Affaire Sixte
L'affaire Sixte désigne une initiative diplomatique de Charles Ier, empereur d'Autriche et roi de Hongrie, en vue de rétablir la paix entre la double monarchie épuisée par le conflit qui se prolonge et la France. Cette tentative de négociations avec le gouvernement français est menée par l'intermédiaire de Sixte de Bourbon-Parme, frère de l'impératrice-reine, qui se rend alternativement à Vienne, en Suisse, puis en France pour rencontrer des représentants du gouvernement français.
Contexte
Une volonté de sauver la double monarchie
Dès sa prise de fonction, Charles Ier se montre sceptique sur les chances de survie de la double monarchie, même après une victoire des puissances centrales. En effet, selon lui, les tensions entre les nationalités, Allemands et Magyars d'une part, et les « nationalités sujettes »[alpha 1] d'autre part, la tutelle allemande renforcée ainsi que l'intervention américaine constituent à ses yeux autant de facteurs propices à la dislocation de la double monarchie une fois la guerre finie. Les hommes d'État chargés de la double monarchie depuis l'avènement du nouvel empereur-roi à la fin de l'année 1916 partagent l'avis de leur souverain sur la fin de la monarchie danubienne en cas de prolongement du conflit. La prolongation du conflit doit selon eux se solder par la disparition de la double monarchie comme puissance encore indépendante : en cas de victoire allemande, le Reich impérial[alpha 2] ravalerait la double monarchie au rang de seconde Bavière, en cas de victoire alliée, les Alliés présideraient à sa disparition[1].
Face à cette situation, Charles et les conseillers qui l'entourent cherchent à se désolidariser du Reich, à défaut de pouvoir en convaincre les dirigeants de la nécessité d'une « paix blanche », ou sur la base du statu-quo territorial[1].
Des relations bilatérales ténues
Depuis le déclenchement des hostilités, les principaux belligérants ont continué d'entretenir des relations diplomatiques ténues, indirectes, via les pays neutres, notamment leur représentation en Suisse[2].
Depuis le déclenchement du conflit en , les liens entre les belligérants n'ont jamais été rompus, et de multiples tentatives de négociations secrètes sont ébauchées, les négociations franco-austro-hongroises menées par Sixte de Bourbon-Parme, beau-frère de Charles Ier, constituant la plus connue de ces initiatives[3].
Des pourparlers discrets
Des voies détournées
Se tournant vers la France, les responsables austro-hongrois utilisent la famille de l'impératrice Zita, ses frères Sixte et Xavier de Bourbon-Parme pour ouvrir des négociations discrètes avec des représentants français en Suisse. Pour ouvrir ces discussions, L'empereur dépêche sur place son aide-de -camp le comte Tamás Erdődy, en qui il a placé sa confiance ; lors de ce voyage, ce diplomate rencontre les deux frères de l'impératrice Zita[1].
Après s'être entretenus avec Raymond Poincaré, le président français, les deux frères acceptent une mission officieuse à Vienne ; ainsi, les 23 et 24 mars 1917, puis le 8 mai 1917, les deux princes s'entretiennent avec l'empereur-roi Charles et son ministre des affaires étrangères, Ottokar Czernin : à l'issue de chacun de ces entretiens, l'empereur leur remet une lettre autographe contenant des propositions destinées à constituer la base de négociations de paix franco-austro-hongroises[1].
Propositions austro-hongroises
Les propositions austro-hongroises sont connues uniquement par les courriers autographes remis par Charles à son beau-frère Sixte, lors des deux entretiens de Vienne les 23 et , puis le , et par une note rédigée et signée par Ottokar Czernin, remis le à Sixte de Bourbon-Parme[2].
Dans les deux courriers adressés à Raymond Poincaré, Charles, appuyé par son ministre, énumère ses propositions de paix. Il pose comme préalable l'« intégrité de la double monarchie » et se montre prêt à envisager des cessions de territoires contre des compensations territoriales[2].
L'empereur propose la restauration de l'indépendance de la Belgique, alors occupée par les troupes allemandes, l'évacuation de la Serbie, qui se verrait accordé un accès à la mer, à condition de réprimer toute agitation yougoslaves sur son territoire, et un échange de territoires destiné à compenser la cession de territoires à l'Italie[2].
