Architecture sacrée en France et en Belgique : Art déco et modernisme. Les destructions causées par la Première Guerre mondiale en Europe ont nécessité la construction de nombreuses nouvelles églises dans les années 1920-1930, notamment en France et en Belgique. Aujourd'hui, celles-ci forment un vaste domaine d'étude de l'architecture et des tendances artistiques.
L'architecture des nouveaux édifices était souvent simple et fonctionnelle et à la recherche de solutions innovantes au point de vue technique. Le béton, par exemple, devient un des principaux matériaux innovants. Au point de vue du style, le modernisme apparaît pour la première fois comme style architectural dans les années 1920 puis se développe à l'échelle mondiale dans les années 1930 en concurrence avec l'art-déco. Contrairement à l'art-déco, le modernisme tourne le dos aux traditions architecturales du passé, s'intéresse peu à la décoration et assure principalement la fonction du bâtiment.
En France, l'article 2 de la loi de séparation de l'Église et de l'État fait abandonner le régime concordataire français. Cette loi est promulguée le et elle instaure un régime où la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne plus aucun culte[1]. Mais l'Union sacrée vient ressouder les Français de toutes tendances après la guerre. Les églises détruites pendant la Première Guerre mondiale sont alors restaurées et de nouvelles sont construites là où après les hostilités il ne restait plus rien. Le patriotisme manifesté par l'Église catholique pendant la guerre la réhabilite aux yeux des défenseurs de la laïcité. Les bâtiments de l'Église apparaissant comme le symbole de l'identité religieuse, surtout dans les régions rurales, et l'Église joue dès lors un rôle significatif dans l'organisation des travaux de reconstruction.
Dans les régions fortement touchées par la guerre, la restauration et la construction d'églises n'étaient certainement pas une priorité par rapport à la reconstruction des routes ou des bâtiments administratifs ou encore nécessaires à l'économie du pays. C'est pourquoi, dans les années 1920, seuls quelques bâtiments sont remis dans leur état primitif. En priorité ceux qui étaient classés monuments historiques[2]. Dans la plupart des cas, ces restaurations sont réalisées en matériaux et suivant des plans traditionnels. Les formes architecturales néoromantiques ou néo-gothiques, familières aux yeux des Européens, permettant de reprendre les options décoratives habituelles et l'utilisation de la brique, matériau des plus économique, oblige les architectes à reproduire, consciemment ou non, l'aspect des bâtiments disparus.
Revenus dans leurs villes et villages détruits à la fin 1918 et en 1919, les habitants cherchent en premier lieu à se reconstruire un logement. Puis, ils tentent de recréer autour d'eux les emblèmes de leur identité, l'école, le clocher et ils entreprennent alors la reconstruction des sanctuaires. Les économies forcées dans l'après-guerre conduisent en général à des simplifications ou à la stylisation. Toutefois, parmi les reconstructions se retrouvent dans certains cas des exemples où sont soulignées la richesse, la théâtralité du style éclectique de la seconde moitié du XIXe siècle. Parmi ces dernières, la reconstruction de la basilique Notre-Dame de Brebières à Albert, restaurée par le Louis Duthoit, fils d'Edmond Duthoit, l'architecte qui l'avait édifiée en 1885, en est un exemple.
Basilique Notre-Dame de Brebières à Albert, après sa destruction en 1915
L'intérieur de la basilique de Notre-Dame de Brebières de style néo-byzantin
Sommaire
Nouvelle technologie : le métal, le béton
Les projets de reconstruction des églises ont commencé à offrir de plus en plus de variantes tant au point de vue des matériaux utilisés, que des plans et de leur mise en forme. Ces variantes sont autant de signes évidents de résolutions novatrices de leurs initiateurs. Des expériences en ce sens ont été réalisées par des architectes français dès la fin du XIXe siècle, mais n'avaient pas encore obtenu une reconnaissance publique.
