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Voie romaine en Corse

La Corse a Ă©tĂ© administrĂ©e par Rome pendant près de sept siècles, de sa conquĂŞte en 259 av. J.C.[1] jusqu'aux invasions « barbares Â» des annĂ©es 420-430 ap. J.C.[2] IndĂ©niablement, la romanisation nĂ©cessite des dĂ©placements, des Ă©changes et donc —de façon encore dĂ©battue— la construction ou l’amĂ©nagement de voies de circulation, de voies de communication. Pour autant, en l'absence traces archĂ©ologiques convaincantes, l'existence d'une vĂ©ritable voie romaine en Corse reste hypothĂ©tique.

Les positions des historiens

Les historiens de la Corse sont dans leur ensemble réservés, voire négatifs, quant à l'existence de voies romaines en Corse. Ainsi Antoine Albitreccia écrit qu'« une incertitude règne au sujet des routes établies dans l’île » par les Romains. Pour Pierre Antonetti, « une vraie romanisation, ce sont des routes, de vraies routes carrossables, faites pour défier les siècles. Or sous cet angle aussi, le bilan est maigre »[3].

Pour Philippe LĂ©andri, il n'est pas certain que la mieux rĂ©pertoriĂ©e des « voies romaines Â» de Corse soit comparable aux autres routes de l'Empire mais doit plutĂ´t ĂŞtre un ensemble de pistes, parfois mieux conçues et entretenues aux abords de quelques citĂ©s, et qui relie Mariana Ă  l'extrĂŞme sud de l'Ă®le. Cette ligne de communication a Ă©tĂ© utilisĂ©e un temps comme itinĂ©raire vers l'Afrique, liĂ© donc au Cursus Publicus d'Ă©poque impĂ©riale [4]. Laurence et Jean Jehasse, eux, sont catĂ©goriques : « les routes corses sont toutes modernes. Et si on cite des strada romana (parfois strada reale) (...), c'est Ă  la fois vrai et faux (...): parce qu'il y a toujours eu des voies de pĂ©nĂ©tration vers l'intĂ©rieur (...). C'est par ces chemins, remontant au moins Ă  l'Age du Fer, et rĂ©utilisĂ©s tout au cours du Moyen Age, que se faisaient l'exploitation forestière, parfois minière, et la transhumance. Mais les stations donnĂ©es au IIIe siècle par l'ItinĂ©raire d'Antonin (...) sans aucun doute n'ont jamais Ă©tĂ© reliĂ©es entièrement par ces voies carrossables qu'on entend ailleurs par voies romaines. C'est qu'en dehors des accès transversaux de communications le transit s'effectuait essentiellement par mer Â»[5].

Pourtant Olivier Jehasse, dans une étude récente, affirme que « la lecture des textes anciens, les recherches dans la documentation historique et archéologique permettent de rassembler un certain nombre d’éléments qui assurent de la validité de l’existence de tels axes dans la Corse ancienne »[note 1].

Les sources historiques

L'Itinéraire d'Antonin, élaboré en réalité sous Constantin, apparaît l'un des rares documents anciens concernant la Corse. Il comporte une liste de sites situés sur la façade orientale de l'île, avec indication de leurs distances mutuelles :

A Mariana Pallas mp CXXVI
Aleria           mp XL
Praesidio        mp XXX
Portu Favoni     mp XXX
Pallas           mp XXV [6]

Ce qui se lit de la manière suivante :

  • De Mariana Ă  Pallas, 126 milles[7]
  • (de Mariana Ă ) Aleria 40 milles,
  • (d’Aleria Ă ) Praesidio 30 milles,
  • (de Praesidium au) Portus Favonus 30 milles et
  • (du Portus Favonus Ă ) Pallas 25 milles.

Il y a incertitude sur l'identification et la localisation de deux des localitĂ©s mentionnĂ©es, et des incohĂ©rences sur les distances. Ainsi, RenĂ© Rebuffat pense pouvoir localiser Praesidio dans la vallĂ©e du Tavignano Ă  plusieurs dizaines de kilomètres de la cĂ´te, dans ce qui serait un diverticule de l'itinĂ©raire principal[8]. Jean Jehasse le place aussi dans l'intĂ©rieur, du cĂ´tĂ© de Vezzani, et Olivier Jehasse sur la commune de Serra-di-Fiumorbo. Quant Ă  AndrĂ© Berthelot, il propose que « Praesidio et le Portus Favoni font double emploi », mais il ne prĂ©cise pas pourquoi. De plus la distance de Mariana (bien identifiĂ©e) Ă  Pallas (ou Palmas, ou Plalas, probablement voisine de Porto-Vecchio, ou de Bonifacio selon certains auteurs) est largement supĂ©rieure Ă  la distance de Mariana Ă  la pointe sud de l'Ă®le[9]. O. Jehasse rappelle fort justement que, selon Raymond Chevallier, l'« itinĂ©raire Â» d'Antonin est plus un « recueil de mansiones Â» (stations) qu'une description de voies existantes. Cette liste ne peut donc pas ĂŞtre prise telle quelle pour une description d'une voie romaine reliant effectivement ces localitĂ©s.

