulant débusquer l'ennemi d'un moulin à vent, à l'entrée du faubourg ; j'eus aussi quatre blessés, dont un autre officier des chasseurs à pied ; mais, en revanche, le faubourg par lequel je suis entré avec ma colonne fut jonché de cadavres des Rebelles, et Marigny, en poursuivant l'ennemi en fit pareillement un grand carnage.
Intimement convaincu des grands avantages qui pouvaient résulter de l'enthousiasme de nos soldats et de la terreur panique dont l'ennemi était frappé, je proposai à Beysser de nous mettre aux trousses des Brigands et de les poursuivre jusqu'à Clisson, sans leur donner le temps de se reconnaître. Turreau, représentant du Peuple, goûta ma proposition ; Beysser, au contraire, m'objecta avec humeur que sa troupe était excédée de fatigue, qu'elle venait de faire huit lieues et qu'elle avait besoin de repos . J'avais trop peu de monde pour exécuter, moi seul, cette entreprise ; je devais donc me conformer strictement à mon ordre et retourner à Remouillé.
La ville de Montaigu étant abandonnée de ses habitants, les colonnes y étaient à peine arrivées qu'elle fut livrée au plus affreux pillage. Ce qui m'étonna le plus, c'est que Beysser y participa lui-même et, sans s'occuper de sa troupe, sans songer même à prendre aucune précaution de sûreté, il s'abandonna aux plaisir de la table et à celui des femmes. J'allai le trouver pour le prier en grâce de faire battre la générale, afin que mon avant-garde, qui s'était confondue dans la ville, pût se rassembler et retourner à son poste ; il me le promit et, au bout d'une heure, les ordres qu'il a donnés à ce sujet furent enfin exécutés. Répugnant aux excès que je voyais commettre et qu'il n'était pas en mon pouvoir de réprimer, je chargeai l'adjudant-général Nattes de la conduite de la colonne, que j'allais attendre au village de Saint-Hilaire, sur le chemin de Remouillé.
Lorsque je la vis paraître, je jugeai bien qu'elle n'avait pas perdu son temps ; chacun était chargé de butin de toute espèce. L'homme le plus austère n'aurait pu s'empêcher de sourire en voyant les divers costumes sous lesquels plusieurs soldats s'étaient déguisés ; les soutanes, les surplis et les chasubles étaient surtout préférablement employés à ces mascarades. La colonne du centre, commandée par Dubayet, ne parut point. Sans doute, Canclaux, apprenant la prise de Montaigu, l'avait fait rétrograder.
Dès que ma troupe fut rentrée à Remouillé, je fis prendre une position militaire, elle passa la nuit au bivouac. De violentes altercations, qui s'élevèrent entre l'avant-garde légère et le reste de ma colonne, me déterminèrent à séparer les camps de ces deux corps par un ravin, en leur interdisant toute espèce de communication. Je leur parlais ensuite et j'eus le bonheur de ramener le calme et l'union.
Instruit qu'une brigade de la colonne d'Aubert-Dubayet, commandée par le général Beaupuy, s'était portée sur Aigrefeuille, je demandai au général Canclaux qu'elle agit de concert avec moi, pour l'expédition de Clisson, qu'il m'avait chargé d'enlever le lendemain ; il y consentit, en m'observant de ne m'en servir que comme d'un corps d'observation, qui couvrirait en même temps le parc d'artillerie resté à Aigrefeuille. Il ajouta dans sa lettre « que le rendez-vous pour Clisson soit donc pour demain à dix heures du matin. J'arriverai aussi vers cette heure-là à portée, avec deux cent grenadiers et deux cents chevaux, et si je trouve moyen de faire quelque chose sur la droite, je le ferai, ne fût-ce que poursuivre l'ennemi. Nous serons encore soutenu par la colonne de la première division, qui arrivera, sans doute, à peu près vers la même heure à Remouillé. Il faut enfin compléter la leçon donnée aujourd'hui, et que ces malheureux Brigands voient qu'ils n'auront ni paix ni trêve. » Et, sur la nouvelle que j'avais donnée à Canclaux que les Rebelles avaient fait un mouvement sur Maisdon, il me dit : « Le mouvement que les Rebelles ont fait sur Maisdon provient, sans doute, de ce qu'ils ont auront aperçu le bataillon que le général Grouchy a dû porter aujourd'hui sur Villeneuve, où je l'avais laissé, sur la route des Sables, devant Touffou, et un peu plus près, sur la route de La Rochelle, intermédiaire entre les postes des Sorinières et d'Aigrefeuille ; ce qui rend cette route bien sûre.
J'écrivis en conséquence au général Beaupuy, en lui transmettant l'ordre de sa marche, et ma colonne se mit en mouvement le lendemain, dès la pointe du jour. Les chemins étaient abominables et le pays très coupé. Après deux heures de marche, les éclaireurs vinrent me dire que l'on en était à une portée de fusil, et qu'ils avaient pénétré jusque-là sans voir aucune trace des ennemis. J'envoyai de suite une forte patrouille de cavalerie mêlée d'infanterie. Elle entra dans la ville et me fit dire qu'on n'y avait trouvé que des femmes, qui avait accueilli la troupe aux cris de : Vive la République ! Je fis aussitôt la reconnaissance pour l'établissement de la colonne et la distribution des postes.