Deux églises construites à Paris à la fin du XIXe siècle, début du XXe siècle, ont provoqué de vives discussions du fait de l'utilisation de nouvelles technologies : l'église Notre-Dame-du-Travail construite de 1897 à 1902, selon le projet de l'architecte Jules-Godefroy Astruc, qui utilise une armature métallique innovante et une charpente en poutrelles apparentes, et l'église Saint-Jean de Montmartre (de style art nouveau), due à l'architecte Anatole de Baudot, qui est la première église en ciment armé recouvert de briques et de céramiques (1894-1904).
Église Notre-Dame-du-Travail
La principale innovation du projet de Jules-Godefroy Astruc est la structure en métal de son ossature, qui joue, à l'intérieur, le rôle des arcs et des colonnes traditionnels. Cette structure apparaît à l'époque et pour la première fois à l'intérieur d'une église, sans être cachée et est inspirée de l'exemple de la Tour Eiffel, achevée en 1889. Jules Astruc a aussi été l'élève de Victor Laloux, architecte de la gare d'Orsay en 1900, connu pour son utilisation des structures métalliques. Mais si les fermes métalliques étaient tout à fait appropriées pour l'intérieur d'une gare, par contre, dans une église catholique, c'était original malgré le fait que ces éléments jouaient une fonction reprise à l'architecture traditionnelle. À cette époque, le fer était utilisé uniquement dans de grandes constructions ouvertes, telles des gares, des usines. Les fermes métalliques permettent de recouvrir de grands espaces en n'utilisant qu'un petit nombre de supports[3].
Le choix de cette structure métallique n'apparaît pas dans le projet initial en 1897. Ce choix provient du fait que la communauté religieuse souhaitait arriver à un coût le moins élevé possible. Pour des fidèles travailleurs manuels, ce choix leur permet de se sentir dans un environnement familier, semblable à celui d'une usine et de toucher de leurs mains des surfaces pareilles à celles avec lesquelles ils sont en contact chaque jour dans leurs ateliers. Pour se rapprocher d'une ambiance contemplative dans cet univers froid et d'acier, les chapelles latérales ont été décorées de grandes peintures murales de style art nouveau.
Quant à la façade de l'église, elle ne permet pas au visiteur de se douter du style fonctionnel et constructiviste de l'intérieur. Elle est en effet réalisée comme une église classique de style roman, en pierre de taille traditionnelle[4].
Église Saint-Jean de Montmartre
L'église Saint-Jean de Montmartre est un autre exemple parisien d'utilisation de nouveaux matériaux de construction. L'église Saint-Pierre de Montmartre ne suffisait plus pour accueillir les fidèles du fait de l'augmentation de la population dans cet arrondissement. La nouvelle église est construite de 1894 à 1904 par l'architecte Anatole de Baudot. Elle se caractérise notamment par sa structure en béton armé qui, à l'intérieur, n'est pas décorée.
La construction de l'église commence sans autorisation officielle, à l'initiative du curé de la paroisse, qui rassemble une partie des fonds nécessaires avec l'approbation de son évêque. Mais le ministère des cultes et l'administration de la ville de Paris font arrêter le chantier entrepris, considérant que l'utilisation de béton armé ne convient pas pour l'intérieur d'une église. Le curé parvient toutefois à intéresser des experts réputés en matière d'architecture d'église, qui font autoriser la reprise des travaux[5]. C'est donc à l'initiative du clergé que la solution innovante est mise en œuvre, sans soutien ni de l'administration de la ville ni de la communauté paroissiale.
Malgré son originalité, l'église conserve des éléments traditionnels : c'est une basilique à trois nefs recouverte de voûtes en béton armé dont la conception rappelle les nervures des cathédrales gothiques. Toutes les possibilités du béton sont utilisées ici pour réaliser une imitation d'intérieur traditionnel d'église catholique. Contrairement à l'église Notre-Dame-du-Travail, la façade extérieure correspond par son style aux éléments décoratifs de l'intérieur de l'église. Les murs latéraux sont ornés de huit grandes fresques et de vitraux traditionnels. 48 petits vitraux rectangulaires représentant les litanies de la Sainte Vierge éclairent les nefs latérales. Les voûtes du transept sont ornées de vitraux de style art nouveau qui adoucissent la structure d'aspect sévère du fait de l'emploi du béton armé[6].
