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Amour sacré et Amour profane

Amour sacré et Amour profane (Amor sacro e Amor profano) est un tableau de Titien (1488-1576) peint en 1514 représentant deux femmes assises sur un bassin.

Amour sacré et Amour profane
Artiste
Date
1514
Type
Peinture
Technique
Huile sur toile
Dimensions (H Ă— L)
118 Ă— 279 cm
Mouvements
No d’inventaire
147
Localisation

Histoire

Titien peint ce tableau vers 1514[1]. Ce dernier a probablement Ă©tĂ© commandĂ© par NiccolĂČ Aurelio[2], secrĂ©taire vĂ©nitien du Conseil des dix, identifiĂ© par son blason apparaissant sur le sarcophage ou la fontaine au centre de l'image, pour cĂ©lĂ©brer son mariage avec une jeune veuve, Laura Bagarotto[3]. La peinture reprĂ©sente probablement la mariĂ©e vĂȘtue de blanc, assise Ă  cĂŽtĂ© de Cupidon et assistĂ©e par VĂ©nus en personne.

L'Ɠuvre est achetĂ©e en 1608 par le mĂ©cĂšne Scipione Borghese et est actuellement conservĂ©e avec d'autres Ɠuvres de la collection BorghĂšse Ă  la Galleria Borghese Ă  Rome.

En 1899, une offre de la famille de banquiers Rothschild d'acheter les Ɠuvres de la Galerie pour 4 millions de lires (supĂ©rieure Ă  la valeur de l'ensemble du bĂątiment Galleria Borghese et de ses collections estimĂ©e Ă  3 600 000 lires) a Ă©tĂ© refusĂ©e[1].

Description

La femme nue, la VĂ©nus Uranie, reprĂ©sente le bonheur Ă©ternel et cĂ©leste, ainsi que le principe de l’amour spirituel. La jeune femme habillĂ©e est la Venus terrestre, une personnification de l’amour terrestre. La Venus cĂ©leste est nue car elle est dĂ©sincarnĂ©e, son corps ne reprĂ©sente aucun dĂ©sir contrairement Ă  la VĂ©nus terrestre, il n’a donc pas besoin d’ĂȘtre couvert. Toutes deux sont assises aux extrĂ©mitĂ©s d'un bassin. Elles se ressemblent beaucoup, comme deux sƓurs jumelles, mais leur comportement et habillement sont trĂšs diffĂ©rents. La premiĂšre porte une robe blanche Ă  manches pourpres, une couronne de myrte et tient dans sa main des roses. Elle est calme et pensive. Elle nous regarde. La seconde est surĂ©levĂ©e par rapport Ă  sa voisine et la regarde d’un regard empli de comprĂ©hension et de calme. Elle est nue Ă  l’exception d’un linge blanc sur ses cuisses et d’un manteau rouge qui couvre son Ă©paule gauche. Elle tend vers le ciel un pot Ă  feu qu’elle tient dans sa main.

Ce tableau est une allégorie du mariage, d'un cÎté l'épouse habillée avec le symbole de fertilité (les deux lapins), de l'autre le symbole de l'amour sacré représenté par Venus avec en arriÚre-plan les chiens symbole de la fidélité, l'amour Cupidon au milieu agite l'eau du bassin pour faire le lien entre ces deux formes d'amour, ciment d'un mariage réussi.

La femme nue regarde l'autre alors que celle-ci semble regarder ailleurs et l'ignorer.

Le tableau comporte une foule de détails :

  • sur le bassin qui a la forme d'un sarcophage romain, il y a un bas-relief ;
  • du cĂŽtĂ© de l'amour sacrĂ© on peut voir une scĂšne de torture (l'amour peut faire souffrir) ;
  • dans le dĂ©cor Ă  gauche on peut voir un chĂąteau et des lapins domestiquĂ©s ;
  • dans le dĂ©cor Ă  droite on peut voir deux chiens de chasse.
  • Au second plan, des arbres sombres font ressortir le premier plan, c’est-Ă -dire les tonalitĂ©s claires des personnages.
  • A l’arriĂšre-plan, un paysage campagnard tient lieu de dĂ©cor.

Ce tableau est caractĂ©ristique de l'Ă©cole vĂ©nitienne grĂące au jeu qui se fait sur les ombres et lumiĂšres sur les corps des deux femmes. L’Ɠuvre s'intĂšgre dans le courant maniĂ©riste.

Interprétation

Le cupidon prouve, d’un point de vue iconographique, que le tableau est un dialogue sur l’amour. Et Ă  l’époque de Titien, l’amour Ă©tait un des grands sujets de conversation avec la beautĂ© dont discutait quotidiennement l’élite sociale et intellectuelle. Ses questions se retrouvaient aussi au centre du courant philosophique du nĂ©oplatonisme qui Ă©tait la philosophie dominante de l’époque.