Les traces archéologiques

  • ChaussĂ©es

Une voie romaine comportait une chaussĂ©e, pas nĂ©cessairement pavĂ©e, mais toujours installĂ©e sur un soubassement compact destinĂ© Ă  supporter le passage des charriots : Ă  la base un radier de grosses pierres posĂ©es Ă  plat au hasard suivie d’une couche de terre pour Ă©galiser la surface raboteuse ; puis un rudus de cailloux concassĂ©s sur place calibrĂ©s et damĂ©s, puis sablĂ©s et compactĂ©s. Une via publica (voie de liaison entre citĂ©s) avait gĂ©nĂ©ralement une largeur de l'ordre de 6 Ă  10 mètres. De telles constructions rĂ©sistaient bien Ă  l'usage, et certains tronçons en ont Ă©tĂ© conservĂ©s en divers lieux jusqu'Ă  nos jours. Mais « en Corse, vu l’état en date de 2008 des recherches archĂ©ologiques sur le monde romain, on ne peut connaĂ®tre la structure physique des Ă©ventuelles voies romaines Â» (O. Jehasse).

  • TracĂ©s

Les voies romaines se caractĂ©risaient par une grande rectitude. Pour Rebuffat, « La route moderne (entre Mariana et Aleria), au bas des collines, est probablement un tracĂ© traditionnel, car elle suit tout naturellement la limite du terrain ferme et du terrain alluvial et l’ItinĂ©raire a pu choisir ce parcours : aussi son indication est-elle vraisemblable, et il faut la retenir provisoirement sans l’entourer de trop de conjectures dans l’attente de vĂ©rifications plus prĂ©cises et de rapprochement probants Â»[10]. Pour O. Jehasse, « on peut considĂ©rer la voie antique comme Ă©tant parallèle au tracĂ© de la route moderne Â».

Le chemin dit « Strada romana soprana Â», au sud de la commune de Prunelli-di-Fiumorbo.

Dans la plaine de Prunelli-di-Fiumorbo deux chemins actuels portent, sur quelques centaines de mètres, le nom de Strada romana. Ils sont parallèles, dirigĂ©s approximativement nord-sud, l'un au pied des collines (Strada romana soprana, c'est-Ă -dire supĂ©rieure), l'autre Ă  2 kilomètres plus Ă  l'est au voisinage des Ă©tangs (Strada romana sottana, c'est-Ă -dire infĂ©rieure)[11]. Ces voies, Ă©troites, sont considĂ©rĂ©es par Olivier Jehasse comme « probablement secondaires Â». Seule une Ă©tude archĂ©ologique permettrait d'assurer une datation et, peut ĂŞtre, de prĂ©ciser leur fonction.

Une tradition orale Ă©voque aussi au nord de Porto-Vecchio une strada romana. « Malheureusement, reconnaĂ®t O. Jehasse, on ne peut identifier cette route romaine ni sur la carte IGN ni sur les cadastres Â». Cette route « semble correspondre Ă  celles conservĂ©es dans le Fium’Orbu, et sa localisation conduit Ă  l’interprĂ©ter comme Ă©tant elle aussi une route secondaire. Â»

  • Ponts

Les ponts romains comptent parmi les monuments les plus cĂ©lèbres ; il s’agit de points de passage obligĂ©s, leur construction est liĂ©e souvent Ă  des considĂ©rations d’ordre stratĂ©gique et Ă©conomique. En Corse, entre Mariana et le sud de la cĂ´te orientale, le franchissement des cours d’eau est une nĂ©cessitĂ©, Ă  cause de la prĂ©sence de nombreux ruisseaux et de fleuves assez larges pour obliger Ă  concevoir des moyens de franchissement Ă  sec : Golo, Tavignano, Fiumorbo, Abatesco, Travo,... Mais aujourd’hui, pour O. Jehasse lui-mĂŞme, « aucun vestige vĂ©ritable n’a Ă©tĂ© recensĂ© Â», si ce n'est semble-t-il près de Mariana, au lieudit I ponti, et sur le Fium'Alti.

  • Bornes milliaires

Monuments emblématiques des voies romaines, les bornes milliaires indiquaient les distances à parcourir, mais elles étaient aussi la marque, le long des routes, de la puissance romaine. On a retrouvé en Sardaigne près d’une centaine de milliaires. Les routes romaines sardes sont bien attestées et reconnues dans toute cette île. Par contre, aucune borne milliaire n’a été retrouvée dans la Plaine Orientale à ce jour.

