Aboubakri II
Aboubakri II (Aboubakari ou Abubakar II, surnommĂ© l'« empereur explorateur ») serait un empereur du mandĂ©n ou mandingue qui aurait rĂ©gnĂ© de 1310 Ă 1312. Dans la tradition des souverains navigateurs, il serait parti vers l'ouest jusqu'Ă la cĂŽte de l'ocĂ©an Atlantique, d'oĂč il aurait lancĂ© deux expĂ©ditions maritimes pour aller voir « ce qu'il y avait de l'autre cĂŽtĂ© de la grande mare ». Ayant pris la tĂȘte de la seconde, il nâen serait jamais revenu. Certains ont affirmĂ© qu'il serait arrivĂ© en AmĂ©rique (avant Christophe Colomb) oĂč des « noirs » auraient Ă©tĂ© aperçus par certains des premiers EuropĂ©ens parvenus sur le continent.
La thĂ©orie de la traversĂ©e mandĂ©n, ou mandĂ©nka prĂ©colombienne, a particuliĂšrement retenu lâattention d'historiens africains. NĂ©anmoins, cette thĂ©orie demeure controversĂ©e en raison de la supposĂ©e impossibilitĂ© technologique, pour les Africains de l'Ă©poque, de traverser lâocĂ©an Atlantique.
Lâempereur navigateur
La source de cette histoire se trouve dans lâencyclopĂ©die Masalik Al-Absar de Shihab al-Din al-Umari (1300-1349), historien dâorigine syrienne actif en Ăgypte. Ce dernier avait 24 ans quand lâempereur mandĂ©nka Mansa Musa dĂ©fraya la chronique Ă©gyptienne par sa richesse en or Ă lâoccasion de son pĂšlerinage Ă la Mecque en 1324.
Selon Al-Umari, au gouverneur du Caire qui lui demande comment il a obtenu son trĂŽne, Musa Ibn AmÄ«r HÄjib rĂ©pond quâil a tout dâabord assurĂ© la rĂ©gence de lâempire lorsque son prĂ©dĂ©cesseur est parti vers lâocĂ©an Atlantique. Ce dernier, persuadĂ© quâil Ă©tait possible dâatteindre lâextrĂ©mitĂ© de la mer, aurait prĂ©parĂ© plusieurs annĂ©es durant une flotte de 200 navires quâil aurait envoyĂ©e vers lâouest, avec ordre de ne pas revenir sans rĂ©sultat, ou tout du moins pas avant lâĂ©puisement complet des vivres. Longtemps aprĂšs, un seul bateau revint. Selon le capitaine, la flotte avait rencontrĂ© une sorte de puissante riviĂšre au milieu de lâocĂ©an, et tous les navires Ă lâexception du sien avaient Ă©tĂ© engloutis dans les tourbillons. Lâempereur dĂ©cida alors de prendre lui-mĂȘme la tĂȘte dâune expĂ©dition de 3 000 bĂątiments dont il ne revint jamais[1]. NĂ©anmoins, lâempereur voyageur nâest pas nommĂ©, et le tĂ©moignage de Mansa Musa est sujet Ă caution : interrogĂ© par Fakhr ad-DÄ«n sur lâorigine de lâor malien, il aurait en effet rĂ©pondu quâil sortait de terre sous forme dâanneaux et poussait comme les lĂ©gumes[2].
Identité incertaine
Lâidentification du souverain navigateur Ă un empereur nommĂ© Aboubakri II repose surtout sur une chronologie des empereurs du Mali Ă©tablie par lâafricaniste Maurice Delafosse (1870-1926)[3] dâaprĂšs des sources Ă©crites, sans lâaide de la tradition orale et selon une lecture erronĂ©e des sources arabes due Ă une erreur de traduction[4]. Câest lui qui fixe ses dates de rĂšgne Ă 1310-1312. Abou Bakr (Aboubakri), mentionnĂ© par Ibn Khaldoun comme lâascendant de Mansa Musa, lui semble le meilleur candidat pour combler lâintervalle de deux ans qui apparait dans sa liste entre les rĂšgnes de Mansa Mohammed et de Mansa Musa. NĂ©anmoins, Ibn Khaldoun dit en fait quâaprĂšs Muhammad bin Qu, descendant de Soundiata KeĂŻta, le pouvoir passa Ă Mansa Musa, issu dâAbou Bakr, frĂšre de Soundiata[2]. Aboubakri ne serait donc ni le pĂšre ni le prĂ©dĂ©cesseur de Mansa Musa et nâaurait pas rĂ©gnĂ©[5]. La liste de Delafosse fut gĂ©nĂ©ralement reprise, malgrĂ© les doutes de certains comme Charles Monteil (1871-1949)[6], qui fait remarquer en 1929 quâAbubakri II nâapparait dans aucune tradition orale mandingue.