L'interprétation de Panofsky : la Vénus céleste et la Vénus vulgaire

La figure de la nuditĂ© devient Ă  la Renaissance une reprĂ©sentation positive qui illustre une valeur comme par exemple la VĂ©ritĂ©, l’Amour ou la BeautĂ© par opposition Ă  des notions Ă©phĂ©mĂšres[4]. Par la suite, lorsqu’une figure nue est prĂ©sente avec son homonyme vĂȘtu, cela est symbole de VĂ©ritĂ© au sens philosophique du terme. Ensuite, avec la philosophie nĂ©oplatonicienne, cette dualitĂ© finit par signifier le permanent et l’idĂ©al par opposition au pĂ©rissable et au sensible. Ainsi, le credo de la Renaissance est que la beautĂ© dĂ©pouillĂ©e de tout ornement terrestre est supĂ©rieur Ă  la beautĂ© vĂȘtue et dĂ©corĂ©e. Pour Panofsky, cette opposition entre beautĂ© nue et vĂȘtue est applicable Ă  l’Ɠuvre L’Amour sacrĂ© et l’Amour profane oĂč ces deux reprĂ©sentations correspondent Ă  deux formes d’amour diffĂ©rentes[4].

Toujours selon Panofsky, il existe aussi, dans cette Ɠuvre, une opposition entre la VĂ©nus cĂ©leste et vulgaire comme il est Ă©crit dans Le Banquet[5] de Platon. « Or, il y a deux VĂ©nus, l'une ancienne, fille du Ciel, et qui n'a point de mĂšre : c'est VĂ©nus Uranie ou cĂ©leste ; l'autre plus jeune, fille de Jupiter et de DionĂ© : c'est la VĂ©nus populaire. Il y a donc deux Amours, correspondant aux deux VĂ©nus : le premier, sensuel, brutal, populaire, ne s'adresse qu'aux sens ; c'est un amour honteux et qu'il faut Ă©viter. [
] L'autre amour s'adresse Ă  l'intelligence [
] Celui-lĂ  est digne d'ĂȘtre honorĂ© de tous et recherchĂ©[6]. » La VĂ©nus cĂ©leste est donc l’incarnation de l’Amour du monde des idĂ©es et la VĂ©nus terrestre l’amour sensible et humain dans la philosophie platonicienne et nĂ©oplatonicienne.

Chacune des VĂ©nus a ses propres attributs. La VĂ©nus terrestre tient dans sa main des roses qui sont indĂ©niablement symbole d’amour, mais elles peuvent aussi symboliser la peine d’amour de par leurs Ă©pines. Cette douleur, suggĂ©rĂ©e par les roses, est attribuĂ©e uniquement Ă  la VĂ©nus terrestre comme si la souffrance n’agissait que dans le monde sensible et humain. Cette VĂ©nus porte aussi une couronne de myrte qui symbolise le mariage et rappelle ainsi le but de la commande de cette Ɠuvre, honorĂ© le mariage de NiccolĂČ Aurelio. La seconde VĂ©nus porte, quant Ă  elle, un pot Ă  feu qu’elle Ă©lĂšve vers le ciel. Ce dernier peut Ă©voquer l’ascension spirituelle vers le monde des idĂ©es d’oĂč elle provient.

Les deux VĂ©nus n’entrent pas en altercation. Elles s’opposent uniquement par leur reprĂ©sentation. En effet, la VĂ©nus cĂ©leste regarde sa voisine avec un regard empli de comprĂ©hension et elles sont assises sur le mĂȘme siĂšge, bien que la VĂ©nus cĂ©leste soit surĂ©levĂ©e par rapport Ă  sa voisine. En plus, Cupidon remue l’eau de la fontaine comme s’il voulait homogĂ©nĂ©iser le liquide qui se trouve entre les deux femmes. Cupidon, chez les nĂ©oplatoniciens, est un principe de mĂ©lange cosmique. De ce fait, c’est comme s’il mĂ©langeait les deux VĂ©nus pour rappeler qu’elles sont faites d’une mĂȘme essence : l’Amour.

Le titre, quant Ă  lui, n’est selon Panofsky pas des plus correct, car il implique une dichotomie. Il aurait Ă©tĂ© plus pertinent de le nommer de maniĂšre Ă  mettre en avant une Ă©chelle de valeur[7]. Alors que l’une s’incarne comme Ă©tant la beautĂ© universelle, Ă©ternelle et purement intelligible, l’autre est la VĂ©nus vulgaire, celle dont chacun peut expĂ©rimenter l’amour et qui s’illustre par sa beautĂ© pĂ©rissable et changeante.

