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Aberration (optique)

Une aberration est un défaut du système optique qui se répercute sur la qualité de l'image (flou, irisation ou déformation). Les aberrations sont définies par rapport à l'optique paraxiale[1] et matérialisent le fait que certains rayons ne convergent pas vers l'image prédite par l'optique géométrique. Ainsi, la théorie des aberrations s'inscrit dans le cadre de l'optique géométrique et ne prend pas en compte les aspects ondulatoire ou corpusculaire de la lumière.

Modélisation de distorsion en coussinet et en barillet créé par une lentille.

Il est possible de classer les aberrations en deux groupes. D'une part, les aberrations chromatiques, dépendantes de la longueur d'onde, qui sont responsables d'erreurs d'ordre colorimétrique dans les images. D'autre part, les aberrations géométriques, dépendantes de paramètres géométriques (position de la pupille, ouverture numérique et angle de champ notamment) ont un impact sur le pouvoir de résolution du système.

La conception optique permet de concevoir des systèmes peu aberrants en combinant des optiques dont les aberrations se compensent.

Historique

Aberrations chromatiques apparaissant sur une observation de la lune

La notion d'aberration est née avec les premiers instruments d'optique imageante : les verres correcteurs en 1285[2] et surtout la lunette astronomique et le microscope mis au point par Antoni van Leeuwenhoek avec des procédés de fabrication de lentilles optiques révolutionnaires pour l'époque[3]. Les premiers instruments font immédiatement apparaître des aberrations, notamment chromatique dans le cas des lunettes astronomiques.

Pourtant il faudra attendre le XIXe siècle pour qu'une théorie des aberrations apparaisse. La notion de stigmatisme est théorisée par Gauss en 1840[4] et Ernst Abbe développe au cours de la seconde moitié du XIXe siècle la notion d'aberration sphérique et chromatique. La mise en place d'un formalisme mathématique (polynômes de Zernike) autour des aberrations ne date que du début du XXe siècle.

Description du phénomène d’aberration

Origines possibles des aberrations

Les défauts observés dans une image lors de l'utilisation de systèmes optiques peuvent avoir plusieurs origines. Il convient donc de distinguer les défauts de fabrication liés aux éléments optiques (ces défauts font l'objet de spécifications particulières pour la qualité des optiques[5] - [6]) :

  • bulles et inclusions ;
  • défaut de planéité ;
  • rayures ;
  • picots.

des défauts qui sont liés au système optique dans sa conception.

Les aberrations optiques d'un système ne sont pas que des défauts de fabrication.

Approche géométrique

Le domaine de l’optique géométrique traite des systèmes optiques au travers des lois de Snell-Descartes (réfraction, réflexion) et du principe de Fermat selon lequel les rayons lumineux traversent un milieu en empruntant un chemin optique extrémal. Ce modèle géométrique permet de prédire la trajectoire des rayons lumineux au travers du système dans le cadre de l'approximation paraxiale.

Dans le modèle géométrique, les aberrations traduisent l'écart de trajectoire entre les rayons réels et les rayons théoriques. Les rayons théoriques étant pour la plupart construits à partir de lois faisant appel à des fonctions simples (sinus, cosinus, tangente), il est possible de linéariser l'écart des rayons réels par un développement limité et d'écrire les aberrations du système sous la forme d'un polynôme.

  • Lentille parfaite sur l'axe : Tous les rayons focalisent vers le même point. Cette optique est dénuée d'aberration sur l'axe.
    Lentille parfaite sur l'axe : Tous les rayons focalisent vers le même point. Cette optique est dénuée d'aberration sur l'axe.
  • Lentille aberrante sur l'axe : Les rayons paraxiaux focalisent en un point (foyer paraxial) tandis que les rayons marginaux focalisent en un autre point (foyer marginal). L'image n'est plus un point mais une tache, le pouvoir de résolution est dégradé.
    Lentille aberrante sur l'axe : Les rayons paraxiaux focalisent en un point (foyer paraxial) tandis que les rayons marginaux focalisent en un autre point (foyer marginal). L'image n'est plus un point mais une tache, le pouvoir de résolution est dégradé.

Approche ondulatoire

En optique ondulatoire, la lumière est modélisée non plus par un rayon géométrique mais par une onde électromagnétique.

Cela conduit à plusieurs conséquences importantes. D'abord, l'image d'un point, même au travers d'un système parfait, n'est plus un point mais une tache. Le diamètre de cette tache d'Airy est donné par :

Avec Φ le diamètre de la tache d'Airy, λ la longueur d'onde de la lumière et ON l'ouverture numérique du système.

