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Verset de la lapidation

Dans le Coran, aucun verset ne prĂ©voit la lapidation pour les adultĂšres[1]. Le verset de la lapidation est un verset concernant la lapidation des coupables d’adultĂšre qui aurait, pour certains, appartenu au Coran avant d'en ĂȘtre retirĂ©.

Au maximum pour le Coran actuel, dans certains cas (les fornicateurs/rices), peuvent ĂȘtre prĂ©vus 100 coups de fouet[1]. Mais « tous les juristes religieux de l'Islam soutiennent plutĂŽt la punition [la lapidation] pour l'individu/e adultĂ©rin mariĂ©/e ou qui a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© mariĂ© ». Pour cela, les juristes s’appuient sur ce verset de la lapidation[2].

Les hadiths contiennent des exemples de lapidation par Mahomet. Ils peuvent concerner des juifs mais aussi des musulmans, coupables d’adultĂšre et leur chaĂźne de transmission renvoie gĂ©nĂ©ralement directement aux compagnons de Mahomet. Ces rĂ©cits ont Ă©tĂ© repris dans de nombreux ouvrages de hadiths comme ceux de Bukhari et Muslim ou des commentaires coraniques comme celui de Tabari[3].

Description des différentes versions du verset

Il existe deux versions de ce verset.

Le texte de ce verset est donnĂ© par un hadith attribuĂ© Ă  Ubay ibn Ka'b, compagnon de Mahomet. Le texte se retrouve dans le Muwatta’ de Malik et Ă  deux reprises dans le Musannaf d’Abd-al-Razzaq sous la forme[4] :

« Si le vieux et la vieille forniquent, lapidez-les absolument, en chùtiment de Dieu, et Dieu est puissant et sage. »

Cette premiĂšre version appartient Ă  un rĂ©cit concernant la lapidation de deux juifs adultĂšres. Il a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ© par Alfred-Louis de PrĂ©mare. Ce verset concerne soit un verset de la Torah, soit un verset du Coran qui vise uniquement les juifs[4]. Pour Tabari, cette loi, pour les juifs, n’a pas Ă©tĂ© abrogĂ©e et le pouvoir musulman doit soit « dĂ©cider la lapidation, soit laisser la dĂ©cision aux juifs eux-mĂȘmes »[4].

Pour Cyrille Moreno, la traduction par « vieux » et « vieilles » est erronĂ©e : « On doit bien Ă©videmment entendre le terme shaykh au sens de personne honorable, sens courant qui justifie notre [traduction] : "L'homme respectable et la femme respectable". » Cette traduction serait conforme Ă  la vision antique que seule une personne de condition honorable peut ĂȘtre dĂ©shonorĂ©e[5].

Ibn Hanbal cite un autre verset « proprement coranique » et concerne « les personnes [tayyib] qui, ayant été mariées, ne sont plus vierges, et ont quitté leur époux ou épouse »[6] :

« L'envoyé de Dieu, lorsque descendait sur lui la révélation en éprouvait chagrin soucieux, et son visage devenait sombre. Et un jour Dieu lui envoya la révélation, et lorsqu'il fut libéré de son souci il dit : Prenez de moi! Dieu leur a donné une voie : (adultÚre de) tayyib avec tayyib, et de vierge avec vierge : le/la tayyib flagellation de cent (coups) et lapidation avec des pierres; le/la vierge, flagellation de cent (coups), puis exil d'un an »

Ce verset est cité par Muslim et inclus par Tabari dans son commentaire de la sourate 4 du Coran[6].

Intégration au Coran ?

Des traditions anciennes

Les traditions rapportent qu'Ubay ibn Ka’b, transmetteur du texte de ce verset, aurait Ă©tĂ© l’auteur d’une version du Coran rejetĂ©e par la suite par le pouvoir califal. Cette version semble toujours attestĂ©e au Xe siĂšcle. Ubay Ă©tait secrĂ©taire de Mahomet et plusieurs hadiths racontent que Mahomet discutait de la mise du Coran par Ă©crit avec lui[7]. Pour Ibn Ishaq, ce rĂ©cit appartient davantage Ă  son commentaire coranique qu’à ses Ă©crits historiques[8]. Selon un hadith de Muslim, ce verset aurait Ă©tĂ© mangĂ© par une chĂšvre[8]. Pour Mohammed-Hocine Benkheira, « les deux traditions [sunnite et chiite] sont unanimes pour considĂ©rer qu’il a existĂ© un verset sur la lapidation de l’adultĂšre dans la sourate 24 »[9]. Pour les rĂ©dacteurs de ces hadiths et de ces chaĂźnes, « la lapidation des adultĂšres est une prescription qui Ă©mane Ă  la fois du Coran et de la pratique du prophĂšte et de ses premiers successeurs »[10].