Canclaux arriva quelque temps après, et le lendemain, Dubayet vint nous joindre avec son armée. Canclaux apprit vers cette époque que, pendant que nous marchions de succès en succès, l'armée des côtes de La Rochelle n'avait, à son ordinaire, éprouvé que des revers ; que, par cette raison, elle ne pouvait être à hauteur de Mortagne au jour convenu[1]. »
— Mémoires de Jean-Baptiste Kléber.
« Cependant, de tout côté, les femmes effrayées accouraient à Legé comme un seul refuge contre la barbarie des républicains. La plupart portaient leurs enfants, d'autres traînaient sur des charrettes leurs vieillards et tout le ménage ; on ne voyait partout que l'image de la désolation. M. Charette incapable de se défendre avec des hommes épouvantés dans un endroit ou la multiplicité des gens inutiles ne laissait place à aucun mouvement donna lui-même la déroute à cette troupe entassée ; il n'attendit pas l'arrivée de l'ennemi, il fit répandre le bruit de son approche et jeta l'alarme dans tout le bourg ; les femmes et l'on peut dire presque tous les hommes prirent la fuite et gagnèrent Montaigu, l'artillerie les suivit et M. Charette ne resta qu'avec un petit nombre de cavaliers et deux pièces de gros calibre.
L'ennemi arriva par la route de Nantes et celle des Sables. M. Joly s'était laissé surprendre pendant la nuit dans son camp ; son artillerie s'était perdue et lui-même s'était échappé à grand'peine. Des détachements de cavaleries s'avancèrent pour nous observer, on tira sur eux, nous les vîmes se retirer, mais bientôt toute l'armée s'ébranla et vint au pas de charge, croyant sans doute tenir à Legé, le reste des brigands. M. Charette fit alors charger ses pièces sur des voitures, tandis que l'on feignait de vouloir sortir sur l'ennemi ; l'instant d'après on décampa par la route de Roche-Servière et les républicains entrant dans le bourg furent bien étonnés de n'y trouver qu'une vieille folle qui seule était restée dans l'endroit.
Le courage de tous était tellement abattu que l'armée en fuyant vers Montaigu fut à diverses fois épouvantée comme si elle avait été poursuivie. Des soldats jetèrent leurs armes, les charrettes qui encombraient les chemins furent renversées. La peur étouffant la voix de la nature, des femmes abandonnèrent leurs enfants ou les laissèrent tomber de leurs bras. Ces malheureuses victimes étaient écrasées par les chevaux qui partageaient l'épouvante de leurs cavaliers ou même par les piétons incapables de réflexion dans un moment où aucun chef ne se trouvait présent ; les meilleurs étaient restés derrière avec M. Charette. Que de traits d'héroïsme au sein de ce tumulte ! J'ai vu des femmes culbutées dans des fossés préférer la mort qui leur paraissait certaine plutôt que de séparer de leurs enfants qu'elles serraient contre leurs seins.
Nous ne songions qu'à fuir, les républicains ne trouvaient nul obstacle. Il n'en était pas ainsi du côté de la grande armée : des succès continuels la distinguaient toujours de nos faibles rassemblements. M. Charette se décida à publier sa position ; il demanda du secours et l'attendit à Montaigu ; mais dès le lendemain au soir l'ennemi parut sur les hauteurs qui avoisinent la ville. Du côté de Vieillevigne on passa la nuit dans des transes ; plusieurs s'échappèrent pour éviter le combat ; d'autres voulant jouir jusqu'au dernier moment s'occupèrent à fouiller les caves qu'on trouva partout bien garnies et avalèrent à longs traits la ferme résolution de mourir. L'occasion se présenta dès le matin : l'ennemi arriva par la route de la Rochelle et celle de Vieillevigne. On fut au devant jusqu'au bourg de Saint-Georges et là malgré la pluie très abondante, un combat de tirailleurs s'engagea et dura plusieurs heures. Rien ne paraissait encore désespéré, lorsqu'une autre armée parut sur le chemin de Nantes. La peur agit alors plus que jamais, on se précipita en fuyant, on s'écrasa pour sortir de la ville et les derniers ayant perdu la tête se laissèrent tuer sans résistance. On a remarqué environ 10 hussards qui foncèrent sabrant de droite et de gauche, jusqu'au milieu de notre armée, avant de trouver la mort ; 600 hommes au moins tombèrent sous le fer des cavaliers.
Une partie de l'armée se sauva à Clisson, d'autres s'enfuirent vers Tiffauges ; les accidents furent les mêmes que dans la route précédente : une pluie continuelle rendait les chemins extrêmement glissants et nous incommoda encore davantage.
Enfin l'ennemi nous laissa maladroitement du repos : nous séjournâmes tranquillement à Tiffauges où M. Charette avait réuni tout son monde[3]. »
— Mémoires de Pierre-Suzanne Lucas de La Championnière.
Bibliographie
- Émile Gabory, Les Guerres de Vendée, Robert Laffont, 1912-1931 (réimpr. 2009), p. 258-259.
- Jean-Baptiste Kléber, Mémoires politiques et militaires 1793-1794, Tallandier, coll. « In-Texte », , p. 89-96.
- Pierre-Suzanne Lucas de La Championnière, Lucas de La Championnière, Mémoires d'un officier vendéen 1793-1796, Les Éditions du Bocage, , p.44-46.