On retrouve les résultats de l'optique géométrique lorsque λ tend vers zéro ie lorsque la longueur d'onde devient négligeable devant les dimensions des objets que la lumière va rencontrer. De plus, on s'attend à voir émerger des problèmes de taille de tache lorsqu'on travaille en lumière polychromatique : le diamètre de la tache d'Airy dépend de la longueur d'onde, donc le bord d'une tache issu d'une lumière polychromatique présente un dégradé de couleur.

La comparaison entre la tache d'Airy attendue et la tache image réelle constitue en soi un premier critère permettant de savoir si le système étudié présente des aberrations.

D'autre part, l'approche ondulatoire conduit à décrire la propagation de la lumière en termes de front d'onde. La comparaison du front d'onde réel avec le front d'onde théorique permet de déduire un écart normal. Cet écart normal est ensuite développé sous forme polynomiale. La forme du polynôme permet d'identifier et de quantifier les aberrations présentes dans le système.

  • Tache polychromatique (Image en fausses couleurs)
    Tache polychromatique (Image en fausses couleurs)
  • Modification du front d'onde par une lentille convergente.
    Modification du front d'onde par une lentille convergente.
  • Front d'onde réel issu d'une mesure interférométrique. Ce front d'onde n'étant pas sphérique, on déduit que l'optique étudiée présente des aberrations.
    Front d'onde réel issu d'une mesure interférométrique. Ce front d'onde n'étant pas sphérique, on déduit que l'optique étudiée présente des aberrations.

Lien entre déformation du front d'onde et tache image

Les relations de Nijboer (en) permettent de relier la dimension de la tache image à l'écart du front d'onde réel au front d'onde idéal[7].

Étude quantitative des aberrations

Il existe plusieurs méthodes pour traiter numériquement les aberrations d'un système optique. Elles se basent sur l'approche ondulatoire des aberrations et donnent un écart au front d'onde idéal. Le lien entre cet écart et le front d'onde est fait par les relations de Nijboer.

Somme de Seidel

C’est en 1857 que Ludwig von Seidel développe une méthode permettant de séparer et analyser les aberrations optiques[8]. Ainsi sont découvertes et nommées cinq premiers types d’aberrations du troisième ordre qui sont :

  • aberration sphérique ;
  • coma ;
  • astigmatisme ;
  • courbure de champ de Petzval ;
  • distorsion.

Jusque-là, les aberrations n’étaient pas calculées de manière analytique, et seul un tracé de rayons, long et laborieux permettait de trouver à quel point le système était aberrant.

Principe

Deux méthodes existent pour trouver les termes exacts des aberrations de Seidel : par le calcul de la loi de Descartes pour chaque élément de la combinaison optique, hors de l'approximation de Gauss (donc pour un développement limité à un ordre supérieur à 1), soit par la méthode développée par Buchdahl[9] qui permet de connaître les termes exacts de la série de Seidel pour les aberrations d'ordre 3 et supérieur.

Forme générale

Pour un système centré, la forme générale des polynômes de Seidel est :

Avec [10].

Avantage

La caractéristique principale de cette description des aberrations est qu’elle permet de prendre en compte les caractéristiques du système optique, sa symétrie de révolution, la conique des surfaces, etc. Les séries de Seidel présentent donc un avantage particulier pour la conception optique, domaine de l’optique consistant à concevoir et améliorer des systèmes optiques (viseurs, objectifs, systèmes à miroir, télescopes, etc.) car elles sont reliées de manière évidentes aux aberrations du 3e ordre.

Polynômes de Zernike

Frederik Zernike en 1953.

C’est en 1936 que Zernike améliore la description analytique des aberrations en créant une famille de polynômes nommés polynômes de Zernike. Ceux-ci sont orthogonaux dans le cercle unité (mais pas sur une portion de celui-ci) et permettent de décrire efficacement les aberrations d’ordre supérieur en prenant en compte le piston ou le tilt. Là où la série de Seidel permettait de prendre en compte la symétrie de révolution du système, les polynômes de Zernike sont plutôt une description du front d'onde sans relation directe avec le système optique. Chaque monôme décrit alors une aberration spécifique sur la surface du cercle unité.

Principe

Il est possible de relier les polynômes de Zernike aux polynômes de Seidel, cependant ceci n'est pertinent que dans un système où l'on n'étudie que les aberrations du 3e ordre. Au-delà, les contributions de certains des monômes de Zernike pour le 5e ordre s'ajoutent à celles du 3e ordre.