Ces hadiths rappellent un discours d’Omar, selon lequel il aurait existĂ© un verset coranique concernant la lapidation. Il aurait affirmĂ© : « Dieu a envoyĂ© Muhammad et lui a rĂ©vĂ©lĂ© le Livre ; et parmi ce qu’il lui a rĂ©vĂ©lĂ©, il y a le verset de la lapidation. Nous l’avons rĂ©citĂ©, connu et bien compris. Et l’envoyĂ© de Dieu a lapidĂ©, et nous avons lapidĂ© aprĂšs lui ». Ce discours est rapportĂ© par de nombreux auteurs : Ibn Ishaq, Ibn Hanbal, Bukhari, Muslim, Tabari... Pour PrĂ©mare, ce rĂ©cit pourrait ĂȘtre liĂ© Ă  la « thĂ©orisation » d’une pratique liĂ©e au besoin de se positionner face au judaĂŻsme et au christianisme[11], ce passage calquant par antinomie l’épisode Ă©vangĂ©lique de la femme adultĂšre[12].

Une mise en place du corpus coranique

Pour PrĂ©mare, les hĂ©sitations coraniques quant Ă  la peine Ă  infliger illustre les dĂ©bats des premiers temps de l’islam sur la punition de l’adultĂšre[13]. Au VIIIe siĂšcle, les penseurs musulmans rĂ©flĂ©chissent Ă  la mise en place de la loi musulmane et Ă  son rapport avec la loi juive[14]. Pour Benkheiria, la rĂ©activation d’une peine biblique, abandonnĂ©e par le judaĂŻsme, serait une maniĂšre de se placer en tant que continuateur d’un judaĂŻsme originel[2].

Claude Gilliot Ă©tudie ce verset dans un article intitulĂ© « Coran, fruit d'un travail collectif ? ». Pour l'auteur, cette question des versets retirĂ©s s'inscrit dans le schĂ©ma classique d'une rĂ©vĂ©lation qui a besoin d’ĂȘtre fixĂ©e et canonisĂ©e par un groupe, en Ă©liminant ce qui n'en fait plus partie. L'auteur rappelle que cette question est prĂ©sente dans les traditions musulmanes. Selon une de ces traditions, « Qu'aucun de vous n'aille jamais dire : “J'ai appris le Coran tout entier”. Que sait-il ce qu'est en entier ? Beaucoup du Coran s'en est allĂ©. Qu'il dise donc : “J'en ai appris ce qui en est connu” ». Cette problĂ©matique rappelle l’ambiguĂŻtĂ© du terme « collecte » appliquĂ© au Coran, ce qui pour certains signifie « appris par cƓur » et pour d'autres « Ă©crit »[15].

Dans sa conclusion, PrĂšmare dit : « le corpus coranique n’échappe pas Ă  cette loi gĂ©nĂ©rale de contingence de l’écriture : jusqu’à un moment relativement tardif, les auteurs hĂ©sitent Ă  confĂ©rer Ă  certaines transmissions le statut de verset rĂ©vĂ©lĂ© ou celui de sunna de Muhammad »[16].

Les points de vue des chercheurs

Cette intĂ©gration originelle revendiquĂ©e par la tradition au corpus coranique est reprise par d'autres chercheurs. Pour Amir Moezzi, « les deux courtes sourates « al–ងafd » et « al–khal‘ », ayant fait partie de la recension de Ubayy b. Ka‘b [...] n’ont finalement pas Ă©tĂ© incorporĂ©es dans la version finale du Coran. Il en est de mĂȘme pour quelques versets : celui de la lapidation (āyat al–rajm)... »[17]. Pour GeneviĂšve Gobillot et Michel Cuypers, « certains versets, disparus de la vulgate, ont subsistĂ© sous forme de hadiths prophĂ©tiques, signe d'une certaine fluiditĂ©, Ă  l'origine, entre le Coran et le hadith ». Ils donnent ainsi comme exemple le verset de la lapidation de la femme adultĂšre[18]

Pour RĂ©mi Brague, « un verset existant dans le Coran peut ĂȘtre abrogĂ© par un autre qui n'y figure pas ; ainsi, le verset punissant l'adultĂšre par la flagellation est censĂ© avoir Ă©tĂ© abrogĂ© par un autre, non recueilli, qui la punit de lapidation »[19].

Pour Éric Chaumont, le verset de la lapidation est un exemple d'une des formes d'abrogation. « « La rĂ©citation » est abrogĂ©e, c'est-Ă -dire qu'il ne figure plus matĂ©riellement dans le Coran alors que la lapidation des fornicateurs est un statut qui reste d'actualitĂ©. »[20]

Comparaisons

Dans un article appelé « Un verset manquant du Coran ou réputé tel », Gilliot repÚre un certain nombre de traditions sur le retrait ou la perte de versets du texte coranique. Il approfondit dans celui-ci la question du verset « Si le fils d'Adam avait deux vallées de richesses, il souhaiterait que lui en fut échue une troisiÚme ; seule la terre remplira le ventre du fils d'Adam, mais Dieu revient vers qui revient à Lui ». Pour Ibn Suddi, ce verset possÚde un statut similaire à celui de la lapidation[21].