Art déco
Même si l'architecture faite de nouveaux matériaux était simple et fonctionnelle, la sensibilité religieuse et artistique de l'époque exigeait la présence d'éléments décoratifs. Durant la première moitié du XXe siècle, le courant Art déco va devenir influent dans les beaux-arts et dans les arts décoratifs, d'abord en France et en Belgique, puis en Europe, en Amérique et en Asie. L'exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes, qui a lieu à Paris en 1925, a donné son nom à toute la famille des styles regroupés sous le nom d'Art déco.
Le principal élément innovant dans les années 1920 n'était plus le métal mais le béton. Son faible coût le rend précieux pour la période d'après-guerre. Mais utilisé partout depuis le remplissage des fondations jusqu'aux voûtes des charpentes, le béton va d'une part être caché par des épaisseurs de briques (comme pour l'église Saint-Léon de Paris) ou d'autres matériaux (céramique) et, d'autre part, être utilisé pour réaliser non seulement des éléments architecturaux mais également des compositions en relief, des sculptures. Il devient matériel décoratif[7].
Mouvement liturgique
Le mouvement liturgique est un courant réformateur catholique apparu en France au milieu du XIXe siècle avec la publication de L'Année liturgique de Prosper Guéranger et dont l'objectif est pour les fidèles de « faire de nos assemblées des communautés de prière ». Ce mouvement commence véritablement au début du XXe siècle.
Mais la transformation de l'art sacré dans la première moitié du XXe siècle n'était pas une fin en soi. Le concept général de décoration des églises européennes construites dans l'entre-deux-guerres n'a pas été non plus révolutionnaire au sens propre du terme. Cependant, les nouveaux projets ont démontré la possibilité d'utiliser des matériaux nouveaux dans le domaine de l'art religieux, qui pouvaient servir les objectifs du mouvement liturgique. Les artistes des années 1920 ont encore utilisé l'héritage de la tradition, mais avec un nouveau lexique et de nouveaux moyens techniques.
Des changements lents mais évidents ont commencé au XXe siècle dans le catholicisme lui-même quant à la liturgie (généralisés après la Seconde Guerre mondiale par le Concile Vatican II) et demandaient une participation plus active à la prière officielle et solennelle à l'intérieur des églises. Depuis le début du XXe siècle, à l'initiative du Pape Pie X, une liturgie communautaire a progressivement commencé à être introduite, dans laquelle l'assemblée des fidèles laïcs joue un rôle plus actif en étant placée littéralement autour de l'autel et plus dans la nef. Ce rassemblement des fidèles exige que soit dégagé l'espace situé près de l'autel, là où est célébrée l'Eucharistie. L'autel doit devenir visible de n'importe quel point à l'intérieur de l'église sans que des obstacles architecturaux soient interposés. Cela permet, dans les nouvelles églises construites, de faciliter la participation à la liturgie. Apparaissent alors dans les intérieurs des églises de vastes surfaces, débarrassées de toute cloison, de tout mur ou colonne entre l'autel et l'espace réserve aux fidèles. C'est l'introduction de nouveaux matériaux et techniques qui a permis la réalisation de cette nouvelle organisation des surfaces. Le plan des nouvelles églises vise aussi à augmenter la surface réservée aux fidèles pour pouvoir en accueillir davantage. À cet égard, l'utilisation d'un matériau comme le béton a permis de réaliser de grandes surfaces planes au sol dont le coût était peu élevé[8],[9].
Église Notre-Dame du Raincy
L'église Notre-Dame du Raincy[10], en département de Seine-Saint-Denis, est l'une des premières où le béton armé dicte lui-même la forme et l'apparence du bâtiment, sans imiter les analogues historiques. C'est un des bâtiments emblématiques de l'architecture moderne.