Cependant, certains croient en la possibilitĂ© de son existence. Lâhistorien guyanien Ivan Van Sertima de lâUniversitĂ© Rutgers a tentĂ© en 1976 de retracer son voyage[7], de mĂȘme que l'historien sĂ©nĂ©galais PathĂ© Diagne dans Bakari II (1312) et Christophe Colomb (1492) : A la rencontre de Tarana ou l'Amerique (1992).
Lâhistorien guinĂ©en Djibril Tamsir Niane a proposĂ© que le nom dâAboubakri nâapparaissait pas dans la tradition orale parce que les griots traditionalistes prĂ©fĂ©raient utiliser des noms prĂ©islamiques, compliquant ainsi le travail des historiens[8]. LâĂ©crivain malien Gaoussou Diawara pense quâAboubakri II a pu ĂȘtre volontairement ignorĂ© par les griots dĂ©sapprouvant son entreprise. Cette sorte de censure est attestĂ©e ailleurs dans la tradition malienne[9]. Il a composĂ© en 1992 une piĂšce de thĂ©Ăątre dont Aboubakri est le hĂ©ros, rĂ©digĂ© en 1999 sa biographie[10], et inspirĂ© des griots modernes comme Sadio DiabatĂ© Ă chanter ses exploits[11].
Interprétation parabolique
Selon certains[12], lâhistoire dâAboubakri II serait une parabole mettant en valeur Mansa Musa, le parfait souverain musulman, par contraste avec un prĂ©dĂ©cesseur qui aurait gaspillĂ© les ressources de son royaume et perdu la vie dans une vaine entreprise.
Annexes
Bibliographie
- PathĂ© Diagne, Bakari II (1312) et Christophe Colomb (1492) : Ă la rencontre de Tarana ou l'AmĂ©rique, Ăditions L'Harmattan, 2014.
- Boubacar Diallo et El Ibrahima Kalil KeĂŻta, Le jour oĂč Aboubakri II dĂ©couvrit l'AmĂ©rique, Ăditions universitaires europĂ©ennes, 2020.
Articles connexes
Notes et références
- J. Cuoq, Recueil des sources arabes concernant lâAfrique occidentale du VIIIe au XVIe siĂšcle ĂditĂ© par le CNRS, 22 mars 2001.
- N. Levtzion, J.F.P. Hopkins, Corpus of Early Arabic Sources
- Haut-Sénégal-Niger (1912)
- Levtzion, The Thirteenth- and Fourteenth-Century King
- Madina Ly-Tall, The Decline of the Mali Empire, UNESCO
- Monteil, Les empires du Mali
- They Came Before Columbus: The African Presence in Ancient America
- D.T. Niane, Recherches ; Ly-Tall, LâEmpire
- Thomas Hale, préface de Nouhou Malio, The Epic of Askia Mohammed Bloomington, Ind. 1996
- Article présentant la thÚse de G. Diawara, BBC, 13-12-2000
- document audio : Sadio Diabate
- Iradj Khalifeh-Soltani, Das Bild des idealen Herrschers in der islamischen FĂŒrstenspiegelliteratur, dargestellt am Beispiel des QĂąbĂ»s-NĂąma. TĂŒbingen 1971 (phil. Diss.) ; Adam KonarĂ© Ba, Sonni Ali Ber. Ătudes NigĂ©riennes 40. Paris - Niamey 1977, S. 2.