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Tragédie de vengeance

La tragĂ©die de vengeance (en anglais revenge tragedy) est un genre dramatique dans lequel le personnage principal a pour but de se venger d’une injure (que celle-ci soit rĂ©elle ou imaginaire)[1]. Le terme revenge tragedy a Ă©tĂ© introduit en 1900 par A.H Thorndike pour dĂ©nommer un certain type de piĂšces de thĂ©Ăątre Ă©crites vers la fin de l’ùre Ă©lisabĂ©thaine et au dĂ©but de l’ùre jacobĂ©enne[2].

Titre de la couverture de l'édition in-quarto de La Tragédie Espagnole (1615)

Origines

La plupart des spécialistes s'accordent à dire que les tragédies de Shakespeare et celles de ses contemporains puisent leur inspiration dans la tragédie romaine, et en particulier dans la piÚce Thyeste de SénÚque[3]. Les tragédies de SénÚque adoptent trois thÚmes principaux : les retournements du destin (Troades), les crimes et les meurtres accomplis avec cruauté (Thyeste), ainsi que la pauvreté, la simplicité et la chasteté toutes trois célébrées par le dramaturge (Hippolyus)[3].

Dans la tragĂ©die de SĂ©nĂšque Thyeste, AtrĂ©e se venge de son frĂšre jumeau Thyeste, qui a sĂ©duit sa femme Erope, et a eu plusieurs enfants de cette derniĂšre. AprĂšs avoir dĂ©couvert l’adultĂšre, Thyeste s’étant enfui, AtrĂ©e feint une rĂ©conciliation et invite son frĂšre Ă  rejoindre de nouveau Argos sous prĂ©texte de vouloir partager le pouvoir avec lui. Mais au cours d’un festin, AtrĂ©e fait manger Ă  Thyeste Ă  l’insu de ce dernier, la chair des fils qu’il a eus avec Erope dans l’adultĂšre. Ce n’est qu’à la fin du festin qu'AtrĂ©e rĂ©vĂšle tout Ă  son frĂšre[4].

Il est Ă  noter qu'Ă  moins qu’ils se repentent, les criminels de SĂ©nĂšque (dans ce cas-ci Thyeste) mĂ©ritent toujours leur punition car selon lui, le choix de faire le mal est entiĂšrement entre les mains de l’individu lui-mĂȘme. Ainsi, le personnage doit ĂȘtre puni d’une maniĂšre appropriĂ©e pour les crimes qu'il a commis[5]. Cependant, cette prise de position Ă©thique peut donner lieu Ă  des situations complexes, Ă©tant donnĂ© que le meurtre commis sous prĂ©texte de vengeance est aussi lui-mĂȘme un crime. Ce dernier fait du vengeur lui-mĂȘme un criminel, et incite de plus le camp du puni Ă  lui faire subir Ă  son tour des reprĂ©sailles[5].

Caractéristiques de la tragédie de vengeance

DĂ©veloppement

La premiĂšre tragĂ©die de vengeance Ă  proprement parler apparaĂźt en 1587 durant la pĂ©riode Ă©lisabĂ©thaine, avec la piĂšce de thĂ©Ăątre de Thomas Kyd, La TragĂ©die espagnole[1]. Dans cette piĂšce, Hieronimo dĂ©couvre le cadavre de son fils Horatio, ce qui le plonge dans un bref accĂšs de folie. AprĂšs cela, Hieronimo dĂ©masque l’identitĂ© des meurtriers d’Horatio et dĂ©cide de se venger au cours d'une piĂšce de thĂ©Ăątre dans le thĂ©Ăątre. C'est durant cette piĂšce de thĂ©Ăątre que Hieronimo, accomplit sa vengeance avant de lui-mĂȘme mettre fin Ă  ses jours[6]. Avec la soif de justice de Hieronimo, et l’impuissance manifeste de l’État, La TragĂ©die espagnole introduit la problĂ©matique de la justice vengeresse qui sera ainsi explorĂ©e et dĂ©veloppĂ©e durant l’ùre Ă©lisabĂ©thaine et jacobĂ©enne, le genre de la tragĂ©die de vengeance ayant gagnĂ© en popularitĂ©[7]. Le conflit entre vengeance publique et vengeance privĂ©e, toutes deux plus ou moins distinctes l’une de l’autre, est considĂ©rĂ© par certains comme le thĂšme caractĂ©ristique non seulement des premiĂšres tragĂ©dies modernes de vengeance, mais aussi plus gĂ©nĂ©ralement, de toutes les premiĂšres tragĂ©dies modernes. La tension entre vengeance publique et vengeance privĂ©e a aussi conduit Ă  des dĂ©saccords sur le statut des personnages vengeurs : doivent-ils ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des hĂ©ros ou au contraire, des mĂ©chants ? Et ainsi, de quel cĂŽtĂ© se range Hieronimo, alors que ce dernier accomplit une vengeance privĂ©e pour obtenir justice de la mort de son fils ?

Connue pour avoir Ă©tĂ© mise en scĂšne peu de temps aprĂšs La TragĂ©die espagnole, la piĂšce de Shakespeare Titus Andronicus est une autre piĂšce prĂ©curseur du genre. Dans celle-ci, on retrouve les caractĂ©ristiques typiques de la tragĂ©die de vengeance : un cycle infernal de vengeances sanglantes franchit ainsi les bornes de la justice privĂ©e pour porter atteinte au destin de Rome[2]. Dans cette piĂšce, le meurtre du fils aĂźnĂ© de la reine des Goths Tamora, captive de guerre, par Titus lors d’un rituel entraĂźne plus tard le viol et la mutilation de la fille de Titus, Lavinia par deux des fils de la reine barbare. Pour se venger Ă  son tour, Titus tue les deux fils de Tamora et sert les cadavres de ces derniers Ă  manger prĂ©parĂ©s sous forme de tartes Ă  leur mĂšre, au cours d'un festin[8].