L'histoire de sa construction est directement liée à la Première Guerre mondiale, parce que l'argent pour la construction de l'église a été donné par le père de l'un des jeunes soldats victime de la guerre, à condition que cette église paroissiale devienne un monument dédié à tous les morts à la guerre. La Société de Saint-Jean pour le développement de l'art chrétien a pris l'initiative d'organiser un appel d'offres pour la construction d'un bâtiment économique, à laquelle ont participé l'architecte Auguste Perret et son frère, architecte également, Gustave Perret, en proposant un projet économique d'église en béton armé dont le prix s'élèverait à 300 000 francs seulement. C'est leur projet qui est choisi et la construction de l'église commence en 1922. En utilisant du béton armé comme matériau de base, les frères Perret ont fait la démonstration qu'une église de 3 500 places pouvait être construite en 13 mois seulement.
Le concept architectural de cette église peut sembler assez traditionnel : il est basé sur un plan basilical à trois nefs, avec, du côté Est, une abside en demi-cercle et, à l'Ouest, une tour monumentale avec un clocher. Cependant, ce schéma traditionnel prend un caractère absolument révolutionnaire grâce au béton armé utilisé à la fois à l'extérieur et à l'intérieur du bâtiment.
Les voûtes en béton et les arcs transversaux reposent sur 32 fines colonnes légères cannelées de 11 mètres de hauteur et de 43 cm de diamètre[11]. Cette structure en béton est la plus simple et elle connaît dès le début du XXe siècle une large diffusion dans le génie civil, dans le domaine industriel, et celui du chemin de fer et des installations sportives. Mais elle est à l'époque tout à fait atypique et particulièrement originale pour un bâtiment religieux à usage d'église. Comme les murs sont libérés de la fonction de support, grâce aux colonnes, les architectes décident de les réaliser entièrement en claustra garnis de vitraux, comme seule décoration intérieure. La stylisation de béton des vitraux traditionnels utilisée par les frères Perret dans cette église deviendra plus tard la base d'une grande variété d'expériences d'architectes modernistes après la Seconde Guerre mondiale.
Pour l'historienne d'art Ekaterina Cheko, les plans de cette église, avec en façade occidentale sa haute tour et son clocher, ont sans aucun doute leur source d'inspiration dans les gratte-ciels de New York, et en particulier celui de Woolworth Building, construit en 1910-1913. La tour-clocher des frères Perret est beaucoup plus petite qu'un gratte-ciel, mais les reliures en béton du vitrail qui montent jusqu'au clocher créent l'illusion d'une similitude d'échelle. Par cette technique, les architectes parviennent à intégrer harmonieusement le bâtiment de l'église dans l'environnement architectural de la ville[12].
The Woolworth Building à New York [13]
Architecture moderniste en Belgique
L'architecture moderniste apparaît en Belgique dès 1919 et se développe dans les années 1920 et 1930 en concurrence avec le style Art déco. Contrairement à l'Art Déco, le modernisme tourne le dos aux traditions architecturales du passé et rejette toute décoration. Dans les années 1920, ces deux styles n'étaient pas encore strictement délimités et les architectes les mélangeaient souvent dans des proportions différentes selon leur goût, mais à la fin des années 1930, le modernisme s'est finalement libéré de tout décorativisme.
L'introduction du modernisme dans l'architecture des églises dans les années 30 n'est pas fortuit. C'était l'un des instruments du mouvement liturgique dans l'Église Catholique, qui a commencé dans la seconde partie du XIXe siècle. La première étape de ce mouvement s'est terminée après la Seconde Guerre mondiale. Il est caractérisé par la priorité donnée à l'esthétique, à la renaissance des formes médiévales et expressions de piété telles que : le chant grégorien, les vêtements et ornements liturgiques, etc.[14] C'est à ces caractéristiques que se réfère la décoration des églises de France telles que la basilique Notre-Dame de Brebières, l'église Saint-Jean de Montmartre, l'église Saint-Léon de Paris, et de nombreuses autres églises des années 1920.
