Amour, Colère et Folie
Amour, Colère et Folie est un recueil composé de trois récits écrits par Marie Vieux-Chauvet. Il est publié aux éditions Gallimard en 1968 avec l'appui de Simone de Beauvoir. Évoquant les clivages de la société haïtienne et un climat de terreur sur l'île, publié pour la première fois dans les années 1960, à la fureur des autorités duvaliéristes, la diffusion en est stoppée. Elle reprend quelques décennies plus tard, au XXIe siècle.
Histoire de l'ouvrage
Ce recueil de trois récits est publié initialement par Gallimard, en 1968, avec l'appui de Simone de Beauvoir auprès de cette maison d'édition. Marie Vieux-Chauvet était en correspondance avec Simone de Beauvoir depuis 1967[1]. Dans les années 1960, le régime de François Duvalier, surnommé Papa Doc, arrivé au pouvoir en 1957, initialement par des élections sur un programme populiste, devient une dictature, s'imposant par la terreur, grâce à une milice et police politique, les Tontons macoutes. Plusieurs membres de la famille de Marie Vieux-Chauvet disparaissent ou sont assassinés[2]. Un contexte politique et social similaire est évoquée dans l'œuvre (dont l'écriture a commencé en 1964[2]), même si les récits sont positionnés pendant et après l'occupation américaine de l'île (durant l'entre-deux-guerres). L'auteur dénonce aussi la position ambigüe de la classe sociale la plus aisée de l'île, à laquelle elle appartient, et qui laisse s'installer ce pouvoir dictatorial[2]. Cette œuvre fait sensation, lors de sa diffusion dans l'île en 1968, et la police politique est alertée[2]. Marie Vieux-Chauvet est alors en déplacement à New York. Son mari, Pierre Chauvet, est en France, où l’ambassadeur d’Haïti l'informe de la fureur du pouvoir haïtien et le met en garde contre de possibles représailles[2]. À son retour dans l'île, il rachète les exemplaires en diffusion et les détruit[2]. Marie Vieux-Chauvet, bien que très attachée à cette œuvre, demande à Gallimard d'en stopper les ventes pour préserver sa famille[2]. Elle ne publiera rien d'autre de son vivant après ce recueil, et restera en exil à New York. Des exemplaires circulent pour autant dans la société haïtienne, comme le raconte Dany Laferrière qui en a trouvé par hasard un exemplaire, dans une armoire de ses parents, sous des draps[2]. La publication en est reprise en 2005[3] par les éditions Emina Soleil. Roger Tavernier, qui dirige cette maison d'éditions, indique à ce propos : « En 2000, j’ai reçu un colis de la directrice de la librairie La Pléiade, à Port-au-Prince. A l’intérieur, quatre romans de Marie Vieux-Chauvet avec un mot : “Il faut rééditer ces chefs-d’œuvre.” »[2], puis dix ans plus tard, en poche, par les éditions Zulma[2], avec, pour cette édition, une postface de Dany Laferrière[2].
Contenu
L'oeuvre est composé de trois récits, Amour, d'une part, puis Colère, et enfin Folie[2] - [3].
Amour
Le premier récit, Amour, met en scène trois sœurs de la bonne société, les sœurs Clamont. La narratrice est Claire, l’aînée de ces trois sœurs, née noire dans une famille à la peau claire ( la peau claire étant considéré comme un signe de distinction ), et se trouvant de ce fait exclue des relations et du jeu amoureux de son milieu[2]. Le récit est censé s’élaborer à travers un carnet dans lequel Claire Clamont narre sa vie, librement, à la première personne. La vivacité de Claire dans l’écriture contraste avec sa vie familiale où elle est silencieuse et ne s’exprime que très rarement. Elle est élevée selon les préjugés de caste et de couleur dans une ville haïtienne où la bourgeoisie se voit retirer ses avantages avec l'arrivée du commandant Calédu qui fait régner la terreur. Claire Clamont dit sa haine et sa peur qui est, en fait, une peur collective. Elle décrit aussi sa sexualité et sa frustration : la violence sexuelle ressentie tout au long d’Amour va de pair avec l’envie de réparer les injustices dans la chair des femmes qui subissent sans cesse l’exclusion.
Claire entretient un rapport ambigu avec Calédu, le représentant local du tyran à la tête d'Haïti. Elle est aussi éprise de son beau-frère, ce Français Jean Luze marié à une de ses sœurs[4]. Calédu représente aussi à ses yeux son père : « Les fantasmes et les rêves érotiques qui obsèdent Claire sont dominés par la figure du père et les souvenirs de ses violences »[5].
Colère
Le deuxième récit, Colère, raconte l’histoire d’une famille de petits propriétaires terriens aux prises avec l’expropriation de leurs terres par les « hommes en noir ». La violence monte d'un cran. Afin de sauver leurs terres, une jeune femme de cette famille, Rose, se sacrifie et de se prête aux désirs sexuels du commandant local de cette milice. Au grand désespoir du grand-père et du frère qui veulent venger leur honneur, ainsi que du père qui cherche à rendre possible le départ en exil des plus jeunes. Mais les membres de cette famille sortent écrasés de cette situation[6].
Folie
Quatre jeunes gens, poètes, sont réfugiés et se cachent dans un abris insalubre au pied d'une avenue bourgeoise. Pendant plusieurs jours, ils s'interrogent, boivent, ou s'accrochent, désespérés, aux rites du Vaudou de leurs parents. Ils observent les diables qui envahissent la cité et persécutent ses habitants, s'interrogent sur leur utilité, et l'un deux envisage de sortir armé de coctails Molotov. Puis ils sont extraits de leur abris misérable par la foule et la police, et tués[7].
Notes et références
- Kaiama L. Glover, « Marie Chauvet, Théoricienne sociale », dans Pierre Mirline (dir.), Dieulermesson Petit Frère (dir.) et Carolyn Shread (dir.), Marie-Vieux Chauvet, Legs éditions, , 19-30 p.
- Virginia Bart, « Une bombe à la face de Papa Doc », Le Monde,‎ (lire en ligne)
- Christophe Wargny, « Haïti au temps du duvaliérisme. Paranoïa couleur sang », Le Monde diplomatique,‎ , p. 34 (lire en ligne)
- Madeleine Cottenet-Hage, « Violence libératoire, violence mutilatoire dans Amour de Marie Chauvet », Francofonia, no 6,‎ , p. 17-28 (lire en ligne)
- Léon-François Hoffmann, « Formation sociale, déformation personnelle : l'éducation de Claire dans Amour de Marie Vieux-Chauvet », Études Créoles, no 17,‎ , p. 87-91
- Lise Gauvin, « Amour, Colère et Folie : l’horreur au quotidien », Le Devoir,‎ (lire en ligne)
- Marie-Josée Desvignes, « Engagement et résistance dans Amour, Colère et Folie de Marie Vieux-Chauvet », dans Pierre Mirline (dir.), Dieulermesson Petit Frère (dir.) et Carolyn Shread (dir.), Marie-Vieux Chauvet, Legs éditions, , 51-61 p.