Comme le genre a progressivement gagnĂ© en popularitĂ©, les dramaturges ont explorĂ© cette tension entre vengeance privĂ©e et vengeance publique grĂące Ă  l’introduction d’une grande variĂ©tĂ© de personnages. Dans La Vengeance d’Antonio, John Marston crĂ©e un personnage nommĂ© Pandulpho qui incarne une thĂšse dĂ©veloppĂ©e dans La TragĂ©die Espagnole, sur le stoĂŻcien sĂ©nĂ©quien[9]. Ce dernier n’est pas dominĂ© par ses Ă©motions mais s’appuie plutĂŽt sur une sorte d'Ă©quilibre entre dĂ©terminisme cosmique et libertĂ© humaine, dans le but d’éviter le malheur[10]. Dans sa piĂšce Hamlet, Shakespeare explore la complexitĂ© du dĂ©sir viscĂ©ral de vengeance, et le met face Ă  face avec l’éthique et la philosophie stoĂŻciennes. Tout au long de la piĂšce, Hamlet lutte pour venger le meurtre de son pĂšre (cette vengeance a Ă©tĂ© commandĂ©e par le fantĂŽme du pĂšre d’Hamlet lui-mĂȘme), et ne finit par le faire que par infortune[11].

D’autres dramaturges de cette Ă©poque ont questionnĂ© les conventions du genre Ă  travers la parodie et le renversement des codes propres Ă  la tragĂ©die de vengeance[12]. Dans La TragĂ©die du vengeur de Thomas Middleton, le personnage Vindice est un homme rancunier qui semble trouver un plaisir particulier dans la vengeance en elle-mĂȘme, un plaisir suffisant pour motiver ses actes[13].  La TragĂ©die de l’AthĂ©e de Cyril Tourneur Ă  l’inverse dĂ©veloppe une trame anti-vindicative. Ainsi, le fantĂŽme de Montferrer demande explicitement Ă  Charlemont de ne pas le venger de maniĂšre Ă  Ă©viter le sang et la violence[14].

RĂ©ception

Les tragĂ©dies de vengeance ont connu un rapide succĂšs pendant les Ăšres Ă©lisabĂ©thaine et jacobĂ©enne[15]. Pour certains spĂ©cialistes, le fait que ces piĂšces questionnent ouvertement l’aspect Ă©thique de la vengeance et le pouvoir qu’ont les individus Ă  faire justice eux-mĂȘmes constitue en quelque sorte une preuve que le public de l’époque Ă©tait moralement opposĂ© Ă  cette conception[16]. À l’inverse, pour d’autres, la popularitĂ© du genre nous montre que ces piĂšces exprimaient avant tout les frustrations, ainsi que les envies justiciĂšres de chaque individu, contenues par l’oppression du gouvernement[15].

Films

La tragédie de vengeance a inspiré de nombreuses adaptations cinématographiques. Si l'on excepte les films basés sur l'histoire de Hamlet, on trouve entre autres :

Article connexe

Notes et références

  1. « Revenge tragedy / drama », sur Encyclopedia Britannica (consulté le ).
  2. Kerrigan, John. Revenge Tragedy: Aeschylus to Armageddon. Oxford: Oxford University Press. 1996. Print.
  3. Bowers, Fredson Theyer. Elizabethan Revenge Tragedy: 1587-1642. Glaucester, MA: Peter Smith. 1959. Print. p. 41.
  4. Kerrigan, John. Revenge Tragedy: Aeschylus to Armageddon. Oxford: Oxford University Press. 1996. Print. p. 111.
  5. Bowers, Fredson Theyer. Elizabethan Revenge Tragedy: 1587-1642. Glaucester, MA: Peter Smith. 1959. Print. p. 42.
  6. Kyd, Thomas. “Spanish Tragedy.” Five Revenge Tragedies. Ed. Emma Smith. New York: Penguin. Print.
  7. Smith, Emma. "Introduction." Five Revenge Tragedies. Ed. Emma Smith. New York: Penguin. Print.
  8. Shakespeare, William. “Titus Andronicus.” Folger Shakespeare Library. Ed. Barbara A. Mowat and Paul Werstine. New York: Washington Square Press. 2005.
  9. Marston, John. “Antonio’s Revenge.” Five Revenge Tragedies. Ed. Emma Smith. New York: Penguin. Print.
  10. Stoicism
  11. Shakespeare, William. “Hamlet.” Five Revenge Tragedies. Ed. Emma Smith. New York: Penguin. Print.
  12. Maus, Katherine Eisaman. “Introduction.” Four Revenge Tragedies. Ed. Katherine Eisaman Maus. Oxford: Oxford University Press. 1995. Print.
  13. Middleton, Thomas. “The Revenger’s Tragedy.” Four Revenge Tragedies. Ed. Katherie Eisaman Maus. Oxford: Oxford University Press. 1995. Print.
  14. Tourner, Cyril. “The Atheist’s Tragedy.” Ed. Katherie Eisaman Maus. Oxford: Oxford University Press. 1995. Print.
  15. Woodbridge, Linda. English Revenge Drama. Cambridge: Cambridge University Press. 2010. Print.
  16. Bowers, Fredson Theyer. Elizabethan Revenge Tragedy: 1587-1642. Glaucester, MA: Peter Smith. 1959. Print.
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