Les années 1930 sont devenues une étape de transition à partir de la recherche décorative de l'Art déco jusqu'au modernisme pur qui répond aux idées des réformateurs de la liturgie catholique[15]. Ce n'est pas un hasard si la deuxième étape du mouvement liturgique est appelée « réformatrice ». Le résultat de son action sera repris plus tard dans le décret du concile Vatican II sur la possibilité et même la nécessité d'utiliser à des fins de prédication (y compris dans les lieux saints) toutes les formes et tous les types d'art moderne[14].
Église Saint-Augustin (Forest)
L'église Saint-Augustin située à Bruxelles dans la commune de Forest est un exemple caractéristique du style moderniste d'architecture sacrée. Conçue avant la Première Guerre mondiale, elle n'est finalement réalisée qu'en 1935. Si elle avait été construite en Russie à cette époque, elle aurait probablement été classée de style constructiviste, remarque l'historienne Ekaterina Cheko. En Belgique, elle est classée de style Art Déco[16],[17].
Initialement, en 1913, il était prévu de construire une église dans le style néo-roman traditionnel pour ce quartier de Bruxelles dont la population augmentait rapidement[18]. Mais en 1914, la guerre éclate et l'après-guerre vient changer toutes les priorités. Le projet de construction de l'église revient à l'ordre du jour en 1931, mais les conceptions initiales sont alors complètement abandonnées par ses nouveaux promoteurs et par l'architecte belge Léon Guiannotte qui prend en charge la construction. Son projet, qui ignore complètement les modèles traditionnels des bâtiments religieux du passé, n'a été possible que grâce à l'utilisation de béton armé, qui définit à la fois les formes architecturales et les techniques de construction[19]. L'église Saint-Augustin se place dans la continuation de cette série d'églises en béton armé, que les frères Auguste Perret et Gustave Perret avaient commencée à Raincy, en France, dans les années 1920[20].
Pour Ekaterina Cheko, les dessins des formes de l'église Saint-Augustin sont d'une grande logique et même d'une beauté particulière[18]. C'est une construction en béton, monolithique, qui entoure une haute tour centrale visible des huit ruelles convergeant radialement vers la place, au centre de laquelle elle est située (Place de l'Altitude 100, à Forest). Cependant, malgré l'exactitude des lignes de dessin du projet urbanistique, cette construction, comme dominante architecturale urbaine, s'avère agressivement étrangère à l'architecture des immeubles à appartements des quartiers résidentiels environnants et au parc adjacent, le Parc de Forest[21].
Le béton, utilisé pour la construction de l'église durant la première moitié du XXe siècle, s'est avéré au fil des ans de très mauvaise qualité. Déjà après 30 ans, dans les années 1960, l'église Saint-Augustin a commencé à se détériorer. En raison de la pénétration de l'eau, le recouvrement du toit a commencé à se fissurer et à corroder et faire rouiller les tiges métalliques du béton armé. Le bâtiment devient dangereux. Son statut de monument du patrimoine architectural protégé et l'intérêt toujours élevé pour l'Art déco et le modernisme à Bruxelles a permis de mettre fin au débat entamé sur sa possible démolition (pour faire passer la ligne de métro). En 1996-1998, de grands travaux de rénovation ont été réalisés pour la remettre dans son état initial.