Forme générale

Les polynômes de Zernike ont la forme générale : [11].

On note le terme proportionnel à .

Avantage

Si les polynômes de Zernike sont de plus en plus employés dans les logiciels d’optimisation optique, leur prédominance dans le domaine de l’analyse de front d’onde et de l’optique adaptative est sans conteste, du fait de l’approche plus ondulatoire que la série de Seidel. Leur orthogonalité explique leur usage fréquent dans les logiciels de conception optique qui nécessite la décomposition sur une base d'aberrations.

Critères de quantification des aberrations optiques

Rapport de Strehl

Karl Strehl

Le rapport de Strehl nommé d’après le physicien Karl Strehl est une quantité exploitant le principe de front d’onde idéal et de front d’onde aberrant. On définit le rapport de Strehl comme le rapport entre la fonction d'étalement du point (ou PSF, pour Point Spread Function) au plan de meilleure mise au point pour un système limité par la diffraction et la PSF réelle entachée d’aberration. La formule est alors : où σ est l’écart quadratique entre le front d’onde parfait et le front d’onde aberrant, l’unité étant la même que celle choisie pour la longueur d’onde .

Si le rapport de Strehl est un outil généralement utile et efficace pour juger de la qualité d’une optique, il demeure limité et n’est applicable qu’à un système dont la PSF réelle n’est pas trop différente de la PSF avec aberration. Un front d’onde trop perturbé peut produire un rapport de 0,9 tout en étant très mauvais.

Critère de Maréchal

En 1947, André Maréchal développe l’idée d’un critère permettant d’évaluer la qualité d’un système optique et discute pour la première fois dans sa thèse[12] d’un critère de qualité optique, plus tard appelé critère de Maréchal. Il va alors plus loin que le critère de Rayleigh qui jusque-là se bornait à donner un critère de résolution de et énonce que l’écart RMS entre front d’onde idéal et front d’onde réel doit être inférieur à ce qui ramené au rapport de Strehl, implique d’avoir un rapport de Strehl approché d’environ 0.82.

FTM

La FTM (fonction de transfert de modulation) correspond à la fréquence spatiale la plus grande qui est transmise par le système optique. Une haute fréquence spatiale correspond à un changement brusque de luminosité, par exemple le bord d'un objet. En photographie, un système transmettant bien les hautes fréquences spatiales aurait du piqué.

L'ouverture numérique pour une longueur d'onde donnée limite la fréquence spatiale de coupure.

Physiquement, la fonction de transfert de modulation donne l'évolution du contraste en fonction de la fréquence spatiale. Mathématiquement il s'agit de la valeur normée de la fonction de transfert, pour un éclairage incohérent[13].

Dans le cas idéal (limite de diffraction), la FTM correspond à l'autocorrélation d'une pupille disque, soit :

Influence de la MTF sur la transmission des hautes fréquences

Dans le cas d'une dégradation de la qualité optique par présence d'aberration sphérique, la fréquence spatiale maximale transmise chute (a à d) et l'image obtenue est moins piquée (c à f). Dans le cas d'aberration sphérique, la tache image s'élargit également (b à e). Les illustrations c et f représentent une mire de test des fréquences spatiales : les fréquences les plus hautes se trouvent au centre de la mire.

Aberrations géométriques

Aberrations du troisième ordre

Fonction d'étalement due à de l'aberration sphérique

Le tableau ci-dessous, résume les différentes aberrations optiques monochromatiques que l'on peut rencontrer dans un système réel, ainsi que les techniques usuelles de correction.

AberrationCaractéristiquesCorrection
Aberration sphériqueSur l'axe et hors d'axe
Flou
Optique non sphérique (par ex : parabolique)
ComaHors d'axe
Flou et tache en forme d'aigrette
Optique non sphérique
AstigmatismeHors d'axe
Deux plans de focalisation distincts
Polissage des surfaces ou optique complexe
Courbure de champ
"Petzvalien"
Hors d'axe
Plan focal courbe
Courbure du plan image ou optique complexe
DistorsionHors d'axe
Déformation de tache
Symétrie de construction, traitement numérique…

Développement des aberrations sur les polynômes de Seidel et Zernike

Tous les polynômes sont ici donnés avec un angle de 0⁰.