Est rapportĂ©e par plusieurs auteurs, comme Burayda, la rĂ©citation de cet autre verset par Mahomet au cours de la priĂšre. Pour Malik, ce verset appartenait Ă  une sourate comparable en longueur Ă  la sourate 9, soit 129 versets. Pour Ubay, ce verset prendrait place dans la sourate 10, Ă  la suite du verset 24. Cet avis est aussi celui d’Ibn Hisham reprenant des traditions plus anciennes[21].

Ibn Abbas et Malik rappellent ce verset tout en conservant un doute sur son appartenance ou non au corpus coranique. Certaines traditions remontant Ă  Aisha parlent d’abrogation de ce verset. Bukhari rapporte ce verset en prĂ©cisant : « Nous pensions que ces mots Ă©taient du Coran jusqu’au jour oĂč fut rĂ©vĂ©lĂ© ce verset : Ce qui vous occupe, c’est la prĂ©occupation des biens »[21].

Pour Gilliot, « l'idĂ©e que Dieu a dĂ©cidĂ© de retirer des versets » appuie le principe d’abrogation et certaines de ces traditions d’abrogation de versets auraient pu ĂȘtre crĂ©Ă©es, dĂšs les premiers temps de l’islam, dans ce but. Pour l’auteur, « la tradition musulmane voudrait ancrer l'idĂ©e que le Coran a fait l'objet d'une rĂ©vĂ©lation “canalistique” [...], mais, en mĂȘme temps, elle a gardĂ© le souvenir d'une tout autre vision des choses, d’un Coran constamment remaniĂ© par Mahomet lui-mĂȘme et par la premiĂšre gĂ©nĂ©ration... »[21].

Liens internes

Références

  1. de Prémare 1990, p. 107.
  2. Mohammad Ali Amir-Moezzi, Dictionnaire du Coran, Robert Laffont, coll. « Bouquins », , p. 27.
  3. Alfred-Louis de PrĂ©mare, « ProphĂ©tisme et adultĂšre, d'un texte Ă  l'autre », Revue du monde musulman et de la MĂ©diterranĂ©e, vol. 58, no 1,‎ , p. 101–135 (DOI 10.3406/remmm.1990.2376).
  4. de Prémare 1990, p. 108-109.
  5. Cyrille Moreno, Analyse littérale des termes dßn et islaùm dans le Coran - Dépassement spirituel du religieux et nouvelles perspectives exégétiques, ThÚse de l'Université de Strasbourg, 2016.
  6. de Prémare 1990, p. 109.
  7. de Prémare 1990, p. 109-110.
  8. de Prémare 1990, p. 112.
  9. Mohammed-Hocine Benkheira, « Revelation and Falsification, The Kitāb al-qirā’āt of Aáž„mad b. Muáž„ammad al-SayyārÄ« », Revue de l’histoire des religions, no 1,‎ , p. 112-114 (lire en ligne, consultĂ© le ).
  10. de Prémare 1990, p. 105.
  11. de Prémare 1990, p. 107-108.
  12. de Prémare 1990, p. 123 et suivantes.
  13. Moezzi, Dictionnaire du Coran, p. 27-28. trad de l’italien
  14. de Prémare 1990, p. 104.
  15. Claude Gilliot, « Le Coran, fruit d’un travail collectif ? », dans De Smet D., et al. (Ă©d.), Al-Kitab. La sacralitĂ© du texte dans le monde de l’Islam, Bruxelles, 2004, p. 185-231.
  16. de Prémare 1990, p. 132-133.
  17. Moezzi, « Autour de l’histoire de la rĂ©daction du Coran. Nouvelles remarques », Islamochristiana 36 (2010), Pontifico Istituto Di Studi Arabi e d’Islamistica [ PISAI], Rome, p. 139-157.
  18. Michel Cuypers et GeneviĂšve Gobillot; IdĂ©es reçues, le Coran, Éditions Le Cavalier Bleu, Paris, aoĂ»t 2007, p. 23.
  19. Claude Gilliot, "Le Coran a une histoire », interview par Jacqueline Martin-Bagnaudez, in Notre Histoire, 195 (janvier 2002), p. 22-28
  20. Éric Chaumont dans Amir-Moezzi, Dictionnaire du Coran, 2007, Paris, article "abrogation", p. 14 et suiv.
  21. Claude Gilliot, « Un verset manquant du Coran ou rĂ©putĂ© tel », in M.T. Urvoy (Ă©d.), En hommage au PĂšre Jacques Jomier, o.p., Paris 2002, p. 73–100.
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