Edgar Wind : l'initiation Ă  l’Amour de la BeautĂ©

Un autre historien de l’art, Edgar Wind[8], s’est intĂ©ressĂ© Ă  ce tableau. Il rĂ©fute la thĂ©orie de Panofsky, car selon lui, ce ne sont pas les deux VĂ©nus qui sont reprĂ©sentĂ©es ici, mais deux genres d’amours que l’homme peut connaĂźtre.

Tout d’abord, il remarque que la figure nue est supĂ©rieure Ă  sa voisine de par sa plus grande taille, sa posture plus vigoureuse et son bras tendu vers le ciel. En plus, derriĂšre elle, se trouve une Ă©glise, tandis que du cĂŽtĂ© de la femme vĂȘtue, c’est un chĂąteau qui est reprĂ©sentĂ©. Le chĂąteau pourrait symboliser ici une vie mondaine opposĂ©e Ă  l’église qui reprĂ©senterait une vie tournĂ©e vers la spiritualitĂ©. Ces diffĂ©rents Ă©lĂ©ments donnent donc un caractĂšre plus noble Ă  la figure nue.

Pour Wind, le terme de « VĂ©nus », qu’attribue Panofsky Ă  ses deux femmes, est beaucoup trop positif. Wind prĂ©fĂ©rera la dĂ©nomination de « figure ». Pour contrer la thĂ©orie nĂ©oplatonicienne dĂ©montrĂ©e par Panofsky, Wind explique que ces deux figures portent des attributs qui ne sont pas habituelles pour symboliser VĂ©nus, par exemple le manteau rouge et les vases.

En plus, le mouvement des figures du tableau va de la gauche vers la droite. Cela pourrait montrer que les trois figures mettent en avant une progression dans leur reprĂ©sentation de l’amour en passant par le cupidon qui tient, ici, son rĂŽle usuel de mĂ©diateur. De ce fait, pour Wind le thĂšme du tableau serait l’initiation Ă  l’Amour de la BeautĂ© (de Pulchritudo Ă  Voluptas) dans une perspective mystique et non plus allĂ©gorique.

Le bas-relief, reprĂ©sentĂ© sur le devant de la fontaine sur laquelle sont assises les deux femmes, montre une scĂšne de torture. Au centre, un cheval dĂ©bridĂ©, qu’un personnage tente de maĂźtriser, pourrait symboliser l’amour bestial. C’était Ă  la Renaissance l’un des symboles les plus populaires pour illustrer la passion dĂ©bridĂ©e. À gauche, un homme tire une femme par les cheveux et la traĂźne ainsi sur le sol, laissant prĂ©sager d’autres sĂ©vices Ă  venir. À droite, un homme frappe un autre homme couchĂ© au sol et deux autres personnes apportent un poteau pour, peut-ĂȘtre, y attacher la victime et continuer Ă  lui porter des coups.

Ce bas-relief pourrait montrer une troisiĂšme forme d’amour, l’amour bestial. Cette scĂšne n’appartient pas au mĂȘme domaine que les deux femmes et c’est pour cette raison que Wind[8] pense qu’il ne s’agit pas de la reprĂ©sentation des deux VĂ©nus nĂ©oplatoniciennes, mais la reprĂ©sentation de deux sortes d’amours, accompagnĂ© de la reprĂ©sentation de l’amour bestial.

Le paysage Ă  l’arriĂšre-plan du tableau se distingue du cĂŽtĂ© de chacune des deux femmes, car il les symbolise. Du cĂŽtĂ© de la femme vĂȘtue, une citadelle avec un cavalier Ă©voque peut-ĂȘtre une vie mondaine et la prĂ©sence d’un couple de lapins rappelle l’amour charnel. Du cĂŽtĂ© de la femme nue, un chien court aprĂšs un lapin comme s’il chassait l’amour charnel qui n’a rien Ă  faire du cĂŽtĂ© de la VĂ©nus cĂ©leste. Il y a aussi un berger qui fait paĂźtre ses moutons entre deux cavaliers et un couple enlacĂ©. Le berger peut symboliser la protection, alors qu’il est peut-ĂȘtre lĂ  pour protĂ©ger le couple des cavaliers, puisqu’il se trouve entre eux. De ce cĂŽtĂ©-lĂ , le paysage peut ĂȘtre dĂ©fini comme Ă©tant une pastorale. Ce type de paysage est issu de l’AntiquitĂ© et montre un Ăąge d’or oĂč l’homme vivait en harmonie avec la nature et ne l’avait pas encore transformĂ©e. C’est donc une forme d’harmonie originelle entre l’homme et la nature.