AberrationPolynome de SeidelPolynome de Zernike
Defocus
Tilt
Astigmatisme
Coma (optique)
Aberration sphérique

Aberrations chromatiques

L'indice d'un verre est dépendant de la longueur d'onde par la loi de Cauchy [14]. On parle de dispersion du milieu qui est caractérisée par la constringence.

Il en résulte donc que la focalisation pour les différentes longueurs d'onde d'une source polychromatique ne se fait pas dans le même plan, ce qui peut être observé sous la forme d'irisations.

Les aberrations chromatiques peuvent être regroupées en deux catégories :

  • le chromatisme axial qui se traduit par des plans de mise au point différents pour les images de chaque longueur d'onde ;
  • le chromatisme latéral qui se traduit par des images de taille différente pour chaque longueur d'onde.

Détermination expérimentale

Méthode du point lumineux

Monochromateur servant à quantifier les aberrations chromatiques d'une optique

Cette méthode est la plus ancienne et la moins onéreuse à mettre en place. En pratique, la méthode repose sur le fait que l'observation de la tache image d'une source de petite dimension se rapproche de sa réponse impulsionnelle. L'observation de la forme de cette réponse impulsionnelle et la position de mise au point permet sur l'axe seul de connaître :

  • la présence d'aberration sphérique ;
  • la présence d'astigmatisme ;
  • la présence de chromatisme.

Un monochromateur peut permettre de quantifier le chromatisme par mesure de la position du meilleur foyer en fonction de la longueur d'onde.

Dans le champ (nécessite un dispositif de rotation de la source lumineuse autour de l'optique d'étude), on peut connaître en plus :

  • la présence de coma ;
  • la valeur de la courbure de champ ;
  • la valeur des courbures sagittales et tangentielles.

Cette méthode permet également dans le cas d'optiques à diaphragme de déterminer à partir de quelle ouverture l'optique est limitée par la diffraction[15].

Analyse de front d'onde

Description de l'interféromètre de Shack-Hartmann

Les analyseurs de front d'onde permettent de mesurer une partie des défauts des optiques en comparant le front d'onde issu de l'optique à un front d'onde plan. C'est par exemple le cas du dispositif de Shack-Hartmann.

On distingue deux types d'analyseur de front d'onde : les analyseurs interférométriques (Fizeau, Zygo) et les analyseurs à micro-lentilles. Ces analyseurs donnent une carte topologique de la déformation (valeur absolue du défaut de front d'onde).

Cependant de tels dispositifs ne quantifient pas la distorsion ni le chromatisme puisqu'ils travaillent en lumière monochromatique.

Notes et références

Notes

  1. Robert Guenther, Modern Optics, Cambridge, John Wiley & Sons Inc., (ISBN 0-471-60538-7), p. 130.
  2. Optique MPSI-PCSI-PTSI sur Google Livres
  3. Udo Wiesmann, In Su Choi et Eva-Maria Dombrowski (2006). Fundamentals of Biological Wastewater Treatment, Wiley-VCH Verlag GmnH : p. 8-9. (ISBN 3527312196)
  4. Dioptrische Untersuchungen sur Google Livres
  5. D'après Norme MIL-PRF-13830 Section 3.5 et MIL-O-1383, 1954, Avec masque de référence C7641866 révision L, de 1980
  6. D'après Norme ISO 10110-3:199, 1996 et Norme ISO 10110-5:2007, 2007
  7. The Extended Nijboer-Zernike Diffraction Theory and Its Applications sur Google Livres
  8. (1856), 289–332; “Über den Einfluss der Theorie der Fehler, mit welchen die durch optische Instrumente gesehenen Bilder behaftet sind, und über die mathematischen Bedingungen ihrer Authebung,” in Abhandlungen der naturwissenschaftlich-technischen Commission der Bayerischen Akademie der Wissenschaften
  9. An Introduction to Hamiltonian Optics, H.A. Buchdahl, Dover Classics of Science & Mathematics, 17 août 1997
  10. Wavefront Optics for Vision Correction sur Google Livres
  11. Wavefront Optics for Vision Correction sur Google Livres
  12. « l’étude des influences conjuguées des aberrations et de la diffraction sur l’image d’un point », soutenue le 13 juin 1947
  13. De l'Optique électromagnétique à l'Interférométrie: Concepts et illustrations sur Google Livres
  14. Bernard Balland, Optique géométrique : Imagerie et instruments, p. 58
  15. http://paristech.institutoptique.fr/site.php?id=762&fileid=9696

Voir aussi

Liens externes

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