L'intérieur de l'église a, selon E. Cheko, un aspect plus humain que la façade[22]. Quatre pylônes supportent de l'intérieur la tour centrale ; l'autel semi-circulaire est placé dans l'abside. Les vitraux habituels des églises relient le fil du temps, en conservant l'aspect traditionnel de l'intérieur des églises catholiques. Seule la structure en béton des voûtes et de la tour, qui est béante au centre du chevauchement des poutres, rappelle que nous sommes à l'intérieur d'une construction moderniste. L'appellation stylistique Art Déco de cet ensemble doit beaucoup, selon E. Cheko, au cycle évangélique de la Passion du Christ, situé dans la partie ouest de l'édifice. La beauté de ce relief tient à la fois à son dessin, au caractère discret et concis des volumes et des formes. La combinaison de la construction en béton armé avec le raffinement de la sculpture murale crée ce conglomérat stylistique, que l'on a appelé Art déco[23]. Il s'agit peut-être, remarque E. Cheko, dans une certaine mesure, d'une concession aux goûts d'un public citadin bourgeois qui ne pouvait pas s'habituer immédiatement à l'absence de décor, que les réformateurs de la liturgie catholique cherchaient dans le modernisme[22].
Église Sainte-Suzanne (Schaerbeek)
Une autre construction caractéristique de l'histoire du modernisme est l'église Sainte-Suzanne dans l'agglomération de Bruxelles, construite entre 1925 et 1928 par l'architecte Jean Combaz[24].
C'est une structure en béton armé brut. Les spécialistes de la protection des monuments ne rapprochent son style de celui de l'église Notre-Dame du Raincy des frères Perret que du fait de l'utilisation du béton armé, y compris pour les claustra des vitraux. Pour l'architecte Jean Combaz, l'intérieur est plus important que la façade, car l'idée du commanditaire était de créer une atmosphère de clarté et de lumière symbolisant l'Église triomphale. L'intérêt de l'étude de ce bâtiment ne vient pas tant de la conception architecturale elle-même mais des transformation de la décoration intérieure tout au long du XXe siècle.
Dès l'origine, en 1928, cet intérieur est carrelé et les piliers sont peints en blanc. L'autel est placé devant un mur, plus élevé que le sol de la nef, et est décoré de petites sculptures de saints. À droite et à gauche de l'autel, se trouvent les balcons des jubés pour les enfants de chœur. Tout le mur au-dessus de l'autel est occupé par un vitrail. C'est une solution décorative qui correspondait au concept de la « période romantique » du mouvement liturgique[25]. Cependant, à la fin des années 1930, c'est-à-dire 10-15 ans après la construction, les priorités ont changé si radicalement que l'emplacement de l'autel est complètement modifié. Au-dessus de l'autel a été érigé un ciborium monumental, le vitrail a été enlevé (ou drapé), les balcons ont été supprimés et le retable sculptural a été remplacé par un grand crucifix. Les balcons-jubés ont été considérés comme archaïques, car le chant de professionnels dans le chœur était remplacé dans la nouvelle liturgie par les chants des paroissiens, tous ensemble, sur des motifs musicaux plus simples[26].
Dans les années 1970, soit 20-25 ans plus tard, l'intérieur de l'église Sainte-Suzanne a été une fois de plus radicalement modifié, en suivant, cette fois, les idées de la phase II du mouvement liturgique. L'autel en forme de cube garni de rayures est placé au centre de l'espace intérieur et plus dans l'abside. Les murs sont peints de couleur beige clair et le plafond de couleur violet foncé.
C'est un exemple caractéristique de l'évolution de l'art dans l'Église catholique, fondé en grande partie sur le développement religieux, spirituel et créatif qui a succédé à la Seconde Guerre mondiale à partir de concepts complètement différents de la sacralité. Le concile Vatican II (1962-1965) a eu notamment pour objectif de rendre la prédication chrétienne plus compréhensible par les contemporains. L'art de l'église devait devenir l'un des principaux guides pour parvenir à une meilleure compréhension du monde moderne. Pour l'historienne E. Chako, le résultat de cette politique au début du XXIe siècle est qu'il ne subsiste plus dans l'Église catholique qu'un seul type d'art sacré, une architecture qui s'adapte de plus en plus aux modes actuelles. L'architecture des édifices sacrés est vidé des éléments de base et des archaïsmes des traditions catholiques anciennes dans un esprit plus proche du protestantisme.