Conservation

Le tableau est conservé à la Galleria Borghese, ancien palais du cardinal Scipione Borghese, neveu du pape Paul V.

Postérité

La peinture fait partie du musée imaginaire de l'historien français Paul Veyne, qui le décrit dans son ouvrage justement intitulé Mon musée imaginaire[9].

Bibliographie

  • (it) Nadia Gaus, « Tiziano Vecellio » [archive du ] : « verrebbe subito da pensare che la figura vestita a sinistra rappresenti l’Amore Sacro... l’altra figura nuda a destra dovrebbe rappresentare l’Amore Profano »
  • (en) David JaffĂ©, et al., Titian, Londres, National Gallery Company,
  • (en) Paolo Moreno, et al., The Borghese Gallery, Milan, Touring Club Italiano,
  • Ce tableau est le fil conducteur du roman "Les Fortins de Venise" de P. Legrand / C. Cambier ⁎
  • ARASSE Daniel, DĂ©sir sacrĂ© et profane : Le corps dans la peinture de la Renaissance italienne, Paris : Editions du Regard, 2015.
  • BEGUIN Sylvie, VALCANOVER Francesco, Tout l’Ɠuvre peint de Titien, Paris : Flammarion, 1970.
  • (it) BERNARDINI Maria Gracia, et al., Tiziano : Amor sacro e Amor profano, Milano : Electa, 1995.
  • CANTELUPE Eugene B., «Titian's Sacred and Profane Love Re-examined», in : The Art Bulletin, vol. 46, no 2, , pp. 218–227.
  • CHATELET Albert, TITIEN, Paris : Le MusĂ©e Personnel, 1969.
  • DE TERVARENT Guy, Attributs et symboles dans l’art profane, GenĂšve : Librairie Droz S.A., 1997.
  • HUMFREY Peter, « Sacred and Profane Love. Rome. » in: The Burlington Magazine, vol. 137, no 1108, jul., 1995, pp. 479–480.
  • JAUBERT Alain, Le Temps des Titans, Paris : ARTE France DĂ©veloppement & Editions Montparnasse, 2005.
  • PANOFSKY Erwin, Le Titien questions d’iconologie, Poitiers : Hazan, 1989.
  • PANOFSKY Erwin, Essais d’iconologie : ThĂšmes humanists dans l’art de la Renaissance. Paris : Gallimard, 1967.
  • POPE-HENESSY John, Titien, Venise : Gallimard, 2004.
  • (en) ROBERTSON Giles, «Honour, love and truth, an alternative reading of Titian’s Sacred and Profane Love», in: Renaissance Studies, Vol. 2, Issue 2, , pages 268–279.
  • ROSAND David, Titien : « L’art plus fort que la nature », Paris : Gallimard, 2006.
  • (en) STEELE Brian D., «Water and Fire: Titian’s Sacred and Profane Love and Ancient Marriage Customs»,in: Notes in the History of Art, vol. 15, n°. 4, Ă©tĂ© 1996, pp. 22–29.
  • Titien, Tintoret, VĂ©ronĂšse
 RivalitĂ©s Ă  Venise. Catalogue d’exposition, Paris, MusĂ©e du Louvre, – , Paris : Hazan, 2009.
  • VĂ©nus dĂ©voilĂ©e : La VĂ©nus d’Urbino du Titien. Catalogue d’exposition, Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, – , Bruxelles : Europalia, 2003.
  • WIND Edgar, Pagan Mysteries in the Renaissance, New York : Norton, 1958.

Notes et références

  1. « Sacred and Profane Love », Galleria Borghese (consulté le )
  2. Nadia Gaus 2004
  3. Robertson G. Renaissance Studies, Volume 2, no 2, juin 1988, p. 268-279(12) Honour, Love and Truth, an Alternative Reading of Titian's Sacred and Profane Love. DOI 10.1111/1477-4658.00064
  4. Erwin Panofsky, Essais d’iconologie : Thùmes humanistes dans l’art de la Renaissance, Paris, Gallimard,
  5. « Le Banquet ou De l’Amour », sur http://www.mediterranees.net/histoire_grecque/socrate/banquet.html, (consultĂ© le )
  6. « Platon - Le Banquet - Traduction de Dacier et Grou (1873) », sur mediterranees.net (consulté le )
  7. Erwin Panofsky, Le Titien, questions d’iconologie, Poitiers, Hazan,
  8. (en) Wind Edgar, Pagan Mysteries in the Renaissance, New-York, Norton,
  9. Paul Veyne, Mon musĂ©e imaginaire, ou les chefs-d'Ɠuvre de la peinture italienne, Paris, Albin Michel, , 504 p. (ISBN 9782226208194), p. 324-325.

Articles connexes

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