Les traces toponymiques

Selon François Melmoth, « les routes sont crĂ©atrices de mots. Partout oĂą elles sont passĂ©es, elles ont laissĂ© des noms aux villages ou aux lieux dits. Ainsi, les voies anciennes sont encore visibles sur nos cartes grâce aux toponymes qu’elles ont inspirĂ©s Â». Le toponyme Migliarine, sur la commune de Castellare-di-Casinca, Ă©voque une milliaire. De mĂŞme Migliacciaru, sur la commune de Prunelli-di-Fiumorbu, connu comme carrefour important depuis l'antiquitĂ©. Outre les deux chemins dĂ©signĂ©s comme Strada romana Ă  Prunelli, une rue de Ghisonaccia, un peu plus au nord, sur l'autre rive du Fiumorbo, porte aussi le nom de Strada romana.

Synthèse

Pour O. Jehasse, « les Ă©crits de Strabon, les mentions du texte de PtolĂ©mĂ©e et l’ItinĂ©raire d’Antonin, ajoutĂ©s Ă  une attention aux cadastrations et Ă  la toponymie, quelques traditions orales et une recherche archĂ©ologique Â» permettent de conclure, « sans aucune hĂ©sitation, que la Corse possède un rĂ©seau routier organisĂ© durant l’époque romaine Â». « Mais, ajoute-t-il, on ne peut le retrouver facilement Â», « il subsiste encore des interrogations Â», et « la recherche sur les voies romaines en Corse ne fait que commencer Â». De fait, les rĂ©fĂ©rences historiques sont ambiguĂ«s, et les traces archĂ©ologiques, on l'a vu, quasiment inexistantes. La « voie romaine en Corse Â» reste problĂ©matique. On peut encore penser avec Antoine Peretti que « militairement, longer la cĂ´te orientale par mer est beaucoup plus sĂ»r et rapide que de la traverser Ă  pied Â».

Sources

  • Olivier Jehasse et FrĂ©dĂ©rique Nucci, Les Voies romaines de Corse : Étude rĂ©alisĂ©e pour le compte de la CollectivitĂ© territoriale de Corse, programme Interres II : Les voies romaines en MĂ©diterranĂ©e, Laboratoire de recherche d'histoire ancienne de l'universitĂ© de Corse, , 48 p. (lire en ligne [PDF]).
  • RenĂ© Rebuffat, Les Stations corses de l’ItinĂ©raire Antonin, Annales de la facultĂ© des Lettres d’Aix, Tome XLIII, 1967. Les rĂ©fĂ©rences Ă  cet ouvrage sont apportĂ©es par O. Jehasse dans son ouvrage rĂ©fĂ©rencĂ© ci-dessus.
  • Pierre Antonetti, Histoire de la Corse, Ă©d. Robert Laffont, Paris 1973, rĂ©Ă©d. 1990, (ISBN 2-221-06862-9).
  • Philippe Leandri,Le Cursus Publicus de Sardaigne-Corse: un itinĂ©raire vers l'Afrique , BSSHNC 2001 N° 694-695).

Notes et références

Notes

  1. Les citations non référencées sont extraites du texte d'O. Jehasse & F. Nucci présenté dans la partie « Sources ». La pagination du texte tel qu'il est présenté sur le site référencé est malheureusement incohérente avec le sommaire des auteurs, ce qui empêche de préciser ici la place de chacune d'elles dans l'étude.

Références

  1. Pierre Antonetti, Histoire de la Corse, pp. 72-73.
  2. id. p.93.
  3. ibid. pp. 87-88.
  4. le Cursus Publicus de Sardaigne-Corse: un itinéraire vers l'Afrique ? par Philippe Léandri, BSSHN 2001 N° 694-695)
  5. La Corse romaine (IIIe siècle av. J.-C. - Ve siècle après J.-C.), par Laurence et Jean Jehasse, partie IV de Histoire de la Corse, sous la direction de Paul Arrighi et Antoine Olivesi, éd. Privat, 1971, rééd. 1986, (ISBN 2 7089 1670 X), page 116.
  6. René Rebuffat, op. cit., pp.228-231.
  7. Le mille romain (mp pour millia passuum, soit 1000 pas de deux enjambées) représentait un peu moins de 1500 mètres.
  8. René Rebuffat, op. cit., pp.217-227
  9. 126 milles romains = environ 180 kilomètres
  10. Rebuffat, op. cit., p.220
  11. Visibles et désignés comme tels sur la carte IGN au 1/25000 4253ET Aiguilles de Bavella - Solenzara

Voir aussi

Articles connexes

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