Autres exemples d' églises de style art déco ou moderne de France et de Belgique des années 1930
Église Saint-Léon de Paris (1935). Construite en béton recouvert de briques
Basilique de Koekelberg (1905-1951) (Bruxelles)
Église Saint-Jacques-le-Majeur de Montrouge (1934-1940) à Montrouge
Références
- Frémaux p.167.
- Cappronier p..
- Dupré p..
- E. Cheko p.114-115.
- Dumoulin p.130.
- E. Cheko p.116-117.
- E. Cheko p.117.
- Cappronnier p.9.
- E. Cheko p.1120.
- L'architecte Auguste Perret auteur du projet de l'église de Raincy est mort en 1954 et la photo de la façade n'est pas libre de droit : Photo commons [url=https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Le_Raincy.Eglise_Notre-Dame.jpg]
- Culot p.23.
- E. Cheko p.121-122.
- Photo commons [url=https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Le_Raincy.Eglise_Notre-Dame.jpg]
- E. Cheko p.123.
- E. Cheko 123.
- url=http://www.irismonument.be/index.php?quick_search=%E9glise+Saint+Augustin§ion=search&results=y&Submit=ok
- Spapens p.7.
- Cheko p.124.
- Cordeiro p.41-56.
- Culot p.334-335.
- Cheko 124.
- Cheko p.126.
- Lambrichs p.61.
- Inventaire du patrimoine architectural de la Région de Bruxelles-Capitale|url=http://www.irismonument.be/index.php?quick_search=%E9glise+sainte-suzanne§ion=search&results=y&Submit=ok
- Cheko p.127.
- Cheko p.128.
Liens externes
- (ru) V.Voukachinovitch (Вукашинович В.), Renaissance liturgique au XX s (Литургическое возрождение в ХХ веке.), Христианская Россия., , p. 46 .
- Cappronnier J-С., « L’art sacré entre les deux guerres: aspects de la Première Reconstruction en Picardie // In Situ. », 12/2009.,
- Cordeiro P., Béton sacré église St Augustin à Forest (Sacraal beton. De Sint-Augustinuskerk te Vorst), M&L,, , p. 41–56.
- M D Culot, Les frères Perret, l'oeuvre complète, Paris, Norma, Institut français d'architecture, .
- Culot М. D., Archives d’architecture moderne., Bruxelles, AAM, 1999.
- Dumoulin A, Reconnaître Paris d'église en église, Paris, Massin, 2008.
- Dupré C., Notre-Dame-du-Travail (Paris), une église au tournant du XIXe siècle et XXe siècle, In Situ. Revue des patrimoines,
- Frémaux C., La construction d’églises dans la seconde moitié du XXe siècle: une affaire d’État? De Georges Clémenceau à Jacques Chirac: l’Etat et la pratique de la loi de séparation., Villeneuved’Ascq, :CEGES-IRHiS, Université Lille,
- Lambrichs A., Religieuze Art Deco. Art Deco architectuur Brussel 1920-1930, Bruxelles, (Catalogue d’exposition), Archives d’Architecture Moderne, .
- Spapens C., L'église Sainte-Suzanne à Schaerbeek, CIDEP, .
- Travaux du Centre national des constructions d’églises (CNCE). Rapport général présenté à l’Épiscopat :Pour une politique d'équipement religieux, févier 1970.
- Documents du concile Vatican II.
Articles sources
- (ru) Ekaterina Cheko (Екатерина Шеко), « L'architecture sacrée en France et en Belgique entre les deux guerres : de l'Art déco au modernisme (Сакралная архитектура Франции и Белгии мехду двух великих войн : разварот от арт-десо к модернизму) », 32, Moscou, (lire en ligne) Université orthodoxe Saint Tikhon (en)
- « Inventaire du patrimoine architectural de la Région de Bruxelles-Capitale, église Sainte-Suzanne à Schaerbeek ».
- « Inventaire du patrimoine architectural de la Région de Bruxelles-Capitale, église Saint-Augustin à Forest »