Usine de Dunes de Leffrinckoucke
Bâtie en 1911 à Leffrinckoucke, une commune voisine de Dunkerque, l'Usine de Dunes de Leffrinckoucke, très aboutie pour l'époque, est pendant la première moitié du XXe siècle une des plus modernes de France et assure, au cours des années 1950, la réponse à la très forte croissance de la demande d'acier, au début des Trente Glorieuses de l'économie française. L'usine des dunes de Leffrinckoucke est, avec Lesieur à Coudekerque-Branche, la doyenne des industries du Dunkerquois, et la première usine sidérurgique de la région littorale flamande[1]. Entre 1956 et 1960, elle a été associée au projet Usinor Dunkerque sur le plan capitalistique, avec son propriétaire, les forges de la Marine, avant de devenir un simple partenaire industriel.
Histoire
En 1911, les Aciéries et forges de Firminy, implantées dans le bassin de Saint-Étienne, sont déjà représentées dans la plupart des grandes villes françaises[1] et souhaitent s’étendre mais doivent renoncer à leur projet car elles sont encastrées dans une vallée de la Loire[1], où les ouvriers se faisaient de plus en plus revendicatifs[1]. Les Aciéries et Forges de Firminy espèrent qu’ils seront bien plus dociles en Flandre[1], territoire où le prix du terrain est aussi peu coûteux[1]. Leffrinckoucke dispose en 1911 de vastes étendues non bâties[2]. La commune est traversée par un canal de 250 tonnes, une voie ferrée et une route nationale reliant Dunkerque à la Belgique, ce qui lui permet de s'intégrer au réseau navigable belge, qui la mettait en relation avec les ports de Gand, voire Anvers[2]. Le canal relie aussi l'usine au port de Dunkerque[2]. L'usine peut ainsi recevoir du fer hématite de Suède et du coke d'Angleterre, mais aussi jouer sur la concurrence Dunkerque- Anvers, comme en 1945[2].
Le projet de construire une usine sur le sable, dans les dunes, peuplées jusque là de lapins, a surpris, compte tenu de l'effort qu'il représentait, mais la bonne desserte du site et la perspective de pouvoir à la fois faire jouer, pour l'approvisionnement en houille à coke, la concurrence entre le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais relié par les canaux, et ceux d'Angleterre ou de la Ruhr par la mer, a joué. La bonne intuition des initiateurs du projet a été de penser à placer la sidérurgie à proximité d'un port, ce qu'on appellera plus tard la sidérurgie sur l'eau, ce qui permet de recevoir les matières premières et d'exporter les produits finis via les infrastructures portuaires. Usinor fera la même chose quelque quarante années plus tard à Dunkerque, à échelle nettement plus grande. Mais au début du XXe siècle, l'idée arrive trop tôt, les cargos sont encore petits et le coût d'importation des minerais est plus élevé que prévu[3].
La construction débute en 1911, la première coulée de fonte date de 1914. La Première Guerre mondiale bouleverse tout, l'usine fabrique des obus et des glissières de canons[3]. Elle emploie, entre autres, des ouvriers chinois[4]. À l'issue de la guerre, la France récupère l'Alsace et la Lorraine, la sidérurgie se développe dans l'Est à proximité des bassins régionaux. Le projet initial est fortement revu à la baisse, il n'y aura qu'un seul haut fourneau sur les quatre prévus à l'origine, on renonce à l'idée d'une unité à grande production. Le haut fourneau démarre en 1924, mais l'acheminement des matériaux demande une forte manutention : les cargos ne peuvent accoster directement les quais de l'usine et il faut les décharger dans des péniches qui finissent le trajet[3].
La crise économique de 1929 frappe de plein fouet l'usine. Elle ne va survivre que difficilement en se spécialisant dans les fabrications à forte valeur ajoutée[3].
Les Aciéries et forges de Firminy fusionnent en 1954 avec les forges de la Marine, fondées en 1953 par le groupement d'établissements appartenant à trois autres sociétés de la Loire, pour créer la Compagnie des ateliers et forges de la Loire (CAFL)[2], mais la fusion ne prendra effet que six ans plus tard.