Il reste cependant vague sur la question de la restitution de tout ou partie de l'Alsace-Lorraine à la France, se contentant de s'engager à « appuyer les justes revendications françaises au sujet de l'Alsace-Lorraine »[2].
De même, dans le courrier remis à son beau-frère remis le , Charles laisse à son ministre le soin de préciser par écrit les conditions de paix entre la double monarchie et l'Italie, posant le principe d'une cession de territoire austro-hongrois à Rome, sans les nommer, ni en préciser l'importance[2]
Réactions alliées
Les négociations menées à l'instigation de Charles Ier sont destinées à faire sortir la double monarchie du conflit en négociant la paix avec la France.
Les Alliés réagissent diversement à l'ouverture de ces négociations. Les Britanniques se montrent enthousiastes, tandis que les Italiens, informés à mots couverts par leurs interlocuteurs français et britanniques le lors de leur rencontre à Saint-Jean-de-Maurienne, se cabrent et refusent tout aménagement des termes du traité de Londres[4].
Le Reich informé
Cependant, parallèlement à ces négociations, les responsables de la double monarchie continuent leurs pourparlers avec leurs homologues allemands, en vue de négocier la répartition des conquêtes européennes de la quadruplice entre les deux alliés[5]. Dans cette perspective, Czernin tente d'obtenir de ses interlocuteurs allemands la cession de l'Alsace-Lorraine à la France en échange d'un désintéressement austro-hongrois en Pologne, pourtant l'un des buts de guerre austro-hongrois[5].
Dans le même temps, Czernin informe ses interlocuteurs allemands de la démarche initiée par son monarque en vue du rétablissement de paix. En effet, les hommes d'État austro-hongrois qui commanditent les négociations avec la France espèrent utiliser la menace d'une paix séparée pour faire pression sur le Reich et inciter les Allemands à ouvrir des négociations de paix[6]
Cependant, les informations distillées par le ministre à ses interlocuteurs allemands sont incomplètes et tendancieuses, à dessein. Les Allemands, parfaitement conscients du caractère incomplet des informations qui leur sont données, constatent le besoin de paix de la double monarchie et commencent à envisager un programme de sortie du conflit, base de négociations de paix avec les Alliés[7].
Un scandale incontrôlable
Conséquences
La disparition de la double monarchie, but de guerre allié
Le refus austro-hongrois de remettre en cause sa suzeraineté sur le Trentin et Trieste bloque toute négociation avec l'Italie, qui se montre donc hostiles à toute poursuite des pourparlers lors de la conférence de Saint-Jean-de-Maurienne du [6].
Notes et références
Notes
Références
- Renouvin 1934, p. 491.
- Renouvin 1934, p. 492.
- Soutou 2015, p. 188.
- Renouvin 1934, p. 494.
- Renouvin 1934, p. 493.
- Soutou 2015, p. 189.
- Renouvin 1934, p. 496.
Voir aussi
Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
- Jean-Paul Bled, L'agonie d'une monarchie : Autriche-Hongrie 1914-1920, Paris, Taillandier, , 464 p. (ISBN 979-10-210-0440-5).
- Fritz Fischer (trad. Geneviève Migeon et Henri Thiès), Les Buts de guerre de l'Allemagne impériale (1914-1918) [« Griff nach der Weltmacht »], Paris, Éditions de Trévise, , 654 p. (BNF 35255571).
- Annie Lacroix-Riz, Le Vatican, l'Europe et le Reich : De la Première Guerre mondiale à la guerre froide, Paris, Armand Colin, coll. « Références Histoire », (réimpr. 2010), 539 p. (ISBN 2-200-21641-6).
- Pierre Renouvin, La Crise européenne et la Première Guerre mondiale, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Peuples et civilisations » (no 19), , 779 p. (BNF 33152114).
- Max Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre mondiale : La fin d'un empire, Paris, Éditions SOTECA, 14-18 Éditions, coll. « Les Nations dans la Grande Guerre », , 298 p. (ISBN 978-2-9163-8559-4).
- Georges-Henri Soutou, La Grande Illusion : Comment la France a perdu la paix 1914-1920, Paris, Tallandier, , 383 p. (ISBN 979-10-210-2119-8).