En 1956, Usinor fonde la « Société dunkerquoise de sidérurgie », dont elle détient 43 %, devant les 34% du capital de Marine-Firminy, résultat de la fusion en 1954 des Aciéries et forges de Firminy avec les forges de la Marine[5]. En échange de ces 34%, Marine-Firminy, apporte son Usine de Dunes. Le restant du capital appartient à Châtillon-Commentry (18%) et la Banque de Paris et des Pays-Bas (5%)[5].
L'apport de l'Usine de Dunes de Leffrinckoucke n'est finalisé qu'en 1959[5]: Marine-Firminy doit garder ses stocks et conserver pendant 6 ans l’exploitation, mais se retire peu de temps après[6]. En effet, face à la concurrence de la Sollac, Usinor souhaite anticiper l'installation à Dunkerque d'un train de laminage continu, impliquant un nouvel effort financier pour Firminy-Marine, que cette dernière estime ne pouvoir supporter. Marine-Firminy préfère ainsi apporter alors ses deux usines modernes à la CAFL dont l'avoir industriel est dès lors de neuf usines: six dans la Loire, et les trois autres à Leffrinckoucke, St-Chély-d'Apcher et au Boucau.
Dans les années 1960, l'Usine de Dunes de Leffrinckoucke emploie 2 200 personnes et assure à elle seule 20 % environ du chiffre d'affaires de la Compagnie des ateliers et forges de la Loire (CAFL)[2]. Le développement de l'aciérie a fait passer la population de la commune de 463 habitants en 1960 à 3 000 en 1965, avec une zone de peuplement dotée en 1962 de toutes les caractéristiques des communes mono-industrielles : population jeune (46,4 % de moins de 20 ans), mais peu de services et commerces: aucun boucher, une boulangerie, une alimentation générale pour 418 personnes, aucun médecin, aucun cinéma.
L'essentiel de ses activités est représenté en 1964 par la transformation de l'acier en produits laminés, forgés et usinés. Les principaux produits sont des pièces de chemin de fer (essieux montés, roues monoblocs..., pour lesquels elle assure 60 % de la production nationale[2]) mais aussi de manière croissante par des masses-tiges pour la prospection pétrolière (20-25 % de la production mondiale)[2]. Le dynamisme de l'établissement est tel qu'en 1964, il représente 11 % de l'effectif total de la Compagnie des ateliers et forges de la Loire et 20% de son chiffre d'affaires. Compagnie des ateliers et forges de la Loire sera plus tard intégré dans Schneider[2].
Dans les années 70, jusqu’à 3 136 salariés y travaillèrent, avant les années difficiles (1980-1990), notamment marquées par des plans sociaux.
Appartenant ensuite à partir du 1er au groupe Ascometal, filiale en 1999 du groupe Lucchini, l'Usine de Dunes de Leffrinckoucke sera achetée en 2005 par le groupe russe Severstal, cette usine emploie en 2008 près de 1 000 employés.
Le , l'aciérie ferme[7]. En 2018, le groupe suisse Schmolz et Bickenbach AG a repris l'usine[8].
En 2020, le site Ascométal de Leffrinckoucke, près de Dunkerque, connaît un plan social[9].
Références
- " Leffrinckoucke: l’Usine des dunes célèbre son centième anniversaire", la Voix du Nord du 3 mars 2013
- "Travaux de la Commission de géographie industrielle", Journées géographiques de Caen (5-8 mars 1966) - dans la Revue de Géographie Alpine de 1966
- Christian Larivière, « La sidérurgie pose un orteil sur l'eau », dans Cent ans de vie dans la région, Tome 2 : 1914-1939, La Voix du Nord éditions, Hors série du 17 février 1999, p.84-85
- Commandement d'étapes de Spycker-Steene, janvier à septembre 1917, p. 41, lire en ligne.
- "Monopolville: analyse des rapports entre l'entreprise, l'État et l'urbain à partir d'une enquête sur la croissance industrielle et urbaine de la région de Dunkerque", par Manuel Castells, Francis Godard Editions Mouton, 1974
- Archives nationales
- https://www.lavoixdunord.fr/265714/article/2017-11-18/depot-de-bilan-annonce-pour-le-groupe-ascometal
- La Voix du Nord du 5 avril 2019, p. 43.
- L'Usine Nouvelle du 19 octobre 2020.